dimanche 21 avril 2013

Caius Mucius Scaevola : Tête (Et Main) Brûlées.

                                        L’Histoire de la naissance de Rome est pleine de ces héros dont on ne sait trop si les exploits sont véridiques ou légendaires. J'ai déjà abordé à plusieurs reprises ce flou artistique, qui entremêle mythes et Histoire, et où l'on a renoncé depuis longtemps à faire la part des choses. Pour le dire autrement, j'emprunterai à John Ford une réplique de film qui me paraît adéquate : "Si la légende est plus belle que la vérité, raconte la légende." [Voir en commentaires la remarque d'un internaute : j'avais faussement attribué la phrase à Marilyn Monroe...) La louve, Romulus et Remus, les Horaces et les Curiaces, les Oies du Capitole : tout cela, j'en ai déjà parlé. J'ai choisi cette semaine de me pencher sur le cas d'un improbable duo : Caius Mucius Scaevola et Horatius Coclès. Le premier a les honneurs de ce blog dès aujourd'hui ; je règlerai le cas du second la prochaine fois. Je signale que le héros de ce billet ne porte pas encore le nom de Scaevola lorsque débute cette histoire, qui relate précisément dans quelles circonstances il lui fut attribué, mais c'est pourtant celui que j'utiliserai dans un souci de simplification.

Caius Mucius Scaevola. (Chateau d'Eggenberg)
Nous sommes en 508 avant J.C. La jeune république romaine est alors en guerre contre les Étrusques et plus particulièrement contre la cité de Clusium. Son Roi, le  Lars Porsenna, assiège Rome, qui tremble de le voir rétablir sur le trône Tarquin Le Superbe, chassé deux ans plus tôt.  Un jeune patricien romain, Caius Mucius, prend alors l'initiative : il décide de s'introduire dans le camp ennemi, afin d'assassiner Porsenna. Craignant d'être pris pour un déserteur, il informe au préalable les Sénateurs de son plan et, avec leur aval, le met à exécution. Vêtu en étrusque et un poignard caché sous sa tunique, il parvient à pénétrer jusque sous la tente de Porsenna, qui préside un tribunal de justice. Problème : il n'a jamais vu le Roi. Et, dans sa précipitation, il poignarde le premier bonhomme à la dégaine royale venu, ignorant sans doute que l'habit ne fait pas le moine et les riches vêtements de font pas un Roi. Hélas pour lui (et pour sa victime !) il a mortellement poignardé le scribe de Porsenna, qui n'en demandait pas tant !

                                        Capturé par la garde royale, il est amené devant le Roi, qui exige de connaître son nom, celui de ses complices et la manière dont il est parvenu à atteindre le camp. Mais Scaevola lui rétorque :
"Je suis citoyen romain, on m'appelle Caius Mucius. Ennemi, j'ai voulu tuer un ennemi et je ne suis pas moins prêt à recevoir la mort que je ne l'étais à la donner. Agir et souffrir en homme de cœur est le propre d'un Romain, et je ne suis pas le seul que ces sentiments animent. Beaucoup d'autres après moi aspirent au même honneur. Apprête-toi donc, si tu crois devoir le faire, à combattre pour ta vie à chaque heure du jour. Tu rencontreras un poignard et un ennemi jusque sous le vestibule de ton palais. Cette guerre, c'est la jeunesse de Rome, c'est nous qui te la déclarons." (Tite-Live, "Histoire Romaine", II - 12.)

"Muscius Scaevola Devant Porsenna." (Toile de Matthias Stomer.)

                                        Furieux, Porsenna veut soumettre le jeune homme à la torture mais celui-ci enfonce sa main droite dans un brasier destiné aux sacrifices, allumé à côté de lui. Par ce geste, il démontre sa détermination tout en punissant la main qui a manqué son but. Sans montrer le moindre signe de douleur, tandis que  sa chair se consume, il explique avec le plus grand calme :  "Vois combien le corps est peu de chose, pour ceux qui n'ont en vue que la gloire." (Ibid.)

                                        Fortement impressionné par le courage de ce kamikaze, Porsenna lui laisse la vie sauve et l'autorise à retourner à Rome. Feignant la reconnaissance, Scaevola fait mine de lui avouer l'étendue du complot et affirme qu'il reste trois cent jeunes Romains prêts à attenter à ses jours au péril de leur vie, et qu'ils rôdent en ce moment-même autour du camp étrusque... Affolé à l'idée d'être la cible d'autant de têtes (ou plutôt de mains) brûlées du même genre, le Roi capitule, et il envoie des ambassadeurs négocier la paix.

"Mucius Scaevola" (Statue de L.P. Deseine.)

