En plein cœur de l'été, la plupart d'entre vous sont sans doute en vacances, sur le point de partir ou viennent juste de rentrer. En guise de clin d’œil, je consacre aujourd'hui un billet à une expression, surtout connue comme titre de film : "Vacances Romaines".
Le film en question date de 1953. Réalisé par William Wyler, il met en scène Audrey Hepburn dans le rôle de la Princesse Anne, héritière d'un royaume fictif. En visite dans les grandes capitales européennes, la Princesse est fatiguée de l'emploi du temps et du strict protocole auxquels elle est soumise. Un soir, elle fausse compagnie à son royal entourage et fugue dans les rues de Rome. Elle y rencontre Joe Bradley (Gregory Peck), correspondant d'un journal américain, qui accepte de la recueillir chez lui pour la nuit sans connaître sa véritable identité. Lorsqu'il comprend que son invitée n'est autre que la princesse, Joe décide de saisir sa chance et propose à son rédacteur un scoop : un reportage exclusif sur la fugitive. Mais en arpentant la capitale italienne en sa compagnie, le journaliste tombe sous le charme d'Anne...
Même si vous n'avez pas vu le film, vous en devinez aisément la suite - ce qui ne doit pas vous dissuader de le découvrir : grand classique de la comédie romantique, avec une Audrey Hepburn toujours aussi irrésistible, ce petit bijou est un incontournable que je ne saurais trop vous recommander. Vous me remercierez plus tard pour le conseil car, pour l'instant, je sens surtout poindre l'interrogation : quel rapport avec l'Antiquité romaine ?! En ce qui concerne le scénario, aucun !
En fait, tout tient dans le titre : "Vacances Romaines", ou "Roman Holiday" en version originale. Cette expression est attestée en Anglais depuis la fin du XIXème siècle, et son sens premier est bien éloigné de l'ambiance légère et fleur bleue de la célèbre comédie américaine... A l'origine, "Roman holiday" s'emploie dans la langue de Shakespeare pour parler du plaisir ressenti devant un spectacle violent, puis par extension devant la douleur ou les malheurs d'autrui. Une forme de sadisme, en quelque sorte. Or, elle apparaît pour la première fois dans un poème de Lord Byron, intitulé "Le Pèlerinage de Childe Harold". L'auteur y fait référence à un gladiateur, massacré pour le plaisir de la foule.
"Le Pèlerinage de Childe Harold" est un long poème narratif divisé en quatre chants, publié entre 1812 et 1818. Byron y décrit les voyages et les réflexions personnelles d'un jeune homme blasé, qui ne nourrit plus aucune illusion quant aux plaisirs de la vie et que seule apaise la contemplation des paysages étrangers qu'il découvre au cours de son périple. Il parcourt ainsi le Portugal, l'Espagne, l'Albanie et la Grèce, mais aussi la Belgique, l'Allemagne et les Alpes, avant de visiter Venise et Rome.
Portrait de Lord Byron. (Par Thomas Phillips - 1814.) |
Composés en pleine domination napoléonienne sur l'Europe, ces chants sont autant un manifeste romantique qu'un cri de révolte contre l'oppression - qu'elle soit française en Espagne ou turque en Grèce, par exemple. Tel est le sens, éminemment politique, de la métaphore du gladiateur dace citée dans le quatrième chant, et où l'on trouve l'expression de "roman holiday" :
"Je vois devant moi le gladiateur étendu sur l'arène; il repose sa tête sur sa main; son mâle regard consent à mourir, mais il déguise son agonie; et sa tête penchée s'affaisse graduellement; les dernières gouttes de son sang, qui sort lentement de sa rouge blessure, tombent épaisses et une à une, de son flanc, comme les premières gouttes d'une pluie d'orage; mais déjà l'arène tournoie autour de lui: il succombe avant qu'aient cessé les acclamations barbares qui applaudissent son misérable vainqueur.
Il les a entendues, mais il ne s'en est point ému. Ses yeux étaient avec son cœur, bien loin du cirque. Il se souciait peu de la vie qu'il perdait sans gloire; mais sa pensée se portait où s'élevait sa hutte sauvage sur les rives du Danube, là où ses jeunes enfants barbares se livraient aux jeux de leur âge; là où était leur mère de la Dacie. Lui, leur père, était égorgé pour une fête romaine (NDR : voilà le "Roman holiday"!) Toutes ces pensées se précipitent avec son sang. Expirera-t-il sans être vengé? Levez-vous, peuples de Goths! et venez assouvir votre implacable fureur!"
(Lord Byron, "Le Pélerinage de Childe Harold", Chant IV - 140 et 141.)
Dans le cadre du poème, on traduit la locution par "fête romaine" ; en revanche, "vacances romaines" était de toute évidence mieux adapté au film avec Audrey Hepburn. Il n'empêche que, s'il ne fait pas explicitement référence aux vers de Lord Byron, ce titre rappelle une expression qui, à l'origine, renvoyait à l'Antiquité et au goût supposé des Romains pour le sang. Personnellement, je préfère prendre en compte le sens donné par le titre du film - aussi charmant que le sourire de l'adorable Audrey...
J'ajoute que, surtout en matière de poésie, la traduction ne vaut jamais le texte original. Vous pouvez donc le lire en ligne, sur wikipedia, ici.
merci Fanny pour ce sujet cinématographique… et romain bien sûr ! tous les chemins mènent à Rome, c'est bien connu.
RépondreSupprimerEt c'est une bonne occasion pour moi de parler d'un film que j'adore. C'est mon côté midinette...
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