dimanche 10 mars 2013

La journée-type d'un Romain.

                                        Vous commencez à le savoir, j'ai mes favoris parmi les grandes figures de l'Histoire romaine. Ma foi, j'estime que c'est bien normal : à force d'étude et de lectures, j'ai forcément développé une attirance pour certaines personnalités, qui me touchent plus que les autres. N'étant pas historienne, j'ai par ailleurs l'immense avantage de n'être pas tenue à une stricte objectivité ! Mais en dehors des personnages historiques, j'ai déjà eu l'occasion de raconter à quel point la visite de sites archéologiques m'émouvait, parce qu'on y retrouvait les traces de la vie quotidienne des Romains anonymes - qui, reconnaissons-le, sont plus proches de vous ou moi qu'un Jules César ou un Marc Aurèle. C'est sans doute pour cette raison que j'ai eu envie de consacrer un billet à la journée-type d'un Romain...

Fasti Praestini - Calendrier public indiquant jours fastes et néfastes.

                                        Précisons d'emblée que l'entreprise a quelque chose d'artificiel, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, vous vous doutez bien que la journée d'un riche patricien de Rome n'a pas grand-chose à voir avec celle d'un commerçant du fin fond de la Narbonnaise ou d'un esclave rural. Ensuite, la principale préoccupation des plus pauvres consistait avant tout à se procurer de quoi manger... Et puis, il faut bien se borner à énoncer des généralités : il y a forcément des originaux, fiers de ne rien faire comme leurs voisins, qui se lèvent à point d'heure, sautent le petit-déjeuner et arpentent le forum en plein midi ! Enfin, n'oublions pas que le calendrier romain était émaillé de jours néfastes (dies nefasti) et les jours fastes (dies fasti) et, parmi ceux-ci, les jours comitiaux (comitiales) où les magistrats pouvaient tenir leur tribunal et convoquer les assemblées politiques; les jours scindés (scissi) fériés le matin seulement et fastes le reste du temps; les jours entrecoupés (endotercisi) néfastes le matin et le soir, mais fastes dans l'intervalle... Ce qui, franchement, ne nous facilite pas la tâche !

Gaius, tel que je l'imagine.


Mais enfin, si vous deviez décrire l'emploi du temps d'un Français moyen, convenez que vous trouveriez néanmoins quelques grandes lignes, susceptibles de donner une bonne idée de la vie quotidienne. Et bien, c'est un peu ce que j'ai tenté de faire ici ! Voici donc une idée générale de la façon dont un citoyen romain occupait ses journées. Pour des raisons évidentes, nous considérerons qu'il s'agit d'un jour faste, et j'ai décidé de prénommer mon Romain Gaius - pour éviter d'avoir à rabâcher "Les Romains ci, les Romains mi" tout au long de mon article... J'en ai fait un Sénateur du début de l'Empire.




                                         Je rappelle tout d'abord que le jour était divisé en douze heures, de durées inégales selon la saison puisqu'elles suivaient le cours du soleil : concrètement, cela signifie que les heures estivales étaient plus longues que les heures hivernales. Et, bien sûr, les Romains ne connaissaient pas les week-ends ! Oubliée donc, la grasse mâtinée hebdomadaire pour Gaius...

Gaius se drape dans sa toge.

                                        A l'instar de leurs ancêtres agriculteurs, nos amis les Romains sont des lève-tôt : la bienséance fait qu'il est mal vu de traînasser au lit, au point qu'on s'éveille même souvent avant le lever du soleil. C'est donc le cas pour notre ami Gaius, debout dès les premières lueurs du jour, été comme hiver. Après une toilette rapide faite de quelques ablutions, il s'accorde parfois un moment pour lire dans sa chambre, vêtu de sa simple tunique et chaussé de ses sandales. Puis, il se drape dans sa toge, aidé par des esclaves. Certains se rendent chez le barbier au cours de la journée, autant pour prendre soin de leur apparence que pour discuter avec les autres clients des derniers ragots ou des lois récemment adoptées. Cependant, Gaius préfère se faire raser par son barbier personnel, un esclave syrien qui lui a coûté très cher...

