Je ne m'attacherai pas ici aux menus détails (le tatouage de Maximus, le décor rococo du palais impérial, la présence de bergers allemands en guise de chiens de guerre...), ni même aux incongruités que l'on retrouve dans presque tous les péplums. La scène d'ouverture (celle de la bataille) présente de nombreuses erreurs, tout comme les séquences de combats de gladiateurs alignent les (fausses) images d'Epinal. Citons simplement le pouce baissé de Commode (levé ou baissé, le geste n'a jamais été attesté et relève d'une invention moderne), ou encore les costumes - ah, le casque de Maximus lors de son premier combat à Rome, façon Transformers ! Pour plus de détails, vous pouvez vous reporter à l'excellent site http://peplums.info (et notamment http://peplums.info/pep53c.htm#7b) pour tout ce qui à trait à la bataille contre les Germains) Mais ces maladresses n'ont pas d'impact sur le scénario. Non : ce que j'ai voulu mettre en lumière, ce sont les inexactitudes et les raccourcis rencontrés dans l'histoire elle-même. Assumés par les scénaristes et Ridley Scott lui-même, il m'a néanmoins semblé intéressant de rétablir la vérité quant aux principaux protagonistes.
Pour ceux d'entre vous qui n'ont pas vu le film, un bref résumé :
Maximus (Russell Crowe), puissant général romain, est un bon gars : loyal, courageux, désintéressé... Vous voyez le tableau. Au point que le vieil empereur Marc-Aurèle (Richard Harris), qui lui est attaché
et le tient en haute estime, décide de lui léguer l'empire au détriment de son bon à rien de fils, Commode (Joaquin Phoenix). A charge pour Maximus de rétablir le pouvoir du Sénat. Mais Commode, qui porte
mal son nom, ne l'entend pas de cette oreille : furieux lorsqu'il apprend les dispositions prises par son père, il l'étrangle, se fait proclamer empereur, et ordonne l'exécution de Maximus, et celle de sa femme et de son fils (tant qu'il y est). Maximus, qui n'est pas un manche, parvient à s'échapper mais, capturé par un marchand d'esclaves, il est acheté par un laniste en Afrique du Nord et devient gladiateur. Comme il massacre systématiquement tous ses adversaires, il acquiert vite une jolie réputation. Or, à Rome, Commode a décidé d'organiser des jeux pour célébrer la mémoire de son père (le sale hypocrite !). C'est ainsi que Maximus se retrouve dans le Colisée. On imagine le psychodrame lorsque Commode le reconnaît... Maximus, quant à lui, est bien décidé à se venger. Pour se faire, il peut compter sur Lucilla (Connie Nielsen), son ancienne maîtresse et accessoirement sœur de Commode (elle a bien compris que son frère était dingue) et sur l'appui du Sénateur Gracchus (Derek Jacobi), partisan du retour à la république. Mais le complot est éventé. Pour se débarrasser de Maximus, Commode - qui se prend lui-même pour un gladiateur et ne dédaigne pas tâter du glaive- organise un combat en face-à-face dans l'arène. Mais truqué, le combat : Maximus, préalablement blessé, titube, chancelle, et n'en mène pas large. Pourtant, il parvient à avoir le dessus : il tue Commode, avant de s'effondrer et d'y rester à son tour.
Honneur à l'Empereur : commençons donc par Marc Aurèle. Le portrait est assez convaincant. Au moins autant connu pour ses "Pensées pour moi-même" et presque considéré comme un philosophe stoïcien, il a régné de 161 à 180 et s'est illustré tant pour les réformes accomplies (notamment législatives) que par des campagnes militaires contre les Parthes, les Chattes et une flopée de peuples Germains. Cependant, il est décédé à Vienne, non pas alors que la paix était rétablie dans l'Empire, mais à la veille d'une nouvelle campagne. De plus, je n'ai sûrement pas été la seule à tiquer lorsque Maximus s'adresse à lui en l'appelant "Sire" (ou "my lord" en version originale)... Quant à sa mort, si certains auteurs antiques ont insinué qu'il avait été assassiné par son fils Commode, personne n'y croit et on estime qu'il est certainement mort de la peste. Notons d'ailleurs que, lorsqu'il était à l'agonie, Marc Aurèle aurait réclamé la présence de son fils, et de lui seul. On est donc loin du rejet que manifeste l'Empereur dans "Gladiator"...
Vient ensuite le héros à proprement parler, Maximus. Ce personnage - de son nom complet Maximus Decimus Meridius (ce qui, déjà, ne tient pas la route : la nomenclature correcte aurait été Decimus Meridius Maximus) - n'a pas existé. Enfin, pas exactement... Il semble que notre héros soit un amalgame de plusieurs personnages historiques, parmi lesquels Avidius Cassius (général de Marc-Aurèle en Parthie, qui revendiqua le titre d'Empereur), Tarruntenus Paternus (qui combattit sur le Danube et remporta la dernière victoire de Marc Aurèle) et l'historien Marius Maximus (confident de Marc Aurèle, cité justement
dans les "Pensées" dont nous parlions ci-dessus). Cependant, il est à noter que Maximus est représentatif de la façon dont Marc Aurèle, se fiant au mérite plus qu'à la naissance, n'a cessé de promouvoir des
hommes n'appartenant pas à l'élite. De plus Maximus, surnommé l'espagnol, partage donc des origines communes avec les Empereurs Hadrien, Trajan et Marc Aurèle himself, tous originaires d'Ibérie. Par contre, mieux vaut ne rien dire quant à l'hypothèse selon laquelle un général romain pourrait se retrouver réduit en esclavage dans l'Empire...
