Tertullien, Ovide, Martial, Horace, Juvénal... Et je pourrais continuer comme ça longtemps. La littérature latine est sans doute l'une des plus riches du monde antique, et elle est d'ailleurs encore publiée et lue de nos jours, et pas seulement par les latinistes et / ou les déglingués dans mon genre. Et c'est très bien, mais qu'en était-il à l'époque ? Qui lisait
Virgile ou
Tibulle à Rome, et de quelle manière les œuvres des plus grands auteurs (et des autres) parvenaient-elles au public ? Pouvait-on vivre de sa plume - ou de son calame ? Et, plus largement, comment lisait-on à Rome ? Des interrogations qui ont suscité la curiosité de la bibliovore impénitente que je suis.
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Jeune fille lisant. (Bronze du Ier s. - Photo Marie-Lan Nguyen.) |
A priori, nous avons tendance à croire que, dans une activité aussi anodine que la lecture, il n'existe que peu de points communs entre l'Antiquité romaine et notre époque. C'est une idée à la fois exacte et erronée. La lecture elle-même diffère en effet, ne serait-ce que de par les moyens techniques dont nous disposons, et qui étaient inconnus des Romains. En revanche, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la diffusion des écrits posait déjà à l'époque des problèmes que nous connaissons encore aujourd'hui et qui, de façon étrangement ironique, reviennent dans l'actualité précisément en raison de ces mêmes avancées technologiques... Car internet, en passe de transformer de manière radicale la façon dont nous achetons et consommons (quel vilain mot !) la littérature et l'écriture en général, soulève de sérieuses interrogations quant aux droits d'auteur, aux droits de copie et de diffusion d'un texte, au rôle des maisons d'édition et des libraires, etc. Toutes ces questions, les Romains se les posaient déjà il y a plusieurs siècles !
LIRE DANS LA ROME ANTIQUE : LE LECTEUR, LE LIVRE, LA LITTÉRATURE.
Mais commençons par le commencement. Car, outre que les Romains vivaient sans internet (!!), ils ne connaissaient pas non plus l'imprimerie, invention géniale grâce à laquelle les écrits ont pu se diffuser plus largement à partir du XVème siècle, et qui permet aujourd'hui à chaque rentrée littéraire de multiplier les parutions, en battant à chaque fois le record de l'année précédente. Imaginez-vous bien qu'à l'époque, sans l'invention de
Gutenberg, les ouvrages devaient être recopiés à la main, et l'équivalent antique de l'imprimerie n'était rien de moins qu'un bataillon d'esclaves, chargé de retranscrire laborieusement les œuvres d'un
Virgile, d'un
Horace ou d'un
Ovide, ensuite écoulées sur le marché romain.
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École romaine. (Stèle du IIème s., retrouvée à Trier, Allemagne.) |
C'est à dessein que j'emploie le mot de "marché" : même en retenant une estimation basse du taux d'alphabétisation, et en considérant que la Rome impériale comptait grosso modo une population d'un million d'habitants, on arrive au chiffre d'environ 100.000 lecteurs potentiels. Rome possède une véritable culture de l'écrit, et les gens capables de lire et écrire ne se trouvent pas uniquement dans l'élite de la population, mais dans toutes les couches sociales, comme le démontrent les graffiti de Pompéi.
Outre les bibliothèques privées, les grandes cités possèdent toutes des bibliothèques publiques, souvent aménagées à l'intérieur des thermes. La
première bibliothèque publique, construite par Asinius Pollion, date du début du Ier
siècle et, à la fin de l'Empire, on en dénombre environ une trentaine rien qu'à Rome.
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Ruines de la bibliothèque de Celsus, Turquie. |
On peut ajouter que pour les Romains, grands pragmatiques, la littérature doit avant tout être utile, plutôt que de viser le beau ou l'expression artistique.
Echion, personnage (certes caricatural) du
"Satiricon" de
Pétrone, déclare ainsi :
"Je viens d'acheter à mon gamin des bouquins rouges [des livres de droit] : je veux qu'il goûte un peu du droit ; ça peut servir à la maison et c'est une science qui nourrit son homme : il n'est déjà que trop entiché de littérature. " (Pétrone, "Satiricon", XLVI.)
