En évoquant certains empereurs romains et les circonstances de leur accession au pouvoir, j'ai été amenée à mentionner à plusieurs reprises la garde prétorienne, dont la réputation n'est plus à faire : ses membres, les prétoriens, sont en effet connus pour faire et défaire les Empereurs, au gré de leurs intérêts, portant au pouvoir celui qu'ils assassineront peu après.
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Relief dit des prétoriens. (Musée Du Louvre.) |
En théorie, l'Empereur doit être désigné par le Sénat. Du moins en apparence car, dans les faits, l'assemblée se borne à entériner la décision de l'Empereur précédent, qui avait "pressenti" un successeur : c'est le cas de
Tibère par exemple, reconnu par les sénateurs mais déjà étroitement associé au pouvoir par
Auguste. Toutefois, l'influence des militaires se manifeste de façon criante, et leur poids politique va grandissant au fil du temps :
Vespasien ou
Constantin par exemple, sont proclamés Empereur par leurs légions. Et ne parlons pas des Empereurs-soldats du IIIème siècle ! Dans certains cas toutefois, ce ne sont pas les légions cantonnées aux frontières qui jouent un rôle déterminant en faveur de leur Général, mais bien la garde prétorienne qui influe directement sur la destinée de l'Empire. Soit par la désignation "musclée" d'un nouvel Empereur, soit en dézinguant le Princeps régnant. La garde prétorienne étant quelque peu versatile, il peut d'ailleurs lui arriver d'exécuter celui-là même qu'elle a contribué à porter au pouvoir. Cette troupe, en marge du reste de l'armée, a donc pesé sur l'Histoire de Rome. D'où l'importance d'en apprendre davantage sur ces féroces prétoriens.
ORIGINE DE LA GARDE PRÉTORIENNE.
La garde prétorienne, c'est en quelque sorte une unité d'élite composée de soldats chargés d'assurer la sécurité de l'Empereur. Institutionnalisée par
Auguste, son origine remonte pourtant à la période républicaine. Bien qu'il n'existe alors aucune structure officielle chargée de protéger les officiers, certains généraux, gouverneurs de province ou magistrats prennent l'habitude de choisir les plus braves des hommes placés sous leurs ordres pour s'entourer d'une garde personnelle. Parmi ces magistrats, on trouve notamment les commandants des légions qui occupent la tente prétorienne
(praetorium), au centre du camp. De là vient le nom de ces troupes de protection rapprochée : c'est la cohorte prétorienne
- cohors praetoria.
"Si cependant personne ne le suit, il [César] partira avec la dixième légion seule, dont il ne doute pas, et elle sera sa cohorte prétorienne." (César, "Guerre des Gaules", I-40.)
En plus de jouer les gardes du corps, les prétoriens interviennent aussi en dernier recours lors des batailles, en tant qu'unité de réserve.
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Buste de Scipion l’Africain. (Musée archéologique de Naples) |
On rapporte que la pratique était déjà courante chez les gouverneurs des provinces romaines à l'époque d'un des
Scipion, mais on ignore duquel il s'agit exactement (!!). L'Histoire retient parfois que l'un des premiers à s'être entouré d'une telle troupe de protection est
Scipion Émilien (env. 184 - 129 avant J.C.), au cours du siège de Numance : pour assurer sa protection, il constitue un corps de 500 hommes choisis dans son armée. D'autres avancent le nom d'un des
Scipion l'Africain.
"Scipion l'Africain fut le premier qui choisit dans l'armée les hommes les plus braves, et en forma un corps qui ne le quittait pas durant la guerre, était exempt de tout autre service, et recevait une solde sextuple." (Festus, "De La Signification Des Mots", Livre XIV. Trad. P. Remacle.)
FONCTIONNEMENT ET RÔLE DES PRÉTORIENS.
