mercredi 13 novembre 2013

Le Mariage Dans La Rome Antique : 2ème Partie.


                                        La dernière fois, nous avons abordé le mariage dans la Rome antique sous l'aspect institutionnel, notamment à travers les différentes formes que pouvait prendre le lien matrimonial. Il nous reste à découvrir la manière dont était célébrée la cérémonie proprement dite.

GAI, GAI ! MARIONS-LES ! LA CÉRÉMONIE.


                                        L'union per usum ne requiert aucune cérémonie particulière. En revanche, les mariages par coemptio ou confarreatio impliquent des rituels codifiés spécifiques. Dans les deux cas, les pratiques sont assez semblables et marquent l'abandon par l'épouse du culte domestique paternel, et son intégration à celui de son époux. On ignore cependant dans quel ordre étaient observés les rituels décrits ci-dessous, ni s'ils étaient systématiquement respectés. Je me fais donc l'écho des hypothèses les plus communément émises par les spécialistes.

La date.

                                        Fixer une date pour la cérémonie de mariage : voilà un épineux problème ! Pour les Romains, certains jours sont néfastes en eux-mêmes, et en particulier pour l'exécution des rites du mariage. Ce qui complique encore les choses, c'est que l'épouse doit effectuer plusieurs rituels le lendemain de ses noces - jour qui ne doit pas non plus être défavorable ! En gros, les dates jugées néfastes pour une cérémonie de mariage sont les Calendes, les Nones et les Ides de chaque mois, les dies atri (jours commémorant une calamité ou une catastrophe publique), le mois de Mai (célébration des Lemuria, fête des morts), fin Février et début Mars, et pratiquement toutes les fêtes religieuses. En même temps, ça facilite le choix... Si on consulte les auspices durant les temps archaïques, on considère surtout que Juin est le mois le plus favorable, car il est consacré à Junon, déesse du mariage.

Époux joignant les mains devant Junon Pronuba. (©Ann Raia.)

La veille de la cérémonie.


                                        Tout commence la veille du grand jour, lorsqu'on dresse le contrat définitif stipulant le montant de la dot et les échéances du paiement. Une fois le contrat signé et le consentement des époux donnés, le mariage est légalement conclu : les noces ne sont pas nécessaires à sa validité. (Mais on ne va quand même pas laisser passer une occasion de banqueter !)

                                        Le même jour, la jeune fille abandonne symboliquement ses jouets et la toge prétexte de son enfance aux lares du foyer, manière de ritualiser le passage de l'enfance à l'âge adulte. Avant de se coucher, elle revêt  une longue tunique blanche (tunica recta) et une résille rouge (reticulum).
 

Le jour des noces.


                                        Au matin du mariage, la fiancée revêt sa robe de mariée : semblable à la tunica recta, elle est ornée d'une frange pourpre ou de rubans et serrée à la taille par une ceinture nouée par un nœud d'Hercule. Son mari délacera ce nœud le soir, plaçant ainsi le couple sous la protection du Héros et lui assurant fécondité.
"La nouvelle mariée était ceinte d'une ceinture (cingulum) que l'époux détachait au lit. Cette ceinture était faite de laine de brebis, et signifiait que, de même que cette laine, levée en flocons, était unie à elle-même, de même le mari était attaché comme par une ceinture et un lien étroit à sa femme. Le mari détache cette ceinture, nouée par le nœud d'Hercule, comme présage qu'il sera aussi heureux par le nombre de ses enfants que le fut Hercule, qui en laissa soixante-dix." (Festus, "De la signification des mots", Livre II.)
Bague hellénistique figurant le nœud d'Hercule. (via intellego.fr)
 
Elle complète sa tenue de  sandales de couleur safran et se couvre la tête d'un voile orangé (flammeum), qui ressemble à une palla faite d'une étoffe plus légère et transparente. Sur ce voile est posée une couronne de fleurs (et plus précisément de fleurs d'oranger, à partir du IIème siècle.) La jeune mariée est coiffée selon un rite particulier : avec la pointe d’une épée, ses cheveux sont partagés en six tresses, qui sont ramenées autour de la tête et maintenues par des bandelettes de laine - à la manière des Vestales.

Fresque montrant la préparation de la mariée. (©Ann Raia.)

                                        La cérémonie commence au domicile de la future mariée, où se réunissent les parents et amis des deux époux. Elle s'ouvre par un sacrifice aux Lares et la prise des auspices. Puis une matrone, mariée une seule fois (pronubia), joint les mains droites des nouveaux époux (junxtio dextrarum) pour symboliser leur engagement, et ceux-ci prononcent des formules rituelles. Se tient ensuite un banquet qui se prolonge jusque tard dans la nuit.

Un couple joignant les mains devant la pronuba. (©B. McManus.)


