Les Saturnales.
Saturne (Dessin de Hendrick Goltzius - Musée des Beaux-arts de Rennes.) |
Les Saturnales, ce sont sans doute les festivités les plus importantes de la Rome antique. Elles marquent le solstice d'hiver, en célébrant Saturne. A l'origine, il s'agissait d'une cérémonie qui se tenait le 17 Décembre dans le temple dédié au Dieu, mais la durée des célébrations finit par s'étendre : 3 jours après la réforme du calendrier julien, 4 sous Auguste, 5 sous Caligula, et enfin une semaine complète sous Dioclétien, jusqu'au 24 Décembre - voire jusqu'aux Calendes de Janvier. Immédiatement après les Saturnales se tient la fête des Sigillaires, le nom venant du fait que l'on s'échange, entre autres présents, des sceaux (en Latin sigillum) et petits objets de terre cuite.
"L'Hiver Ou Les Saturnales" (d'Antoine-François Callet. ©Musée du Louvre.) |
Au départ, les Saturnales commémorent le solstice d'hiver, marqué par la nuit la plus longue de l'année mais aussi, par voie de conséquence, par le retour de l'allongement des jours et, symboliquement, la victoire de la lumière sur les ténèbres. C'est donc tout naturellement que l'on fête les promesses des futures récoltes, en honorant Saturne, dont la légende veut qu'il ait enseigné l'agriculture aux Romains, lors d'un âge d'or mythique où les hommes vivaient égaux dans l'abondance. Dieu des semailles, son nom viendrait d'ailleurs du mot "Sator", qui signifie "le semeur", et il préside à la germination et aux moissons. En marge des Saturnales, d'autres Dieux et Déesses sont aussi célébrés, comme la Déesse Angerona (le 21 Décembre), qui aide à traverser les périodes sombres et angoissantes et guérit de la douleur et de la tristesse.
Arc de Septime Sévère et Ruines du Temple de Saturne. (©Robert Lowe via Wikipedia) |
Concrètement, les Saturnales sont un joyeux déchaînement, où toutes les barrières sociales disparaissent momentanément et où l'ordre hiérarchique est bouleversé : tous se réunissent autour des mêmes tables, les esclaves ne reçoivent plus d'ordre et recouvrent pour un temps toute liberté d'action et de parole - ils peuvent railler les maîtres en toute impunité, s'amuser avec eux et même se faire servir par eux. Durant cette période de relâche, aucun acte officiel ne peut s'accomplir et tous les travaux s'interrompent (écoles, boutiques, tribunaux, etc. sont fermés, aucun spectacle n'est donné et même les paysans délaissent leurs champs). En revanche, ces journées de fête sont l'occasion de se réunir en famille ou entre amis autour de banquets, de s'amuser à des jeux collectifs et de sortir dans les rues et les jardins, où l'on s'interpelle joyeusement au cri de : "Io ! Saturnalia !" Pour une fois, les citoyens ne portent pas la toge, mais la tunique des esclaves, et coiffent même parfois le pileus libertatis, bonnet porté par les affranchis.
Les Saturnales. (Sculpture d'Ernesto Bondi - ©R. Fiadone via wikipedia.) |
C'est aussi l'occasion de décorer les maisons et de les parer de verdure, avec du houx, du gui et des guirlandes de lierre. On s'offre des cadeaux (saturnalia et sigillaricia) : chandelles de cire, figurines de terre cuite, porte-bonheur, petits bijoux, gâteaux, etc. Les enfants sont particulièrement gâtés, et reçoivent de petites babioles et de petites sommes d'argent (l'équivalent de nos étrennes). Un marché spécial (sigillaria) est ouvert. On se réunit pour des piques-niques, au cours desquels on déguste une galette : celui qui trouve la fève dissimulée dans le gâteau est désigné "Roi du banquet", et peut alors distribuer des gages et donner des ordres ridicules à ses commensaux. On fabrique des figurines grotesques, suspendues au seuil des maisons, qui finiront par être brûlées. Certains spécialistes pensent qu'il s'agissait de représenter symboliquement un sacrifice humain, rappelant une pratique primitive d'expiation en vigueur chez les Pélasges, peuple ayant précédé les Romains dans le Latium : Hercule aurait convaincu les descendants des Pélasges de substituer des statuettes aux victimes humaines. Évidemment, tous ces éléments ne sont pas sans évoquer notre Épiphanie (ça, c'est pour la galette), notre fête de Noël (ça, c'est les décorations et les cadeaux), et bien sûr notre Carnaval (ça, c'est tout le reste !)