Les étendards et les enseignes prétoriens portent les images de l'Empereur en exercice, mais aussi le symbole des prétoriens : il s'agit d'un scorpion, soit le signe zodiacal de l'Empereur
Tibère sous le règne duquel les cohortes ont acquis la puissance qui leur permettra bientôt d'influer sur la désignation des Empereurs. L'organisation de la garde est globalement similaire à celle d'une légion ; chaque cohorte est placée sous le commandement d'un tribun, ancien centurion primipile dans la légion qui doit obligatoirement avoir servi au sein des vigiles et des cohortes urbaines. Sous les ordres de ce dernier se trouvent six centurions, chacun responsable d’une troupe de 60 à 80 hommes (centurie). Chaque cohorte comprend, en plus des fantassins, une centurie de cavaliers - raison pour laquelle les prétoriens font partie des cohortes
equitae. Enfin, plusieurs inscriptions laissent supposer qu'il existait un (ou peut-être deux)
princeps castrorum, nommé(s) par l'Empereur pour veiller à la bonne gestion du camp des prétoriens.
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Un prétorien avec son enseigne. (via http://lecba.superforum.fr) |
Bien que les prétoriens, tout comme n'importe quel légionnaire, n'aient pas le droit de se marier avant leur démobilisation, ils jouissent cependant de plusieurs avantages. D'abord, ils sont les seuls militaires à pouvoir circuler en armes dans l'enceinte de Rome, bien que les hommes chargés de la protection rapprochée de l'Empereur ne portent pas l'uniforme mais la toge. Il s'agit certainement d'une réminiscence de l'interdiction d'entrer armé à l'intérieur du
poerium. Ensuite, leur temps de service est plus court que celui d'un légionnaire (16 ans contre 25) et ils peuvent être promus directement au grade de centurion dans une légion. Leur solde est également deux à trois fois plus élevée que celle d'un légionnaire. A titre d'exemple, un prétorien touche sous
Auguste une solde annuelle de 3000 sesterces contre 900 pour un simple légionnaire, et l'écart maximal est atteint sous
Maximin Thrace, avec 24 000 contre 7 200 sesterces ! A quoi il faut ajouter des distributions gratuites de blé (à partir du règne de
Néron) et surtout les primes accordées par les Empereurs lors de leur accession à la Pourpre, des répressions des complots ou au gré des évènements concernant la famille impériale (naissance, mariage ou anniversaire).
A la fin de leur service, les prétoriens reçoivent en outre une prime équivalente à 10 fois leur solde annuelle, voire parfois des terres qui leur sont allouées par l'Empereur. Enfin, la charge est prestigieuse : en contact direct avec l'empereur, les prétoriens sont souvent sollicités pour lui présenter des requêtes. Cependant dans l'ensemble, ils ne sont guère appréciés du peuple et du Sénat et sont réputés pour leur violence, leur brutalité et les exactions dont ils se rendent coupables.
L'effectif de ces cohortes prétoriennes varie au fil du temps : de 9 cohortes d'environ 500 hommes chacune sous
Auguste, on passe à 12 sous
Caligula, puis 16 pendant la guerre civile de 69 ;
Vespasien abaisse ce nombre à 9 cohortes, puis
Domitien le porte à 10 - soit 5000 hommes, chiffre qui ne changera plus. A l'origine, les prétoriens sont des volontaires, choisis parmi les citoyens romains de vieille souche, mais
Claude en ouvre le recrutement aux citoyens de toute la péninsule, puis
Septime Sévère l'étend à tous, sans distinction d'origine.
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Stèle funéraire d'un membre de la cavalerie prétorienne. (Museo della civilita romana) |
La garde prétorienne comprend également un détachement de cavalerie (
equites singulares Augusti) qui escorte l’empereur lors de ses déplacements, et notamment au cours des campagnes militaires. Elle est principalement constituée de provinciaux revêtus du costume de leur peuple d'origine et équipés de leurs propres armes. Au fil du temps, ses effectifs varient : comptant 512 cavaliers répartis en 16
turmes, ce nombre est augmenté par
Trajan, qui y intégre des citoyens romains et en fait une unité permanente de la garde prétorienne.
Septime Sévère double le nombre d'
equites, de sorte que la cavalerie et l'infanterie prétoriennes atteignent le même effectif.
Si les prétoriens assurent la sécurité de l'Empereur, ils n'en remplissent pas moins d'autres tâches, au moins aussi importantes. Ils sont notamment chargés de la lutte contre les ennemis intérieurs - autrement dit, la garde prétorienne est utilisée comme force de répression face aux contestataires et au cours des guerres civiles. Elle n'agit d'ailleurs pas seulement à Rome, mais peut être déployée à travers tout le territoire. Sous l'Empire, elle intervient par exemple lors des mutineries de Pannonie et de Germanie qui suivent l'avènement de
Tibère : les deux rébellions de légionnaires, qui se plaignent de leurs conditions de service comparées à celles des prétoriens, sont respectivement écrasées par
Drusus (le fils de
Tibère) et
Germanicus avec l'aide des cohortes et de la cavalerie prétoriennes. Ce dernier conduit ensuite une campagne en Germanie, à la tête de ses propres légions et de détachements de prétoriens.