                                        A la fin du repas, la jeune épousée est conduite vers la maison de son mari. Un simulacre d'enlèvement, rappelant le rapt des Sabines, l'"arrache" symboliquement aux bras de sa mère ou de celle qui la conduit: la jeune femme se lamente et feint de résister et de pleurer. Un jeune garçon vêtu de la toge prétexte ouvre le chemin, en portant une torche d’aubépine (spina). Vient ensuite la jeune épousée, que soutiennent deux autres enfants. Derrière eux se forme un cortège appelé officium. Outre les amis du couple, qui chantent un chant d'hyménée et lancent des exclamations rituelles et des plaisanteries grivoises, il comprend des joueurs de flûte, un jeune garçon transportant dans un vase des ustensiles domestiques et des jouets pour les futurs enfants, et deux amies de la mariée portant le fuseau et la quenouille, symboles des vertus domestiques.

Procession de mariage. (Via histoire-en-questions.fr)

                                        Devant la maison de son époux, ornée de guirlandes de fleurs, la jeune femme en franchit le seuil portée par des hommes qui ne se sont mariés qu’une fois (pronubi) : elle ne peut entrer d'elle-même, car ce serait un mauvais présage (plusieurs explications différentes sont avancées). Avant de pénétrer dans sa nouvelle demeure, elle entoure les montants de la porte de bandes de laine. Son mari l'accueille avec l’eau et le feu du foyer - représentation probable de son acceptation au sein de la maison. Il lui demande ensuite son nom, et l'épouse répond : "Ubi tu Caius, ego Caia" ("Où tu seras Gaius, je serai Gaia"). La formule demeure mystérieuse à nos yeux. On lui remet ensuite les clefs de son nouveau foyer, tandis qu'elle offre trois pièces de monnaie - à son époux, aux Lares de sa nouvelle famille et au dieu du carrefour le plus proche.

"Nozze Aldobrandini" (D'après Pietro Santi Bartoli - ©Snotty via wikipedia.)


                                        La journée s'achève en général par un repas, la cena nuptialis, donné au domicile du mari. Enfin, au terme du festin, la jeune mariée est conduite dans l'atrium, où est installé le lit conjugal (lectus genialis), surélevé et couvert de fleurs. Nous jetterons un voile pudique sur la suite des évènements...

                                        Le lendemain matin, l'épouse revêt la stola et la palla des femmes mariées et accomplit plusieurs rituels religieux, dont une offrande aux Lares et aux Pénates. On donne parfois un troisième banquet, réservé aux proches des jeunes mariés. Voici enfin nos deux Romains mariés, pour le meilleur et pour le pire.


PENDANT CE TEMPS-LA, CHEZ LES CHRÉTIENS...


                                        Tout ce dont nous venons de parler concerne le mariage tel que l'appréhende le droit romain, et les pratiques religieuses sont liées aux croyances païennes. Or, le Christianisme ne cesse de se développer et de se diffuser, jusqu'à devenir religion d’État en  392. Dès lors, on peut aborder brièvement le mariage chrétien romain, principalement du point de vue légal.

                                        Ce qui différencie avant tout le droit romain du mariage chrétien, c'est le consentement : continu dans le premier cas, il n'est qu'initial dans le second. Autrement dit, le mariage peut être dissous dans le droit romain dès lors qu'il n'y a plus consentement, alors que le mariage chrétien est indissoluble. Cependant, le renvoi de la femme adultère est encouragé (voire obligatoire) mais le remariage interdit. Il faut donc distinguer le divorce de la séparation... Dans la pratique, le concubinage et les remariages étaient sans doute fréquents, et l’Église tempérera ses positions au cours des siècles.

Sarcophage montrant un couple, entouré de scènes bibliques. (©Ann Raia.)


                                        Autre différence majeure, l’Église chrétienne affirme la validité d'une union entre Chrétiens de différentes origines sociales ou ethniques. Y compris l'union d'un citoyen avec un(e) esclave. En revanche, il n'en va pas forcément de même en ce qui concerne les unions avec un non-chrétien... Dans la pratique, ces mariages sont nombreux mais, en théorie, tous n'y sont pas favorables : Tertullien les assimile à l'adultère et c'est pour Cyprien de Carthage une faute grave. Légalement, rien ne s'y oppose mais l'Empereur Constance punit de mort les mariages entre chrétiens et juifs. Enfin, l'accord du père n’est pas requis par l’Église, contrairement au droit romain.


EN GUISE DE CONCLUSION: PLACE DE L’ÉPOUSE.


                                        Avant de conclure, quelques lignes pour évoquer brièvement la place de la femme dans le mariage de la Rome antique - qui a radicalement changé, entre les temps archaïques et le Haut-Empire : au départ, elle est presque considérée comme un bien appartenant au chef de famille, auquel elle est soumise au même titre qu'un enfant. Le mariage est alors un devoir civique, une union en vue de la procréation, et non l'union de deux êtres qui se choisissent pour vivre ensemble. L'épouse semble alors moins être une compagne qu'un ventre, destiné à porter des enfants.

