jeudi 5 juillet 2012

Revue de presse - Histoire Antique Et Médiévale.

                                        Rome, c'est un Empire. Ou plus exactement un principat, né sur les ruines d'une République vieille de cinq siècles, mais qui succomba finalement aux guerres civiles. Ce dernier terme évoque immédiatement les conflits ayant opposé Marius à Sylla, César à Pompée, et Octave à Marc Antoine. Pourtant, dans la littérature antique, la définition n'est pas claire. Pour nous, une guerre civile désigne un conflit armé entre citoyens d'un même état. Mais dans l'antiquité, cette notion est difficile à appliquer - ne serait-ce que parce que celle d'état ne recouvre pas forcément celle de nation. Ainsi, qu'en est-il de la guerre sociale (bellum sociale - 90/88 avant J.C.), entre Rome et ses alliés italiens, qui souhaitaient obtenir la citoyenneté romaine ? Ou de la révolte de Spartacus, les paysans et les pauvres rejoignant la troupe des gladiateurs ? Ou encore des conflits ayant opposé, durant des siècles, la plèbe aux patriciens ? Sans compter que la porosité des classes sociales romaines complique encore les choses - certains plébéiens s'élevant dans la hiérarchie, et certains patriciens utilisant de façon démagogique les questions égalitaires et le problème agraire - véritable serpent de mer des relations entre la plèbe et la nobilitas. On le voit, l'écheveau est difficile à démêler.

                                        C'est pourtant ce que se propose de faire le dernier numéro de la revue Histoire Antique & Médiévale, intitulé : "La République romaine : les guerres civiles, le reflet de la conquête."  Dans un premier temps, elle tente d'apporter une éclairage sur ce problème de définition, en explorant l'idée que se faisaient les anciens des conflits civils, et en remettant en perspective les différentes conceptions existant alors en Grèce et à Rome. Ainsi, la frontière entre guerre civile et guerre extérieure, nettement marquée en Grèce, se révèle-t-elle beaucoup plus floue pour les Romains - César combattant Pompée en Espagne en étant une parfaite illustration. Textes antiques et exemples à l'appui, le magazine parvient à clarifier suffisamment la situation pour rendre la problématique plus intelligible.
                                        Puis, dans une progression chronologique, il s'attache à traiter le thème en profondeur, en commençant par un article passionnant sur la formation de la société romaine, de la création de l'Urbs par Romulus jusqu'à la naissance de la république. Des premières familles patriciennes à la formation de la plèbe, de l'origine de la clientèle à la création du tribunat de la plèbe, jusqu'à l'abolition de la royauté, chaque paragraphe aborde de façon claire mais néanmoins détaillée chacun des aspects, des points forts et des faiblesses des classes sociales dont la lutte intestine allait atteindre son apogée sous la République. 

Buste de Marius. (Musées du Vatican)
L'évolution de cette République romaine, et en particulier les concessions acquises de haute lutte par la plèbe et les mutations qui s'en suivirent sont abordées dans le chapitre suivant, qui explique également comment le changement de statut de l'Urbs, passant du statut de cité-état dominant des villes alliées à celui de capitale d'un vaste territoire, engendra non seulement un bouleversement politique, mais aussi une évolution des mentalités. En s'ouvrant sur le monde, la politique romaine se détacha progressivement d'une conception philosophique du pouvoir, pour construire une pensée politique propre qui, à son tour, allait aboutir à un bouleversement des rapports de force entre le Sénat, la plèbe et les militaires. Le pouvoir, insensiblement, se retrouva entre les mains de généraux qui, à la tête de légions qui leur seraient fidèles, allaient peser sur la politique. Les chocs frontaux, arbitrés par un Sénat qui n'avait pas les ressources
Probable buste de Sylla. (Museo della civilita romana, Rome.)
pour le faire, 
devenaient inévitables : la fin de la République ne fut d'ailleurs qu'une longue série de guerres civiles - celles dont j'ai parlé dans mon introduction - qui aboutirent à la mort du régime. Il faudra attendre la victoire d'Octave sur Marc Antoine, lors de la bataille d'Actium (31 avant J.C.), pour que Rome retrouve la paix, grâce à la fondation du principat, qui instituait une forme de royauté tout en conservant les apparences de la République - réussissant là où César avait échoué. En guise de conclusion, le magazine nous offre un point de vue saisissant sur ce que la conception du principat doit à la pensée philosophique de Cicéron : tout simplement brillant !





                                        Cette revue, toujours excellente, nous offre ce moi-ci l'un de ces meilleurs numéros. Battant en brèche les idées reçues sur les guerres civiles romaines, elle les aborde dans une plus large perspective, les intégrant dans l'Histoire romaine de façon à en expliquer les origines, les épisodes, les conséquences, etc. Le tout avec une grande subtilité, un luxe de détails et une simplicité qui rend la lecture aussi enrichissante qu'accessible. Les éditions Faton, de toute évidence, prêtent à leur lectorat une culture et une intelligence pour le moins flatteuses : on ne vous prend pas pour des idiots, et on essaie de vous tirer par le haut. Certaines ellipses ou raccourcis pourront déconcerter ceux qui ne sont pas  familiers de l'Histoire romaine, mais leur compréhension n'en sera pas pour autant entravée. Des illustrations pertinentes et des sources largement citées complètement un formidable dossier, qui donne envie de se plonger dans les textes auxquels il renvoie. De Romulus à Auguste, voici donc une vue d'ensemble d'un sujet fort complexe, rendu accessible par de talentueux auteurs. S'il existe des livres sur le sujet, cette publication leur tient la dragée haute, et je ne saurais trop vous recommander de vous précipiter chez votre marchand de journaux... et de prolonger la lecture de ce dossier par celle de "De Re Publica" de Cicéron, tant que vous y êtes !






Histoire Antique & Médiévale - Hors-série n°31 - Juin 2012.
7 euros 50 - éditions Faton - lien .







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