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"Germanicus Devant Les Restes Des Légions De Varus". (Tableau de Lionel Royer) |
La garde accompagne l'Empereur lors de ses déplacements, en particulier lors des opérations militaires : elle est aux côtés de
Caligula en Germanie, de
Claude en Bretagne, ou encore de
Trajan en Dacie. On la charge parfois d'activités annexes : ainsi, ce sont les prétoriens de
Néron qui creusent l'isthme de Corinthe et, en 61, un petit groupe de prétoriens part même en expédition pour rechercher la source du Nil. Enfin, une des cohortes surveille en permanence les trois théâtres de Rome, les courses de chevaux et les combats de gladiateurs, de manière à éviter les émeutes et les mouvements de foule.
LE PRÉFET DU PRÉTOIRE.
Jusqu'à l'an 2 avant J.C., chaque cohorte prétorienne est indépendante et obéit aux ordres d'un tribun de rang équestre. Mais à partir de cette date, la garde prétorienne est placée sous le commandement du ou des préfets du prétoire - bien que les hommes chargés de la protection de l'Empereur prennent directement leurs ordres de ce dernier. Selon les époques, les préfets sont au nombre de deux, trois voire quatre, la collégialité permettant d'éviter qu'un seul homme ne concentre entre ses mains toute l'autorité sur ces troupes puissantes. Sous
Tibère cependant,
Séjan occupe seul la fonction - avec les dérives que l'on sait (voir
ici). Du reste, il est apparemment le seul à avoir assumé la fonction sans collègue. Jusqu'à
Vespasien, le préfet du prétoire est toujours un chevalier, et la charge représente la plus haut échelon de la carrière équestre. L'autorité qu'il exerce sur l'ensemble des militaires stationnés à Rome fait du préfet un personnage d’état extrêmement puissant et influent, avec lequel l'Empereur comme le Sénat doivent compter. Certains sauront en tirer parti...
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As de Tibère frappé sous le consulat de Séjan. |
À partir du IIe siècle, l'autorité du préfet s'accroit puisqu'il commande à toutes les garnisons de Rome sauf aux vigiles - soit aux prétoriens évidemment, mais aussi aux cohortes urbaines et aux
Equites singulares Augusti.
Plus tard, après la dissolution des cohortes prétoriennes par
Constantin le Grand (voir ci-dessous), la fonction de préfet du prétoire change radicalement de nature et n'est plus qu'administrative. L'Empire est divisé en 4 préfectures (Gaules, Italie, Illyrie et Orient) et les préfets, réunis en collège de 2 à 6 membres, dirigent un de ces groupements de diocèses, les "préfectures du prétoire", au nom de l’Empereur à l'approbation duquel sont soumises toutes leurs décisions.
ÉVOLUTION DE LA GARDE PRÉTORIENNE SOUS L'EMPIRE.
Lors de la guerre civile opposant
Marc Antoine à
Octave-Auguste, les deux hommes disposent chacun de leur propre garde prétorienne. Après sa victoire,
Auguste fusionne les deux troupes, intégrant celle d'
Antoine à la sienne, et créant la première garde prétorienne impériale vers 27 avant J.C. Il l'organise donc en neuf cohortes de 1000 hommes chacune, numérotées de I à IX. Trois de ces cohortes sont cantonnées à Rome : les soldats logent en ville, hormis une cohorte qui réside dans un camp contigu au palais impérial. Les 6 autres stationnent à proximité de Rome :
"Il choisit un certain nombre de troupes pour sa garde et pour celle de la ville…Cependant il ne souffrit jamais qu'il y eût dans Rome plus de trois cohortes; encore n'y campaient-elles pas. Il mettait habituellement les autres en quartiers d'hiver ou d'été près des villes voisines." (Suétone, "Vie d'Auguste", 49.)
