mercredi 3 juillet 2013

Bonne Lecture : "Murena - Les Epines".

                                        Si vous me lisez régulièrement, vous savez que je ne suis pas une fan de BD. Ce n'est pas par snobisme, mais simplement parce que j'ai du mal à adhérer à ce support. Exception faite, évidemment, des albums traitant de l'Antiquité romaine : peu importe que la qualité soit là ou non, je m'y plonge avec délice et la passion du fond l'emporte sur mon peu de goût pour la forme, dont j'arrive à faire abstraction. Certes, la production est inégale - même si la plupart des albums tiennent la route... Mais parfois, on découvre une pépite au milieu de tout cela, une œuvre à part entière, qui va bien au-delà de la simple BD, qui dépasse les codes et transcende son format. Nous ne sommes plus dans la simple BD, mais dans de la littérature illustrée, du cinéma en images fixes. C'est le cas de "Murena", admirable série de Jean Dufaux et Philippe Delaby. Inaugurée en 1997 avec le déjà prometteur "La Pourpre Et l'Or", elle se poursuit aujourd'hui avec la parution d'un tome 9, "Les Épines", pivot central de l'intrigue en ce qu'il marque la fin d'un cycle et le tournant du règne de Néron.

© Delaby - Dufaux - Dargaud Benelux (Dargaud-Lombard s.a.)


                                        A l'occasion de la sortie de ce nouveau tome, très attendu par les fans, les éditions Dargaud m'ont proposé d'en présenter quelques planches (réunies en fin d'article, pour ne pas "parasiter" l’œuvre) qui, je l'espère, vous inciteront à acheter l'album, voire à découvrir l'intégralité de la saga si vous ne la connaissez pas encore. Pour ceux qui sont dans ce cas, il suffira de dire que la série retrace, à partir de la mort de l'Empereur Claude qui clôt le premier tome, le règne de son fils adoptif, Néron. Voilà pour l'idée générale. Mais ce qui est véritablement prenant dans l’œuvre de Dufaux et Delaby, c'est bien la manière dont ils ont choisi de traiter leur sujet : on est chez Alexandre Dumas, dont ils se revendiquent, autant que dans la série "Rome", fréquemment évoquée lorsqu'on parle de "Murena", ou dans l'univers du péplum. Du premier, la BD a le souffle romanesque et le goût des intrigues sulfureuses ; de la seconde, le mélange de personnages historiques et fictifs, plongés dans un univers scrupuleusement recréé ; du troisième enfin, l'esthétique quasi-cinématographique des plans et une mise en scène visuelle qui emporte l'imagination.


                                        Le règne de Néron, donc, où se croisent les destinées de figures historiques telles que Néron bien sûr, Agrippine, Pallas, Acté, Poppée, Locuste, Britannicus, Pierre, Tigellin, Pétrone, etc. et celles de personnages inventés. Parmi eux se détache Lucius Murena, qui donne son titre à la série : fils d'une maîtresse de Claude assassinée sur ordre d'Agrippine, protégé de Pétrone, il est tout d'abord un ami intime du jeune Néron. Mais les deux hommes s'éloignent petit à petit, jusqu'à la rupture, violente et irrémédiable, qui fait d'eux des ennemis. Autre héros de ce péplum de papier, Balba, gladiateur attaché à Britannicus et déterminé à venger sa mort, dont il tient Néron pour responsable. Autant d'intrigues dont les fils s'entremêlent, tissant l'écheveau d'une œuvre remarquable, réunissant tous les ingrédients d'une bonne histoire : l'amour, le pouvoir, la haine, la vengeance... Quand je vous disais que Dumas n'était pas loin !

Néron, en couverture du 1er volume de l'intégrale. (© Delaby - Dufaux - Dargaud Benelux (Dargaud-Lombard s.a.))

                                        Ce neuvième tome commence après l'incendie de Rome. Des quartiers entiers sont partis en fumée, laissant les habitants aussi désemparés que furieux. Si Néron rêve déjà de rebâtir la ville pour en faire une cité à sa (dé)mesure, il lui faut d'abord calmer le peuple. Et pour se faire, son entourage l'incite à livrer des coupables à la vindicte populaire. Ce seront les Chrétiens, obscure secte en marge du judaïsme et parfaits boucs émissaires. Sans aucune preuve, ces innocents sont donc condamnés à mourir dans l'arène, dans les souffrances que l'on imagine. Parmi eux, l'apôtre Pierre, dont le supplice nous est montré dans toute son insoutenable violence. En parallèle, c'est bien la lente descente aux enfers de Néron qui s'annonce... Un Néron qui bascule progressivement dans la folie, encouragé dans ses névroses par un entourage servile et prêt à tout pour une miette de pouvoir.  Et tandis que Balba affronte une nouvelle (et dernière...) fois son rival Massam, Murena se perd dans les bras de la belle Claudia, entre passion charnelle et culpabilité.

