vendredi 4 mai 2012

Rome : les jeux.

                                        Dans la foulée de mon dernier billet sur les Grands Jeux Romains de Nîmes, je vous propose aujourd'hui un petit tour d'horizon des jeux publics, qui sont indissociables de l'idée même que l'on se fait de l'Antiquité romaine. De fait, pas un péplum ou presque qui n'ait sa scène de jeux du cirque ou de course de chars - quand il n'en fait pas son argument principal ou sa scène-culte. Je pense ici à "Ben Hur" ou "Gladiator", bien sûr, mais je pourrais citer "Quo Vadis", "La Chute de l'Empire Romain" avec l'affrontement final entre Commode et Livius, ou bien évidemment "Spartacus" (le film ou la série, comme vous préférez). En tous cas, si "Panem et circemses" ("du pain et des jeux") est l'une des citations latines les plus connues, cela ne doit rien au hasard.



La célèbre course de chars de "Ben Hur".


                                        Les jeux sont sans doute la distraction préférée du peuple romain, et c'est encore plus vrai sous l'Empire. Ces jeux étaient organisés à l'occasion d'évènements importants (comme la venue de l'Empereur Hadrien dans le cas des jeux Romains tenus en  122 à Nîmes) ou de fêtes récurrentes. Dans les deux cas, leur objet était d'honorer les Dieux - qu'il s'agisse de les remercier de quelques bienfaits ou victoires, ou de conjurer leur colère. Ainsi, certains jeux  n'ont lieu qu'une seule fois : ce sont les ludi votivi, qui durent généralement des plombes. Et par "des plombes", je veux dire 100 jours, par exemple, pour ceux organisés par Titus lors de l'inauguration du Colisée, ou 123 jours lorsque Trajan célèbre sa victoire contre les Daces (106) : admettez que ça commence à faire pas mal ! D'autres jeux sont, comme je l'ai dit, organisés de façon régulière - annuellement, en général. A titre d'exemple, citons les ludi florales (en l'honneur de Flore, du 28 Avril au 3 Mai), les ludi romani (en l'honneur de Jupiter, du 4 au 19 septembre)  ou les ludi victoriae caesaris (même sans être bilingue, vous aurez traduit tous seuls, du 20 au 30 Juillet). A la fin de la République, on compte 8 spectacles par an, étalés sur une période de 77 jours. Si vous additionnez les journées consacrées aux jeux fixes et celles des ludi votivi, cela vous donne une idée de l'ampleur du phénomène... Les jeux peuvent être offerts par l'Empereur ou des particuliers, qui les financent alors sur leur fortune personnelle. Ils peuvent également être donnés par le peuple romain et, dans ce cas, l'organisation en incombe aux édiles, puis aux prêteurs à partir de 22 avant J.C., et sont payés par l’État et les magistrats - ceux-ci pouvant parfois doubler voire tripler la somme allouée par l’État. Les jeux sont célébrés au cirque, dans l’amphithéâtre, au théâtre ou, plus rarement, au stade.

Le Colisée, à Rome.

Les jeux du cirque.

                                        Ces spectacles regroupaient les jeux gymniques comme le pugilat ou la course, des exercices de voltige, des manœuvres militaires,etc. Mais le clou du spectacle, c'était quand même les courses de chars, attelés à deux, quatre, six voire huit chevaux. Les conducteurs de chars ou auriges appartenaient à des écuries, désignées par leurs couleurs respectives : les rouges, les verts, les blancs, les bleus. Chacune avait ses supporters (Caligula, par exemple, était un fana des verts), et les courses donnaient lieu à d'importants paris.  A Rome, les jeux s'ouvraient sur une procession (pompa), qui descendait du capitole, traversait le forum et contournait le Cirque.


Mosaïque représentant une course de chars.

Les jeux de l'amphithéâtre.

                                        Ils étaient composés de trois spectacles bien distincts, qui se succédaient tout au long de la journée : des venationes (chasses) le matin, les exécutions capitales à midi et les munera (combats de gladiateurs) l'après-midi.