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Porta praetoriana, façade ouest du camp, aujourd'hui murée. (© Joris via wikipedia) |
Sur les conseils de son préfet du prétoire
Séjan, qui juge que les soldats résidant dans l'Urbs s'amollissent à l'écart de la vie militaire,
Tibère décide de les réunir au sein d'un camp. Il fait construire vers 22 une caserne, le
Castra Praetoria, située au Nord de la ville, entre les monts Quirinal et Viminal mais toujours à l'extérieur de l'enceinte des murs serviens. Ce camp est bâti selon le plan traditionnel propre à tous camps de légionnaires. Les fouilles archéologiques ont permis de découvrir sur le site les traces de l'armurerie impériale, mais aussi celles de nombreux sanctuaires de taille variable : les plus grands, respectivement dédiés à Mars et aux enseignes, étaient situés à l'intérieur même du camp ; d'autres plus modestes aux alentours, étaient certainement voués à des Dieux provinciaux, issus des régions d'origine des prétoriens. Au nord du camp s'élevait aussi un autel dédié à Fortuna Restitutrix. Outre les neuf cohortes prétoriennes, le camp accueille aussi les cohortes urbaines, jusqu’alors dispersées en Italie.
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Plan de la caserne prétorienne. (via www.roma-antiqua.de) |
Comme nous l'avons vu, la garde prétorienne a connu de nombreuses variations d'effectifs durant les premiers temps de l'Empire, jusqu'à ce que l'effectif des soldats atteigne sous
Domitien le nombre de 5000. Après l'assassinat de
Pertinax, Septime Sévère prend la précaution de la réformer : il se méfie en effet de ces soldats italiens, enclins à privilégier des candidats "locaux". Il ouvre donc l'accès à la garde prétorienne à tous les légionnaires, quelle que soit leur origine. Il souhaite ainsi y intégrer les soldats de l’armée du Danube et des légionnaires provinciaux qui, pensent-ils, lui seront plus fidèles.
Vers la fin du IIIème siècle, les prétoriens perdent de leur importance.
Dioclétien (284) choisit comme garde personnelle des légions d'Illyriens, en lieu et place de la garde prétorienne. Puis en 312, les prétoriens font partie de l'armée de
Maxence, qu'ils ont porté au pouvoir. Les cohortes sont anéanties lors de la bataille du Pont Milvius (28 octobre 312), qui voit la victoire de
Constantin : l'ensemble de la garde prétorienne meurt noyée dans le Tibre. Plutôt que de la reconstituer avec ses propres soldats,
Constantin préfère dissoudre la garde prétorienne, que l'on tient pour l'une des principales causes de l’instabilité du régime. Après cette suppression, les installations du camp prétorien sont transformées et louées comme habitation à la population.
"Après la victoire de Constantin, les légions prétoriennes, qui avaient mérité la haine publique, et les cohortes urbaines, toujours plus disposées à se soulever qu'à veiller à la sûreté de la ville, furent à jamais licenciées et cassées; on leur ôta leurs armes; on leur défendit même de porter l'habit militaire." (Aurélius Victor, "Les Césars", 40.)
LES PRÉTORIENS : FAISEURS D'EMPEREURS ?
Nous avons vu que
Tibère, sous l'impulsion de
Séjan, a cantonné la garde prétorienne dans un seul camp militaire. Selon le préfet du prétoire, les soldats résidant en ville s'étaient "amollis" au contact de la population. En réalité,
Séjan a bien compris tout l'intérêt qu'il peut retirer de la concentration des forces prétoriennes, cantonnées à proximité immédiate de la ville :
"Avant lui, la préfecture du prétoire donnait une autorité médiocre ; pour l'accroître, il [Séjan] réunit dans un seul camp les cohortes jusqu'alors dispersées dans Rome. Il voulait qu'elles reçussent ses ordres toutes à la fois, et que leur nombre, leur force, leur vue mutuelle, inspirassent à elles plus de confiance, aux autres plus de terreur. Ses prétextes furent la licence de soldats épars ; les secours contre un péril soudain, plus puissants par leur ensemble ; la discipline, plus sévère entre des remparts, loin des séductions de la ville. Le campement achevé, il s'insinua peu à peu dans l'esprit des soldats par sa familiarité et ses caresses. En même temps il choisissait lui-même les centurions et les tribuns… " (Tacite, "Annales", IV-2.)