Le Culte du Sol Invictus / Mithra.
Bas-relief d'une tauroctonie figurant Mithra. (Thermes de Dioclétien. ©Richard Mortel - Flickr) |
De la célébration du solstice d'hiver à celle du culte du soleil, il n'y a qu'un pas. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la date du 25 Décembre correspond, pour les Romains, à la célébration du Dieu Sol Invictus (Soleil Invaincu), assimilé à Mithra. Ce jour est connu comme dies natalis solis invicti, c'est-à-dire le "jour de naissance du Soleil Invaincu". Le choix du 25 Décembre n'a rien d'aléatoire, mais se rapporte directement au calendrier Julien qui, à cause d'une erreur de calcul, fixait le solstice d'hiver précisément à cette date.
Sol Invictus. (Musée National de Rome - ©Mary Harrsch - flickr.) |
Quelques mots sur ce Sol Invictus. L'épithète a été utilisé pour qualifier diverses divinités romaines au fil de l'Histoire : Jupiter Invictus et Mars Invictus par exemple, au début de l'Empire. C'est à partir du IIème siècle qu'on le retrouve appliqué à Mithra, dont le nom signifie "ami" et "contrat". Mithra est donc à la fois l’ami des hommes, le Dieu de la lumière et celui de la justice.
Mosaïque romaine du Ier siècle représentant Mithra. (© Mary Harrsch - Flickr) |
D'origine Perse, le culte de Mithra se répand d'abord chez les soldats romains, qui l'importent en Italie. Il s'y implante rapidement et gagne Rome, devenant le culte le plus pratiqué de l'Empire, le Dieu étant connu sous le nom de Sol Invictus. Au point qu'en 274, l'Empereur Aurélien le déclare religion de l’État, dans l'optique de consolider l'unité des territoires dominés par Rome. Il fait édifier un temple sur le Champ de Mars et crée un collège de Pontifes du Soleil. Certains experts voient plutôt dans cette nouvelle divinité la refondation de l'ancien culte latin du soleil, ou un renouveau du culte prôné par Héliogabale, qui avait amené depuis Emèse le culte du Dieu syrien du Soleil, Elagabal (dont il prendra le nom). Mais la question fait toujours débat, les élites hostiles à la nouvelle religion ayant volontairement assimilé les deux divinités, dans le but de discréditer ce Sol Invictus en le rapprochant de cet Elagabal, de sinistre mémoire pour les Romains... (J'aurai l'occasion d'y revenir un jour prochain.)
Pièce à l'effigie d'Aurélien et de Sol Invictus. |
Le Dieu sera vénéré par les successeurs d'Aurélien, y compris par Constantin. En effet, le Sol Invictus apparait à plusieurs reprises sur l'Arc de Constantin, et les monnaies l'associent à ce Dieu jusque vers 325. En 321, Constantin décrète même que le Die Solis ("jour du soleil" - soit le Sunday anglais et notre dimanche) sera désormais un jour de repos. La dernière inscription se référant à Sol Invictus date de 387, mais son culte perdurera au moins jusqu'au Vème siècle puisque Saint Augustin jugera nécessaire de prêcher contre ses adeptes.
Pièce à l'effigie de Constantin et de Sol Invictus. |
Religion austère et monothéiste (bien qu'elle cohabite dans l'Empire avec d'autres cultes, auxquels elle se superpose), le culte de Mithra se caractérise notamment par une initiation marquée par une série d'épreuves, suivie d'une sorte de baptême, par aspersion avec le sang d'un taureau. Par des l'abstinence et des rites de purification, les adeptes se rapprochaient de l'astre solaire, symbole de chaleur et de lumière par opposition à l'obscurité et aux démons. Il est la manifestation du pouvoir de Mithra, ange de la lumière, serviteur du dieu Ormuzd représentant la lumière primitive, auprès duquel il tient aussi le rôle d'ambassadeur des hommes.
