dimanche 15 mars 2015

Mappalice : Saint, martyr et nouveau voisin.

                                       Je vous l'avais promis : après un déménagement épique, à côté duquel la conquête de la Gaule fut sans doute une franche rigolade, je reprends mon calame (ou plutôt mon clavier) et la rédaction de ce blog. En dépit de quelques ajustements à venir, me voici à nouveau prête à chausser mes sandales pour arpenter les chemins de l'Antiquité romaine. Et justement, puisque tous les chemins mènent à Rome, il ne m'a pas fallu longtemps pour dénicher un petit bout d'Antiquité, à quelques mètres à peine de chez moi...

                                       Quittant Nîmes pour le Vaucluse, près d'Orange au pied du Mont Ventoux, je ne suis finalement pas trop dépaysée : j'ai simplement troqué la Maison carrée et les arènes pour le théâtre antique et l'Arc de triomphe. En revanche, je n'étais pas forcément très optimiste quant aux éventuelles traces que mes chers Romains avaient pu laisser à Jonquières, mon village d'adoption. Il faut dire que l'endroit n'a longtemps été qu'une zone marécageuse, apparemment inoccupée durant l'Antiquité. Les recherches archéologiques menées sur place n'ont révélé que quelques pièces d'argent en majorité celtes, et la présence romaine se concentrait surtout aux alentours, où des tombes et une nécropole ont été mises au jour.


Saint Mappalice, sur la façade de l'église de Jonquières.


                                       Pourtant, au cœur du dédale des petites rues sinuant dans le centre se dresse une église du XIIème siècle. De 1137 pour être précise, date de la première construction réalisée à la demande du Pape Innocent II. Or, au-dessus de la porte se trouve une niche contenant la statue de son saint protecteur : Saint Mappalice. Bon, j'admets volontiers mon ignorance en ce qui concerne les saints catholiques (après tout, je suis protestante !), mais celui-là, je n'en avais vraiment jamais entendu parler. Renseignements pris, ce Saint Mappalice n'est pas n'importe qui.

                                       Nous sommes en 249. Trajan Dèce est le nouvel empereur, et il hérite d'une bien piètre situation: attaqué par les Barbares sur les frontières, le territoire dominé par Rome est aussi frappé par de nombreuses crises intérieures qui menacent directement le pouvoir impérial. Dèce entreprend donc de restaurer la cohésion de l'Empire en édictant toute une série de mesures destinées à rassembler le peuple autour du culte impérial et de la Pax deorum, garante du maintien de la paix et de la prospérité. Fin 249 ou début 250, il promulgue notamment un édit imposant à tous les citoyens de l'Empire de sacrifier aux Dieux. Il s'agit davantage d'un serment d'allégeance à l'Empereur et à l’État que d'une mesure strictement religieuse. Mais si elle s'applique à tous et ne vise pas spécifiquement les Chrétiens, il est impensable pour ceux-ci d'y obéir : nombre d'entre eux refusent. Ils sont alors arrêtés.


Trajan Dèce. (Musées du Capitole.)


                                       Certains abjurent leur foi et se soumettent, mais d'autres persistent et restent fidèles à leur religion: ils meurent sous la torture. Bien que de courte durée (dès la seconde année du règne de Dèce, les persécutions s'éteignent et la tolérance religieuse redevient la norme), cette répression est extrêmement violente - en particulier en Orient, où éclatent par exemple des pogroms anti-chrétiens à Alexandrie ou Carthage. Et c'est justement à Carthage qu'apparaît notre Mappalice. Il demande le pardon de l’Église pour sa mère et sa sœur qui ont abjuré, et lui-même refuse de sacrifier aux Dieux païens et à l'Empereur. Il est torturé et exécuté, et son martyre est cité par Saint Cyprien, évêque de la cité, dans plusieurs de ses lettres :
"La présente lutte en a fourni une preuve. Une parole pleine de l'Esprit saint est tombée des lèvres d'un martyr, lorsque le bienheureux Mappalice, au milieu des tourments, dit au proconsul : 'Demain, vous aurez le spectacle d'un combat dans l'arène'. Cette promesse, qui témoignait du courage de sa foi, Dieu l'a accomplie. Une lutte céleste, un combat de martyr a été mené, et le serviteur de Dieu a remporté la couronne dans la lutte annoncée. (...) Le bienheureux martyr et ses compagnons de lutte, fermes dans la foi, patients dans la souffrance, victorieux dans la torture : je vous souhaite et je vous recommande ardemment de les imiter à votre tour." (Cyprien de Carthage, "Lettres", X-4-1.)
On ne peut pas dire que Cyprien ne suit pas ses propres conseils : suite à ses écrits, il est à son tour victime de la répression et connaît le même sort que Mappalice.



Le martyr de Saint Mappalice. (via Hagiopedia.blogspot.com )

                                       Reste une énigme : que fait donc ce saint martyr carthaginois, perdu en plein cœur de la Provence? Mystère. Le site internet de Jonquières mentionne simplement un texte relatant la visite de l’évêque d’Orange, et selon lequel un culte a été rendu à Saint Mappalice dans l'église du village où ses reliques ont été vénérées. Mais après tout, nouvelle Jonquiéroise venant de Nice via Londres et Nîmes, qui suis-je pour juger de l'itinéraire emprunté par mon nouveau voisin ? 






6 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour Fanny
Content de te revoir et de lire de nouveau tes articles, rien ne t'empêche de reprendre la via pour refaire un tour à Nemausus de temps en temps.
Hannibal est passé dans la région peut être certain de ses soldats fatigués ou dégoûtés se seraient arrêté dans cette région aux belles filles et s'y sont intalé

Sylviane a dit…

Déjà à la plume ( non au clavier) Bonne installation!

FL a dit…

Merci ! Toujours au milieu des cartons, mais ça commence à ressembler à quelque chose... (Voire même à une maison habitable.)

FL a dit…

Bonjour Minvtio !
Ah, tu peux compter sur moi pour faire de nombreux allers-retours : les Nîmois ne sont pas encore débarrassés de moi ;-)
Je trouve très pertinente ton idée de soldats carthaginois qui auraient décidé de s'implanter dans la région au lieu de crapahuter derrière leur chef... Je vais essayer de me renseigner sur cette hypothèse. Personnellement, j'adore l'idée !

Anonyme a dit…

Coucou ..

Toujours contente de trouver dans ma BAL un mail de "La toge et le Glaive " C'est d'ailleurs un de ceux qui me font le plus plaisir.

Je suis sûre que tes pénates sont ravies de leur nouvel environnement et toi, tu es vraiment dans ton élément ....pas très loin de Lugdunum ( à peine 2 heures ) à moins que tu n'adoptes le rythme antique .Tu n'arriverais pas à temps pour le festival européen latin grec qui se déroule en ce moment ici .

En tout cas , nous comptons sur toi pour nous faire découvrir Arausio .. Lyllia

FL a dit…

Merci beaucoup pour ton message, c'est super sympa de ta part... et aussi très flatteur !

Je reconnais que je regrette vraiment de devoir faire l'impasse sur le FELG cette année. Si tu y vas, n'hésite pas à laisser des commentaires - voire à m'envoyer un courriel si tu as envie de faire un compte-rendu. Je le publierais avec joie, et je serais surtout ravie d'avoir des échos.

Enfin, je ne devrais pas avoir trop de difficultés à trouver matière à quelques articles dans le coin. Je ferai de mon mieux, en tous cas !