dimanche 30 novembre 2014

Calvitie : la chute - capillaire - de l'empire romain.


                                        Heureusement que j'ai des lecteurs fidèles, qui ne manquent pas de réagir à mes billets. Plusieurs de mes articles ont été consacrés à l'apparence physique des Romains : vêtements, maquillage, parfums, coiffure. C'est précisément ce qui a incité Christophe à me contacter. Il s'interroge sur un sujet bien particulier : la calvitie ! Pour être exacte, il me demande pour quelle raison je n'en ai pas parlé : et bien parce que je n'y ai pas pensé, tout simplement. Je m'en vais donc réparer cet oubli.

                                        Pas besoin d'être archéologue ou historien pour se douter que les Romains aussi perdaient parfois leurs cheveux. Les exemples ( y compris impériaux) abondent, comme nous allons le voir. La vrai question n'est donc pas de savoir si l'alopécie sévissait déjà dans l'Antiquité, mais plutôt si les Romains étaient aussi affectés par la disparition de leur crinière d'antan que les hommes d'aujourd'hui. Était-ce déjà un sujet de préoccupation? Le phénomène était-il répandu ? Quelle image avait-on des hommes dégarnis ?

Tête d'un vieillard romain. (Glyptothèque de Munich - ©Bibi Saint-Pol via wikipedia.)


                                        A mon grand désarroi, il n'existe pas à ma connaissance de livre, site internet ou publication spécifiquement dédié à cette problématique - ce n'est pas faute d'avoir cherché. Autant les études sur les coiffures masculines et féminines sont nombreuses, autant les chauves semblent être les grands oubliés de l'Histoire. Pourtant, certaines choses ne changent pas : si aujourd'hui, même les hommes les moins soucieux de leur apparence ont du mal à supporter la vision de leur front dégarni, cette obsession capillaire spécifiquement masculine, ce complexe existait déjà dans l'Antiquité, et donc à Rome.

Pline l'Ancien (portrait imaginé au XIXème s.)
Pour preuve, il existe de multiples recettes pour lutter contre la perte des cheveux. C'est comme toujours Pline l'Ancien et son "Histoire Naturelle" qui nous en fournissent le plus grand nombre. L'un des remèdes consiste à frotter le crâne avec de la soude, avant d'ingérer une infusion de pin, safran, poivre, vinaigre et silphium (plante aujourd'hui disparue), à prendre avec des... excréments de souris. De manière générale, Pline recommandait l'emploi d'emplâtres animaux : fiente de brebis pilée dans le miel et l’huile; fiente de rat (poétiquement appelée "Muscerda" par Varron) ou encore cendres de sabot de mulet dissoutes dans l’huile de myrte donnaient, selon lui, d'excellents résultats. Le sang des mouches mélangé à du miel ou du lait permettait aussi de remédier au problème, à condition d'avoir préalablement frotté le crâne avec une feuille de figuier. (Je vous laisse essayer.) Si la perte des cheveux résultait d'un maléfice, mieux valait utiliser carrément une tête de rat. La peau de hérisson brûlée dans la poix liquide, réputée pour faire repousser les poils, pouvait également être appliquée - mais il fallait d'abord décaper la surface du crâne avec de la moutarde ou du vinaigre. Si aucun de ces mélanges ne vous agrée, en voici d'autres, toujours suggérés par ce brave Pline :
"La cendre de l'hippocampe, mêlée à du nitre et à du saindoux, ou avec du vinaigre seulement, guérit l'alopécie. La poudre d'os de sèche sert à préparer la peau à l'application des médicaments nécessaires. On guérit encore l'alopécie par la cendre du rat de mer, avec de l'huile; par le hérisson marin calciné avec sa chair; par le fiel du scorpion marin; par la cendre de trois grenouilles qu'on calcine vives dans un pot, appliquée avec du miel, et mieux avec de la poix liquide." (Pline l'Ancien, "Histoire Naturelle", XXXII - 23.)

                                        En vertu de l'adage selon lequel "mieux vaut prévenir que guérir", on recommandait de fortifier le cuir chevelu en appliquant une pommade à base de cendres de lézard vert mêlées à de la graisse d'ours et de l'oignon pilé, ou une solution faite de vin cuit, de l'adiante (une fougère connue en médecine sous le nom de... "capillaire" !) et de l'huile de graines de céleri. La cendre de vipère et la fiente de poule avaient fait leurs preuves, tout comme les cantharides (coléoptères) dissoutes dans la poix liquide. Cette dernière recette était cependant à manier avec précaution, car on risquait des ulcérations...

Jeune femme portant une perruque. (British Museum - ©Vroma.org)

                                        Quant aux cas désespérés, il leur restait toujours la possibilité de recourir à la perruque : les Romains, hommes et femmes, avaient coutume de porter des postiches (capillamentum), parfois fabriqués à partir de vrais cheveux (ceux des Celtes et Germains étant les plus prisés de ces dames, pour leur couleur blonde particulièrement appréciée). Cependant, les hommes préféraient masquer leur calvitie en rabattant une mèche de cheveu sur la tête (voir plus bas). Seul Hadrien choisit d'avoir recours à une perruque, lançant par la même occasion une mode passagère chez les chauves de l'Empire.

