dimanche 29 juin 2014

Exposition : Splendeurs de Volubilis.


                                        A peine rentrée de Paris où j'ai visité les expositions consacrées à Auguste (Grand Palais) et Cléopâtre (Pinacothèque), me voici déjà repartie pour un nouveau musée. Cette fois, direction Marseille en compagnie de l'association Carpefeuch, pour y découvrir l'exposition "Splendeurs de Volubilis" qui se tient au MUCEM jusqu'au 25 Août prochain.

                                        Centrée sur les bronzes mis au jour sur le site de l'antique Volubilis, au Maroc actuel, cette exposition présente la production artistique du bassin méditerranéen à l'apogée de l'Empire romain, soit entre le Ier siècle avant J.C. et le IIème siècle de notre ère. Bien que découverts sur le territoire du royaume de Maurétanie, ces bronzes n'ont sans doute pas été produits sur place : mis en parallèle avec d'autres œuvres issues de différentes zones géographiques du pourtour méditerranéen, ils illustrent la romanisation de la région, mais aussi la manière dont se diffusent alors les modèles artistiques et l'évolution de la statuaire entre la République romaine et l'Empire. Remarquable par la quantité et la qualité des œuvres exposées, la manifestation se présente selon trois axes : une mise en contexte archéologique et géopolitique, la diffusion du goût et des modèles artistiques à travers le monde méditerranéen, et enfin les techniques du bronze à proprement parler.


De la Numidie à la Maurétanie Tingitane.


                                        Située en Afrique du Nord, la Maurétanie s'étendait des rivages de la Méditerranée et de l'océan Atlantique jusqu'à est de l'Algérie actuelle. Impliqué dans les guerres puniques, le royaume est entré dans la sphère d'influence de Rome dès le IIème siècle avant J.C.  Allié de Pompée, le Roi numide Juba Ier se suicide en 46 avant J.C. lorsqu'il est vaincu par César. Son fils, alors âgé de 5 ou 6 ans, est emmené à Rome en tant qu'otage : recueilli par la sœur du futur Empereur Auguste, il est éduqué comme un Romain, au cœur de la famille impériale. Ainsi "romanisé", marié à Cléopâtre Séléné (fille de Cléopâtre et de Marc Antoine), il est habilement placé par Auguste sur le trône laissé vacant par son père, sous le nom de Juba II : son ascendance fait de lui un souverain légitime aux yeux des siens, mais la formation reçue à Rome garantit sa fidélité à l'Empire.

                                        Juba II est connu à son époque comme un roi érudit et philosophe. Auteur de traités sur l'Histoire, le théâtre, la peinture, la médecine, etc., il est épris de culture gréco-latine et importe de nombreuses œuvres d'art, reproduisant les goûts artistiques en vogue à Rome. Les riches notables ne tardent pas l'imiter, favorisant la diffusion de la sensibilité artistique romaine en Maurétanie.

Buste de Juba II. (Musée archéo. de Rabat - © Ministère de la culture, Royaume du Maroc - Photo MuCEM/Y. Inchierman.)

                                        La pièce-phare de cette exposition, qui accueille le visiteur dès l'entrée, c'est justement un buste de Juba II. Ce portrait idéalisé reprend tous les éléments de la sculpture de tradition hellénistique (période s'étendant du IVème au IIème siècle avant J.C.) : le jeune homme au visage imberbe et à la chevelure aux boucles désordonnées, ceinte d'un bandeau royal, affiche une expression pensive. Il s'oppose à celui de son père, Juba Ier, exposé dans la même salle et qui montre un homme aux traits pleins et volontaires, portant la barbe.

                                        En 40, Ptolémée, le fils de Juba II, est assassiné par Caligula. La Maurétanie est alors divisée en deux provinces romaines : la Maurétanie césarienne à l'est avec pour capitale Lol (ou Césarée - actuelle Cherchell en Algérie), et la Maurétanie Tingitane à l'ouest (Capitale Tingis, actuelle Tanger.) Territoire riche où l'on cultive l'huile et les céréales, la Maurétanie Tingitane devient une région prospère, et elle le restera jusqu'au déclin de la présence romaine en Afrique, au IIIe siècle.