D'où un nombre considérable de traités et de manuels en tout genre (sur l'agriculture, les produits de beauté, la comptabilité...), accessibles au tout venant. Cette obsession de l
'utilitas se rencontre même dans un genre en apparence aussi peu utilitaire que la poésie, Horace expliquant par exemple :
"Les vieillards ne veulent pas d'un poème sans enseignement moral; les chevaliers dédaigneux ne vont pas voir un drame trop austère; mais il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps; son livre enrichit Sosie le libraire, va même au delà des mers, et donne au poète une notoriété durable." (Horace, "Art Poétique", 343.)
La poésie doit donc être
dulce et utile - et nourrir son homme, mais nous en reparlerons plus loin...
Voilà donc pour les lecteurs. Passons maintenant aux "livres" - terme que j'emploie dans un souci de simplification. Car les "livres" antiques ne ressemblent pas aux nôtres : au moins jusqu'au IIème siècle (avec l’invention du codex), il s'agissait de rouleaux (
volumen), constitués de longues bandes de papyrus enroulées sur deux tiges de bois à chaque extrémité. Pour lire un
volumen, on le tenait de la main droite et on déroulait le papier de la main gauche. Les feuillets ne portaient le texte que sur une seule face. Ces ouvrages étaient conservés dans des coffrets cylindriques, les
capsae.
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Volumen antique. |
Le système n'allait pas sans inconvénients. D'abord, on imagine combien ces rouleaux étaient encombrants. Ensuite, on devine qu'il n'était pas évident de retrouver ou de revenir sur un point précis du texte - par exemple pour relire un passage ou se remémorer un nom ou une phrase. A contrario, lire demandait une certaine concentration et un effort de mémoire, justement pour éviter d'avoir à rechercher un passage déjà lu. L'exercice était encore compliqué par le fait qu'on écrivait le plus souvent le texte d'une traite, en accolant toutes les lettres sans séparer les différents mots. A côté, la lecture de "
La Veillée des Finnegan" de
James Joyce devient simple comme
Ave ! Et pour finir, il convenait d'enrouler à nouveau le
volumen une fois l'ouvrage achevé, afin que le lecteur suivant ne soit pas obligé de revenir au début afin de trouver le titre de l'ouvrage en question. Cette règle élémentaire de savoir-vivre n'était sans doute pas toujours respectée, au point que certains scribes ont cru bon de répéter le titre de l’œuvre à la fin, pour résoudre le problème !
Évidemment, l'influence de Rome dans le domaine de la lecture va plus loin, et ne se limite pas à l'usage des rouleaux. L'impérialisme romain a ainsi largement contribué à la diffusion de l'alphabétisation dans le monde antique, et le système d'éducation latin, axé sur la grammaire et la rhétorique, est un des piliers qui servira de base à toute une partie de la culture de l'Europe médiévale - sans même mentionner les apports de la civilisation romaine dans le domaine du droit ou de la littérature à proprement parler.
Justement, revenons-en à la littérature. Avant même la naissance d'une littérature "nationale", les Romains étaient obsédés par la littérature grecque, et de nombreux auteurs ont traduit et adapté des pièces de théâtres ou des poèmes grecs, adaptations soigneusement recopiées par des scribes consciencieux, et diffusées auprès des lecteurs. Petit à petit, Rome a créé sa propre littérature, ses propres "best-sellers" originaux, et notamment au cours d'un âge d'or que l'on peut situer entre le Ier siècle avant et le Ier siècle après J.C.
César et
Cicéron, par exemple, font partie des grands auteurs en prose de la fin de la République. Puis, sous le règne des
Julio-Claudiens, apparaissent des noms aussi célèbres que
Virgile, Horace ou
Ovide, auteurs d'une grande partie de la meilleure poésie occidentale.
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"Le Jeune Cicéron Lisant" (Œuvre de Vincenzo Foppa.) |
En quoi cette littérature latine diffère-t-elle des œuvres d'origine grecque ? Personnellement, il me semble que la plupart de ces œuvres latines sont écrites pour être lues, plutôt que pour être récitées. D'où la nécessité d'une adaptation, plutôt qu'une simple traduction. Prenons l'exemple de
"L'Odyssée" de
Homère et comparons-là à
"L'Enéide" de
Virgile - les deux pouvant grossièrement se résumer à deux récits de voyage. Les épopées d'
Homère me paraissent écrites avec plus d'ampleur, une dramaturgie plus grandiose mais parfois un peu caricaturale et grandiloquente - et sont donc davantage adaptées à la déclamation, à la mise en scène, qu'à une lecture sur papier. En revanche, les effets de style, les longues expositions et descriptions virgiliennes laissent à penser que "
L'Enéide" est d'abord un texte écrit, avant d'être un texte récité. De là à imaginer que
Virgile, et avec lui les grands poètes de cet âge d'or, accordaient plus d'importance à l'écrit qu'à la transmission orale, il n' y a qu'un pas, que la célèbre maxime latine "
vox audita perit, littera scripta manet" - la parole se perd, les écrits restent - pourrait bien permettre de franchir.
