lundi 23 septembre 2013

Avignon Antique : Le Musée Lapidaire.

                                        Je vous parlais la dernière fois d'Avignon, et plus précisément de l'empreinte que la civilisation gallo-romaine avait laissé (ou pas) dans le paysage urbain actuel : en dépit de l'absence de vestiges d'importance, la cité occupait une place de choix en Gaule méridionale. Mais si, au contraire d'Arles ou de Vaison, Avignon n'offre pas au touriste ébahi des traces patentes de son passé antique, elles existent pourtant bel et bien, enfouies sous les strates des époques successives. D'Avignon, on retient surtout le Palais des Papes, mais il y a au moins deux musées incontournables pour tout amateur d'Antiquité qui se respecte : le Musée Calvet et le Musée Lapidaire. 


Musée Calvet.


Sarcophage du Musée Calvet.
Du premier, je ne dirai que quelques mots : situé dans un superbe hôtel particulier du XVIIIème siècle, il réunit une collection riche et variée. De nombreux tableaux (dont une magnifique galerie dédiée aux peintres flamands) voisinent avec des œuvres d'inspiration mythologique ou des objets antiques (vases, statues, pièces de monnaie, etc.), principalement grecs et égyptiens. A noter que la section consacrée à l’Égypte antique regorge de merveilles impressionnantes - papyrus, statues et sarcophages proprement fascinants. L'ensemble sort toutefois du cadre de mon blog, à quelques exceptions près... On trouve quand même un tableau représentant Néron assassinant vigoureusement Agrippine, une stèle dédiée à Germanicus ou un superbe buste de Jules César, dont je me demande encore ce qu'il fiche là... Entendons-nous bien, je suis toujours enchantée de tomber nez à nez avec ce brave Jules au détour d'un musée, mais je pensais plutôt le rencontrer dans le Musée Lapidaire. Peu importe, voilà encore une visite que je vous recommande.

Portrait de Jules César.


                                        Le Musée Calvet vaut donc le détour, bien que la majeure partie des œuvres présentées dépasse le cadre des attributions que je me suis fixées. Tel n'est pas le cas du Musée Lapidaire.

Musée Lapidaire.


                                        Pour commencer, un mot du bâtiment dont la richesse du décor tranche singulièrement avec la pureté et la sobriété des lignes. Cette chapelle baroque du XVIIème siècle, située en plein centre ville, présente un plan très simple : une nef unique soutenue par des voûtes d'arête aboutit à un chœur à voûte en plein cintre, formé d’une abside pentagonale flanquée de deux sacristies. De part et d'autre de la nef s'ouvrent cinq travées agrémentées d'arcades et ornées de tribunes surplombées par une frise de motifs végétaux (palmes, feuilles, guirlandes, rosaces, etc.), une corniche et l’attique. Un édifice remarquablement conservé, au vue de son Histoire mouvementée puisqu'il a tour à tour servi de caserne, de dépôt de ravitaillement, de salon des Beaux-Arts, et a même accueilli l’exposition d'un avion et une foire apicole ! C'est en 1933 que le bâtiment est devenu une annexe du Musée Calvet, dont il a d'abord accueilli les sculptures antiques et médiévales, avant que n'y soient exposées les collections égyptiennes (provisoirement de retour au Musée Calvet...), gauloises, étrusques, grecques et romaines. Je ne prétends pas en dresser l'inventaire exhaustif, mais juste vous proposer un rapide survol des œuvres exposées en m'attardant sur une petite sélection toute personnelle. (Et donc atrocement subjective et arbitraire.)


Bas-relief de Cabrières d'Aigues.

                                        Dès l'entrée à gauche se trouve l'une des œuvres les plus intéressantes du musée : un bas-relief représentant une scène de halage. Découvert à Cabrières d'Aigues, il provient d’un monument funéraire érigé à la mémoire d’un riche marchand de vin ou d’huile. Il illustre surtout la manière dont s'effectuait le transport des marchandises.

                                        Les chapelles situées à gauche et la partie attenante de la nef sont dédiées à l'art grec. On y trouve en particulier de nombreux vases à figures noires ou figures rouges, provenant d'ateliers corinthiens, laconiens, attiques, apuliens ou italiotes. L'ensemble montre autant la diversité des techniques que celle des productions, qui vont des simples objets du quotidien à des formes beaucoup plus complexes, comme celles des vases funéraires. Cette collection offre un aperçu de la civilisation hellénistique de l'époque classique, au même titre que les sculptures exposées dans la même zone. Ce sont en majorité des reliefs funéraires, votifs ou honorifiques, produits entre le IVème siècle avant J.C. et le IIIème siècle de notre ère. On retiendra entre autres la stèle de la jeune fille à la poupée ou une stèle dédiée à un chasseur, représenté entouré de chiens et brandissant un lièvre au bout d'un bâton. Enfin, l'une des sacristie accueille des sculptures en ronde-bosse, comme une statue de femme drapée ou encore une copie d'époque impériale de l'Apollon Sauroctone de Praxitèle.

Couvercle de sarcophage étrusque.

                                        Le chœur présente quant à lui de beaux exemples d’œuvres funéraires étrusques : urnes d’époque hellénistique en tuf, albâtre ou terre cuite, ou couvercles de sarcophages reprenant les thèmes traditionnellement observés comme des scènes mythologiques, historiques ou retraçant des épisodes de la vie du défunt. Ces objets proviennent pour la plupart des cités de Volterra et Tarquinia.

