mercredi 3 octobre 2012

La Graufresenque et le Musée de Millau.

                                        J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter quelques sites archéologiques et des monuments ou vestiges romains. Or, j'ai récemment rejoint l'association Carpefeuch ( http://association.carpefeuch.over-blog.com/ ) qui, parmi d'autres activités, organise des visites ayant évidemment pour dénominateur commun la romanité. C'est dans ce cadre que j'ai eu la chance de me rendre à Millau, le week-end dernier, afin de découvrir le site de la Graufresenque - en compagnie de l'archéologue Alain Vhernet, guide aussi sympathique qu'intéressant. Nous avons pu arpenter le site, manipuler les objets et pénétrer dans les réserves, avant de poursuivre notre visite au musée de Millau. Je m'empresse de vous faire partager cette expérience...

M. Alain VHERNET, notre guide.

LA GRAUFRESENQUE, SITE DE PRODUCTION.


                                        C'est au Ier siècle que s'est développée, en plein territoire Rutène, la ville de Condatomagos (Millau). Le nom signifie en langue Gauloise "le marché du confluent" - la cité se situant en effet à la jonction du Tarn et de la Dourbie. A quelques encablures de là, dans la plaine de la Graufresenque, s'implantent des ateliers de potiers (près de 450, tout de même !), qui y fabriquent pendant près de deux siècles des céramiques sigillées, caractérisées par l'utilisation de poinçons (en latin sigilla), et un vernis d'un rouge intense. Important centre industriel, la Graufresenque a exporté sa production dans tout l'Empire, et même au-delà.

Le site de la Graufresenque.

                                        Si ce quartier d'artisans s'étendait sur près de 15 hectares, seuls 15m² ont été fouillés à ce jour. Et pourtant, le nombre de vestiges dégagés est impressionnant : une quantité phénoménale de poteries de toutes sortes, des poinçons, des moules, mais aussi les fours, les ateliers et entrepôts des potiers, d'immenses dépotoirs de vaisselle défectueuse, des habitations, et même un sanctuaire et des sépultures. Les traces d'un théâtre sont également visibles, dans un champ situé en face de la zone déjà explorée. Les pièces mises au jour sont exposés au Musée de Millau, qui présente autant les céramiques issues de la production que les objets utilisés au quotidien par les habitants de la cité.


Le site de la Graufresenque en lui-même présente entre autres un large éventail des poteries fabriquées sur place : plats, gourdes, assiettes, gobelets, coupes, etc. De la vaisselle lisse mais aussi des poteries plus ouvragées, décorées de scènes mythologiques, érotiques, de combats de gladiateurs, de représentations d'animaux ou de plantes. Ces décors, ainsi que les formes des objets, permettent de les dater avec une précision remarquable - à 30 ans près ! La production se réalisait à la belle saison, d’avril à octobre, le reste de l'année étant dédié à la préparation de l'argile (voir ci-dessous) et à l’abattage et au transport du bois.




FABRICATION DE LA CÉRAMIQUE.


Exemples de poinçons. (Musée de Millau.)

                                        Lors de la fabrication, les potiers appliquaient à l'intérieur des moules des poinçons d'argile, imprimant ainsi une décoration en creux. Après cuisson et démoulage, on obtenait un récipient agrémenté d'un décor en relief. La production, facilitée par l'utilisation de moules, s'est alors standardisée et industrialisée, permettant d'en élargir la diffusion et l'exportation.

Maquette du four.
Avant la cuisson, les céramiques étaient enduites d'une argile riche en calcium et en silice, l'engobe, qui une fois chauffée les rendait imperméables et leur donnait cet aspect brillant caractéristique. La cuisson se faisait à 1000° C., dans de gigantesques fours mesurant jusqu'à 7 m de côté. On pouvait cuire à chaque fournée jusqu'à 40 000 vases, empilés entre les cheminées traversant le four de bas en haut. Une sélection impitoyable était effectuée en sortie de cuisson, toute pièce défectueuse étant immédiatement jetée. D'immenses dépôts regroupent ainsi les tessons de vases fendus, ébréchés, mal cuits, déformés ou collés les uns aux autres à cause d'une température trop élevée. 



Dépôt de tessons de céramiques éliminées.


                                        De nombreux ateliers étaient réunis en ce lieu, et les potiers s'associaient entre eux - par exemple pour remplir un four avant la cuisson. Quelques centaines d'assiettes, sur lesquelles a été inscrit le nom de chaque potier, la quantité et/ou le type de pièces fabriquées ont été retrouvées, livrant une comptabilité précise, riche de renseignements sur l'organisation du travail. 







PROFIL DES POTIERS.