                                        Cependant - et s'il n'en est pas la seule cause -l'émergence du stoïcisme et, dans une moindre mesure à l'origine, du Christianisme, favorise des idées différentes qui contribuent à la transformation de l'idéal matrimonial. On peut par exemple opposer Sénèque à Cicéron, le premier estimant qu'une épouse doit être une amie, tandis que le second la considère comme une enfant sur laquelle il faut veiller.  Mais gardons-nous de toute simplification hâtive : après tout, n'oublions pas que, pour les stoïciens, le sexe doit avoir pour seul but la procréation et que l'amour y est perçu comme un sentiment aliénant. A contrario, Cicéron témoigne à son épouse Terentia des sentiments qui démentent ses belles théories :
"Je pars de Brindes le 29 avril; je vais à Cyzique en traversant la Macédoine. Ah! Quel désastre! Quelle douleur! Puis-je à présent te demander de me rejoindre, pauvre femme malade,à bout de force et de courage? Ne pas te le demander? Rester privé de ta présence? Voici, je crois, ce que je ferai: si je puis espérer rentrer, je te prierai d'aider à la réalisation de cet espoir; si en revanche, comme je le crains, c'en est fait, arrange-toi, par tous les moyens possibles, pour venir me retrouver. Une chose est certaine, sache-le bien: c'est que, si je t'ai auprès de moi, je ne me croirai pas tout à fait perdu." (Cicéron, "Ad Familiares", XIV - 4.)   

Couple marié, avec l’inscription : "Que vous vieillissiez ensemble." (©B. McManus.)

                                        Néanmoins, même si l'on accorde à la femme une plus grande estime et si elle est une compagne à part entière, respectée, écoutée et parfois consultée sur les décisions importantes, le mari reste en pratique le chef de famille. L'épouse n'est donc pas son égale et doit lui rester soumise. Les changements concrets, dans la question du mariage, sont à chercher ailleurs : l'adultère devient (théoriquement) aussi répréhensible de la part de la femme que du mari, et il lui est plus facile de divorcer.

                                        Le divorce, justement : je compte bien me pencher sur le sujet prochainement. Après tout et sans être cynique, le divorce est bien la conséquence du mariage ! Pour le meilleur ou pour le pire, selon la formule consacrée...Pour finir sur une plus jolie note, je conclus en citant Pline le Jeune, écrivant à son épouse Calpurnia :
"On ne saurait croire à quel point je souffre de votre absence, d'abord parce que je vous aime, ensuite parce que nous n'avons pas l'habitude d'être séparés. De là vient que je passe une grande partie des nuits à penser à vous; que, pendant le jour et aux heures où j'avais coutume de vous voir, mes pieds, comme on dit, me portent d'eux-mêmes à votre appartement; et que, ne vous y trouvant pas, j'en reviens aussi triste et aussi honteux que si l'on m'avait refusé la porte." (Pline Le Jeune, "Lettres" , VII - 5.)
Bague romaine portant les mots "Je t'aime trop peu" (sous-entendu, moins que ce que tu mérites...) (©B. McManus.)



12 commentaires:

  1. bravo pour celui-là aussi, tu m'aides beaucoup !

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  2. Merci ! Un devoir sur l'habillement ET sur le mariage pendant les vacances ?! Sacré prof que tu as là !! Mais toujours ravie d'être utile :-)

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  3. Super article ( comme d'hab' ;)
    J'adore ta façon d'expliquer :)

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  4. devoir de latin tu m'aides beaucoup !!!

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  5. Tant mieux, et merci d'avoir laissé un petit mot. Mais c'est moi, ou les profs manquent un peu d'imagination ;-) ?

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  6. Ce n'est pas une impression ! Merci pour ton aide (exposé de latin)

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  7. Tant mieux si cet article vous aide :-) Finalement, tant mieux si le sujet revient souvent dans les exposés...

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  8. boujour, est ce que vous savez de quand dates les deux bagues ou est ce que vous avez plus d'informations dessus? Je dois faire une presentation orale pour mon certificat et dois impérativement dire les dates!

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  9. La première : env. 300 avant J.C. La seconde : 3ème siècle après J.C.

    Les deux proviennent des collections du British Museum. Vous devriez trouver plus d'infos sur le site du musée...

    Bonne chance pour votre présentation :-) !

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  10. Mais de rien :-) !
    J'ajoute un petit mot pour Hermance, dont j'ai supprimé le commentaire par inadvertance : je m'appelle Fanny Lombard. Et je m'excuse platement pour la mauvaise manip'...

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