samedi 2 juin 2012

Les Fourches Caudines.


                              Nous avons beaucoup hérité des Romains : aujourd'hui encore, notre civilisation reste profondément marquée, dans de nombreux domaines, par tout ce qu'ils nous ont légué. Nous ne nous en rendons pas forcément compte. Bien sûr, nous sommes tous d'accord pour leur reconnaître une grande influence dans le domaine du droit, par exemple. De même, notre Français dérivant en droite ligne du Latin, notre langue emprunte énormément à celle que parlaient les Romains. Les aqueducs, ça aussi c'est Romain, personne ne le conteste. Et j'en passe, et des meilleures... Mais parfois, c'est plus insidieux : c'est le Congrès américain, siégeant au Capitole ; c'est l'A9, qui reprend un tracé quasiment identique à celui de l'ancienne voie Romaine, la via Domitia ; C'est le terme consul, utilisé pour désigner le représentant d'une nation à l'étranger ;  Ce sont aussi des célèbres marques de savon qui s'appelle "Cadum" (cruche) ou "Lux" (lumière) . Et puis, ce sont des expressions, passées dans le langage courant, et dont on ne connaît pas toujours l'origine. Ainsi, de temps en temps, je reviendrai sur une de ces phrases ou de ces locutions que nous devons aux Romains, et dont nous ignorons (peut-être) la source. Aujourd'hui, je commence avec les "fourches caudines".

                              Expression attestée dès 1690, passer sous les fourches caudines signifie, lorsqu'on subit une défaite, être contraint d'accepter des conditions humiliantes. Cette expression fait référence à un épisode de l'affrontement qui opposa les Romains aux Samnites, au IVème siècle avant notre ère. (Deuxième guerre Samnite)

                               En 321 avant J.C., les Samnites, épuisés par une guerre sanglante qui traîne en longueur, demandent à signer la paix avec les Romains. Ceux-ci refusent (le Romain est parfois un peu arrogant et passablement sûr de lui...). Les Samnites, dès lors, n'ont plus rien à perdre : ils sont déterminés à vaincre, ou à mourir les armes à la main. Emmenés par Caius Pontius Herennius, ils parviennent à attirer une armée de 40 000 Romains (rien que ça !), dirigés par les consuls Postumius et Veturius (en plus !), dans un passage étroit serpentant dans les Apennins, entre les rocs à pic. Situé en Campanie, près de l'ancienne Caudium et de l'actuelle Benevent, le lieu s'appelle aujourd'hui Stretta di Arpaia. Coincés dans ce défilé, les Romains sont alors obligés d'avancer les uns derrière les autres, sans possibilité de se défendre. Pendant ce temps, les Samnites ne chôment pas : ils bloquent les deux issues du passage, et le reste de l'armée se place sur les hauteurs surplombant les troupes Romaines, en les menaçant de les ensevelir sous des éboulements - et en se payant leur tête, par la même occasion ! Petit plaisir mesquin, mais on peut les comprendre.


L'actuelle Benevent, près de laquelle à eu lieu la bataille. (Photo Kiki Follettosa.)

                              Le général Pontius Herennius, lui, n'en revient pas ! Il est le premier surpris du succès de sa manœuvre, et ne sait absolument pas quoi faire de tous ces Romains : il demande l'avis de son père, qui lui conseille “de laisser aller ou de tuer tous les Romains.” (Florus, “Abrégé de l’histoire romaine”, livre I) Magnanime, Pontius Herennius choisit la première option : il fait désarmer les Romains et les oblige à quitter tout leur équipement - vêtements inclus - et les contraint à passer, complètement nus, courbés et les mains attachées dans le dos, sous les lances et les fourches tenues à l'horizontale par les combattants Samnites. Pour des types aussi fiers que les Romains, qui se voient en maîtres du monde, vous imaginez la honte ! Les récalcitrants sont tout simplement tués.  Notre général accepte ensuite de renvoyer à Rome tous les prisonniers, à condition qu'aucun d'eux ne reprenne les armes contre les Samnites.

                               A Rome, c'est la crise de nerfs version XXL : l'humiliation est terrible, et restera toujours comme l'une des plus grandes hontes de l'Histoire romaine. Les Sénateurs refusent de reconnaître la reddition des troupes et accablent les deux consuls, jugés entièrement responsables de la défaite. Ils décident de réarmer les légions vaincues, et de les renvoyer combattre les Samnites. Les consuls, quant à eux, sont livrés à Pontius Herennius, afin d'être exécutés. Mais celui-ci, dégoûté par le comportement du Sénat, relâche les deux hommes... et la guerre reprend, comme si de rien n'était. Du moins est-ce la version officielle. En réalité, les historiens sont aujourd'hui à peu près convaincus que l'arrangement imposé par les Samnites a tenu jusque vers 316 avant J.C.


Peinture d'une tombe lucanienne représentant la bataille des Fourches Caudines. (Musée de Paestum.)

                               On retrouve bien dans cet épisode l'idée d'humiliation, de conditions indignes imposées au vaincu par le vainqueur. Cette expression fait donc référence à la bataille des Fourches Caudines (Furculae Caudinae), et s'emploie pour exprimer l'idée d'une capitulation honteuse, des conditions humiliantes dictées au vaincu. Par extension, toute personne contrainte de subir une épreuve humiliante passe donc "sous les fourches caudines."

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