Buste d'Hadrien. (Musée Pouchkine - ©Shakko via wikipedia.)
   
                                        Les solutions ne manquaient donc pas. Et cet étalage de recettes plus ou moins farfelues (plutôt plus que moins, d'ailleurs...) illustre combien la calvitie était un sujet de préoccupation à Rome.  De manière générale, on l'interprétait comme le signe d'une faiblesse physique, due à un défaut d'acidité dans l'organisme - d'où le recours au vinaigre dans plusieurs remèdes cités ci-dessus. Toutefois, les personnes dégarnies passaient aussi pour mener une vie dissolue, et particulièrement sur le plan sexuel. Loin de s'enorgueillir d'une telle réputation, les malheureux affligés d'un début de calvitie le vivaient donc comme une atteinte à leur respectabilité, une mise en cause de leur morale et / ou de leur santé physique.
"Il est rare que la femme perde ses cheveux ; les eunuques ne les perdent jamais, et aucun homme ne les perd avant l'usage des plaisirs vénériens. Les cheveux ne tombent pas des parties inférieures de la tête, ni autour des tempes et des oreilles. La calvitie ne se voit que chez l'homme : nous exceptons les animaux qui sont naturellement chauves." (Pline l'Ancien, "Histoire Naturelle", XI - 47.)

"Samson et Dalila." (Tableau de Pierre Paul Rubens.)

                                        Il faut dire que, dans la Rome archaïque, les hommes portaient la barbe et le cheveu long - on aurait pu les confondre avec ces satanés Barbares ! Une chevelure saine et abondante était alors synonyme de vigueur, de virilité, de force et de courage. Un rapprochement que l'on rencontre dans de nombreuses mythologies. Songez au Samson biblique, qui tirait sa force prodigieuse de l'opulence de sa chevelure. Lorsque cette traîtresse de Dalila découvre son secret et lui coupe les cheveux, elle le rend vulnérable et permet aux Philistins de le réduire en esclavage. Mais, lorsque ses cheveux repoussent, Samson retrouve sa force légendaire et renverse le temple, écrasant les Philistins. Et lui-même, au passage : cheveux longs, idées courtes.

                                        Mais revenons-en aux Romains : au fur et à mesure de l'établissement puis de la consolidation de leur puissance, ils entrèrent en contact avec d'autres civilisations, et notamment les Grecs. La conquête de la Grèce influença profondément la culture romaine, entre autres dans le domaine de l'apparence physique. Or, les Grecs faisaient appel à des barbiers, afin d'être bien rasés... Ce sont d'ailleurs des Grecs qui, sous la République, s'établirent les premiers comme barbiers à Rome. Pline l’Ancien rapporte que le premier personnage important à apparaître rasé de près fut le général Scipion Émilien.
"Le second point sur lequel les nations se sont accordées, c'est l'usage de se faire la barbe, mais il s'est introduit tardivement chez les Romains. Les premiers barbiers vinrent de Sicile en Italie, l'an 454 de la fondation de Rome [299 av. J.C.] ; ils furent amenés par P. Ticinius Mena, au rapport de Varron (De Re Rustica, XI.); jusque-là les Romains avaient porté la barbe. Le premier qui prit l'habitude de se faire raser tous les jours fut le second Scipion l'Africain. Le dieu Auguste s'est toujours rasé.  " (Pline l'Ancien, "Histoire Naturelle", VII - 59.)

Dès lors, les hommes se coupèrent les cheveux et se rasèrent, hormis en période de deuil où, en signe d'affliction, on se laissait pousser la barbe. Mais la pilosité faciale et les cheveux longs furent désormais des signes de laisser-aller, en opposition avec la maîtrise du corps propre aux peuples civilisés. Le barbu, cette fois, c'était bel et bien le Barbare.

                                        En dépit de cette volte-face capillaire, l'alopécie restait un problème et les Romains se faisaient des cheveux - y compris dans les plus hautes sphères de l’État. Les deux exemples les plus célèbres sont ceux de Jules César et de l'Empereur Domitien. 


Jules César. (©Elliott Brown via Flickr.)


La calvitie du premier a donné lieu à toutes sortes de plaisanteries, y compris chez ses légionnaires qui, suite à la Guerre des Gaules, scandaient lors de son Triomphe:
"Citoyens, surveillez vos femmes : nous amenons un adultère chauve ! Tu as forniqué en Gaule avec l’or emprunté à Rome." (rapporté par Suétone, "Vie de César", LI.)