Troisième personnage marquant du film, Commode, le fils de Marc Aurèle. Je ne m'étendrai guère sur le bonhomme, puisque je l'ai déjà fait récemment. Soulignons simplement que son règne a duré de 180 à 192. Or, si le film ne mentionne aucune date, il donne l'impression très nette que la période embrassée n'excède pas deux ou trois ans... Physiquement, Joaquin Phoenix n'est pas très crédible, puisque Commode avait 18 ans à la mort de son père, et qu'il est décrit comme un colosse aux boucles blondes. Cependant, ce fana de combats de gladiateurs descendait effectivement dans l'arène pour des affrontements truqués contre des adversaires affaiblis, auxquels on fournissait des armes émoussées. Il tenait le rôle du secutor et une inscription lui attribue même la bagatelle de 620 victoires ! Gladiateur, donc, mais pas que : déguisé en Hercule, il se produisit un jour dans l'arène pour massacrer à coup de massue des estropiés et des vieillards. Il participait également à des venatio (reconstitutions de chasses) et décapita un jour plusieurs autruches - exhibant leurs têtes coupées sous le nez de sénateurs qu'on imagine médusés ! Quant à sa mort, je l'ai déjà relatée précédemment : il n'est pas tombé en jouant les Spartacus. De nombreux complots avaient été déjoués sur la fin de son règne, entraînant toute une série de purges. Finalement, son préfet du prétoire et sa concubine tentèrent de l'empoisonner, mais Commode régurgita le poison ; il fut étranglé dans son bain par Narcisse, l'esclave qui l'entraînait au maniement des armes.
En ce qui concerne sa sœur Lucilla, présentée comme l'ancienne amante de Maximus, il n'y a pas grand-chose d'exact. La véritable Galeria Lucilla vécut de 149 à 182. Elle avait été mariée à Lucius Verus, un temps co-Empereur aux côtés de son père puis, devenue veuve, elle épousa le général Pompeianus. Elle eut également une liaison incestueuse avec son frère et était connue pour ses mœurs, euh, relâchées. En 182, son ambition la poussa à prendre part à une conspiration visant à renverser Commode : exilée à Capri, elle fut condamnée à mort à l'âge de 35 ans. Elle n'a donc pas survécu à Commode. Quant à son fils, tel qu'il apparaît dans le film, il n'a rien d'historique. De son mariage avec Lucius Verus, Lucilla avait eu 3 enfants : une fille mariée à Claudius Pompeianus Quintanus (le couple participera au complot qui coûtera la vie à Lucilla), une seconde fille et un fils morts en bas âge. Par contre, de son second mariage avec le général Pompianus, Lucilla eut un fils, âgé de six ans au moment où est sensé se dérouler l'intrigue du film... Cet enfant, Aurelius Commodus Pompeianus, sera consul en 209. L'enfant de "Gladiator" serait donc un mélange de ses deux fils.
Le Sénat a également son rôle à jouer puisque, prétend le scénario, Marc Aurèle aurait souhaité nommer Maximus comme son successeur à la tête de l'Empire, afin qu'il rétablisse le pouvoir du Sénat. Alors, est-ce crédible ? Franchement, pas le moins du monde ! Déjà, il paraît fort douteux que le vieil homme ait seulement envisagé de léguer l'Empire à un autre que son fils Commode - qu'il avait nommé César dès l'âge de 5 ans ! Commode était, depuis son plus jeune âge, étroitement associé au pouvoir. De plus, revenir à la République, pour les Romains de l'époque, était à peu près aussi délirant que l'idée de rétablir la royauté le serait chez nous aujourd'hui. Bref, sur ce point, c'est à peu près n'importe quoi - les Sénateurs eux-mêmes n'y pensaient pas ! Après l'assassinat de Commode, ils désigneront d'eux- mêmes son successeur à la pourpre, en la personne de Pertinax. Quant au sénateur Gracchus, qui participe au complot devant permettre l'évasion de Maximus, il n'a pas existé. Cependant, son nom renvoie peut-être aux frères Tiberius Sempronius Gracchus et Caius Sempronius Gracchus (les Gracques), tribuns de la plèbe sous la république. Je vous en parlerai plus longuement prochainement...
On le voit, "Gladiator" ne se soucie guère de la réalité historique. Pour autant, ne boudons pas notre plaisir : il s'agit d'un film à grand spectacle, esthétiquement intéressant, au scénario certes très hollywoodien et outrageusement manichéen, mais qui reste extrêmement divertissant. Les décors, grandioses, et les scènes de combats à couper le souffle permettent de se montrer indulgents - d'autant plus que, ne l'oublions pas, il ne s'agit que d'un film ! Par ailleurs, quitte à se prendre la tête, on peut également y voir une critique de la société du spectacle. (comme le souligne Xavier Darcos dans son "Dictionnaire de La Rome Antique")
Reste, malgré tout, une question en suspens : tous ces raccourcis, ces amalgames, ces contre-sens historiques sont-ils volontaires, ou bien s'agit-il simplement des preuves d'une inculture crasse ?! A priori, j'aurais eu tendance à accorder à Ridley Scott et à son équipe le bénéfice du doute. Sauf que, en revoyant le film, j'ai remarqué quelque chose qui m'avait complètement échappé jusqu'à lors : la date
indiquée en ouverture du film ! Soit, 180 AVANT J.C. Hum. Sans vouloir la ramener, c'est bien 180 mais APRES J.C. Avouez que c'est bêta... Mais considérons qu'il s'agit d'une étourderie des studios, et profitons de notre film. Nous aurons bien le temps de nous replonger dans l' "Histoire Auguste" un autre jour...
"Gladiator" de Ridley Scott - disponible chez Universal Pictures.
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