Malheur aux vaincus ! Si les vainqueurs ont marqué les mémoires de leur empreinte, leurs adversaires malheureux n'ont bien souvent pas eu cette chance et finissent, au choix, calomniés et accusés de toutes les turpitudes, ou tout simplement relégués aux oubliettes de l'Histoire. Tel est le cas de Pompée, que le grand public ne connait plus guère aujourd'hui que grâce à la série "Rome" qui, décidément, a fait beaucoup pour l'Antiquité romaine. Encore n'y apparaît-il que le temps de quelques épisodes, vite balayé par un César héroïsé. Pourtant, on sait depuis Corneille qu'à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Ou, pour le dire autrement, la victoire est d'autant plus grandiose que l'ennemi est redoutable. A ce titre, César n'aurait pu rêver meilleur opposant.
Eric Teyssier, maître de conférence à l'université de Nîmes et grand spécialiste de la gladiature, a eu l'excellente idée de consacrer à Pompée un livre remarquable, aussi bien sur le fond que sur la forme. Dans un style simple mais alerte, cette biographie exhaustive retrace le parcours de notre homme, de sa naissance au sein d'une influente famille de chevaliers de province jusqu'à sa mort, quelques 58 ans plus tard, lorsqu'il est assassiné sans gloire à Alexandrie. Chaque étape de la vie de Pompée est largement documentée et fourmille d'anecdotes riches d'indices quant à sa personnalité et / ou la société dans laquelle il évolue.
Embrassant très tôt une carrière militaire qui ne lui permet pas d'achever la formation classique des jeunes gens de l'époque, Pompée démontre rapidement ses qualités de chef de guerre. Lieutenant de Sylla, aux côtés duquel il se range lors de la guerre civile de 88 avant J.C., Pompée entame une ascension fulgurante : général à 23 ans, il obtient son premier triomphe à 25 et ne cesse de combattre en Espagne, en Afrique et en Orient, où il est chaque fois victorieux. Ce n'est pas pour rien que ces soldats le surnomment Magnus, "Le Grand" ! Fin diplomate lorsque les circonstances l'exigent, faiseur de rois, artisan de l'expansion romaine, fondateur de villes et bâtisseur du théâtre qui a gardé son nom à Rome, Pompée est sans conteste l'un des plus grands hommes de l'Histoire de Rome.
Buste de Pompée. (Glyptothèque de Copenhague.) |
Mais si Pompée est un excellent militaire, il a plus de mal à s'imposer sur la scène politique. Bien que trois fois consul, il n'a pas l'aisance oratoire d'un Cicéron ou d'un César et, surtout, ces origines modestes lui valent d'être méprisé par l'élite sénatoriale. En un mot, il peine à trouver sa place au sein d'un système politique traversé par l'opposition entre Optimates et Populares, se ralliant tantôt aux uns, tantôt aux autres, dans une période particulièrement troublée. Les premiers n'entendent rien céder de leurs privilèges, les seconds n'hésitent pas à recourir à la violence pour appuyer leur démagogie et gagner les faveurs du peuple et, en coulisses, des généraux soutenus par des soldats fidèles affutent leurs armes dans le seul but d'assouvir leur soif de pouvoir...
Consul unique en 52 avant J.C., Pompée commet la grande erreur de sa carrière en laissant passer l'opportunité de réformer la République et de sauver ce qui peut l'être. Mais il n'a ni le recul ni les capacités d'analyse nécessaires pour le faire... Son aura décline à mesure que s'accroît celle de César, subtil politicien qui sait bien comment manipuler son monde. La mort de Crassus, en sonnant le glas du triumvirat, place les deux hommes face à face et précipite l'affrontement : cette ville, Rome, est trop petite pour deux Imperatores. Survient alors une nouvelle guerre civile. Allié aux Optimates (qui détestent César plus encore), Pompée ne prend pas la mesure de la situation. On connait la suite : au terme de deux années de lutte acharnée, César sait jouer aussi bien de sa chance insolente que de ses aptitudes militaires et de sa finesse d'esprit, et les pompéiens sont définitivement balayés lors de la bataille de Pharsale. Pompée n'a plus de Grand que le surnom et c'est suivi par une petite poignée de fidèles que l'ombre de l'homme qu'il fut cherche un ultime refuge en Égypte. Il y trouve la mort, lorsqu'il est lâchement assassiné sur ordre des conseillers du Pharaon, qui ne veulent pas d'un ami si embarrassant. A la mort honteuse s'ajoute l'ignominie de misérables funérailles - l'épave d'une veille barque pour bûcher, et seulement deux hommes pour rendre les derniers honneurs à celui qui faillit être le maître du monde romain. Sic transit gloria mundi.
