jeudi 1 mars 2012

Dis-moi comment tu t'appelles, je te dirai qui tu es.


                                        La biographie de Tibère vous aura au moins permis de vous rendre compte d'une chose : la généalogie romaine, c'est pas de la tarte ! Entre les mariages endogamiques, les divorces, les remariages, les adoptions et j'en passe, il y a de quoi rendre marteau n'importe quelle personne à peu près saine d'esprit. Et l'histoire se complique encore quand on réalise que plusieurs personnages portent le même nom (Tiberius Claudius Nero pouvant désigner Tibère, Claude ou Néron) - ou que le même individu change de nom sans crier gare, au gré des circonstances. Voilà qui n'arrange pas nos affaires et donne lieu à toute sorte de quiproquos - on a frôlé la méningite pour moins que ça.  Pourtant, le nom romain apporte une foule d'informations sur celui qui le porte, voire sur son ascendance et, contrairement aux apparences,
ce n'est pas aussi compliqué qu'il y paraît. Si, si : je vous assure ! Vous allez voir...

                                        Commençons par les hommes libres. L'identité d'un Romain se présente sous la forme de la tria nomina, qui comprend :

1) Le praenomen - équivalent du prénom. Il en existe en gros une quinzaine (Appius, Quintus, Publius, Servius, Caius, Lucius, Marcus...), généralement conseillé par un devin - un proverbe romain annonce d'ailleurs "Nomen omen" soit "le nom est un présage... Dans les formules officielles, le praenomen est abbrégé par sa (ou ses) premières lettres : ainsi, C. désigne Caius, TI. Tiberius, D. Decimus etc. Il est attribué à l'enfant lors du dies lustricus (jour lustral ou de purification), le 9ème jour après la naissance pour les garçons et le 8ème pour les filles. Cette cérémonie marque la reconnaissance de l'enfant par son père et son entrée officielle dans la famille et la société.

2) Le nomen gentilicium - nom de la gens (famille patrilinéaire) ou gentilice, équivalent du nom de famille. Il se termine en -ius. Exemple : le nomen gentilicium de la gens Julia, c'est Julius.

3) Le cognomen, ou surnom. Il n'est pas systématique (ex. : M. Antonius, Marc Antoine, n'en possède pas) mais très fréquent. Il correspond en général à une distinction honorifique (Magnus - "le grand"), une particularité physique (Calvus - "le chauve") ou morale (Brutus - "l'idiot"). D'abord personnel, il finit par se transmettre et désigne alors la branche de la gens. Ciceron (M. Tullius Cicero) doit par exemple son surnom à un de ces ancêtres qui aurait eu sur le bout du nez une verrue ressemblant à un pois chiche (cicer) - bien qu'on n'en soit pas absolument certain.

Parfois s'ajoute encore un second surnom, l'agnomen, lié le plus souvent aux faits d'armes : P. Cornelius Scipio Africanus, alias Scipion l'Africain, parce qu'il a dérouillé les Carthaginois. L'agnomen, contrairement au cognonem, n'est pas héréditaire. 

Il arrive également qu'on indique la filiation par un F (Filius) suivi du prénom du père, et parfois un N (Nepos, petit-fils) suivi du prénom du grand-père paternel.


Initiale du prénom + nom de famille + surnom (s) : jusqu'ici, avouez que ce n'est pas si compliqué.

                                        Evidemment, ces règles ne concernent que les hommes. Occupons-nous donc des femmes, maintenant : elles ne portent pas de praenomen, uniquement le gentilice de leur père, au féminin. La fille de Q. Fabius Maximus s'appelle donc Fabia. Si elle a des soeurs, on précisera par exemple "tertia", la troisième. Et si, d'aventure, on risquait encore de confondre, on ajoute le cognonem de son père au génitif, ou on l'identifie éventuellement par rapport à son mari. A noter que les femmes ne changent pas de nom après leur mariage : Cornelia Crassi, issue de la gens Cornelius et épouse de Crassus, conserve sa gentilice, et on y ajoute celui de son mari au génitif. 

                                        Restent quelques cas particuliers. L'adoption, notamment : les hommes libres adoptés prennent le prénom, le nom et le surnom de leur père adoptif, mais ajoutent un second surnom tiré de leur gentilice allongé d'un suffixe en -anus. Ainsi, le fils de A. Cornelius adopté par C. Marius Barbatus prend le nom de C. Marius Barbatus Cornelianus. Vous suivez toujours ?

C'est à peu près le même processus pour ceux qui reçoivent la citoyenneté romaine : ils prennent le nom de celui qui a favorisé leur naturalisation, suivi de leur ancien nom.


                                        En ce qui concerne les affranchis, le processus de modification du nom ne devrait pas non plus vous valoir d'oedème cérébral : l'affranchi prend le prénom et le nom de son ancien maître, et y adjoint comme surnom son ancien nom d'esclave. Tiro, esclave de M. Tullius Cicero, s'appellera une fois affranchi : M. Tullius Tiro.


                                        Et les esclaves, justement, me direz-vous ? C'est vrai, nous n'avons pas encore abordé le sujet. Rassurez-vous, ce sera très bref : ils n'existent pas, ils ne comptent pas, ils n'ont pas de nom. Bah, il faut dire que ce ne sont pas des êtres humains, juste des objets. Mais quand même, quand on a besoin de la petite servante ou de l'esclave qu'on vient d'acheter au marché, c'est quand même drôlement plus pratique si on peut les appeler... Alors on les désigne quand même par un adjectif, évoquant une particularité physique, leur pays d'origine, etc. Par exemple, Syrus, Afer, Gallus, etc. Ou, simplement, on les
appelle "servus". Pourquoi se casser la tête ?

                                        Voilà pour les bases de l'onomastique. Bien sûr, ce sont des règles générales et, comme partout, il y a des exceptions. De plus, ces principes ont évolués au fil du temps, notamment pour les femmes. Cependant, je pense que ce billet vous aidera à vous y  retrouver plus facilement. De toute façon, ne vous mettez pas la pression : je connais des profs de la Sorbonne qui s'arrachent encore les cheveux et se perdent entre les différentes Aemilia Lepida - il faut dire qu'on en compte pas moins de 7 ! Sans vouloir vous décourager, bien sûr...

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