Reste qu'il faut toujours garder à l'esprit, lorsqu'on se penche sur la littérature antique, que nous n'avons pas le même regard ni la même conception que nos ancêtres. Tout d'abord, cette obsession de l'
utilitas évoquée plus haut permet de comprendre que les Romains ne faisaient pas nécessairement la distinction, comme nous le faisons, entre la poésie et la fiction d'une part, et les écrits théoriques et la non-fiction de l'autre - toute œuvre devant remplir cet impératif d'utilité pour être jugée "bonne". De plus, j'ai déjà souligné l'importance des écrits théoriques, des traités et manuels pratiques, au détriment desquels on a parfois tendance à surestimer la production poétique ou littéraire. La rhétorique et le droit constituaient sans doute les principaux sujets des livres de l'époque, puisqu'ils étaient à la base de la formation du citoyen, dont la réputation se construisait à coups de grands discours, d'interventions publiques, d'oraisons ou de plaidoyers - au cours desquels on ne se privait pas des effets faciles, de la dramatisation ou de la subjectivité la plus totale, puisqu'il s'agissait de convaincre et de persuader l'auditoire. C'est bien sûr le cas des hommes politiques et des avocats, et il est symptomatique de constater que les deux hommes les plus connus de la fin de la République,
Jules César et
Cicéron, étaient reconnus pour leurs talents oratoires et littéraires, et que leur Latin passe encore aujourd'hui pour l'un des plus purs.
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Buste de Cicéron. |
ÉCRIRE DANS LA ROME ANTIQUE : ÉDITEURS, LIBRAIRES ET ÉCRIVAINS.
Dans la Rome antique, les manuscrits étaient donc recopiés à la main, afin d'être plus largement diffusés. Lorsqu'on en vient justement à la publication et la distribution des œuvres littéraires, les choses n'ont apparemment guère évolué depuis 2000 ans : de gros éditeurs exploitant de malheureux auteurs, des écrivains qui tentent de court-circuiter les libraires, des best-sellers qui lancent une carrière, et des prix littéraires permettant à un jeune poète de se faire connaître...
Le problème majeur des écrivains à Rome, ce sont apparemment les droits d'auteur. Ou plutôt l'absence de droits d'auteur, ainsi que le raconte le poète
Martial (Ier siècle) :
"Ce n'est pas seulement aux oisifs de la ville et aux oreilles inoccupées que s'adressent mes écrits ; ils sont lus aussi par l'austère centurion qui combat au milieu des glaces de la Gétie. Les Bretons eux-mêmes chantent, dit-on, mes vers. Mais à quoi bon ? ma bourse ne s'en ressent pas." (Martial, "Épigrammes", XI-3.)
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Portrait de Martial. |
La plupart des écrivains romains sont dans le même cas que
Martial, et les bénéfices qu'ils auraient pu titrer de la vente de leurs œuvres finissent dans les poches des libraires, qui associent généralement le commerce de livres à une entreprise de copie, et font donc office d'éditeurs autant que de distributeurs. Dans le meilleur des cas, l'auteur reçoit un montant forfaitaire de la part du libraire, couvrant les droits de copie de son travail. Encore faut-il nuancer : une fois le livre sorti, il n'existe aucun moyen d'empêcher les copies "pirates".
Horace, glorificateur du règne de l'empereur
Auguste, a dressé une comparaison évidente: les libraires sont de riches proxénètes, et les livres sont leurs prostituées.
" Il me semble, mon livre, que tu regardes souvent du côté de Vertumne et de Janus. Est-ce que tu voudrais être exposé en vente dans la boutique des Sosies [Les libraires], poli et relié par leurs mains ? Tu t'indignes, je le vois, de rester sous la clef : l'obscurité, si chère à la modestie, n'est pas ton fait. Honteux d'avoir un petit nombre de lecteurs, il te faut le grand jour de la publicité. Sont-ce là les sentiments dans lesquels je t'avais élevé ? Eh bien, va donc où tu brûles d'aller ! mais souviens-toi que, une fois dehors, il n'y aura plus à revenir. Malheureux, diras-tu à la première boutade que tu essuieras, qu'ai-je fait ? quels vœux ai-je formés ? Tu sais aussi combien le lecteur se gênera peu pour te remettre dans tes plis, quand l'ennui le prendra. Voici donc, si le dépit que tu me causes ne m'aveugle pas, voici de point en point ce qui t'adviendra. Fêté à Rome, tant que tu conserveras l'attrait de la jeunesse, une fois que tu auras passé dans toutes les mains, et qu'on aura sali tes pages, tu deviendras, dans un coin, la pâture des vers, ou bien tu passeras à Utique, si mieux on n’aime t'expédier pour Lérida, servant d'enveloppe à des marchandises. " (Horace, "Épitres", I-20.)