                                        Et Volubilis, dans tout ça ? Située au nord de Meknès, au cœur d'un centre de production oléicole, la cité se développe lorsqu'elle devient une des résidences de Juba II. Devenue romaine à la mort de Ptolémée, elle poursuit son essor et atteint à son apogée la superficie de 42 hectares. Sous l'Empire, on y bâtit de nombreux monuments publics témoignant de la romanisation du site (forum, temples, thermes), tandis que les élites locales copient le mode de vie des patriciens en construisant de vastes demeures, ornées de mosaïques et statues reproduisant le goût romain.  La cité est progressivement abandonnée lorsque l'administration romaine la quitte en 285. Il faudra attendre le début du XXème siècle pour que le site soit identifié et qu'une campagne de fouilles archéologiques soit lancée. Seul 10% des vestiges ont été étudiés pour l'instant... Ce qui laisse espérer d'autres belles trouvailles, au vue des œuvres montrées par le MUCEM !


La circulation des goûts et des modèles.


                                        J'avais choisi d'aborder l'exposition "Moi Auguste, Empereur de Rome" en adoptant comme axe principal l'évolution de la statuaire et la diffusion des portraits impériaux dans l'Empire romain. Or, c'est précisément l'une des thématiques retenue par le MUCEM pour accompagner la présentation des œuvres exposées. La première moitié de cette deuxième salle montre ainsi plusieurs bustes ou portraits de membres de la famille impériale (un prince Julio-Claudien ou Agrippine par exemple) et d'Empereurs (Auguste, Tibère, Néron ou Marc Aurèle). Portraits standardisés, ils sont diffusés à l'identique sur tout le territoire romain, de sorte que les différents personnages sont facilement identifiables. La tête d'Auguste présente ainsi des caractéristiques communes avec l'Auguste de la Prima Porta, visible au Grand Palais - jusque dans la disposition des mèches de cheveux, retombant sur le front.


Marc-Aurèle. (Musée du Louvre -© RMN-Grand Palais-Musée du Louvre / Stéphane Maréchalle.)

                                        Parmi cette galerie de portraits, celui de Caton (époque flavienne) retient particulièrement l'attention. Homme politique de la fin de la république, connu pour ses positions conservatrices, Caton a rallié le camp de Pompée contre Jules César, et il se suicide après la déroute des troupes pompéiennes. Contrairement au portrait de Juba II, qui illustrait un idéal de beauté dans le style hellénistique, ce buste de Caton est beaucoup plus réaliste. Toutefois, l'expression hautaine, le visage fermé, les rides marquées et les traits sévères traduisent cette image d'austérité et de droiture morale attachée au personnage.

Buste de Caton. (Musée archéo de Rabat - © Ministère de la culture, Royaume du Maroc. Photo MuCEM/Y.Inchierman.)


                                        Cette section montre aussi, par la confrontation d’œuvres de la même époque, l'évolution de la statuaire antique et les différents courants artistiques. Référence incontournable en la matière,  la sculpture grecque du Vème au IVème siècle avant J.C. inspire les artistes du bassin méditerranéen. Dans un mouvement cyclique, les artistes de l'Empire romain la copient, s'en inspirent ou s'en éloignent, au gré des goûts et des modes. Le commerce et la circulation des individus qui permet la diffusion des œuvres génèrent dans l'Empire une production uniforme, présentant néanmoins de subtiles variations.


Éphèbe couronné de lierre. (Musée de Rabat - ©Ministère de la culture, Royaume du Maroc. Photo MuCEM/Y. Inchierman.)

                                        Parmi les copies d’œuvres grecques, "L'éphèbe couronné de lierre" reprend ainsi tous les codes de la sculpture hellénistique : nu et musclé, il suit le canon développé par Polyclète, selon lequel les proportions des différentes parties du corps répondent à des rapports numériques précis. Il illustre également une autre technique développée par le maître grec, à savoir le contrapposto - déhanchement qui atténue la raideur de la posture, et qui sera repris en leur temps par les sculpteurs de la Renaissance, et notamment Michel-Ange (Et Rodin bien plus tard. Comme quoi, la sculpture, c'est comme la mode selon Karl Lagerfeld : un éternel recommencement !) La "Tête de Bénévent", qui date du Ier siècle avant J.C., s’inspire également du style de Polyclète et de cet Idéal de beauté : expression paisible, lèvres charnues, nez droit. Une autre statue, celle de l'"éphèbe verseur", est cette fois inspirée de Praxitèle : si elle respecte les mêmes codes de beauté idéalisée, le corps est plus féminin, les courbes plus douces.

Tête dite "de Bénévent". (Musée du Louvre - © RMN-Grand Palais / musée du Louvre.)


                                        Deux autres bronzes se distinguent toutefois nettement : le Cavalier et le Cheval. Datant du règne d'Hadrien, ils se détachent cette fois de la période classique pour reprendre les codes d'une période plus ancienne, l'époque archaïque (VIème - Vème s. avant J.C.) La simplicité des lignes, la raideur de la posture, la chevelure symétrique coiffée en calotte plate sont typiques de ce style plus sobre et plus sévère, répondant sans doute au goût de l'Empereur pour la culture grecque.


