lundi 25 juin 2012

Bonne lecture : "Claude" de Pierre Renucci.

                                        J'ai déjà eu l'occasion de vous présenter quelques livres mais, jusqu'ici, je m'étais bornée à vous proposer des romans, des fictions ayant pour cadre l'antiquité romaine. Aujourd'hui, j'ai décidé de vous parler de "Claude" de Pierre Renucci, sorti il y a quelques mois aux éditions Perrin. Cette biographie du quatrième des Julio-Claudiens a évidemment retenu mon attention, notamment parce qu'il est généralement, avec Tibère, le grand oublié de cette "dynastie". Il faut dire que le malheureux, coincé entre les règnes de Caligula et de Néron, fait certainement moins vendre que ces deux-là, respectivement son neveu et son fils adoptif. Claude n'a rien d'un dément, il n'assassine pas à tour de bras (le strict minimum : quelques sénateurs, plusieurs centaines de chevaliers, une épouse et quelques membres de la famille. Rien d'extraordinaire, vu le contexte), ne flanque pas le feu à Rome, ne massacre pas les Chrétiens, ne se prend pas pour un Dieu, ne nomme pas son cheval au Sénat... Ce serait limite barbant !

                                       Pourtant, la vie de Claude a quelque chose de romanesque. Pour commencer, rien ne le prédisposait à revêtir un jour la pourpre. Bien qu'issu de la famille impériale (petit-fils de Livie, de Marc-Antoine, fils de Drusus et d'Antonia, donc neveu de Tibère... N'en jetez plus !), il est écarté de toute responsabilité en raison d'une pathologie mal identifiée à ce jour. Il boîte, il bave, il bégaye : bref, il a toutes les apparences de l'idiot congénital. Sa mère le traite "d'ébauche d'avorton", sa grand-mère ne lui adresse pas la parole, et tout le monde (à l'exception d'Auguste et de Tibère) se moque de lui et le méprise. Mais il faut toujours se méfier des apparences : Claude est remarquablement intelligent. Et cultivé : entre autres livres, ce passionné d'Histoire rédige un ouvrage de 20 tomes sur les Étrusques. Qu'importe, il est considéré comme un sombre abruti. Ce qui, finalement, est une chance, et lui permet de traverser les règnes sanglants de Tibère et Caligula sans se faire trucider ! Rares sont ceux qui peuvent en dire autant. Dans l'affolement succédant au meurtre de Caligula, il est retrouvé, tremblant, caché derrière une tenture, par un garde prétorien... et est acclamé Empereur par les troupes, à la surprise générale - et la sienne en premier lieu ! A l'âge de 51 ans, il accède donc à la tête de l'Empire romain, mais il doit compter avec l'opposition d'un Sénat vexé d'avoir été mis devant le fait accompli, les intrigues de palais visant à prendre l'ascendant sur lui, voire à le renverser, les scandales provoqués par sa femme Messaline, et les manigances d'Agrippine, qu'il épousera ensuite, et par qui il sera vraisemblablement empoisonné. (Il fallait bien faire place nette pour son fils Néron !) Avouez que, dit comme ça, ça paraît déjà nettement moins ennuyeux !  

Buste de Claude - musée archéologique de Naples. (Photo Mary Harrsch)

                                       Remarquable biographie, ce livre tente de réhabiliter l'Empereur Claude, présenté par les sources antiques comme un demeuré influençable, un goinfre obsédé sexuel, dominé par ses épouses successives et ses affranchis. En réalité, l'auteur démontre qu'il était un homme d'état compétent, un politique talentueux et subtil, capable de ménager le Sénat tout en imposant une réforme en profondeur de l’administration, de la législation et de la justice. En confiant de hauts postes à d'anciens esclaves, en ouvrant le Sénat à des descendants d'affranchis et à des provinciaux, il jeta les bases des réformes à venir, et améliora tous les rouages de l'Empire. Le livre peut, grosso modo, se diviser en deux moitiés égales : après une première partie purement biographique, consacrée à la vie de Claude, à Messaline et à l'ascension d'Agrippine, Pierre Renucci développe tous les aspects plus techniques du règne dans des chapitres expliquant en détails la politique extérieure et intérieure de Claude. La conquête de la Bretagne, la diplomatie en Orient, le statu quo aux frontières rhénanes, les réformes sus-citées, l'importance des affranchis, les rapports avec le Sénat, etc. : aucun point n'est négligé, offrant un panorama complet du règne. Certes, le propos est souvent complexe, mais toujours passionnant, car l'auteur a l'intelligence de l'expliciter et de le remettre dans le contexte, avec pédagogie et limpidité. Il faut parfois s'accrocher devant les méandres des lois et des usages romains, mais au final, le lecteur finit toujours par en comprendre toutes les subtilités. Une sacrée gageure, mais le défi est magnifiquement relevé.

                                        Ne vous attendez pas à un récit racoleur : il y aurait certes matière à cancaner, mais le livre s'en tient aux faits. Plus, l'auteur décortique les assertions des auteurs antiques (Suétone, Flavius Josèphe, Pline l'Ancien, Dion Cassius, Tacite) et donne son avis de manière argumentée et très souvent convaincante. C'est en particulier le cas en ce qui concerne le fameux "mariage" de Messaline avec le consul Caius Silius. Pour résumer l'affaire, disons que l'impératrice, tombée folle amoureuse de Silius, aurait décidé de l'épouser et de lui faire adopter le fils qu'elle avait eu de Claude (le fameux Britannicus), avant de faire de lui le nouvel Empereur. Voilà pour la version officielle, minutieusement examinée par l'auteur, qui démonte scrupuleusement chacun des rouages pour proposer plusieurs explications alternatives, autrement plus crédibles. Et c'est un des aspects qui m'a particulièrement plu : Pierre Renucci se mouille, il ose donner son opinion - mais son opinion d'Historien, en analysant les textes, l'épigraphie, les faits. L'avis de l'homme transparaît pourtant, mais bizarrement, moins en ce qui concerne Claude que ses prédécesseurs. Je pense d'ailleurs avoir trouvé quelqu'un qui partage mon sentiment quant à Caligula, qui n'était certainement pas le fou sanguinaire que l'on a souvent décrit...

Claude - musée du Vatican.

                                        Bref, un ouvrage remarquable à bien des égards, rigoureux, bien écrit et très instructif. Pierre Renucci, qui a déjà publié des biographies d'Auguste, Tibère et Caligula (vivement celle consacrée à Néron !), maîtrise clairement son sujet. Cela dit, commencer par ce livre n'est peut-être pas la meilleure manière d'aborder le règne de Claude : je pense qu'il faut d'abord avoir quelques points de repères, pour ne pas être perdu au milieu du maelström julio-claudien, ne serait-ce que du point de vue généalogique ! C'est pourquoi je suggérerais de lire d'abord "Moi, Claude Empereur" de Robert Graves, avant d'enchaîner sur cette biographie. De quoi mettre la fiction à l'épreuve des faits et l'éclairer à la lumière de l'Histoire, en quelque sorte...



"Claude"
de Pierre Renucci, aux éditions Perrin - 384 pages, 23 euros : lien.

    

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