mercredi 23 octobre 2013

Revue De Presse : Historia - Octobre 2013.

                                      Un petit article pour vous signaler un magazine sorti le mois dernier, et toujours disponible en kiosque : la revue Historia, qui consacre un dossier à la chute de Rome. Un peu moins de 30 pages qui entendent présenter les raisons qui ont conduit à la déliquescence de l'Empire romain d'Occident et à sa chute, à la fin du Vème siècle de notre ère.

                                      Pour se faire, les auteurs (parmi lesquels Catherine Salles ou Bruno Dumézil) ont retenu cinq grands axes : les invasions barbares, la montée de l'incivisme, la crise religieuse, l'immobilisme du sénat et la chute démographique. Plusieurs angles d'attaque pour expliquer comment le vaste empire romain a fini par s'effondrer et se morceler en plusieurs royaumes indépendants mais qui, pour la plupart, ont perpétué d'une certaine manière des pans de l'héritage romain - bien que dédaignant dans son ensemble une civilisation décadente et une société qui s'effondre sur elle-même, et qu'ils entreprennent de "germaniser".


Le sac de Rome par Alaric. (Ron Embleton.)

                                      Le dossier choisit comme point de départ la prise de Rome par le wisigoth Alaric en 410. Pour aussi symbolique que soit l'évènement, il n'en demeure pas moins anecdotique : il y a longtemps que Rome a été supplantée par d'autres cités (comme Ravenne), et les barbares n'en sont ni à leur première ni à leur dernière incursion en territoire romain. Toutefois, cette date sert de référence pour illustrer comment les soldats germaniques ont petit à petit pris le pouvoir à Rome, en phagocytant l'état major romain et en imposant des empereurs fantoches. Composant la majeure partie de l'armée, ce sont en fait des Barbares qui luttent contre d'autres Barbares aux frontières de l'Empire, tandis que la vieille noblesse romaine perd peu à peu le contrôle. Ricimer, général barbare qui rejoint l'armée impériale, monte en grade et fait et défait les empereurs (Majorien, Libius Severus, Anthemius), en est un bon exemple.

                                      La prééminence progressive des militaires étrangers et la prise de pouvoir par les Barbares est aussi facilitée par la chute de la démographie, due à des lois inadaptées (unions avec esclaves interdites, concubinage mal accepté) et à l'émergence de la morale chrétienne (divorce et adoptions en baisse). Mais aussi par le décadence des mœurs romaines, autant que par le conservatisme extrême des élites. D'une part, les plaisirs faciles supplantent la culture et l'art oratoire, abandonnés au profit des courses de char et des spectacles racoleurs ; la fraude fiscale se pratique à grande échelle ; on pille les monuments ; les lois promulguées ne sont pas respectées ; la démilitarisation des élites modifie en profondeur l'organisation militaire... Bref, tout fout le camp, ma bonne dame ! Telle est en tous cas la perception que les auteurs antiques ont de la société, comme nous le montre Ammien Marcellin, largement cité dans l'article consacré à "L'incivisme des Romains". Plus grave, on découvre la disparition d'un sentiment d'appartenance commune au sein même de l'armée, divisée entre soldats d'Orient et soldats d'Occident, entre culture latine et hellénistique.





                                      D'autre part, les Sénateurs apparaissent complètement déconnectés de la réalité ! L'article rédigé par Alexandre Grandazzi les montre attachés à leurs privilèges, arc-boutés contre toute réforme qui mettrait à mal les avantages dont ils jouissent et la fortune qu'ils possèdent. Luttant pour maintenir les combats et les jeux qui leur permettent d'asseoir leur popularité auprès de la plèbe, et revendiquant toujours plus d'exemptions fiscales et de traitements de faveur qui ne font qu'élargir le fossé entre peuple et aristocratie, hostiles à toute entente avec les Barbares et défenseurs d'une société où seuls les Romains seraient acceptés et seuls les anciens Dieux vénérés, les sénateurs sont incapables de faire face aux changements qui s'amorcent. Face à la prise de pouvoir des peuples barbares au sein même de l'Empire, ils n'auront d'autre choix que de fuir ou d'accepter l'alliance avec les nouveaux maîtres.

                                      Mais une autre division est encore plus lourde de conséquences : la crise religieuse majeure qui traverse l'Empire au cours du IVème siècle crée de nouvelles dissensions entre le pouvoir, l'aristocratie, le clergé, le peuple... Le Christianisme est tout d'abord accepté au sein de l'Empire grâce à l'édit de Milan, promulgué en 313 par Constantin. Mais ses successeurs mènent une politique religieuse plus agressive, par laquelle le Christianisme prend progressivement l'ascendant, tandis que les cultes païens déclinent - malgré la résistance des élites conservatrices et quelques retours en arrière illustrés notamment par le règne de Julien L'Apostat. Lorsque la religion chrétienne devient religion d'état en 392, et malgré les clivages qui la divisent de l'intérieur (arianisme et donatisme pour ne citer que les schismes les plus graves), elle supplante finalement les anciennes religions, qui ne subsistent que dans les campagnes reculées. Du reste (et bien que la revue n'aborde que brièvement le sujet), de nombreux Barbares sont eux-mêmes christianisés, et c'est bien le Pape Léon Ier qui parviendra à arrêter Attila aux portes de Rome en 452. Signe que l'Empereur de Rome n'est plus le vrai détenteur du pouvoir.


La rencontre entre Attila et Léon Ier. (Chronicon Pictum - ©Korossyl via wikipedia.)

                                      En conclusion un face à face oppose deux visions - pourtant assez convergentes - de la disparition de l'Empire romain d'Occident : si les deux intervenants (Pierre Bezbach et Yann Le Bohec) apportent tous les deux des éclairages différents mais complémentaires, ils s'accordent finalement sur les leçons que notre époque troublée peut avoir à tirer de ce crépuscule romain... Une analyse fine et intéressante pour clore des articles riches d'informations, qui permettent de mieux appréhender les multiples facteurs qui ont conduit à l'affaiblissement de l'Empire, incapable de faire face à la montée en puissance des Barbares aux frontières et à leurs incursions sur le territoire. Toutefois, j'aurais souhaité un dossier plus consistant. (Mais bon, vous me connaissez : quand il s'agit de l'Antiquité romaine, j'en demande toujours davantage !)

                                      Cela dit, le magazine réserve encore deux bonne surprises : s'il ne se limite pas à l'Antiquité, il aborde dans ce numéro d'autres sujets en lien avec Rome. Un article présente ainsi, à travers l'exposition consacrée à Astérix à la BNF, la question de la construction du mythe gaulois et l'instrumentalisation du personnage de Vercingétorix sous la IIIème république ; et quelques pages donnent un aperçu de Lugdunum - Lyon gallo-romaine - de sa fondation en 43 avant J.C. jusqu'à son apogée sous le règne d'Hadrien.

                                      Mais ça, comme dit la pub, c'était avant ! Avant que les Barbares ne prennent le pouvoir militaire et politique et que l'Empire romain ne succombe au terme d'une longue agonie. On est donc loin des hordes sauvages déferlant sur Rome pour déboulonner les statues et mettre la ville à feu et à sang... Un magazine à parcourir, puisqu'il balaye quelques idées reçues et donne envie d'approfondir le sujet.

HISTORIA - "Le Crépuscule de Rome" 
Octobre 2013 - N°802. - 5€90.
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