Les arènes d'Arles.
Importés de Grèce puis de là, d’Étrurie, les combats de gladiateurs étaient à l'origine organisés à l'occasion de funérailles, et avaient pour but d'apaiser les mânes du défunt. On en trouve trace dans l’Iliade, un combat opposant Ajax à Diomède lors des funérailles de Patrocle. C'est en 42 qu'ils remplacèrent officiellement les jeux du cirque comme spectacle officiel à Rome. Au départ, les gladiateurs étaient des condamnés ou des prisonniers de guerre, mais à partir de l'Empire, une part non négligeable d'entre eux était des hommes libres, qui renonçaient à leurs droits civiques et qui devenaient le temps de leur engagement les esclaves d'un laniste (voir plus loin pour ce terme). Il faut dire qu'un gladiateur pouvait amasser pas mal d'argent, et que les plus célèbres étaient, paradoxalement et malgré leur statut d'esclaves et le mépris qui les entourait en général,  de véritables stars : fans, groupies, produits dérivés à leur effigie (médaillons, lampes à huile, etc.)... Vous voyez David Beckham ? Bon, ben troquez son maillot contre des jambières et une dague, et vous y êtes ou presque ! Encore fallait-il se faire un nom, et se distinguer de ses frères d'armes. Les gladiateurs apprenaient la gladiature dans des écoles destinées à cet effet (ludus gladiatorus), appartenant à leurs maîtres, les lanistes (les revoilà !).

Les combats consistaient à des affrontements de gladiateurs par paire - deux gladiateurs aux armements différents (rétiaire / secutor) ou, plus rarement deux gladiateurs de même catégorie, principalement aux débuts de la gladiature. Le combat s'achevait sur la victoire de l'un des deux adversaires, l'abandon du vaincu ou un match nul. Contrairement à une idée reçue, les combats se soldaient rarement part la mort d'un des gladiateurs. Certaines inscriptions indiquant lorsqu'un combat se déroulait avec des armes tranchantes, cela suppose que ce n'était pas toujours le cas... De plus, les combats sine missio (sans renvoi , donc sans merci) revenaient cher, ne serait-ce qu'à cause du coût d'un combattant. Mettez vous deux minutes dans la peau d'un laniste : vous avez investi pendant des mois pour former un zozo sorti de sa cambrousse, vous l'avez nourri, logé, lui avez donné les meilleurs maîtres. Sérieusement, vous n'allez quand même pas le laisser massacrer gratuitement à la première occasion, sans avoir eu le temps de rentabiliser votre investissement ? Et, tant qu'on est dans les idées reçues : l'Empereur graciant un gladiateur en levant le pouce ou le condamnant en le baissant, c'est aussi du flan ! J'aurai l'occasion de consacrer prochainement un long article au sujet des gladiateurs : il y a tellement à dire que quelques lignes dans ce billet n'y suffiraient pas. J'y reviendrai donc d'ici quelques jours, et je détaillerai l'armement, les combats, etc. Je conclurai simplement en indiquant que, à partir du IIIème siècle, la gladiature  est devenue, peu ou prou, le spectacle sanguinaire dont nous avons gardé l'image : la crise économique provoquant le déclin des villes, elle a directement affecté les finances des notables payant les jeux, et donc le modèle économique de la gladiature. L'essor de la chrétienté, frappant d'anathèmes ces combats sanglants, fera le reste.


Représentation d'une venatio.

                                        Nettement moins connues, les venationes sont pourtant très appréciées des Romains : en attestent de nombreuses représentations, en mosaïque aussi bien que sur du petit mobiliers, des céramiques, etc. Apparemment, on s'interrogeait beaucoup sur la supériorité de telle ou telle espèce, et on organisait des sortes de matches pour les départager : qui est le plus fort, de l'éléphant ou de l'ours ? Du sanglier ou du taureau ? Du lion ou du tigre ? Ce qui, ma foi, est une question fort intéressante... De surcroît, à l'époque, la plupart de ces animaux étaient extrêmement exotiques - (voir Pompée rapportant le premier rhinocéros en 55 avant J.C., selon Pline l'Ancien. Quoi que l'information soit démentie par Dion Cassius...) - et donc extrêmement chers. Outre les affrontements entre bêtes, on opposait également les animaux à des combattants spécialisés (venatores, munis d'un épieu ou bestiarii, plus lourdement armés, voire des gladiateurs.) dans des reconstitutions de chasses. Contrairement aux combats de gladiateurs, les venationes se sont poursuivies jusqu'au VIIème siècle, les chrétiens y projetant une représentation de l'éradication des démons (les bêtes) par des libérateurs (les venatores et bestiarii).

