mercredi 4 décembre 2013

Veni, Vidi, Vici : Formule-Choc Pour Victoire-Eclair.


                                        Ah, Jules César ! Sans aucun doute le Romain le plus célèbre, et probablement l'un de ceux qui a inspiré le plus de romans, de films, de pièces de théâtre, etc. Génie militaire, il savait aussi mettre son sens de la stratégie au service de ses ambitions politiques. A ce titre, voilà bien un homme qui avait compris la signification du mot "propagande", et l'importance d'une formule bien choisie. Qu'on ne se méprenne pas : sous ma plume (ou plutôt sous mon clavier), cette remarque n'a rien de négatif et j'ai toujours été admirative de la manière dont César avait su user de tous les moyens pour retourner l'opinion en sa faveur. Avec un succès qui ne s'est toujours pas démenti de nos jours.

Jules César.

                                        J'ai déjà eu l'occasion de décrypter sur ce blog le célèbre "Alea Jacta Est", solennellement lancé sur les rives du Rubicon, alors que César s'apprêtait à pénétrer dans l'enceinte sacrée de Rome, à la tête de soldats armés jusqu'aux dents. Une petite phrase qui ne paye pas de mine, mais dont on se souvient encore 20 siècles plus tard. Et en la matière, Jules en connaît un rayon. Je me penche donc aujourd'hui sur une autre formule césarienne passée à la postérité : "Veni, Vidi, Vici", traduite en Français par "Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu".

                                        Si la phrase en question date de 47 avant J.C., il nous faut remonter quelques années en arrière pour bien comprendre les circonstances dans lesquelles elle fut prononcée. Ou pas, mais je vais y revenir...

                                        Nous voici donc en 49 avant J.C. : César vient de franchir le Rubicon. Pompée et le Sénat, sans armée pour riposter ou se défendre, fuient Rome précipitamment et se réfugient en Grèce, près des provinces orientales où ils espèrent lever des troupes et trouver l'approvisionnement nécessaire auprès des états clients et des alliés de la république romaine. En théorie, l'idée n'est pas mauvaise, à ceci près que les territoires en question se trouvent alors sans garnison, ce qui les rend particulièrement vulnérables.

Pharnace II.

                                        Cela n'a pas échappé à Pharnace II, qui choisit précisément ce moment pour secouer le cocotier romain : roi du Pont, fils de Mithridate VI avec qui les Romains (et notamment Pompée) ont eu maille à partir, il profite de la guerre civile pour lancer l'offensive et tenter de récupérer les terres qui appartenaient autrefois au royaume de son père. Et il ne fait pas dans la dentelle, puisqu'il assassine joyeusement les Romains (dont le gouverneur de la province d'Asie) et émascule les prisonniers. Englués dans le conflit opposant César à Pompée, les Romains ne peuvent rien faire pour l'en empêcher.

Pompée.

                                        Après la défaite des pompéiens lors de la bataille de Pharsale (48 avant J.C.), et la mort de Pompée en Égypte, César a toujours les mains liées. A Alexandrie, il tente de rétablir sur le trône sa maîtresse Cléopâtre, et la guerre contre les partisans de Ptolémée XIII (hiver 48 - 47 avant J.C.) lui interdit toute action contre ce satané Pharnace.

                                        Mars 47 avant J.C. : victorieux en Égypte, César peut enfin s'occuper du cas Pharnace. Traversant rapidement les provinces orientales (Judée, Syrie, Cilicie, etc.), il en profite pour convoquer les Rois et gouverneurs romains de la région qui ont soutenu Pompée. Contre toute attente, il leur accorde son pardon.
"Dejotarus, qui possédait, avec le titre de tétrarque, presque toute la Galatie et, avec celui de roi, la petite Arménie, vint au-devant de César sans insignes et en suppliant. Il avait combattu à Pharsale pour Pompée et s'attendait à expier douloureusement la faute de n'avoir pas su deviner le vainqueur. Selon les usages anciens, cette imprudence devait lui coûter ses États, peut-être la vie ; il en fut quitte pour des reproches, une amende et la perte de quelques districts ; César lui rendit les ornements royaux." (Victor Dury, "Histoire Romaine", LVII. Via http://www.mediterranees.net/)

                                        Pendant ce temps-là, Pharnace fait moins le malin. Conscient que l'affrontement avec César est inévitable, et tablant sur le fait qu'il est le seul roi de l'Est à être resté neutre durant la guerre civile, il fait appel à la clémence de son ennemi. En vain : César refuse, arguant que le Roi du Pont a tiré avantage de la situation pour piller la région et tuer des citoyens romains. Toutefois, il lui propose une alternative : Pharnace doit quitter son royaume, libérer les prisonniers romains, réparer les préjudices financiers et bien sûr, se soumettre. Pharnace fait mine d'accepter, mais il ne cherche en fait qu'à gagner du temps, espérant que les poches de résistance pompéiennes ouvriront d'autres fronts qui détourneront l'attention de l'Imperator. Mais si César est clément, la patience n'est pas son fort : les atermoiements de Pharnace, il en a ras la couronne de lauriers !  

