mercredi 17 octobre 2012

Vae Victis : Malheur aux vaincus !


                                        Il n'y a pas à dire : les expressions latines font toujours leur petit effet. Parmi elles, "Vae Victis" et sa traduction - "Malheur Aux Vaincus" - sonnent particulièrement bien. Outre le nom d'un magazine de jeux de guerres, et la devise portée par le 4ème Bataillon du 9ème régiment d'infanterie de l'armée américaine, déployé en Irak en 2007, l'expression s'emploie encore de nos jours, et signifie que le vaincu est à la merci du vainqueur. Mais en connaissez-vous l'origine ? Si vous avez déjà entendu l'histoire, ce billet est l'occasion d'une petite piqûre de rappel. Et dans le cas contraire, vous allez apprendre quelque chose !


Brennus.

                                         Tout commence vers 390 avant J.C. Les Celtes gaulois, emmenés par leur chef Brennus (celui du bouclier des rugbymen ?), envahissent la plaine du Pô et attaquent la cité étrusque de Clusium (aujourd'hui Chiusi), qui appelle Rome à son secours. Celle-ci intervient en envoyant des médiateurs, mais ses ambassadeurs se présentent les armes à la main. Les Gaulois demandent réparation : Rome refuse, et l'affrontement est inévitable. En 390 avant J.C. (ou 387, selon les sources), lorsqu'ils se heurtent à l'armée gauloise sur les bords de la rivière Allia, à une quinzaine de kilomètres au nord de l'Urbs, les Romains sont écrasés : les troupes, alors formées de citoyens mobilisés suivant les besoins, ne font pas le poids face aux guerriers Gaulois. C'est même une parodie de combat ! Terrorisés par cette horde de sauvages hirsutes qui vocifèrent en brandissant leurs épées, les Romains prennent leurs jambes à leurs cous et vont se terrer dans les villes environnantes, ouvrant un boulevard aux ennemis, qui n'ont plus qu'à marcher sur Rome.

                                        Ils ne rencontrent à Rome aucune résistance : la cité est déserte, la population a fui en laissant les portes ouvertes. Seuls les Sénateurs sont restés, tétanisés sur leurs chaises curules. Les Gaulois sont perplexes mais l'un d'eux, pas impressionné pour deux sesterces, fait le malin et tire sur la barbe d'un des pères conscrits - qui réplique par un coup de bâton ! L'incident dégénère : les Sénateurs sont massacrés, de même que les rares vieillards, femmes et enfants qui ont eu le malheur de rester à Rome. Les Gaulois incendient les temples et enchaînent les tueries et les pillages, sous les yeux horrifiés des derniers soldats présents sur place, qui se sont barricadés sur la colline du Capitole - et n'ont pas l'intention d'en descendre ! La siège se prolongera pendant sept mois...



Les oies du Capitole (Carte publicitaire Liebig)


Une nuit, les assaillants gaulois lancent une attaque surprise, en escaladant les murs de la citadelle : c'était compter sans les oies sacrées de Junon ! Les braves bêtes (épargnées malgré la faim qui tenaille les assiégés - comme quoi, un bienfait n'est jamais perdu...) réveillent les Romains par leurs cris, les alertant de l'assaut et leur permettant de repousser les ennemis, en les précipitant du haut des murailles.





Les oies du Capitole ("Alix - Les Légions perdues" de J. Martin)


                                        Celle-là, Brennus ne s'y attendait pas ! Il n'empêche que les Romains sont affamés, et que leur situation devient intenable. Ils finissent par demander à négocier le départ des troupes gauloises, ce que Brennus accepte, en échange d'une rançon de l'énorme montant de 1000 livres - soit presque 330 kg (!!) - d'or.


Illustration de Paul Lehugueur.

                                        Tant bien que mal, les assiégés parviennent à réunir cette somme. Une balance est transportée hors de la ville, où doit avoir lieu la pesée : des poids sont disposés d'un côté, et les Romains versent leur or de l'autre. Mais les poids ne correspondent pas, et les Romains découvrent que le plateau des Gaulois est lesté de faux-poids de plomb. On imagine la foire d'empoigne, les Romains criant à la supercherie, au vol, à l'escroquerie ! Et exigeant de Brennus qu'il rétablisse immédiatement l'équilibre de la balance, en lui lançant : "De quel droit utilises-tu des poids truqués ?". Mais Brennus ne se laisse pas démonter et rétorque : "Du droit des vainqueurs !", et pour faire bonne mesure, il jette dans la balance son épée et son baudrier en s'écriant "Malheur aux vaincus !" (Tite-Live, "Histoire Romaine", V- 48), signifiant aux Romains qu'ils ne sont pas en position de marchander - même pour défendre leur bon droit. Et les Romains s'inclinent, payant les 1000 livres d'or, plus le poids de l'épée... Mais étonnamment, malgré l'entourloupe de la balance, les Gaulois tiennent parole et reprennent le chemin du Nord, pour regagner leur territoire.


Vae Victis ! ("Alix -  Les Légions Perdues" de J. Martin)



                                        Au final cet épisode, préfiguration surprenante du sac de Rome qui signera la chute de l'Empire, laisse des stigmates durables : les terres cultivées ont été ravagées ; le paiement de la rançon a plongé la ville dans un désastre économique ; Rome elle-même est en piteux état, et il faudra des années pour réparer les dégâts ; les soldats ont montré qu'ils n'étaient pas à la hauteur, ce qui entraîne une réforme en profondeur de l'armée ; et psychologiquement, les Romains ont pris un sacré coup derrière les oreilles ! Durablement traumatisés par la catastrophe, ils craindront longtemps les Gaulois qui, de leur côté, ne manqueront pas une occasion de s'allier aux ennemis de Rome (Attila et Hannibal, entre autres) et l'épisode sera souvent repris et raconté, se transmettant de génération en génération. Bref : une trouille bleue, un sacré coup au moral, un joli trou dans la caisse... et une expression passée à la postérité !

                                        Mais tout le monde n'eut pas à se plaindre du désastre perpétré par Brennus... Je pense aux oies, bien sûr ! Désormais, les oies sacrées de Junon seront entretenues au frais de l'État, sous l'égide des censeurs. Et pour commémorer leur intervention sur le Capitole, on organisera tous les ans une procession au cours de laquelle une oie sacrée sera transportée en litière à travers la ville. Les chiens, en revanche, auront de quoi râler : certains de leurs congénères seront crucifiés vivants sur des poteaux, tout au long du parcours, expiant ainsi leur absence de réaction, puisqu'ils n'avaient pas aboyé pour donner l'alerte face aux Gaulois...


"Je viens juste de découvrir que l'un de mes ancêtres était oie de garde pour l'armée romaine..."

   
   
   

2 commentaires:

  1. grossière erreur anachronique. le bouclier des rugbymen n'a rien à voir avec cette histoire : il s'agit d'on autre Brennus. Charles de son prénom et graveur de son état, contemporain de Pierre de Coubertin

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  2. Je prends bonne note du commentaire, mais je signale la présence d'un point d'interrogation - ce n'était pas une affirmation ! Merci pour cette intéressante précision :-)

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