mercredi 18 septembre 2013

Avignon Antique : Sous Les Pavés, Les Ruines.

                                        Quand on parle de vestiges romains dans le Sud-Est de la France, on pense à Fréjus, Arles, Nîmes, Orange ou Vaison-la-Romaine. Pourtant, d'autres villes ont joué un rôle important, mais les traces de la présence romaine y sont moins présentes. C'est le cas d'Avignon, que j'ai redécouverte à l'occasion d'une petite escapade estivale. Pas de trace d'amphithéâtre, de temple ou d'arc de triomphe ici ; à peine quelques ruines disséminées dans le centre, et souvent bien difficiles à déceler pour un œil non averti. Restent les musées, et plus précisément le Musée Lapidaire, où je vous emmènerai la prochaine fois...


Avignon, vue sur le rocher des Doms.

                                         Dès ses origines, Avignon doit son expansion à sa situation géographique particulièrement favorable : la ville s'est développée au pied du Rocher des Doms, qui offre une protection face aux menaces d'invasions, au confluent de la Durance et du Rhône. Si les premières traces d'occupation humaine remontent au néolithique, la ville en elle-même est fondée par les Phocéens de Massalia vers 539 avant J.-C. Elle est de fait fortement influencée par les Phéniciens et les Grecs et on y bâtit des Temples dédiés à Héraclès et à Artémis d'Ephèse. Déjà pôle commercial d'importance, la ville frappe même sa propre monnaie. A partir du Vème siècle avant J.C., Avignon est occupée par le peuple Celto-Ligure des Cavares, alliés des Massaliotes et dont elle deviendra la capitale.
"Avançons-nous donc à partir de Massalia dans le pays compris entre les Alpes et le Rhône, nous y trouvons d'abord les Salyens, dont le territoire mesure 500 stades jusqu'au Druentias ; puis, le bac nous passe à Cavallion, et là nous mettons le pied sur le territoire des Cavares, qui s'étend à son tour jusqu'au confluent de l'Isar et du Rhône, c'est-à-dire jusqu'au point où le mont Cemmène vient en quelque sorte rejoindre le Rhône. (...) Dans ce même intervalle du Druentias et de l'Isar, on remarque plusieurs places importantes, telles que Avenion, Arausion et Aeria, ville bien nommée, nous dit Artémidore, en ce qu'elle occupe, tout au haut d'une montagne fort élevée, une situation vraiment aérienne.."  (Strabon, "Géographie", IV - 1 .11)

Bronze ou semis d'Avignon, monnaie cavare. (via wikimoneda.com).


                                        La question de l'origine du nom de la cité fait encore débat. Elle est appelée Aouenion par les Cavares, et le mot viendrait du celte pour certains, du ligure pour d'autres ; il signifierait soit "Seigneur du fleuve" (de aouen - "gouffre, tourbillon d'eau" - et -ion - "maître, seigneur"), soit "ville du vent violent".  Il apparaît pour la première fois  au Ier siècle avant. J.-C, sous la plume (ou le calame) d'Artémidore d’Éphèse, repris au VI ème siècle par Étienne de Byzance, qui en donne la définition suivante :
"Aouenion : Ville de Massalia, près du Rhône. Le nom ethnique est Avenionsios selon la dénomination locale et Auenionitès selon l'expression grecque." (Étienne de Byzance, Les Ethniques." - sur academia.edu.)

                                        En 125 avant J.C., Marseille entre en conflit avec les Salyens, tribu celto-ligure voisine. Ils font alors appel à Rome, mais les alliés se révèlent vite encombrants... Ils comptent bien profiter de cette occasion pour s'implanter durablement en Provence. Ils rasent Entremont, capitale des Salyens, mais en profitent pour fonder leurs propres villes (Aix, par exemple) et s'emparer des cités avoisinantes.

                                        En 121 avant J.C., les légions romaines écrasent les Allobroges près de Sorgues et les Cavares, prudents, préfèrent se rendre sans opposer de résistance. L'oppidum d'Avenio passe sous domination romaine, au sein de la province de la Narbonnaise (qui sera créée en 118 avant J.C.) puis de la 2ème Viennoise.  En 49 avant J.C., Marseille perd sa prééminence dans la région suite à la défaite de Pompée dont elle a pris le parti face à César. Avignon, placée par son autorité par le malheureux vaincu devient cité de droit latin en même temps que Carpentras, Orange ou Apt, puis colonie latine en 43 avant J.C. En 121 et 122, l’empereur Hadrien de passage dans la Province visite Vaison, Orange, Apt et Avignon - à laquelle il accorde le statut de colonie romaine. La ville devient la "Colonia Julia Hadriana Avenniensis".

Plan d'Avignon, à retrouver ici.


                                        Sous l'Empire romain, la situation stratégique d'Avignon lui permet de jouer un rôle important, notamment dans le domaine commercial puisque, par la vallée du Rhône et celle de la Durance, la ville permet de relier Arles et Lyon et de rejoindre l'Italie. Elle jouit aussi de la proximité de la Via Agrippa. Loin d'être une cité secondaire, elle est alors l'égale d'Arles. C'est une cité fortifiée relativement importante pour l'époque puisqu'elle compte près de 25000 habitants et occupe une quarantaine d'hectares. On estime que les premiers remparts, datant du Ier siècle, suivaient à peu près le tracé des rues Joseph Vernet, Henri Fabre, rue des Lices, Philonarde, Paul Saïn et Campane.