Jules César (©Nick Thompson via Flickr.)
César ne s'en formalisait pas. Pourtant, on rapporte que, jaloux de la foisonnante chevelure blonde de Vercingétorix, il aurait ordonné qu'on coupe sa tresse ! Étrange assertion, bien que Suétone raconte encore que César était enchanté de la couronne de laurier décernée par le Sénat, car elle lui permettait de dissimuler sa calvitie naissante. L'historiographe explique aussi qu'il avait l'habitude de rabattre une mèche de cheveu sur l'avant du crâne, pour cacher son front dégarni :
"Il supportait très péniblement le désagrément d'être chauve, qui l'exposa maintes fois aux railleries de ses ennemis. Aussi ramenait-il habituellement sur son front ses rares cheveux de derrière; et de tous les honneurs que lui décernèrent le peuple et le sénat, aucun ne lui fut plus agréable que le droit de porter toujours une couronne de laurier." (Suétone, "Vie de César", XLV.)

Denier de Jules César à la tête laurée.


                                         Caligula, lui, était très contrarié par la perte de ses cheveux et il s'obstinait à porter des perruques, des couronnes de laurier et de diadèmes. La statuaire permet également de voir que Galba ou Vespasien (complètement chauve, pour le coup) n'étaient pas mieux lotis. Mais apparemment, aucun d'entre eux n'en faisait une jaunisse, contrairement à Domitien. 

Tête de Vespasien. (Musée national romain.)



Tête de Domitien. (©Mary Harrsch via Flickr.)
Domitien, qui régna de 81 à 96, était le fils de Vespasien : autant dire que question hérédité, il n'était pas gâté sur le plan capillaire. Mais il était à ce point obsédé par son alopécie qu'il ne supportait pas la moindre plaisanterie au sujet des chauves : il le prenait pour un affront personnel. Il exigeait d'être représenté par les sculpteurs affublé d'une chevelure dense à bouclettes foisonnantes - faute de quoi, l'artiste risquait la mort. Et, comme César, il ramenait ses cheveux vers l'avant du crâne...
"Il était tellement fâché d'être chauve, qu'il se croyait insulté lorsque, par forme de plaisanterie ou d'injures, on en faisait le reproche à un autre. Toutefois, dans un petit traité sur la conservation des cheveux qu'il dédia à un de ses amis, il cita ce vers pour se consoler avec lui: "Ne remarques-tu pas que je suis grand et beau?", en ajoutant: "Et pourtant mes cheveux auront le même sort. Je souffre patiemment qu'ils vieillissent avant moi. Apprends que si rien n'est plus agréable que la beauté, rien n'est aussi plus éphémère."" (Suétone, "Vie de Domitien", XVIII.)


On notera au passage la mention de ce "Traité pour la conservation des cheveux" : à croire qu'un Empereur n'a rien de plus urgent à faire... Sans doute certains de ses successeurs ont-ils été confrontés à l'alopécie, mais sans qu'aucune anecdote aussi édifiante ne nous parvienne.

Gallien. (©Marcus Cyron via wikipedia.)

                                        Près de deux siècles plus tard pourtant, l'épineuse question de la calvitie se posait encore aux Empereurs romains : Gallien (qui régna de 260 à 268) se recouvrait la tête de poudre d'or, afin de prévenir la chute des cheveux. Et Marcellus Empericus, auteur médical d'origine gauloise, reprenait dans l'Antiquité Tardive une préparation déjà préconisée par Pline : la poudre de hérisson calciné, broyée au pilon.

                                        Finalement, rien n'a vraiment changé depuis la Rome antique. Ou presque : a priori, les Romains au crâne dégarni n'avaient pas envisagé de se raser la tête dans l'espoir de s'en cacher ! Mais pour le reste, la calvitie était donc déjà redoutée par les hommes, prêts à tout pour l'empêcher ou la guérir. Quant à vous, messieurs, si vous commencez à perdre vos cheveux, assumez-le et songez que cela fait de vous l'égal d'un Jules César ou d'un Vespasien. Ou d'un Caligula mais, allez savoir pourquoi, je sens que la comparaison est déjà moins engageante...
 

7 commentaires:

  1. il me semble que
    "A mon grand désarroi, il n'existe pas à ma connaissance de livre, site internet ou publication spécifiquement dédié à cette problématique"
    tu te débrouilles assez bien.

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  2. Encore un article très intéressant.
    Certaines recette pourrait faire l'affaire de Maïté, d'autres font carrément concurrence, à Franck Provost, ou à l'Oréal... bon si je dois perdre mes cheveux, j'assumerai en me disant effectivement qu'être légal de César, c'est plutôt flatteur...

    Merci

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  3. Merci pour les commentaires :-) C'est d'autant plus sympathique que réunir toutes les infos m'a donné envie de m'arracher les cheveux ! Mais je préfère éviter de me couvrir le crâne de fientes de souris... (C'est pas top glamour, il faut avouer.)

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  4. Moi, si j'étais empereur romain, je ferais exécuter tous les chevelus.

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  5. C'est une option, qui n'aurait certainement pas déplu à certains de vos collègues. Moins radical, on peut aussi envisager d'obliger tout le monde à se raser la tête - mais c'est moins caligulesque... (Hou, j'adore ce mot :-) ) Les deux solutions auraient enchanté Suétone, qui y aurait trouvé matière à cancaner.

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