jeudi 10 mai 2012

Les gladiateurs - Partie 1.

                                        Chose promise, chose due ! Dans le billet que j'ai consacré aux jeux dans l'antiquité romaine, je n'ai pas cessé de vous répéter que je reviendrai plus longuement sur la gladiature. Je tiens donc mes promesses, et vous allez voir que j'avais une bonne raison de prendre mon temps pour traiter ce sujet, trop riche pour être expédié en quelques lignes. D'ailleurs, je vais même rédiger un article en deux parties. Comme d'habitude, je prends soin de préciser que, n'étant pas une spécialiste, je ne prétends pas être exhaustive. De même, si vous avez des remarques ou des précisions à apporter, vos e-mails seront les bienvenus... Pour commencer, voyons donc quels étaient les différents types de gladiateurs, et comment se déroulait un combat.

TYPES DE GLADIATEURS.

                                        Il existait différents types de gladiateurs ou "armaturae", terme désignant l'armement ou l'équipement du combattant. Il en existait au moins une vingtaine de différentes, mais seules quelques-unes sont connues avec précision. Pour les autres, on en est réduit à des suppositions, à partir de rares sources pas toujours concordantes... A noter que l'on qualifie parfois les gladiateurs de gladiateurs lourds ou légers : cette distinction ne correspond pas à leur poids (comme pour nos boxeurs) mais à celui de leur armement et de leur panoplie. Ainsi, le rétiaire à l'équipement réduit sera plus "léger" que l'hoplomaque, armé de pied en cap.


 
Le Samnite est la catégorie la plus anciennement attestée. (Cf. l'histoire de la gladiature.) Très répandu à l'époque républicaine, il disparait sous le règne d'Auguste, pour laisser la place au secutor sous Caligula.
Équipement : casque à plumeau, épée courte et droite, une manica protégeant la main qui tient l'épée, jambière gauche et un long bouclier rectangulaire (scutum).
Adversaire : un autre Samnite.





 
Le Gaulois : contemporain du Samnite, il disparaît au début de l'Empire.
Equipement : casque, grand bouclier (scutum), longue épée avec laquelle il frappe à la taille.
Adversaire : un autre Gaulois.



Le Thrace. 
Équipement : casque à rebord (galea) ultérieurement doté d'une visière puis d'une grille, une manica, un bouclier petit, rond ou carré (parma), deux jambières (ocrae) montant jusqu'aux cuisses, dague courbée et tranchante des deux côtés de la lame (sica).
Adversaire : à l'origine, il combattait un autre thrace mais, sous l'Empire, il devient l'adversaire du mirmillon. 
 





Le Mirmillon: il dérive directement du gladiateur gaulois de l'époque républicaine. Son nom vient du poisson mirmille décorant son casque.
Équipement :  casque orné d'un poisson, grande épée (scutum), dague, large bouclier rond ou hexagonal. Adversaire : Opposé au rétiaire avant l'apparition du secutor, il affronte ensuite le thrace ou l'hoplomaque.







Le Secutor (celui qui poursuit).
Équipement : glaive (gladius), bouclier long , jambière gauche, casque sans rebord surmonté d'un court cimier.
Adversaire : le rétiaire, le casque décrit ci-dessus n'offrant pas de prise au filet de ce gladiateur.


Photo Flickr

Le Rétiaire: le plus reconnaissable des gladiateurs. Si, a priori, il est nettement défavorisé par rapport à son adversaire traditionnel, le secutor, il a pour lui la légèreté de son équipement, qui lui offre une plus grande rapidité d'action. Le but du jeu, en gros, c'est de prendre l'adversaire dans le filet et / ou de le blesser à coups de trident...
Équipement : Sa tête est découverte, mais il est protégé par une manica, des chevillères et par le galerus, une large épaulière couvrant la base du cou. Il est armé d'un filet, d'un poignard et d'un trident (fuscina).
Adversaire : le secutor.





L'hoplomaque.
Équipement : protections aux bras, ocrae à la jambe gauche, casque à aigrette, épée droite (gladius) et bouclier comparable à celui du Samnite (scutum).

Le Provocator. Les gladiateurs débutants commençaient par cette armatura, avant de se spécialiser. Comme son nom l'indique, sa technique de combat consistait à provoquer l'adversaire, puis à riposter brutalement.
Équipement :  casque, bouclier (scutum encore), épée - la spatha, plus longue que le gladius.
Adversaire : l'hoplomaque.








L'Equites : combattant à cheval
Équipement : courte tunique, casque à visière, petit bouclier rond, lance et épée courte, pour pouvoir poursuivre le combat à pied.
Adversaire : un autre Equites.