Assiette avec estampille.
Il est à noter que la plupart des céramiques portent le nom de leur fabricant, également estampillé à l'aide d'un poinçon. Ces signatures apportent de précieux indices quant à la population locale, principalement constituée de pérégrins - soit des autochtones, non citoyens romains. Apparaissent des surnoms Gaulois, Grecs, Romains, et parfois la tria nomina, ici propre aux affranchis. L'un des sanctuaires situé en marge du quartier des ateliers présente d'ailleurs une configuration gauloise puisqu'il s'agit d'un fanum. Parmi les divinités honorées, Minerve (patronne des artisans) tient une place prépondérante : c'est à elle que les potiers sacrifiaient, lorsque la cuisson avait été réussie.



Fanum du site de la Graufresenque.


                                        En marge du quartier des ateliers, les fouilles ont permis de dégager plusieurs zones d'habitation, en particulier un hypocauste (système de chauffage par le sol) appartenant à une demeure privée, dont seule une extrémité est connue. Une seconde zone se trouve le long du canal de chauffe amenant l'eau jusqu'au four : constituée de petits bâtiments d'une seule pièce, au sol en terre battue, elle regroupait les cases réservées aux esclaves. Le recours à la main d’œuvre servile permettait sans doute d'adapter le nombre d'ouvriers selon les besoins suscités par la fluctuation des commandes. D'autant plus que ces esclaves étaient bon marché - un Gaulois valant deux amphores de vin, d'après Cicéron. 

Quartier des esclaves.

EXPORTATION ET DÉCLIN.


                                        J'ai déjà signalé que la vaisselle fabriquée sur le site de la Graufresenque s'exportait dans tout l'Empire romain, voire même plus loin. On en a ainsi retrouvé aussi bien en Gaule qu'en Germanie, en Italie (une centaine de pièces à Pompéi, par exemple), en Grèce, sur les bords de la Mer Noire - mais aussi en Inde et au Soudan ! Cette large diffusion suppose une infrastructure conséquente : la situation géographique du site, proche de la mer et placé aux confluents de deux cours d'eau, ainsi que la proximité de la Via Domitia, explique sans doute le succès de l'entreprise. Mais il fallait aussi des entrepôts de stockage (à Narbonne, à Fos-Sur-Mer ou encore en Hollande), et des magasins ont été localisés à Colchester, en Suisse, à Budapest ou à Vienne (Autriche). Au IIème siècle, cependant, l'activité s'est ralentie et la production a été "délocalisée", pour se rapprocher des lieux de vente et donc des acheteurs. La Graufresenque est alors entrée dans une phase de déclin.




                                        Quand il s'agit de sites archéologiques romains, je reconnais que j'ai tendance à m'enthousiasmer facilement. : vous n'êtes donc pas obligés de me croire, lorsque je vous assure que la visite vaut le détour. Pourtant, je ne saurais trop vous encourager à faire le déplacement : bien mis en valeur, le site permet de se plonger dans la vie quotidienne de ses artisans, de découvrir leur production tout autant que les petits détails de leur existence - en particulier grâce aux objets regroupés dans le musée de Millau. A quoi s'ajoute un cadre superbe, au pied du célèbre viaduc, en plein cœur du Larzac. Et j'ai d'autant plus de mérite à la souligner que nous avons essuyé un temps exécrable... Mais enfin, en bonne compagnie et au nom de la romanité, je suis prête à affronter le déluge !


SITE ARCHÉOLOGIQUE DE LA GRAUFRESENQUE.

Avenue Louis Balsan
12100 Millau

Tél. : 05 65 60 11 37.
www.graufresenque.com
graufresenque@orange.fr


Ouvert tous les jours sauf les lundis et les 1/11, 25/12 et 1/1.
D’Octobre à Avril - de 10h à 12h et de 14h à 17h ;
Mai - Juin - Septembre - de 10h à 12h et de 14h à 18h ;
Juillet - Août - De 10h à 12h30 et de 14h30 à 19h.


MUSÉE DE MILLAU ET DES GRANDS CAUSSES.

Hôtel de Pégayrolles - Place Foch
12100 Millau

Tél. : 05 65 59 01 08
www.museemillau.fr
musee@millau.fr

Fermé Dimanches et jours fériés.
De Mai à Septembre et d'Octobre à Mai - de 10h à 12h et de 14h à 18h;
Juillet et Août - de 10h à 18h

Note : le musée présente également des vestiges préhistoriques, un département consacré à la mégisserie, à la ganterie, et une collection dédiée à la cantatrice Emma Calvé.



2 commentaires:

  1. Félicitations Fanny, ton CR est clair, précis, les croquis super efficaces; inutiles de remettre ma prise de notes au propre....tu l'as fait et très bien.Sylviane

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  2. Merci ! :-) Ça me fait d'autant plus plaisir que j'ai eu la chance de partager cette sortie avec toi... en espérant qu'il y en aura bien d'autres !

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