Le théâtre.

                                        Les jeux scéniques sont introduits à Rome en 264 avant J.C. Encore un coup des Étrusques ! Mais il faut attendre 55 avant J.C. pour que soit construit le premier édifice permanent, par Pompée. Auparavant, les censeurs craignaient que ces représentations n’amollissent les Romains et ne les poussent à la paresse ; bref, qu'ils négligent leurs occupations quotidiennes pour rester vautrés dans les gradins. Ces jeux avaient lieu à l'occasion de certaines fêtes annuelles, notamment lors des ludi romani, apollinares ou plebeii. Sous la république, ils étaient également organisés lors des ludi seculares, jeux célébrés selon les instructions des livres sibyllins, à intervalles de cent à cent dix ans. Ils duraient alors trois jours et trois nuits, et célébraient Pluton, Proserpine, Diane ou Apollon. Là encore, j'aurai l'occasion d'y revenir plus en détails, mais sachez pour le moment qu'on trouvait plusieurs genres de pièces : les satura (sorte d'improvisation comique grossière, en vers, avec danses mimiques), les comédies palliata ou togata (inspirées du Grec), les atellanes (genre de farce bouffonne, nommées en référence à la ville osque d'Atella, et plus tard supplantée par le mime puis par la pantomime), des tragédies (elles aussi inspirées du Grec). Les jeux scéniques réunissaient à peu près toutes les classes sociales. Petit à petit cependant, la plèbe accorda ses faveurs à l'atellane, au mime et à la pantomime, tandis que les tragédies n'intéressaient plus guère qu'une minorité de lettrés.

Théâtre antique d'Orange.
 Les acteurs (histriones) étaient réunis en troupes, dirigées par un affranchi qui était lui-même acteur et qui servait d'intermédiaire avec les auteurs auxquels été achetées les pièces, et avec les magistrats qui les engageaient pour les jeux. A de rares exceptions près, les acteurs étaient des esclaves appartenant au propriétaire de la troupe ; du coup, plusieurs rôles d'une même pièce pouvaient être tenus par un seul acteur - histoire de faire des économies. Le métier d'acteur, réservé aux esclaves ou anciens esclaves, était par conséquent jugé comme infamant, et tout homme libre montant sur scène perdait ses droits civiques. Les Romains avaient également empruntés aux grecs l'usage des masques (sauf pour le mime) qui représentaient des expressions précises et des stéréotypes  joie, colère, tristesse, esclave, commerçant, etc.

Les jeux du stade.

Encore une imitation des Grecs ! Les jeux du stade regroupaient des épreuves de course, pugilat, lutte, saut, lancer du disque, etc. Ils avaient lieu dans des stades, dont l’architecture reprenait peu ou prou celle d'un cirque. Ces jeux athlétiques étaient rarement célébrés à Rome, et principalement à partir du début de l'Empire. A noter que le premier stade permanent fut érigé par Domitien. Ces jeux ne furent jamais les plus populaires à Rome, contrairement à la partie orientale de l'Empire où ils étaient beaucoup plus fréquents - à l'instar de la Grèce et de ses célèbres jeux olympiques. On peut d'ailleurs les rapprocher des concours scéniques musicaux, largement représentés en Orient : on songe évidemment à Néron, qui aimait à s'y produire. A Rome, c'est encore Domitien qui institua des concours scéniques, pour lesquels il fit bâtir un Odéon. 

                              Comme je l'ai répété tout au long de cet article, je reviendrai plus en détails sur certains points dans mes prochains billets. En attendant, si vous avez des remarques ou des questions, n'hésitez pas à m'envoyer un e-mail !

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