L'Essedari : il apparaît sous le règne de Claude et rappelle les soldats bretons montés sur des chars légers, affrontés par les Romains lors de la conquête de la Bretagne. On ignore si le char comptait un seul combattant, lançant le javelot, ou s'il était accompagné d'un cocher, chargé de conduire le char.

Si ces gladiateurs sont les plus connus, d'autres restent beaucoup plus mystérieux. Parmi eux, le crupellaire dont l'équipement était si lourd qu'il était incapable de se relever en cas de chute, le dimachère qui combattait avec une épée dans chaque main, le caqueari - étrangleurs à lacet -, le laquearius, sorte de rétiaire avec un lasso à la place du filet. Citons encore les sagittarii (tireurs à l'arc). 

                                        Signalons également un fait peu connu, intimement lié à l'idée que nous avons du monde des gladiateurs : à savoir un univers masculin où de gros costauds, gonflés de testostérone, s'opposent dans une lutte virile où les femmes n'ont pas leur place - si ce n'est dans les gradins. Sauf que... Bin non. En réalité, il y a eu des femmes "gladiatrices" ! Elles apparaissent sous le règne d'Auguste, et le phénomène se développe sous Néron. Celui-ci ne s'intéresse guère au spectacle de deux sauvages se tapant dessus à coups de glaives : artiste, il lui préfère celui offert par la beauté de deux guerrières... qui se tapent dessus avec des glaives, mais avec nettement plus de grâce ! Des écrits de Juvenal, Martial ou Dion Cassius abordent également le sujet, de façon détaillée quoique brève. La gladiature féminine, bien que marginale,  se poursuivra jusqu'en 200, date à laquelle Septime Sévère leur interdit définitivement cette pratique.

Bas-relief représentant des femmes gladiatrices (gladiatrix) à Halicarnasse.

DÉROULEMENT D'UN COMBAT.

                                       Je ne le répéterai jamais assez : dès que l'on parle de gladiature, nous sommes englués dans un imaginaire, prisonnier d'idées reçues qui nous font immédiatement visualiser un combat sanguinaire entre deux brutes épaisses, une boucherie ne s'achevant que sur la mort d'un des deux protagonistes, lorsque l'empereur baisse le pouce en signe de condamnation. Ce qui est pour le moins éloigné de la réalité. Comment se déroulait un combat ? Quelles étaient les règles ? Et à quelles idées reçues doit-on tordre le cou ?

                                        Avant le combat avait lieu la pompa : précédés des musiciens, des arbitres et des hommes chargés de porter des pancartes indiquant leur nom et leur palmarès , les gladiateurs, revêtus d'armures de parade ouvragées, faisaient le tour de l'arène, sous les vivats de la foule, les acclamations de leurs supporters et parfois les huées des autres. A la suite de cette présentation, les combattants s'échauffaient, sans armes, devant le public (c'est la prolusio), tandis que les organisateurs vérifiaient le tranchant des épées - sauf au cas où les munera (combats) se faisaient avec des armes émoussées, comme c'était parfois le cas. Puis les gladiateurs quittaient la piste pour attendre leur tour. 

                                      La paire de gladiateurs devant s'affronter était appelée, et les hommes s'avançaient alors vers le loge de l'Editor (qui avait financé les jeux), et le saluait en levant leurs armes. Au passage, notez que la phrase "morituri te salutant !" ("ceux qui vont mourir te saluent !") n'est aucunement prononcée... En réalité, elle a été utilisée une seule fois, lors d'une naumachie (combat naval dans un amphithéâtre inondé) organisée par l'Empereur Claude. Plusieurs esclaves devaient s'y affronter et, avant l’engagement du combat, ils sont venus saluer l'Empereur en criant le fameux : "Ave Caesar !  Morituri te salutant". Et Claude de répondre en plaisantant : " ceux qui vont mourir... ou pas !", sous-entendant que les meilleurs seraient graciés. Sauf que les esclaves ont interprété la réplique d'une toute autre manière, et ont cru à une grâce générale ! Ravis, ils poussèrent des cris de joie et jetèrent leurs armes en l'air - à la grande fureur du public ! Au final, Claude expliqua aux esclaves :  "non, les gars, vous m'avez mal compris..." (je paraphrase un peu) et la naumachie eut lieu. Ce fut une catastrophe : les esclaves n'avaient plus le cœur à se battre, le public était enragé, et Claude dut faire profil bas...