Aliments pouvant composer le jentaculum.

                                        Comme le veut la tradition, la famille et les esclaves se présentent devant Gaius, le Pater Familias, afin de lui souhaiter une bonne journée. C'est alors l'heure de l'équivalent de notre petit-déjeuner, le jentaculum : cette collation froide se compose de pain, de miel et d'un peu d'huile d'olive, parfois de fruits et de fromage; il tend cependant à disparaître sous l'Empire, où il est remplacé par un simple verre d'eau, afin de récupérer de la lourde cena de la veille.

                                        A peine Gaius a-t-il fini de manger que, déjà, se presse dans l'atrium la foule de ses clients, venus le saluer et l'entretenir de toutes sortes d'affaires, notamment judiciaires. Gaius les reçoit, prête une oreille attentive à leurs problèmes, leur promet d'user de son influence pour les soutenir, et leur fait distribuer la sportule - sous forme de nourriture ou d'une petite somme d'argent. Jeune sénateur, Gaius est lui-même le client d'un homme plus puissant, et il lui faut également lui rendre visite afin de s'acquitter de son devoir.

Artisans boulangers au travail.

                                        Le reste du temps, est consacré au travail : l'artisan s'active dans son atelier, l'esclave s'attelle aux tâches qui lui sont dévolues, le patricien s'acquitte de sa correspondance ou se consacre à la gestion de ses comptes avec le concours de son secrétaire. Dans les zones rurales, le propriétaire parcourt son domaine pour surveiller l'avancée des travaux, inspecter les cultures et le bétail. Les magistrats assistent aux réunions et remplissent leur office public, les prêtres procèdent aux sacrifices rituels, les candidats mènent campagne électorale, les avocats plaident devant les juges, etc. Selon son mandat, un magistrat Romain peut avoir d'autres tâches à remplir comme assurer l'organisation des prochains jeux ou l'entretien des voies publiques.

Le forum, lieu de rencontre sociale.

                                        A Rome et dans les grandes villes de l'Empire, la vie publique s'organise autour du forum. C'est là que se rend Gaius, accompagné d'un ou plusieurs esclaves et de ses clients, qui lui font escorte. Il y rencontre amis et associés, afin de discuter des dernières nouvelles (décrets, lois, procès en cours mais aussi rumeurs et commérages), et régler quelques affaires - Gaius possède des immeubles qu'il loue, car les Sénateurs sont interdits de commerce. Les portiques, simples lieux de passage ou adjacents aux édifices publics tels que le forum, les théâtres ou le cirque par exemple, sont également très fréquentés : ces galeries couvertes se prêtent aux rencontres et aux réunions. Outre la protection qu'elles offrent tant contre la chaleur que contre les intempéries, on y trouve des commerces, des fontaines, et souvent même un auditorium public.

Les galeries couvertes du marché de Trajan. (Pardon pour l'anachronisme !)





Gaius au Sénat.
Si le Sénat se réunit, Gaius se rend à la Curie et prend part aux débats, qui durent parfois jusqu'à la nuit tombée, et ne s'interrompent légalement qu'avec le coucher du soleil. Parfois, Gaius apporte son témoignage ou assiste l'un de ses amis au cours d'un procès. La foule est nombreuse dans les basiliques où se tiennent les actions en justice, et les places sont rares car les débats passionnent les Romains - à plus forte raison lors d'une affaire emblématique ou lorsque les avocats ou les accusés jouissent d'une certaine notoriété. Les spectateurs ne se privent pas de donner leur avis et de manifester leur opinion à grands cris. D'autres plébéiens se contentent de vagabonder à travers les places et les rues, de boire et de jouer aux dés dans les tavernes...