                                        Fêté à Rome comme un véritable héros, Caius Mucius se voit attribuer en récompense des terres agricoles sur la rive droite du Tibre (que l'on connaîtra plus tard sous le nom de Mucia Prata - les prés Muciens). Privé de l'usage de sa main droite, il reçoit en outre le surnom de Scaevola, qui signifie "le gaucher", et que ses descendants conserveront.

                                        L'histoire est édifiante, et c'est sans surprise qu'elle a inspiré de nombreux artistes, parmi lesquels Charles Le Brun, Andrea Mantegna, Nicolas Poussin ou Paul Rubens en peinture, ou Filippo Amadei, Giovanni Bononcini et Georg Friedrich Haendel en musique, qui ont composé ensemble un opéra sur le sujet, chacun se chargeant de l'écriture d'un acte.

"Mucius Scaevola" (Par A. Mantegna.)

                                        Deux autres anecdotes, rapportées notamment dans l'excellent "Dictionnaire Amoureux De La Rome Antique" de Xavier Darcos, méritent d'être citées. La première concerne Nietzsche : son professeur contestant la crédibilité de l'histoire et arguant que personne ne pouvait plonger sa main dans le feu et que les martyrs comme Scaevola n'existaient pas, Nietzsche se serait alors saisi d'un charbon brûlant dans un poêle allumé, sous les yeux effarés de ses camarades. Quant à la seconde, elle est tirée des "Confessions" de mon cher Jean-Jacques Rousseau :
"Sans cesse occupé de Rome et d'Athènes, vivant pour ainsi dire avec leurs grands hommes, né moi-même citoyen d'une république et fils d'un père dont l'amour de la patrie était la plus forte passion, je m'en enflammais à son exemple, je me croyais Grec ou Romain ; je devenais le personnage dont je lisais la vie ; le récit des traits de constance et d'intrépidité qui m'avaient frappé me rendaient les yeux étincelants et la voix forte. Un jour que je racontais à table l'aventure de Scaevola, on fut effrayé de me voir avancer et tenir la main sur un réchaud pour représenter son action." (Jean-Jacques Rousseau, "Les Confessions", Livre I.)

"Mucius Scaevola Devant Porsenna." (Toile de Pierre Paul Rubens.)

Reste que le personnage de Caius Mucius Scaevola est souvent associé à celui d' Horatius Coclès : celui-là, je vous en parlerai la prochaine fois... Et vous êtes déjà impatient : j'en mettrai (oui, je vais oser !) ma main au feu !

10 commentaires:

C.S. a dit…

Merci pour ce bel article. J'étudie actuellement cet épisode avec mes 4e.

FL a dit…

Je suis contente si vous avez pu l'utiliser pour votre cours, et merci d 'avoir pris le temps de laisser un commentaire.

Auriez-vous, par hasard, signalé le lien à vos élèves ? Ceci expliquerait pourquoi le nombre de visites sur cette page a connu une augmentation significative ces derniers-jours ! Sinon, il semblerait que cette histoire soit très populaire chez les profs de Latin ;-)

Jeanbar a dit…

Bonjour,

Deux remarques:

Il me semble que la citation "Si la légende est plus belle que la vérité, raconte la légende" est incorrectement attribuée à Marilyn Monroe. Il s'agit d'une réplique du film de J. Ford, "l'homme qui tua Liberty Valance". (http://tinyurl.com/5r6k6q; http://tinyurl.com/lyxyev2). D'où vient cette information sur Marilyn ?

D'autre part, Porsenna ne se prénomme mas "Lars". Il s'agit d'un mot étrusque signifiant chef militaire. (cf. http://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=lars).

Lerci pour votre travail.

FL a dit…

Merci pour ces deux observations : je vais m'empresser de corriger car vous avez entièrement raison. Pff, ce qu'on peut lire comme bêtises sur les blogs... :-(

En ce qui concerne Marilyn, je pense que la réponse est simple : cette info vient certainement d'un recoin quelconque de mon esprit perturbé ! Je pense que la réplique a été citée par quelqu'un évoquant la vie de Marilyn... et je me suis embrouillé les neurones ! Mes excuses à Marilyn, à John ford, aux lecteurs... et à Lars Porsenna !



Anonyme a dit…

Merci pour ce super site, j'ai appris plein de chose.
Il est génial pour les exposée.
Merci beaucoup

FL a dit…

Merci beaucoup pour ce commentaire ! Je me répète mais ça fait vraiment plaisir, et je suis ravie de pouvoir vous aider :-) !

Nawel a dit…

Super blog ! Bravo, cela m'aide beaucoup pour ma recherche de latin

FL a dit…

Merci :-) Très sympa d'avoir pris la peine de laisser un petit mot - et bon courage pour le Latin !

Anonyme a dit…

Merci pour vos histoires toujours passionnantes !

FL a dit…

Comme toujours, je suis très touchée que vous ayez pris le temps de laisser un commentaire :-) Merci à vous.