Jules César : sa victoire sur Pharnace. (Carte promotionnelle Liebig)

                                        En mai 47 avant J.C., Pharnace a posté son armée sur une colline près de la ville de Zela ; César se trouve sur une colline à quelques miles de distance, de l'autre côté d'une vallée. L'endroit n'a pas été choisi au hasard : le père de Pharnace, Mithridate, y avait défait une armée romaine 20 ans plus tôt. Les 4 légions romaines ont commencé à bâtir des fortifications, pensant à tort que l'ennemi chercherait à éviter une confrontation directe. Or, le 30 mai, Pharnace avance ses lignes et attaque César. Malgré sa pugnacité et l'effet de surprise, c'est un véritable carnage: l'armée du Pont est en déroute. Pharnace réussit à s'échapper avec quelques cavaliers, mais ses hommes sont tués ou capturés par les Romains. Selon César, il n'a pas fallu 4 heures pour anéantir l'ennemi - rafles de prisonniers en fuite incluses.
"Cette fois cependant, Pharnace, qui se vantait d'avoir gagné vingt-deux batailles, osa attendre l'armée romaine et l'attaqua le premier. César sourit à cette audace. Une seule action réduisit le fils de Mithridate à fuir avec quelques cavaliers jusque dans le Bosphore ; il y fut tué par Asander,qui avait épousé sa sœur Dynamis et qui prit sa place. En cinq jours cette guerre était terminée." (Victor Dury - ibid.)
Le triomphe de César. (Via www.iletaitunehistoire.fr)
                                        Victoire-éclair, donc, et que César résume par le laconique : "Veni, vidi, vici." Dans quelles circonstances ? Les avis divergent : Plutarque prétend que la phrase est extraite du rapport que César fait parvenir au Sénat après la bataille ; Suétone affirme qu'elle était affichée sur une enseigne portée lors de son triomphe à Rome ; selon d'autres sources, il l'aurait écrite dans une lettre à un ami. Trois récits qui, finalement, ne sont pas incompatibles : quand on a trouvé une bonne formule, autant l'user jusqu'à la corde ! Mais en définitive, la phrase n'a jamais été prononcée par César.

                                       Pour autant, l'aristocratie romaine n'apprécia guère l'allitération, qu'elle interpréta comme une signe de mépris. Au sortir des guerres civiles dans lesquelles Rome était engluée, César exprimait ainsi la manière dont il avait remporté une victoire facile et rapide en tant que chef militaire, sans s'appuyer sur le Sénat. Son prestige, il ne le devait qu'à ses succès sur les champs de bataille, et pas aux intrigues politiques. C'était aussi une pierre dans le jardin des pompéiens, Pompée ayant bâti sa carrière sur ses campagnes en Orient : sa gloire, il ne la devait donc qu'à ses victoires contre de bien piètres ennemis...   

                                        Toujours est-il que la petite phrase fit mouche. Plutarque écrit par exemple :
"En latin, ces trois mots terminés à l'identique ont une grâce et une brièveté qui disparaissent dans toute autre langue." (Plutarque, "Vie De César", 56) 
Sa simplicité, sa brièveté, sa musicalité et son efficacité n'ont cessé de séduire. Devise de l'école des snipers de l'armée américaine (quoi qu'étrangement transformée en "vini, vidi, vici"), elle a aussi été employée par des compositeurs ou des écrivains. La pop culture n'est pas en reste : dans la B.D. (Au hasard : "Je suis venu, j'ai vu, et je n'en crois pas mes yeux" dans "Astérix Légionnaire"), la musique (De Jay-Z aux Hives en passant par Incubus.), et même au cinéma ("We came, we saw, we kicked his ass" dans "SOS Fantômes".), ce "Veni Vidi Vici" a été détourné à de multiples reprises, avec plus ou moins de finesse. Bref, la citation est passée dans le langage populaire. Preuve que, si César était un grand chef militaire, il a raté une belle carrière de publicitaire : imaginez les slogans qu'il aurait pu inventer !  La preuve ? "Veni vidi vici" apparaît même sur les paquets de cigarettes Marlboro !

Logo de Marlboro.







4 commentaires:

  1. Votre chronique est passionnante, comme d'habitude, et c'est un régal de vous lire.
    Juste une petite question : pourquoi dites-vous que César n'a en réalité jamais prononcé cette phrase?

    Cordialement

    RépondreSupprimer
  2. En fait, j'avoue que j'ai joué sur les mots... A priori, César a écrit la phrase, mais ne l'a pas prononcée lors d'une allocution ou devant le Sénat par exemple. Cela dit, je n'étais pas dans son intimité : peut-être l'a-t-il dite en privé ! Merci en tous cas pour le commentaire. :-)

    RépondreSupprimer
  3. Dans quelle circonstances Jules César a di cette phrase veni vidi

    veci

    RépondreSupprimer
  4. Et bien, c'est expliqué dans le texte : avec cette formule, César fait référence à la victoire rapide qu'il a remportée sur Pharnace...

    RépondreSupprimer

Réactions, commentaires, messages : exprimez-vous !