"La Mort de Pompée." (Tableau anonyme, Musée Magnin de Dijon.) |
Au-delà de sa trajectoire fulgurante et tragique, Eric Teyssier dresse le portrait de l'homme derrière l'Imperator, dans sa vie privée autant que dans sa vie publique, révélant les paradoxes du personnage. Général charismatique et proche de ses hommes, mais peu à peu oublié du peuple ; généreux ou avide selon les circonstances ; mari tendre et aimant mais ami peu fiable ; Romain attaché aux valeurs ancestrales mais aux alliances politiques fluctuantes ; personnage ambitieux mais capable de se retirer plusieurs mois de la vie publique... Dans ses contradictions et sa complexité, Pompée apparaît - de l'aveu de l'auteur - comme "plus humain que César". Eric Teyssier ne cache d'ailleurs pas sa sympathie pour notre homme, dont il fait le héros d'une biographie fouillée mais accessible, un livre d'Histoire qui se lit comme un roman, entre thriller politique, roman de cape (pardon, de toge !) et d'épée, et tragédie antique.
L'analyse est pertinente et permet de mieux comprendre l'agonie d'une République romaine mise à mal par l'affrontement entre Marius et Sylla, l'extension d'un territoire devenu trop vaste pour le système administratif et politique alors en vigueur, et l'émergence de généraux trop ambitieux. Parmi ceux-là, Pompée était pourtant bien placé pour prendre le pouvoir. Qu'en aurait-il fait ? Nous ne le saurons jamais. Mais en refermant le livre et par-delà les différences de vision politique ou d'origine sociale, je dois dire que le sous-titre choisi par l'auteur a pris pour moi un sens nouveau : Pompée est attachant, quand Jules César est admirable...
"Pompée, l'Anti-César" d'Eric Teyssier.
Éditions Perrin.
425 pages - 24 euros.
Bonjour !
RépondreSupprimerJ'aime bien le personnage Pompée mais il faut reconnaître qu'il y avait beaucoup d'esbroufe et de propagande autour de sa "gloire militaire". Pompée, c'est un peu le Bernard Tapie de l'époque, tout en com.
Il n'a pas battu Sertorius, il a attendu que celui-ci soit assassiné pour commencer à engranger les victoires. Du vivant de Sertorius, il s'est pris pas mal de volées malgré des effectifs bien supérieurs.
Contre papy Mithridate, il a récupéré tout le travail fait par Lucullus. C'est ce dernier le véritable vainqueur du Pontien, pas Pompée qui n'est venu qu'à la fin, envoyé par les lobbies financiers. Comme le disait Lucullus, c'était un charognard qui ne tuait pas ses proies lui-même mais les récupérait mortes.
Contre les pirates, malgré ses moyens absolument énormes, il a plutôt usé de persuasion et d'argent pour les convaincre d'arrêter leurs activités (ce qui par contre démontre une grande intelligence politique).
Quand on regarde de près la carrière militaire de Pompée, on se rend compte que tout ou presque est du vent. La réalité militaire est beaucoup moins glorieuse que l'image que l'on en a et que l'on en avait à l'époque. Il n'y a pas une seule guerre que ''le Magnus" ait menée par lui-même avec succès. L'homme aux quatre ou cinq triomphes est l'homme qui n'a jamais vraiment gagné une seule guerre! Ce qui en dit long sur la dérive du dernier siècle de la République, le culte de la personnalité, la propagande...
Pas si étonnant que ça qu'il ait perdu à Pharsale.
Bonjour !
RépondreSupprimerEt merci pour votre message, vraiment intéressant et qui donne une autre idée de Pompée que la biographie de Teyssier. J'avoue que Pompée n'est pas mon Romain préféré... (Elle est bizarre cette phrase, ou ça vient de moi ?!) Je me fais ici l'écho impartial de la thèse de ce livre remarquable - quoi qu'on pense de Pompée.
S'il est toujours difficile de juger de l'action d'un homme (plus encore 2000 ans après), ce que vous dites me paraît néanmoins pertinent, et éclaire surtout d'une toute autre lumière les errements de Pompée lors des derniers mois de sa vie : Ovide écrit que les Dieux aveuglent ceux qu'ils veulent perdre et notre Imperator semble dépassé par les évènements. La gloire militaire de Pompée était-elle usurpée, parvenait-il à mettre à scène ses prétendus exploits et à toujours tirer avantage de la situation sur le plan de l'image ? On sait bien qu'en politique, ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai (©Tayllerand). D'autant que ses qualités de chef de guerre (réelles ou mises en scène) rehaussent le prestige de César, qui s'y connaissait autant en stratégie militaire qu'en propagande.
Espérons seulement pour Bernard Tapie que votre comparaison s'arrêtera là : avec tous les gens qui veulent justement sa tête...