Du culte païen à la fête chrétienne.
A la même période, le christianisme commence à se répandre, et se retrouve en concurrence directe avec ce culte de Mithra, face auquel les rites liturgiques ont bien du mal à s'imposer. C'est donc pour contrer ces festivités païennes que les Chrétiens adoptent un stratégie fort ingénieuse : il ne s'agit rien moins que d'assimiler la naissance du Christ au retour de l’astre solaire, le Sol Invictus, dans une sorte de démarche syncrétique qui leur permet d'ancrer leur propre célébration dans une tradition pré-existante.
"C'était la coutume des païens que de célébrer le 25 Décembre l'anniversaire du Soleil, au cours duquel ils allumaient des lumières en signe de festivité. Dans ces solennités et les excès de table, les chrétiens ont également pris part. Par conséquent, lorsque les docteurs de l'Église perçurent que les chrétiens avaient un penchant pour cette fête, ils tinrent conseil et résolurent que la vraie Nativité devait être célébrée ce jour-là." (Jacob Bar-Salibi, évêque syrien du 12ème siècle.)
Prêtre de Mithra. (British Museum -©Mary Harrschy - flickr.) |
C'est en l'an 354 que le Pape Liberus désigne officiellement la date du 25 Décembre comme celle de la naissance du Christ, avec la célébration du "Natalis Invicti". Cette fusion avec le jour le plus important du culte mithraïen permet peu à peu aux rites respectifs de se mélanger, et au christianisme de phagocyter divers éléments des fêtes païennes liées au solstice d'hiver : décorations végétales (le houx, par exemple, qui se prête parfaitement à une nouvelle interprétation et devient la représentation de la couronne d'épines et du sang du Christ), les échanges de cadeaux, etc. Adaptation d'autant plus aisée que, par bien des aspects, on pouvait trouver de nombreuses similitudes entre les deux croyances... Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un œil sur un hymne dédié à Mithra, extrait du Rig Veda :
"Le voici l'Adorable, le Bienveillant,Quant au mot Noël, il dérive directement du Latin natalis, et apparaît pour la première fois en 1112.
le Souverain ! Il est né le Seigneur !
Puissions-nous demeurer en sa Bonne Faveur,
En la Sainte Bienveillance du Dieu que l'on célèbre ! " ("Rig Veda" - III, Hymne IV - 4.)
Mais les Évangiles ne mentionnant pas la date de naissance de Jésus, celle retenue par ce brave Liberus ne fait pourtant pas l'unanimité, et certaines sectes avaient opté pour le 6 janvier, qui renvoyait aux épiphanies de Dionysos et d’Osiris – deux divinités ayant ressuscité (ça doit vous rappeler quelqu'un). Le 6 Janvier correspond toujours à notre propre fête de l'épiphanie, et marque la célébration de la naissance du Christ par les Orthodoxes.
La Nativité. (de Ghirlandaio - ©Musée du Louvre.) |
Si ce fait est communément admis, certains rechignent encore à admettre que le choix de célébrer Noël le 25 Décembre avait bien pour but de le faire coïncider avec la fête romaine du Dies Natalis Solis Invicti... Parmi eux, un certain Joseph Ratzinger, alias Benoît XVI, affirme que la date a été déterminée en toute logique : le 25 Décembre tombe simplement neuf mois après l'Annonciation (25 Mars), soit le jour de la conception de Jésus. Mais le même Pape a aussi reconnu : "Noël a acquis sa forme définitive au IVe siècle, quand il a remplacé la fête romaine du Sol invictus".
Anniversaire réel, ou date choisie arbitrairement ? Ma foi (sans mauvais jeu de mots !), les voies du Seigneur sont impénétrables, et l'important n'est-il pas, au bout du compte, de pouvoir gâter nos proches et passer le 25 Décembre entouré de ceux que nous aimons ? Et ça, c'est finalement aux Romains que nous le devons. Alors, que vous fêtiez Mithra / Sol Invictus, Saturne, le Christ ou n'importe qui d'autre, je vous souhaite à tous un joyeux Noël ! En attendant impatiemment le retour du Soleil... Et je vous retrouve l'année prochaine, après une pause bien méritée.
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