                                       Pour en revenir à notre munus, une fois que les gladiateurs avaient salués l'Editor, l'arbitre les suivaient au centre de l'arène  et plaçait entre eux un bâton, qu'il levait avant de lancer le combat, au cri de : "Pugnate !" Il faut alors imaginer les hurlements de la foule, chacun encourageant son champion, insultant l'adversaire, etc. Le combat, évidemment, ne devait pas être expéditif : un minimum de suspense, quand même ! Mais un affrontement mou qui durait des heures n'était pas souhaitable non plus... Le but étant de trouver un compromis, permettant d'offrir au public un combat équilibré mais spectaculaire, susceptible de le tenir en haleine. Les coups mortels étaient interdits, de même que ceux sous la ceinture, dans les yeux, etc. A charge pour l'arbitre de veiller au bon déroulement des passes d'armes, si besoin en séparant les combattants, en les obligeant à accélérer le rythme, en interrompant le combat en cas de défaut de l'équipement (une ocrae mal attachée, par exemple), etc... Au final, un combat ne durait pas plus de quelques minutes. Un round de boxe, en quelque sorte. Les études archéologiques expérimentales ont d'ailleurs prouvé que la gladiature se rapprochait étonnamment de ce sport, notamment par les contraintes cardio-vasculaires auxquelles étaient soumis les adversaires.

Le combat pouvait s'achever de deux manières :
1) Ad digitum, soit par abandon : un des gladiateurs s'avouait vaincu, et levait deux doigts en signe de capitulation. Ce faisant, il remettait sa vie entre les mains du public et de l'editor. S'il avait combattu vaillamment, il avait toutes les chances d'être gracié. Dans le cas contraire, il risquait fort d'y laisser sa peau...

2) Sur égalité : les deux gladiateurs ne parvenaient pas à se départager, et l'affrontement devenait franchement ennuyeux. L'arbitre pouvait alors suggérer d'arrêter le combat. L'editor avait le choix : décréter une pause, gracier les deux hommes (Stante Missi), ou les faire tuer tous les deux, s'ils avaient été aussi nuls l'un que l'autre.

                                         Si la décision finale revenait à l'editor, il suivait généralement l'avis du public, qui ne se privait pas de le lui faire savoir ! Non pas en levant ou en baissant le pouce, mais en tendant la main ouverte pour réclamer la mort au cri de "jugula !" (égorge-le !) ou le poing fermé en proclamant "mitte !" ("renvoie-le !") pour le laisser en vie. Si l'editor décidait la mort d'un vaincu, celui-ci était exécuté par son adversaire, qui lui enfonçait sa lame dans l'épaule, jusqu'à lui transpercer le cœur. Cependant, la mort n'était pas aussi fréquente qu'on l'imagine généralement. Il faut dire qu'un gladiateur, ce n'est pas gratuit ! Outre le prix d'achat, le laniste doit le loger, le nourrir, l'armer, le soigner. Or, si un gladiateur meurt lors d'un munus, l'editor doit dédommager le laniste, en plus du prix qu'il aura payé pour louer les services du combattant. Imaginez : votre gladiateur est une star, l'équivalent de notre Lionel Messie dans le football. Maintenant, demandez-vous quelle somme vous devriez verser au laniste si, par malheur, il était tué dans l'arène ?! Bah voilà, vous avez compris.



"Pollice Verso", tableau de Jean-Léon Gérome.

                                        Je reviens un instant sur cette histoire de pouce levé ou baissé... Je vous ai dit que c'était une idée reçue, et que les romains tendaient leur main ouverte ou leur poing pour signifier leur choix. Pour dire la vérité, je vous ai présenté la théorie la plus fréquemment admise, mais les avis des spécialistes divergent. Pour certains, les romains auraient plutôt agité un morceau de tissu blanc pour demander la grâce du vaincu. Une chose est certaine : le pollice verso (pouce retourné, représenté par le célèbre tableau de Gérome), n'est attesté dans aucun texte antique. Par contre, il est parfois fait mention de "Verso pollice" - soit "tourner le pouce", à rapprocher du "jugula !" crié par le public. Le signe pourrait donc être celui de l'égorgement...


Sauf mention, les photos des gladiateurs proviennent du compte flickr de Sebastia Giralt : lien.

2 commentaires:

Marine Lafontaine a dit…

Merci pour ses précieuses informations ! J'ai un gladiateur dans mon nouveau roman et j'ignorai les règles d'un combat. Merci encore !

FL a dit…

Je t'en prie ! Ravie de pouvoir être utile, surtout si c'est pour donner de la matière à un de tes romans. On peut dire que tu sais éveiller ma curiosité : j'ai déjà hâte de te lire...