Éphèbe verseur, cheval et cavalier. (De g. à d.)


                                        Si les sculptures romaines s'inspirent largement de la statuaire grecque, les artistes ne se contentent pas de copier ou imiter leurs œuvres. A l'imitatio des canons classiques répond l'emulatio, tentative de dépasser le modèle dans le respect des codes et de l'idéalisation du personnage. Mais on découvre aussi, dans la sphère domestique, tout un répertoire plus réaliste qui représente par exemple des situations ou des personnages du quotidien. Par exemple, la statue du "vieux pêcheur" : le vieil homme aux traits burinés est vêtu d'un exomis - tunique courte portée par les ouvriers et les soldats ; la calvitie, les veines saillantes, les rides montrent bien le traitement très réaliste du sujet. On admire aussi un chien en position d'attaque, prêt à bondir. Il s'agit en fait d'une bouche de fontaine, accompagnant à l'origine la déesse Diane.


Statue du "vieux pêcheur."

Le savoir-faire du bronze.


                                        Malgré la quantité de statues découvertes à Volubilis, aucun atelier ne semble s'y être implanté.  On suppose donc que les bronzes qui ont été mis au jour n'ont pas été fabriqués sur place mais importés. Il est cependant difficile de localiser et identifier les ateliers des bronziers car ceux-ci étaient itinérants, et donc temporaires. La plupart des bronzes ont été réalisés en fonte en creux à la cire perdue sur positif (voir schéma ci-dessous). Cette technique supposant la destruction du moule après usages, les œuvres ainsi produites sont uniques. La dernière salle de l'exposition explique les étapes de la fabrication des bronzes à travers plusieurs dispositifs et schémas.


Technique de la fonte en creux à la cire perdue. (via le site www.college-plaisance.net )

                                        Le bronze est un alliage de cuivre et d'étain, auquel on ajoute parfois du plomb. Les statues de Volubilis telles qu'on peut les voir aujourd'hui ont perdu leur couleur d'origine - une teinte bronze (logique !!), plus ou moins dorée ou rosée selon la composition de l'alliage. Les artisans antiques tentaient de produire des bronzes polychromes, en jouant sur les proportions du mélange ou en ajoutant de l'argent - par exemple pour colorer les yeux, les vêtements, etc. Ils appliquaient également sur les statues des effets de patine, et altéraient la couleur du bronze sur certaines zones en appliquant des produits oxydants.

                                        Superbe exemple de ces diverses techniques, le dernier objet exposé est un fragment de statue représentant un manteau impérial (paludamentum). Il date du début du IIIe siècle et la grande variété de patines donnent aux pans des teintes noires, violacées, vertes, dorées... Très décoré, le manteau est orné de trophées, de deux captifs barbares (respectivement parthe et breton.) Les historiens pensent qu'il appartenait à une statue de Caracalla.

Retombée de paludamentum. (Musée de Rabat - ©Ministère de la culture, Royaume du Maroc. Photo MuCEM/Y. Inchierman.)


                                        "Splendeurs de Volubilis" s'inscrit à merveille dans une institution dédiée aux cultures méditerranéennes, dans leurs spécificités comme dans ce qui les unit. Très bien construite, elle montre bien la diffusion d'un modèle de statuaire dans la Méditerranée antique, ainsi que ses évolutions. Une petite exposition, dans une ambiance intimiste, mais présentant de véritables chefs d’œuvre de l'art antique. Une jolie découverte !





Splendeurs de Volubilis - jusqu'au 25 Août 2014.

MUCEM - www.mucem.org
7 promenade Robert Laffont (esplanade du J4)
13002 Marseille


Tous les jours sauf le mardi, de 9H à 20H.
Tarifs : 8€ / 5€ (tarif réduit)

Réservations et renseignements : 04 84 35 13 13.






2 commentaires:

Sylviane a dit…

Ton long silence de 3 semaines "annoncé" est pardonné 4 articles en 10 jours….ce n'était pas des vacances de farniente mais encore et toujours une quête de nouveaux renseignements. Merci de nous les faire partager sur ton blog qui est d plus en plus absolument INDISPENSABLE !

FL a dit…

Merci beaucoup ! :-) J'apprécie d'autant plus le compliment qu'il vient de toi, dont j'adore les émissions radio. Tant pis si cet échange fait un peu "Bisounours" : après tout, les Bisounours sont gentils, sincères et très mignons ! (Mais pas très antiques...)