Mais Horace n'est pas le plus à plaindre : après tout, il est sous la protection du célèbre Mécène (voir
ici), qui contribue largement à couvrir ses dépenses, et lui a même offert une maison.
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"Horace, Virgile et Varius chez Mécène." (Toile de F.J. Jalabert.) |
De leurs côtés, les libraires à Rome sont regroupés dans certaines rues, comme le
Vicus Sandalarius (Le "
quartier des cordonniers"), non loin du Colisée. Devant les boutiques s'étalent des publicités mentionnant les principaux titres disponibles, et souvent quelques citations tirées des meilleures ventes du moment.
Martial raconte par exemple :
"Au marché de César se trouve un magasin / Dont la façade, en très gros caractères, / Offre, affiché, le nom de mes confrères / Et sans doute le mien ; tu n'iras pas plus loin." (Martial, "Satires", I - 118.)
Mais ceux qui se décident à entrer trouveront dans la boutique un endroit où s'asseoir pour lire et découvrir les ouvrages les plus récents, ainsi que des esclaves qui leur apporteront des rafraîchissements - un peu comme dans un café littéraire, en somme. Les collectionneurs peuvent parfois dégotter de belles affaires. Un lettré romain raconte ainsi avoir déniché un vieil exemplaire de "
L'Enéide" de
Virgile - mais pas n'importe quel exemplaire, puisque le libraire lui a certifié qu'il avait appartenu à
Virgile lui-même ! Histoire invraisemblable, peut-être, mais qui a tout de même convaincu notre homme de débourser une belle somme pour l'acquérir (à peu près deux fois la solde annuelle d'un soldat, en fait...) Le fameux "
Édit du Maximum" - soit une liste de prix émise par
Dioclétien en 301 - nous indique que la somme nécessaire pour acquérir une copie de bonne qualité comptant 500 lignes suffisait à nourrir une famille de quatre personnes pendant toute une année !
On peut certes trouver des ouvrages à des prix nettement plus raisonnables, mais les livres à bas prix sont parfois de mauvaise qualité, et risquent fort de tomber rapidement en lambeaux. Pire encore : la demande est telle, et surtout tellement pressante, que les libraires essayent de produire des copies le plus rapidement possible, et en conséquence elles sont parfois remplies d'erreurs, et prennent même quelques libertés avec le texte original.
On pourrait également dire un mot des plagiaires, mais
Martial encore l'a fait de telle manière qu'il ne semble pas nécessaire d'ajouter grand-chose :
"Plagiaire impudent, voleur de mes écrits, / Qui crois que pour être poète / Il suffit d'acheter un volume à vil prix, / Reviens de ton erreur ; ce beau nom que l'on fête, / Par or, ni par argent, ne fut jamais acquis. / Crois-moi, va déterrer au fond d'un secrétaire / Quelque rouleau chargé de bons ou mauvais vers, / Vierge encore et connu seulement de son père ; / Qui, sans avoir passé sous les yeux du vulgaire / Ne fut encore visité que des vers. / Un livre publié ne change plus de maître. / Mais si tu cherches bien, peut-être / Tu trouveras sur ton chemin / Un volume nouveau, dont les soins d'un libraire / N'ont encore poncé ni rougi le vélin. / Qu'on te le cède, mais sous le sceau du mystère, / Puis, chez toi, de ton nom va couvrir ton larcin. / Voilà tout le secret : celui dont l'impuissance / Veut s'illustrer par l'ouvrage d'autrui, / Traitant avec l'auteur, doit acheter de lui / Son livre et surtout son silence." (Martial, "Satires", I - 66.)
