mercredi 11 avril 2012

Les origines de Rome.

                                        Cela fait peu de temps que je tiens ce blog et vous avez certainement remarqué que les sujets que j'y traite ne sont pas abordés de façon chronologique. Pour être honnête, je n'établis aucun plan, et j'écris mes billets selon mes lectures, mes visites, ou lorsqu'une idée me vient. Plus qu'un simple caprice, il s'agit d'un choix délibéré : je me sentirais limitée par une approche linéaire de l'Antiquité romaine, car elle m'imposerait un rythme, des règles et des thèmes dont je peux plus facilement m'affranchir en n'en faisant qu'à ma tête ! De plus, d'autres l'ont fait avant moi, et je n'ai pas la prétention de les égaler... Pourtant, il fallait bien que je me décide, à un moment ou à un autre, à vous parler des origines de Rome. C'est donc ce que je m'apprête à faire aujourd'hui...

                                        Encore faut-il savoir de quoi l'on parle. En effet, la naissance de le ville qui allait devenir le cœur de l'Empire peut être présentée de deux façons : historique et mythologique. Dans le premier cas, on se rapportera aux découvertes archéologiques et aux rares écrits qui nous sont parvenus ; dans le second, on relatera l'histoire de Romulus et Remus. C'est de ce second aspect que nous allons traiter.

                                         Signalons tout d'abord que la légende de Romulus et Remus est bien postérieure aux évènements qu'elle relate. Au néolithique, la péninsule italienne était occupée par les Ligures. Ils en furent chassés à l'âge du Bronze principalement par les Italiotes, venus d'Europe centrale.  C'est au XIIème siècle avant J.C. que se situe la légende d’Énée, début du mythe des origines de Rome. Vers l'an 1000 avant notre ère, les Étrusques arrivent sur le territoire : chassés d'Asie mineure par les Doriens, ils assimilent petit à petit les Italiotes, notamment grâce à leur culture extraordinairement riche. Viendront ensuite les colons grecs, qui s'établissent en Sicile et dans le Sud de l'Italie, à partir du VIIIème siècle avant J.C. Enfin, l'année 753 avant J.C. marque la fondation légendaire de Rome. Voilà, en gros, quelles sont les origines du peuplement en Italie.

                                         La fiction n'est pas toujours plus excitante que la réalité, mais force est de constater qu'ici, c'est le cas ! Vous avez entendu parler de la guerre de Troie ? Et bien, notre histoire commence un peu avant. Vénus - qui allait bientôt semer la zizanie que l'on sait entre Grecs et Troyens - tombe amoureuse d'Anchise. De cette union naît un fils, Énée, qui devient le gendre du roi de Troie, Priam. Quelques années plus tard, le fils de Priam, Pâris, est sollicité pour arbitrer un concours de beauté entre Athéna, Héra et Venus. La suite, on la connaît : Vénus achète son vote en lui offrant l'amour de la belle épouse du roi Ménélas, Hélène, et c'est le début des ennuis. Pâris ramène Hélène à Troie, le mari bafoué lève une armée et s'embarque avec une flopée de guerriers grecs (dont Achille et Ulysse. Excusez du peu !) pour aller récupérer sa femme et ficher une dérouillée aux Troyens. Ce qui prendra 10 ans. Finalement, les Troyens font entrer à l'intérieur de la ville un cheval de bois géant laissé devant leur porte par leurs ennemis, ce qui n'est pas très malin parce que : primo, que comptaient-ils faire d'un cheval de bois géant ? ; et secundo, des Grecs étaient cachés à l'intérieur, prêts à ouvrir les portes de la ville à leurs camarades. Résultat : Troie est incendiée et entièrement détruite, et ses habitants sont presque tous massacrés. Énée fait partie des survivants : portant son père aveugle et paralysé sur son dos, tenant son fils Ascagne par la main, il fuit les ruines de la cité et, réunissant quelques compagnons rescapés, il prend la mer à la recherche d'une nouvelle patrie...

Énée et Anchise, représentés fuyant Troie. (Statue de Pierre Lepautre)
  
                                          La joyeuse équipe parcourt la Méditerranée, et Énée tente de se fixer à plusieurs reprises. Il fait escale en Thrace, à Délos, en Crète... Mais les Dieux - et en particulier Héra - sont contre lui et ne cessent de lui mettre des bâtons dans les roues. Anchise meurt en Sicile, et Énée poursuit sa route, s'arrêtant à Carthage, où la Reine Didon s'éprend de lui. Zeus ne l'entend pas de cette oreille : il lui intime l'ordre de planter là sa maîtresse, et de repartir. Énée obéit, et tant pis si Didon se suicide ! Finalement, notre héros débarque par hasard sur les rives du Tibre, là où Saturne avait trouvé refuge après avoir été détrôné par son fils - Zeus, encore ! Comme quoi, le Tibre était le rendez-vous des exilés... Bref : le descendant de Saturne, Latinus, comprend vite en rencontrant Énée qu'il n'a pas à faire au perdreau de l'année, et il lui donne en mariage sa fille, Lavinia. Évidemment, comme elle est promise à Turnus, roi des Rutules, ça pose un léger problème - mais rien qu'une bonne guerre ne puisse régler ! Turnus attaque Latinus et Énée : il est finalement vaincu, mais Latinus meurt dans la bataille. Énée lui succède, fonde la ville de Lavinium en l'honneur de son épouse et donne le nom de Latins à son peuple. C'est sur cet épisode que s'achève le poème de Virgile, "L’Énéide".