Madame Gaius fait du shopping.
Pendant ce temps, Madame Gaius n'est pas en reste : elle s'active à la maison, donnant aux esclaves ses instructions pour la journée et s'assurant du bon état de son foyer. Elle enseigne aussi à ses filles diverses tâches ménagères (dont le filage et le tissage, si chers à ce brave empereur Auguste !), et se rend parfois au marché afin d'y faire quelques achats et s'offrir quelques babioles. (Les courses alimentaires sont évidemment une tâche confiée aux esclaves). Elle en profite de temps en temps pour s'accorder un moment aux thermes, où elle retrouve ses amies - les bains publics sont réservés aux femmes le matin et aux hommes l'après-midi. Quant aux enfants, il y a longtemps qu'ils sont partis pour l'école, accompagnés de leur précepteur.


Exemple de prandium.

                                        Lorsqu'il le peut, Gaius rentre chez lui vers midi pour prendre le prandium (notre déjeuner), seconde collation frugale qui se compose de viande ou de poisson accompagné de légumes. Il ne boit généralement pas de vin. Pendant les journées les plus chaudes de l’été, il s'accorde une courte sieste, d'autant plus nécessaire que la journée a commencé fort tôt. La coutume de ces quelques heures de repos s’est d'ailleurs maintenue dans certains pays méditerranéens.

Les thermes.

                                        Si toutes les tâches importantes ont été accomplies dans la matinée, Gaius occupe le reste de la journée à converser sur le Champ De Mars ou le Forum, et se détend en se rendant aux thermes par exemple, ou dans les bibliothèques, au théâtre, à la palestre, etc. Là, il a toutes les chances de croiser à nouveau quelques connaissances - les mêmes que le matin, sans doute... Lors de la tenue de jeux importants, Gaius sait qu'il devra se montrer au cirque : son absence pourrait être considérée comme une offense envers l'organisateur. Voilà qui serait très impoli, et se révèlera même plus tard extrêmement dangereux, lorsque les jeux en question seront donnés par certains Empereurs...

Reconstitution du triclinium de la Villa Des Mystères à Pompéi. (©James Stanton-Abbott)

                                        Enfin, vient le moment de la cena, le dîner. Repas principal, il ne se prend qu'à la nuit tombée, et se mettre à table lorsque le ciel est encore clair est une preuve de vie dissolue. Il arrive que Gaius soit convié chez des amis ou qu'il invite lui-même quelques connaissances plus ou moins proches. Habituellement, neuf convives s'étendent sur trois lits inclinés, disposés sur trois côtés d'un rectangle. Gaius lui-même, le maître de maison, préside à la place d'honneur, à droite du lit du milieu (lectus medius), les invités étant répartis selon leur rang à droite (lectus summus) ou à gauche (lectus imus).  Vers la fin de la République, le lit est remplacé par le stibadium, sorte de sofa de forme semi-circulaire. Toutefois, la coutume de manger couché, sans doute d'origine étrusque, n'a pas été adoptée à Rome sans quelques réticences et, pendant longtemps, les femmes étaient exclues de la cena, ou préféraient s'asseoir pour manger. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et Madame Gaius assiste au dîner en compagnie de son époux.



                                        Devant chacun est placée une petite table, sur laquelle les esclaves disposent les plats des différents services. On mange avec les doigts - les mets étant présentés découpés - ou avec une large cuillère lorsque sont offerts des aliments liquides. Contrairement aux idées reçues, l'usage des serviettes est courant, et des esclaves viennent présenter des rince-doigts entre les services tandis que d'autres sont chargés de verser le vin. Les crûs les plus appréciés - de Falerne ou de Massique - sont particulièrement lourds et capiteux, raison pour laquelle on ne les boit pas pur, mais on les coupe avec de l'eau. Détail amusant : les amphores de vin portent le nom du consul en exercice pendant leur millésime - et l'on peut citer ceux produits sous le consulat d'Optimius (122 avant J.C.), extrêmement réputés. 