Arcade romaine de la rue de la Petite-Fusterie. (©archives municipales d'Avignon.)

Une seconde enceinte, construite aux IIIème et IVèume siècles pour résister aux invasions, s'appuie sur les arcades romaines (voir ci-dessous) et place le rocher des Doms au cœur du système défensif puisqu'on y érige un castrum. Cette forteresse, encore visible sur des plans du XVIIème siècle, sera détruite par un explosion en 1650.
"La région que baigne notre mer, surnommée autrefois Braccata, aujourd’hui Narbonnaise, est mieux cultivée que l’autre et, par conséquent, plus riante. Ses villes les plus florissantes sont Vasion chez les Vocontiens, Vienne chez les Allobroges, Avénion chez les Cavares, Nemausus chez les Arécomiques, Tolose chez les Tectosages, Arausion, colonie de vétérans de la seconde légion, Arélate, colonie de vétérans de la sixième, Baeterres, colonie de vétérans de la septième." (Pomponius Mela, "Description De La Terre", II - 5.)
                                        Centre commercial, administratif et religieux, Avignon compte à l'époque romaine des Temples, un théâtre, des thermes, évidemment la Curie... Pourtant, il est indéniable que si l'on compare Avignon à Nîmes ou à Orange, les vestiges sont plutôt rares. Rue Saint-Étienne, on peut observer un morceau d'arcade : les autres ont été enchâssées dans des maisons proches (visibles rue de la Petite Fusterie). Elles soutenaient un portique de 220m de long sur 4m de haut, et plusieurs explications ont été avancées : certains pensent qu'il s'agissait de compenser la pente du terrain sur lequel avait été bâti le forum - l'actuelle Place de l'horloge ; d'autres avancent que les spectateurs pouvaient assister à des joutes organisées sur le Rhône depuis ces arcades. (Le fleuve étant à l'époque plus avancé dans les terres.)

Vestiges des remparts du XIIème s., suivant à peu près l'enceinte romaine du 1er s.(©archives municipales d'Avignon.)


                                        D'autres vestiges ont été mis au jour aux abords des rues Géline et Racine. Dans cette même rue, un peu avant l'Opéra, on peut encore voir un morceau de dalle, provenant probablement d'un temple semblable à la Maison Carré nîmoise. De même, dans la cour de l'annexe de l'Hôtel de Ville, subsistent de possibles traces de la curie romaine. Enfin, toujours dans le même quartier, derrière l'église Saint-Agricol, un pan de mur et des restes de colonnade laissent supposer qu'une galerie servait de passage aux habitants. Parmi les autres traces de la présence romaines mises au jour, on peut citer des mosaïques et des sépultures (notamment près de la gare ou du couvent des Célestins.)

Vestiges derrière l’église Saint-Agricol.

                                        De l'autre côté de la ville, deux zones attestent encore du passé romain d'Avignon. Tout d'abord, derrière le Palais des Papes, des vestiges protégés par une grille laissent deviner un monument imposant : peut-être un nymphée ou  des thermes - hypothèse renforcée par les traces d'un aqueduc découvertes au Pontet, qui aurait acheminé l'eau jusqu'à Avignon. Enfin, rue de la Peyrolerie, des vestiges de constructions romaines posent encore question : théâtre, amphithéâtre, entrepôt public...


La chute de l'empire romain d'Occident. (Illustration de Ron Embleton.)

                                        Située sur un axe incontournable entre le Nord et le Sud, Avignon subit de plein fouet les invasions barbares. Dès la fin du IIIème siècle, les Francs et les Alamans dévastent la région ; une seconde vague, au Vème siècle, porte le coup de grâce à l'empire romain d'Occident. Les Vandales et les Goths ravagent Avignon, mettant à terre la plupart des monuments, avant que la cité ne passe sous domination burgonde en 413. En 500, le roi burgonde Gondebaud est vaincu par Clovis près de Dijon et il se réfugie alors à l'intérieur des remparts : la ville est si bien fortifiée que Clovis, incapable de s'en emparer, est contraint de signer un traité avec son ennemi.

                                        Ainsi, l'absence de grands vestiges a sans doute conduit à sous-estimer l'importance de la ville d'Avignon au cours de la période Gallo-romaine. Détruits par les invasions successives, les monuments romains ont ensuite servi de réserves de pierres pour d'autres édifices, comme Notre-Dame des Doms par exemple, disparaissant petit à petit du paysage urbain.


Vue générale d'Avignon.

                                        Et le célèbre Pont d'Avignon, dans tout ça ? Si le pont Saint-Bénezet ne date que du XIIème siècle, il a tout de même un ancêtre antique : vers a fin du IIIème siècle, Maximien Hercule fit construire un pont en bois pour relier Avignon à la rive droite du Rhône, pour aller mater une révolte paysanne. Mais on ignore si l'Empereur et ses légions y dansaient tous en rond...


Pour approfondir, un lien : Le Rhône à Avignon, Données Archéologiques, ici.

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