                                          Voyons la suite : à la mort d’Énée, son fils Ascagne lui succède. (Pour information, on l'appelle aussi Iule, et il serait à l'origine de la gens Iulius - celle de César, ce qui vous explique pourquoi le dictateur se réclamait descendant de Vénus. ) Ascagne crée la ville d'Albe-La-Longue, et fonde une dynastie qui comptera dix rois. A la mort du dixième, Procas, ses enfants s'affrontent violemment pour prendre le pouvoir. L'aîné, Numitor, est renversé par son frère, Amulius. Tant qu'il y est, ce dernier en profite pour tuer son neveu et obliger sa nièce Rhéa Silvia à se vouer au culte de Vesta : c'est bien pratique, puisque ça l'oblige à rester vierge sous peine de finir enterrée vivante, ce qui évite que d'éventuels enfants viennent plus tard réclamer le trône à Amulius.

                                          Hélas, c'était compter sans le Dieu de la guerre, Mars, qui tombe sous le charme de la jeune vestale. Et hop ! La voilà mère de deux jumeaux,Romulus et Remus. Fou de rage, Amulius jette les deux enfants dans le Tibre en crue, mais le fleuve les dépose au pied du mont Palatin, sous un figuier où ils sont recueillis et allaités par une louve. Le berger Faustulus, constatant le prodige, prend les jumeaux sous sa protection et les confie à sa femme, Larentia. Selon Tite-Live et Plutarque, Larentia était en fait une prostituée, ce qui lui aurait valu le surnom de lupa (la louve). D'où la légende, le mot étant réinterprété dans un sens plus symbolique.


Louve capitoline, allaitant Romulus et Remus. (Musée du Capitole, Rome.)


                                           A 18 ans, Romulus et Remus découvrent le secret de leur naissance : prenant les armes, ils rétablissent leur grand-père Numitor sur le trône et massacrent leur oncle Amulius. Puis ils partent fonder leur propre ville, optant pour le site où ils ont naguère été rejetés par le Tibre. Reste à déterminer, qui de Romulus ou de Remus, sera le roi de cette nouvelle cité. Les deux frères consultent le vol des oiseaux, remettant la décision entre les mains des Dieux. Sur le score de 12 vautours à 6, ceux-ci désignent Romulus haut-la-main. A l'aide d'une charrue, le vainqueur trace immédiatement le sillon marquant les limites de la ville (le pomerium, de post murum : derrière le mur). Mais Remus prend cette histoire à la rigolade et, par dérision, franchit d'un bond la frontière symbolique. Mauvaise idée : Romulus ne plaisante pas avec SA ville, et il fend le crâne de son jumeau, histoire de faire un exemple. Voilà pour la naissance de Rome.

                                           Ensuite... Et bien, Romulus entreprend de construire la cité, mais il n'a personne pour la peupler. Convenons-en : c'est embêtant ! Il fonde donc sur le Capitole un asile, afin de recueillir tous les traîne-savates, brigands et malfaiteurs des environs, et se proclame roi de cette joyeuse engeance. Oui, mais il faut aussi des femmes ! Qu'importe, Romulus a un plan : il invite ses voisins, les Sabins, à venir à Rome célébrer des jeux en l'honneur du Dieu Consus et, pendant la fête, il fait enlever les femmes des Sabins. On se doute que ces derniers ne vont pas se laisser faire. Une guerre sanglante éclate entre les deux cités et après bien des rebondissements, Jupiter accepte d'accorder la victoire à Romulus en échange d'un joli Temple. La paix est signée, et Sabins et Romains signent une alliance.

                                           Du reste du règne de Romulus, on sait peu de choses. Sa mort, par contre, est aussi extravagante que sa naissance. Au bout de 33 ans de règne, Romulus est enlevé dans les cieux par son père Mars au cours d'un orage. Peu après, il apparaît, auréolé d'un halo de lumière surnaturelle, à un Sénateur (l'histoire ne précise pas si ce dernier était porté sur la bouteille) auquel il ordonne qu'on le proclame Dieu et qu'on l'honore sous le nom de Quirinus. Selon d'autres versions, Romulus aurait agi en véritable despote - à tel point que les Sénateurs, à bout de nerfs, l'auraient taillé en pièces.

                                           Si la seconde version est la plus réaliste, elle n'exclue cependant pas une question essentielle : y a-t-il quoi que ce soit de vrai dans toute cette histoire ?! Et, plus précisément encore, Romulus a-t-il réellement existé ? A priori, la réponse est non : Romulus ne serait qu'un héros imaginaire. Mais au fond, peu importe qu'il ait été ou non un personnage réel : cet épisode mythologique, omniprésent dans l'esprit des Romains, est une justification de la fondation de leur ville, en même temps qu'il apporte la preuve de ses origines divines, et donc de leur légitimité à dominer le monde. C'est en cela que l'origine légendaire de Rome a finalement pris le pas sur la réalité historique.

                                           Pour en savoir plus, notamment sur les liens entre la légende et la réalité historique, je recommande la lecture du livre "Romulus" de Thierry Camous (Biographie Payot). Ouvrage fouillé et érudit, parfois un peu complexe, il éclaire cependant de façon passionnante le mythe de la fondation de Rome, et vous permettra d'en savoir plus sur ce sujet.

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