Fresque représentant une cena. (Musée archéologique de Naples)

                                       Je me bornerai ici à quelques généralités : j'aurais l'occasion de revenir sur l’alimentation des Romains plus en détails dans un prochain billet. Pour l'instant, contentons-nous de préciser que la cena comporte généralement trois services :
  • Les hors-d’œuvre (qui n'apparaissent toutefois qu'à la fin de la République) : œufs, poissons froids, salades, friandises salées - le tout arrosé de vins doux, sucrés de miel.
  • Les plats principaux : de préférence de la volaille ou du gibier, ou des poissons de mer, que l'on fait parfois venir de très loin. Cependant, les riches propriétaires aiment à servir la production de leurs propres domaines, et aménagent dans ce but des piscinae ou des parcs à gibier sur leurs propriétés.
  • Le dessert : des pâtisseries ou des fruits, locaux ou importés d'Orient - comme les cerises ou les pêches.
                                       Tandis que les convives dégustent les plats, des danseurs, des musiciens, des bateleurs viennent les distraire. Une autre coutume, venue de Grèce, consiste à élire un "Roi Du Festin", qui décide du nombre de coupes de vin que chacun doit boire, impose des gages et des défis, propose des jeux d'osselets. Gaius redoute toujours un peu ce moment, où l'excès de boisson entraine parfois des dérapages et des querelles lorsque les invités réclament le jeu de dés (ce qui est illégal) et parient des sommes folles. Mais heureusement, la joyeuse compagnie finit toujours par se séparer plus ou moins paisiblement, dans l'ivresse générale, et chacun rentre chez soi - parfois en titubant et en s'appuyant fébrilement sur l'épaule d'un esclave...

Mosaïque montrant des Romains jouant aux dés.

                                       Pour autant, ces somptueuses cenae ne sont pas le quotidien de Gaius, qui se contente bien souvent d'un dîner frugal, en famille. Dans ce cas, il se couche de bonne heure, d'une part parce qu'il sait qu'il se lèvera tôt le lendemain, et d'autre part car les lampes à huiles éclairant faiblement, il n'a pas la possibilité de travailler ou de lire dans la pénombre. Quant à ses esclaves, ils peuvent enfin se reposer : une fois la maison endormie, leur journée de travail est enfin achevée...

                                   
                                       Dès le lendemain matin, notre ami Gaius reproduira peu ou prou les mêmes gestes, et effectuera les mêmes activités... Un peu comme nous, finalement ! A quelques détails près, bien sûr : nos jours fériés ont remplacé les jours néfastes, nos repas ne sont plus égayés que par la télévision, et il y a belle lurette que mes esclaves ne sont pas venus me saluer le matin. Mais fondamentalement, il semble bien que le train-train quotidien soit notre lot à tous... N'empêche : je regrette  un peu la cena : voilà qui devait être plus amusant que de dîner devant le journal télévisé !


2 commentaires:

  1. Ho ho ! Encore un article très instructif et vraiment intéressant.. Le tout soupoudré d'humour en plus ! Vous placez réellement la barre haute ! J'ai été envoûté par votre article sur Coclès mais voilà un récit tout aussi captivant... Vous avez un don de narration humoristique remarquable et j'aime ça ! Il est certain que beaucoup de personnes savourent votre travaille sans toujours prendre la peine de laisser un commentaire. Continuez de nous plonger dans cet incroyable univers romain ! :)
    G@briel, élève latiniste de 4ème.

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  2. Chouette ! Merci beaucoup pour le commentaire et les compliments. Je répète toujours que ça me fait plaisir et c'est vrai : je suis toujours touchée qu'on prenne le temps de poster quelques lignes. Et si mes petites blagues en font sourire d'autres que moi, c'est super ! J'aime bien l'idée qu'on peut traiter sérieusement d'un sujet sans pour autant plomber l'ambiance...

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