A partir d'Auguste, tous les empereurs ou presque ont porté le nom de César - Caesar. Bien évidemment, le terme renvoie directement à Caius Julius Caesar, qu'on ne présente plus (mais rassurez-vous, on le fera quand même un jour ou l'autre !) Le titre a d'ailleurs survécu à l'Empire romain, traversant les siècles et les frontières pour dériver en Kaiser en Allemagne ou Tsar en Russe - tout comme Imperator a donné notre Empereur.
Reste que César, lui, n'a jamais été empereur... Oh, ce n'est pas faute d'avoir essayé - même s'il eut plutôt dans l'idée de viser la royauté, avec les conséquences que l'on connaît : les Ides de Mars, les 23 coups de poignard, "tu quoque fili" et toute la chanson. Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi les maîtres de Rome ont choisi d'inclure ce nom à leur titulature officielle. Pour se revendiquer comme héritiers de Jules César, certes, mais encore ?
Buste de Jules César (Musée Arles antique. Photo Christine Vaufrey) |
Étymologie.
L'origine du nom demeure inconnue. L'auteur de l' "Histoire Auguste" avance les quatre hypothèses les plus communément admises :
1) De "caesaries" - cheveux - parce que le fondateur de la lignée serait né avec la tête couverte de cheveux. Ce qui serait assez ironique, puisque Jules César était extrêmement complexé par sa calvitie...
2) De "caesius" - que l'on traduirait par "bleu-gris" ou "gris" - en référence à la couleur des yeux des membres de la gens. (Jules César, quant à lui, avait les yeux noirs. Juste au cas où vous vous poseriez la question.)
3) De "caesum" - couper - car la mère du premier de la gens Caesar étant décédée avant l'accouchement, on aurait ouvert l'utérus pour en sortir le bébé. D'où le nom de "césarienne". Pline l'Ancien penche pour cette étymologie.
4) De "caesai" - éléphant en punique - parce que le premier Caesar aurait tué l'un de ces animaux lors d'une bataille. C'était la signification mise en avant par Jules.
Quoi qu'il en soit, il est clair qu'il n'y a aucun lien direct susceptible d'expliquer le choix de ce mot dans la titulature officielle.
Denier de César à l'éléphant. |
Le premier César : Auguste et la pérennité du principat.
N'en déplaise à Suétone qui, dans sa "Vie des Douze Césars", s'est borné à considérer Jules César et les empereurs d'Auguste à Domitien, le nom a continué à se transmettre. Chose d'autant plus étrange que la dynastie des Julio-claudiens s'est éteinte avec Néron, et qu'à partir de Claude, l'empereur ne descendait plus directement de Jules César...
Statue du jeune Octave - env. 30 avant J.C. (Musée du Capitole) |
Auguste est le premier à adopter le nom. Plus exactement, il n'est pas encore Auguste : il s'appelle encore Octave. A l'ouverture du testament de son grand-oncle Jules César, il est désigné comme son héritier et adopté à titre posthume. Il prend donc le surnom de son père adoptif, comme le veut l'usage, et devient Caius Octavius Caesar. Une fois seul maître de Rome, après la défaite de Marc Antoine à Actium, Octave réorganise les institutions. Pour résumer, il les vide petit à petit de leur substance tout les maintenant en apparence, et s'arroge tous les pouvoirs : instruit par la malheureuse expérience de Jules, il instaure donc une monarchie sans en avoir l'air. Bien que les Sénateurs lui octroient le titre d'Augustus (27 avant J.C.), il conserve le nom de Caesar. C'est une légitimité supplémentaire, qui lui permet de rappeler à tous qu'il est bel et bien l'héritier de l'imperator - et le descendant d'un Dieu, puisque César a été divinisé peu de temps après sa mort. Ce qui, dans une Rome aussi superstitieuse et respectueuse des divinités, peut toujours être utile...
Le grand problème d'Octave / Auguste, tout au long de son règne, tiendra à sa succession. Si dans les faits, le pouvoir réside bel et bien entre les mains du seul princeps, tout est fait pour perpétuer la fiction de la continuation de la République. Dès lors se pose une question : comment pérenniser le principat, et éviter que le nouveau régime ne soit qu'une parenthèse, appelée à se refermer à la mort de son fondateur ? Mais, précisément parce que cette monarchie en est une sans en avoir le nom, l'hérédité du pouvoir n'est pas envisageable... Tu parles d'une quadrature du cercle ! Mais Auguste résout l'impossible équation de manière fort ingénieuse. Puisqu'il tient officiellement ses pouvoirs du Sénat, il va "suggérer" un successeur, choisi dans sa famille et avalisé par le Sénat. Ainsi, tout comme les Sénateurs semblent encore diriger la République, il leur offre l'illusion de choisir le futur Empereur...