Jean Dufaux. (© Dargaud / Catherine Lambermont)
Si le scenario est remarquable, son exactitude historique ne l'est pas moins. Le soin apporté aux détails se retrouve dans tous les aspects des albums, qu'il s'agisse de l'architecture, de la vie quotidienne, ou encore des évènements en eux-mêmes. L'image de Néron, loin des clichés, est celle d'un jeune homme fragile, abîmé par une mère dévorée d'ambition, manipulé par les courtisans, à qui ont été arrachés tous ceux qu'il aime et qui, peu à peu, perd pied. Bien sûr, on pourra contester certains choix: les historiens eux-mêmes n'étant pas toujours d'accord entre eux, Jean Dufaux a parfois été obligé de prendre parti. Encore le fait-il avec subtilité et intelligence, suggérant sans jamais affirmer - comme dans le cas de la mort de Britannicus, par exemple. Plus discutable à mes yeux, l'omission pure et simple d'Octavie, première épouse de Néron, s'explique pourtant par une volonté de simplifier une histoire déjà très riche. Je peux le comprendre, mais je trouve ce choix dommage. Reste que les connaissances de Dufaux sont toujours mises en valeur par le trait de Delaby, là encore avec beaucoup de finesse : les détails s'intègrent au récit sans l'alourdir, sans jamais verser dans une pédagogie ostentatoire - d'ailleurs bien éloignée de l'esprit général.

Philippe Delaby ( (© Dargaud / Catherine Lambermont))

Le dessin, justement, accentue encore le rythme et la cohérence de la trame. Le trait, fin et précis, joue en permanence sur la lumière, la perspective, le rendu des mouvements, etc. dans une mise en images proche du story board. L'influence du cinéma à l'antique, déjà très présente dans les tomes précédents (la course de char de "La Déesse Noire" n'était pas sans évoquer "Ben Hur"), se retrouve évidemment ici, la gladiature et le thème sulpicien étant, après tout, des classiques de bien des péplums. La couverture de ce nouvel album à elle seule suffit à démontrer la puissance évocatrice du trait du dessinateur : cette simple main, crispée de douleur, clouée sur une croix, dit déjà l'essentiel tout en laissant le champ libre à l'imagination du lecteur.

J'ajouterai, à titre purement personnel, que je suis un fan des illustrations de Delaby : j'adore son Néron, si éloigné de l'image que l'on en a généralement, et je suis tout simplement amoureuse de sa Poppée ! Je parie que je ne suis pas la seule. A ce sujet, signalons que deux pages ont apparemment été expurgées de scènes de sexe, mais une version non-censurée est d'ores-et-déjà programmée en édition limitée pour le mois de Novembre, pour les moins prudes d'entre nous ! Avec, en prime, un dossier sur la sexualité à Rome, rédigé par Claude Aziza. De quoi vous tenir chaud pour les longs mois d'hiver... Sans vouloir jouer les Saintes-Nitouches, je ne suis pas certaine que cela change grand-chose au scénario - j'attends de voir.

Poppée : avouez qu'elle fait son petit effet ! (© Delaby - Dufaux - Dargaud Benelux (Dargaud-Lombard s.a.))

                                        Dans l'intervalle, je pense que nous pourrons nous contenter de la parution "tous publics", et je vous encourage vivement à mettre vos pas dans ceux de Lucius Murena, pour découvrir un pan de l'Histoire de Rome. Une Rome de larmes et de sang, mais aussi et surtout une Rome complexe, vivante et vibrante, rendue dans tout son éclat et toute son ombre par le duo Dufaux - Delaby. 

MURENA - "Les Épines" (Tome 9) de Jean Dufaux et Philippe Delaby.
Editions Dargaud Benelux - 56 pages - 11€99.
Lien vers le site de l'éditeur ici. (Avec en bonus des fonds d'écran, e-cards, vidéos, etc.)

A signaler également, deux expositions autour de "Murena" :

  • Musée de Saint-Romain-en-Gal (RD 502 - 59560 Saint-Romain-En-Gal) : Planches originales, dessins inédits, interviews, etc. - Du 17 Mai au 1er Septembre. - Voir ici.
  • Centre Belge de la Bande Dessinée (20 rue des Sables - 1000 Bruxelles) : Planches originales - Du 29 Octobre au 1er Décembre.


Et, comme promis, les 10 premières planches de l'album, gracieusement offertes par Dargaud. Merci à eux !


   











Toutes les illustrations © Delaby - Dufaux - Dargaud Benelux (Dargaud-Lombard s.a.) - Tous droits réservés.
    

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