Là où "La Maîtresse de Rome" se penchait sur les amours contrariées du gladiateur Arius et de la belle esclave Théa avec, en toile de fond, le règne de ce sadique de Domitien et l'univers de la gladiature, "L'Impératrice Des Sept Collines" explore les destins croisés d'un légionnaire et d'une future impératrice, au gré des guerres expansionnistes menées par l'Empereur Trajan.
On retrouve les enfants des protagonistes du précédent roman - qu'il n'est cependant pas nécessaire d'avoir lu. Vix, fils d'Arius et de Théa, est un jeune homme peu sympathique : brute épaisse doublée d'une grande gueule, c'est un sauvage prétentieux qui ne rechigne ni au vol, ni à la bagarre. De retour à Rome, il espère bien trouver gloire et richesse mais ignore comment y parvenir. Sa route croise celle de la fille du sénateur qui protégea jadis ses parents, Sabine, une femme intelligente et pétillante qui rêve de parcourir le monde. Ils ne tardent pas à nouer une relation secrète. Toutefois, Sabine est en âge de se marier et, même si son père lui accorde une certaine liberté de choix, un barbare ne saurait être un parti acceptable pour la nièce de Trajan. Reste donc à faire le tri parmi tous les prétendants. Entre autres, le jeune protégé de l'Impératrice Plotine, le tribun Hadrien, un homme hautain et condescendant plus attiré par la richesse et la position de Sabine que par ses charmes. C'est pourtant lui que choisit la belle, scellant ainsi sa destinée. Et Vix, s'estimant trahi, finit par s'enrôler dans l'armée et suit fidèlement Trajan en Germanie, Dacie et Parthie, où il accumule les faits d'armes et monte rapidement en grade. Mais lorsque Sabine accompagne son époux en campagne et retrouve Vix, le retour de flamme entre les deux héros est immédiat : leurs étreintes torrides s'annoncent aussi sulfureuses que dangereuses...
Bizarrement, "L'Impératrice des Sept Collines" est à la fois très proche et très différent du premier roman de Kate Quinn. Très proche par les ingrédients du récit : romance impossible, rivalités exacerbées, passion, complots politiques, trahisons, amitiés, combats extrêmement bien décrits et sans longueur (l'univers militaire succédant à celui de la gladiature), scènes sanglantes, personnages secondaires charismatiques... Bref, tout ce qui fait les grandes sagas, les épopées flamboyantes ! La fiction se mêle avec bonheur aux évènements réels dans une écriture vivante et passionnée. Le style est agréable et aéré, ponctué de dialogues et de scènes impressionnantes - quasiment cinématographiques - pour une lecture distrayante mais aussi enrichissante et fidèle à l'exactitude historique. On retrouve également la forme du récit choral, chaque chapitre alternant les points de vue des différents personnages. Cette dynamique facilite les ellipses bienvenues pour éviter à l'auteure de s'appesantir sur les détails les moins palpitants, notamment dans le déroulement des conflits. Elle insuffle au récit un rythme et un ton plus vivant et permet de faire voyager le lecteur d'un lieu, d'un moment, d'une situation ou d'un personnage à un autre avec beaucoup de fluidité.
Hadrien, bien malmené par K. Quinn... |
C'est justement la différence la plus marquante entre les deux romans : les personnages sont nettement plus aboutis et moins manichéens, moins monolithiques. Les protagonistes secondaires ont davantage de relief (mention spéciale à Titus, jeune érudit timide et à Trajan, plus soldat qu'Empereur.) et se révèlent au fur et à mesure de l'histoire. Certes, la charge est parfois violente contre Hadrien et Plotine, présentés sous leur jour le moins favorable : un pédant méprisant et orgueilleux d'un côté, une snob intrigante et sûre de son bon droit de l'autre. Ces portraits tranchent complètement avec les approches traditionnelles, mais c'est un choix totalement assumé par Kate Quinn qui explique avoir voulu explorer une autre facette de ces personnalités. Après tout, pourquoi pas ? D'autant que ni l'un, ni l'autre ne sont dépourvus d'une certaine profondeur : Hadrien est plus complexe qu'il n'y parait, et on devine aisément les failles derrière le comportement de Plotine. Ils n'en demeurent pas moins antipathiques...
Plus intéressante encore est la personnalité de Vix : au départ gamin mal dégrossi et sans moralité, il révèle son véritable caractère au fil des évènements, au lecteur comme à lui-même. Le personnage reste cohérent avec lui-même mais il évolue progressivement et, s'il n'a rien de sympathique dans les premières pages, on finit pourtant par s'attacher à lui, on apprend à le connaître et à l'aimer. Il est d'ailleurs le seul à s'exprimer directement, les pensées et sentiments des autres protagonistes étant exposés à la troisième personne - procédé intéressant, car l'évolution du langage traduit celle du héros, sur la dizaine d'années que dure le récit. Quant à Sabine, elle ressemble parfois étrangement à Vix : sous la jeune femme brillante et érudite se cache une aventurière, peu soucieuse des convenances, indépendante voire égoïste et qui sait assumer ses désirs et ses choix. On est donc loin du stéréotype de l'héroïne romantique !
Autre différence de taille, la romance n'est cette fois pas le cœur de l'intrigue, mais l'un des éléments qui constituent l'écheveau de ses destins entrelacés - au même titre que la guerre, la politique ou les inimitiés. Peut-on même parler d'histoire d'amour ? Il s'agirait presque d'une amitié couplée à du sexe, et on pourrait dire, en un sens, que le couple formé par Sabine et Vix est le négatif de celui d'Arius et Théa : le destin, qui s'acharnait à séparer les deux derniers, n'a de cesse de pousser l'un vers l'autre nos deux nouveaux héros en dépit de leurs aspirations contraires. Cette romance peu conventionnelle, en parfaite adéquation avec le tempérament des protagonistes, ajoute encore au charme et à la cohérence du roman. En marge des chemins arpentés par Vix et Sabine, les autres personnages suivent le leur, tous indépendants et pourtant liés par quelque chose qui les dépasse.
Bref, un roman au souffle épique, époustouflant de maîtrise, où le divertissement se mêle à la grande histoire. C'est bien simple : voici le bon gros pavé de l'été, celui que vous emportez avec vous à la plage et à cause duquel vous en oubliez de vous baignez. A lire absolument ! De toute façon, je vous en reparlerai : une petit surprise vous attend sous peu...
"L'Impératrice Des Sept Collines" de Kate QUINN.
Éditions Presses de La Cité - lien ici.
540 pages - 22€.
A noter, la sortie en poche de "La Maîtresse de Rome" de Kate QUINN.
Éditions Pocket - lien ici.
696 pages - 8€40.
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