Auguste représenté en pontifex maximus (Musée National Romain - photo nick in exsilio) |
Son épouse Livie, issue de la gens Claudia, ne lui ayant pas donné d'héritier, Auguste va se reporter sur les autres jeunes hommes de sa famille - son neveu Marcellus, ses petits-fils Caius et Lucius, qui mourront tous avant lui - avant de choisir en définitive Tibère, son beau-fils. La manœuvre est simple : il leur permet de briguer d'importantes magistratures avant l'âge légal, leur accorde des titres honorifiques (Princeps juventutis - "prince de la jeunesse", par exemple), leur confie l'imperium (c'est le cas pour Tibère), les associe étroitement au pouvoir. Et, bien sûr, il les adopte, leur transmettant ainsi à son tour le nom de Caesar. Le but, c'est que le pouvoir reste dans la famille. C'est pourquoi, lorsqu'il ne lui reste plus d'autre choix que d’adopter Tibère afin de faire de lui son successeur "présumé", il l'oblige à adopter à son tour son neveu Germanicus. Oui, car Auguste voit loin...
Les successeurs d'Auguste : Tibère et Caligula.
Tibère, fils adoptif d'Auguste, a donc naturellement le droit de porter le cognonem de Caeasar : devenu empereur, il prend le nom de Tiberius Caesar Divi Augusti Filius Augustus. Or, à nouveau, les héritiers putatifs tombent comme des mouches : Germanicus en 19, ses enfants en 29 et 33, Drusus II le propre fils de Tibère les ayant précédé en 23 (la plupart aidés par Séjan, le préfet du prétoire. Voir le billet sur Tibère pour plus de détails - lien) Restent Caligula, dernier fils survivant de Germanicus et donc petit-fils adoptif de Tibère, et Gemellus, son petit-fils par la sang.
Tibère. (Musée du Louvre) |
Lorsque Tibère décède, on découvre qu'il a désigné les deux jeunes hommes comme héritiers, à égalité. Tibère n'avait pas choisi, et laissait l'Empire dans un sacré pétrin. Ce fut Caligula qui l'emporta, grâce au préfet Macron qui le fit acclamer par la garde prétorienne avant même que le Sénat soit consulté, de sorte que l'assemblée n'eut d'autre option que d'entériner ce choix. C'était un coup d'état, mais Caligula était l'arrière-petit-fils d'Auguste par adoption, le fils du très populaire Germanicus, la foule le soutenait, et Macron avait menti en affirmant que Tibère l'avait désigné comme son successeur : les sacro-saintes apparences étaient sauves, et les sénateurs, bien qu'abusés, pouvaient encore feindre d'avoir pris la décision finale. Descendant d'Auguste, comme je l'ai déjà dit, il pouvait sans problème porter le nom de Caesar : Caligula devint donc le troisième empereur, sous le nom de Caius Caesar Augustus Germanicus.
Le tournant : où comment Claude devint César.
A ce stade, vous trouvez sans doute toutes mes explications complexes, et pour tout dire assez inutiles. Elles sont pourtant nécessaires, parce qu'on arrive à l'étape cruciale : celle où un homme, qui n'est pas un descendant direct de Jules César, inclut pourtant le cognonem dans sa titulature. Et l'homme en question, c'est l'empereur Claude, le quatrième Julio-Claudien, l'oncle de Caligula.
L'empereur Claude (Musée du Louvre) |
Évolution du titre de César.
Dioclétien. (Musée archéo. d'Istanbul. Photo S. Giralt) |
Constance II, son fils, transmet le titre à ses cousins, Gallus d'abord, Julien ensuite. Mais le terme de César désigne alors simplement des membres de la famille impériale, disposant certes d'un pouvoir important, mais pas plus co-empereurs que moi, et encore moins héritiers du prince. Là encore, le dispositif ne perdure pas.
Après la chute de l'Empire romain (476), la titulature latine subsiste un temps, jusqu’à ce qu'elle soit abandonnée dans l'empire byzantin par Héraclius (r. 610-641). Celui-ci délaisse le titre d'Augustus et relègue celui de Caesar après celui de Basileus. Par la suite, le titre de Caesar ne cessera de reculer dans une titulature de plus en plus longue, et disparaîtra peu à peu... avant de ressurgir, sous les formes déjà citées de Kaiser et de Tsar, démontrant ainsi sa postérité et son importance dans l'inconscient collectif.
L'empereur byzantin Héraclius. (Doc. fourni par la bibliothèque diocésaine de Skara.) |
Le titre de "César" peut etre attribué à celui qui coupe, qui ététe, qui tranche,et qui affirme ainsi sa toute puissance dans son entourage.Le surnom de "César" se construirait donc à partir du verbe caedere. "Auguste" accolé à "César" n'est rien d'autre qu'un...oxymore!
RépondreSupprimerJe trouve que c'est une suggestion intéressante. En revanche, à mes yeux, l'apposition Caesar et Augustus ne me choque ni ne m'étonne, et je trouve même les deux termes assez complémentaires, étant donné qu'ils rattachent ou rapprochent tous les deux le princeps du Divin. Mais ce n'est que mon opinion !
RépondreSupprimerSi l'on veut bien associer à l'adjectif "auguste" le sens d'embellie, de croissance, on est parfaitement en phase avec l'Histoire. Si Octave-pardon Auguste-était venu visiter les Arvernes, il aurait probablement assister à la métamorphose de leur cité de bois et de terre en de belles villas baties en pierre; Augustonemetum, ce n'est pas Rome!
RépondreSupprimerAuguste dit bien avoir trouvé une Rome de briques et l'avoir laissée en marbre : Clermont-Ferrand ne s'est pas faite en un jour non plus !
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