Le Guerrier de Vachères.

                                        Devant le chœur sont exposées des sculptures figurant des masques de théâtre et surtout plusieurs exemples de statues gallo-romaines. Parmi elles, le Guerrier de Vachères et le Guerrier de Mondragon retiennent particulièrement l'attention. Le premier possède un équipement militaire et des vêtements typiquement romains, d'époque augustéenne, mais pourtant d'inspiration celtique : muni d'un glaive et d'un bouclier, il porte une côte de mailles et arbore le torque gaulois autour du cou. Cette statue proviendrait de la niche d’un mausolée. Le second porte une tenue et un armement gaulois - un sagum (manteau à franges) attaché par une fibule et un grand bouclier ovale comportant un umbo (sorte de cône placé au milieu du bouclier pour dévier les coups).

Fond de récipient en verre.

                                        La sacristie située à droite présente quant à elle des épitaphes chrétiennes et des fragments de sarcophages décorés de scènes bibliques : le Christ et les apôtres, Pierre et le coq, Jésus remettant les clefs à Saint-Pierre, Tobie et l'ange, etc. Sont aussi présentés des objets de la vie quotidienne. On verra par exemple une lampe à huile dont le médaillon représente un cadavre enveloppé dans un linceul (peut-être Lazare), des statuettes votives, des dés en os, quelques bijoux, le fond d'un récipient en verre orné d'un portrait de famille.

                                        Les chapelles suivantes sont dédiées aux sculptures de la Gaule romaine : inscriptions funéraires, honorifiques ou votives, statues en ronde-bosse, portraits ou bustes, ainsi qu'une mosaïque dont l'emblema raconte un épisode de la légende d'Hercule. Il est évidemment impossible de présenter ici toutes les œuvres exposées, mais quelques-unes, particulièrement marquantes, méritent que l'on s'y attarde.

Portrait de Tibère.

                                         En premier lieu, vous ne serez pas surpris d'apprendre que LA raison majeure de mon pèlerinage avignonnais se nomme Tibère ! (Qui a dit : "monomaniaque" ?!) Le musée possède en effet un superbe portrait de l'Empereur, ainsi que celui de son fils Drusus. Ceux-ci voisinent avec Marc Aurèle, jeune homme aux traits pourtant bien reconnaissables, et avec l'impératrice Julia Domna ou encore Trajan. Quatre portraits publics remarquablement conservés, qui valent à eux seuls le déplacement. A leurs côtés, les portraits d'une prêtresse, d'un homme en toge, d'un rhéteur ou de simples particuliers anonymes ne sont pas moins intéressants.


Stèle funéraire de Titus Tetticnius Secundus et son épouse Iulia.

                                         Une fois encore, de nombreux bas-reliefs funéraires, fragments de sarcophages et épitaphes (notamment celle de deux époux, de deux affranchis ou celle d'un maître et son esclave) sont exposés. La plupart du mobilier funéraire donne à voir des scènes mythologiques, comme Bacchus découvrant Ariane à Naxos, Éros et sa nourrice, Méduse, etc. L'un des cippes montre par exemple le défunt tenant les attributs de Sylvain. On peut aussi admirer deux reliefs consacrés à Pan et aux nymphes augustes, pour le salut de l'Empereur.


Sarcophage orné d'une tête de Méduse.

                                        Deux œuvres ont particulièrement retenu mon attention. D'abord, le couvercle d'un sarcophage d'enfant du IIème siècle, orné du buste du défunt à gauche ; au centre, un Putto avec une grappe de raisin et une houlette de berger; à droite, un chien devant un guéridon chargé de plats. Ensuite, le cippe de marbre d'un quattuorvir de la période julio-claudienne, orné d'un siège pliant avec, sur les côtés, des faisceaux sans hache formés de baguettes attachées autour d'un bâton central et surmontées de trois feuilles de laurier.

Cippe du quattuorvir.

                                        Enfin, dans la chapelle de l'entrée à droite est exposée la célèbre Tarasque de Noves, monstre androphage dont on ne connaît aucun équivalent. Taillée dans du calcaire, elle était à l'origine polychrome comme le prouvent les traces d'enduit rouge visibles autour des griffes et de la gueule. On estime qu'elle date de la seconde moitié du Ier siècle avant J.C. Sa fonction et sa symbolique demeurent énigmatiques : peut-être  une sculpture funéraire figurant la puissance destructrice de la mort et le passage vers une autre vie.

La Tarasque de Noves.

                                        Si mon blog traite de l'Antiquité romaine, chacune des sections du musée lapidaire d'Avignon m'a pourtant fascinée. D'une part, parce que je ne pense pas qu'il soit possible de s'intéresser à la Rome antique et de rester insensible aux autres civilisations anciennes, et d'autre part parce que la disposition des collections permet de voyager dans le temps et d'appréhender les différentes influences qui ont contribué à façonner les objets et la statuaire gallo-romaine, jusqu'aux œuvres paléochrétiennes des premiers siècles de notre ère. Des Étrusques aux Romains en passant par les Grecs ou les Celtes, cette galerie est un incontournable de la région. Et si vous avez le temps, profitez-en aussi pour visiter le Palais des Papes et vous offrir un détour dans l'époque médiévale : tous les chemins mènent peut-être à Rome, mais vous découvrirez comment de Rome, on peut aussi arriver en Avignon !



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