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"Virgile Lisant L'Enéide à Auguste, Octavie et Livie." (Oeuvre de J.B. Wicar.) |
Nous avons vu que les écrivains antiques ne touchaient qu'une faible somme pour la vente de leurs textes, et strictement aucun droit d'auteur. Mais ça ne les empêchait pas de vouloir promouvoir leurs œuvres, et de faire savoir à tout Rome que leur nouveau
volumen était disponible en librairie. Pour se faire, on organisait des lectures, publiques dans les basiliques, les odéons, les salles de spectacle, etc. ou plus privées, sur invitation, généralement dans la demeure d'un riche mécène (le nom commun, cette fois !). On imagine que, tout comme pour les romanciers actuels, ce genre de réceptions pouvait parfois tourner au désastre - seulement quelques spectateurs, venus boire un verre de vin à l’œil, qui échangent poliment quelques mots avec l'auteur, avant de battre en retraite... sans avoir acheté un seul exemplaire !
Pline se plaint ainsi
:
"Cette année, nous avons des poètes à foison. Il n'y a pas un seul jour du mois d'avril qui n'ait eu son poème, et son poète pour le déclamer. Je suis charmé que l'on cultive les sciences, et qu'elles excitent cette noble émulation, malgré le peu d'empressement qu'ont nos Romains d'aller entendre les pièces nouvelles. La plupart, assis dans les places publiques, s'amusent à écouter des sornettes, et se font informer de temps en temps si l'auteur est entré, si la préface est expédiée, s'il est bien avancé dans la lecture de sa pièce. Alors vous les voyez venir gravement, et d'un pas qui visiblement se ressent de la violence qu'ils se font. Encore n'attendent-ils pas la fin pour s'en aller : l'un se dérobe adroitement ; l'autre, moins honteux, sort sans façon et la tête levée. " (Pline le Jeune, "Lettres", XIII - 1.13)
Pour se faire connaître, le moyen le plus sûr était encore de décrocher un prix littéraire. La nature humaine est ainsi faite que les rivalités semblent exister depuis l'aube de l'humanité, dans tous les domaines, y compris dans la littérature. On raconte par exemple que, bien avant Rome,
Homère et
Hésiode s'étaient affrontés lors d'un concours - le second l'emportant sur le premier au motif que ses
"Les Travaux Et Les Jours", long poème sur l'agriculture, était plus "utile" que
"L'Iliade". De nombreuses œuvres grecques, d'ailleurs, étaient écrites en vue de compétitions similaires. Plus tard, les empereurs romains ont souvent lancé des concours littéraires, versant au vainqueur des sommes non négligeables. Un prix Goncourt antique, en quelque sorte... Des auteurs déjà établis et publiés y prenaient part, et si certains ont été couronnés de succès, ils couraient surtout le risque d'être éclipsés voire humiliés par des amateurs. Une pierre tombale romaine commémore par exemple un prodige de 11 ans du nom de
Sulpicius Maximus, mort peu de temps après avoir participé en 94,
"avec honneur", à un prestigieux prix de poésie à Naples. Il avait impressionné les juges avec sa composition sur un thème mythologique bien connu : un discours de
Jupiter, sermonnant le dieu du soleil qui avait prêté son char au jeune et insouciant
Phaéton.
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Tombe de Quintus Sulpicius Maximus. (Photo Barbara McManus) |
On pourrait être tenté de verser des larmes amères sur le sort de ces malheureux auteurs antiques, spoliés dans leurs droits, et dont les œuvres étaient exploitées sans qu'ils n'en vissent le premier sesterce. Mais on peut aussi considérer que la postérité les a finalement vengés : les textes d'un
Virgile, d'un
Tite-Live, d'un
Martial ou d'un
Cicéron sont maintenant des classiques de la littérature, toujours achetés et lus de nos jours. Un destin à faire pâlir d'envie tous nos écrivains contemporains, voire même un
Balzac ou un
Proust. Je n'ose imaginer la somme qu'atteindraient les droits d'auteur d'
Horace aujourd'hui - quoi que ses œuvres soient, malheureusement pour lui, tombées dans le domaine public...
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Marc Aurèle rédigeant ses "Pensées". (Via University Of Texas.) |
Il y a encore une chose que nous devons à Rome, en matière de lecture et d'écriture : la police de caractère "
Times New Roman" ! Sans doute l'une de plus utilisées, elle nous vient paraît-il des inscriptions et épigraphies romaines, et plus particulièrement des lettres gravées sur la
colonne Trajane, érigée à Rome aux alentours de 114 pour commémorer les victoires militaires de l'empereur. Décidément, voyez jusqu'où va se loger l'héritage antique !!!
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(Illustration : Healingweeks.com) |