C'est en effet avec
Séjan que la garde prétorienne prend l'importance qu'on lui connaît, et qui lui vaudra cette légende noire. Tout d'abord sous l'influence de son préfet (
Séjan donc, puis son successeur
Macron), elle finit par devenir une force quasiment indépendante, intervenant dans les luttes pour la succession impériale.
Caligula avait déjà pu s'appuyer sur
Macron et sur ses hommes pour accéder à la Pourpre.
Claude, qui lui succède en 41, est le premier empereur à être véritablement "choisi" par les prétoriens, qui l'imposent à un Sénat qui n'en peut mais : les malheureux sénateurs n'ont d'autre choix que d'entériner le choix des prétoriens.
Claude ne s'y trompe d'ailleurs pas, et leur verse une prime importante en récompense.
"C'est ainsi qu'il passa la plus grande partie de sa vie, lorsqu'un événement tout à fait extraordinaire le fit arriver à l'empire, dans la cinquantième année de son âge. Au moment où les assassins de Caius écartaient tout le monde, sous prétexte que l'empereur voulait être seul, Claude s'était éloigné comme les autres et retiré dans un cabinet appelé Hermaeum. Bientôt, saisi d'effroi à la nouvelle de ce meurtre, il se traîna jusqu'à une galerie voisine, où il se cacha derrière la tapisserie qui couvrait la porte. Un simple soldat qui courait çà et là, ayant aperçu ses pieds, voulut voir qui il était, le reconnut, le retira de cet endroit; et tandis que la peur précipitait Claude à ses genoux, il le salua empereur…Il reçut les serments de l'armée et promit à chaque soldat quinze mille sesterces. C'est le premier des Césars qui ait acheté à prix d'argent la fidélité des légions." (Suétone, "Vie de Claude", 10.)
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Monnaie à l'effigie de Claude avec, au revers, le camp prétorien. |
D'autres exemples suivront, à commencer par
Néron en 58 :
"Porté dans le camp, Néron fit un discours approprié aux circonstances, promit des largesses égales à celles de son père, et fut salué empereur." (Tacite, "Annales", XII-69.)
Au fil du temps, les prétoriens ressemblent de plus en plus à des mercenaires, vendant leur loyauté au plus offrant. A ce titre, les évènements de l'année qui suit la mort de
Néron (68-69, dite année des 4 empereurs) sont édifiants : les prétoriens se rangent d'abord derrière
Galba, moins par conviction que parce que leur préfet leur a promis en son nom une forte somme d'argent. Mais voilà,
Galba refuse de verser la somme convenue : pas question de payer des mercenaires ! Erreur fatale, car les prétoriens le lâchent : ils l'égorgent en plein forum et proclament
Othon à sa place. Mais celui-ci, vaincu par les partisans de
Vittelius, se suicide. La garde - qui ne sait plus à quel Empereur se vouer - acclame alors ce même
Vittellius, qu'elle combattait pourtant encore la veille... Cette versatilité atteint son paroxysme en 193 :
Pertinax est littéralement massacré par sa propre garde prétorienne, qui l'avait pourtant porté au pouvoir ! Pire, les prétoriens mettent littéralement l'Empire aux enchères, et soutiennent le plus gros payeur - en l’occurrence, le sénateur
Didius Julianus, qui ne règne que quelques semaines avant d'être assassiné à son tour.(Et on pense évidemment à la conclusion du film "
La Chute de l'Empire Romain").
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Didius Julianus. |
On comprend mieux pourquoi, à l'époque de
Constantin, la garde prétorienne avait acquis la réputation de faire et défaire les Empereurs, et pourquoi elle passait pour responsable du climat d'instabilité politique dominant depuis des décennies. Réputation en partie méritée, du moins au cours du premier siècle de l'Empire. Mais en réalité et en dépit des exemples cités ci-dessus, cette réputation parait très excessive et, en dehors des crises de 68-69 et 192, les prétoriens sont globalement restés fidèles à l’Empereur qu'ils servaient. Il n'en reste pas moins que les prétoriens ont contribué, plus ou moins directement, à l'ascension et/ou à la chute de plusieurs Empereurs.
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Claude devient Empereur suite à l'intervention des prétoriens. |
Au total, on peut considérer que la garde prétorienne a plus ou moins permis à 8 Empereurs d'accéder à la Pourpre :
Caligula, Claude, Néron, Othon, Pertinax, Didius Julianus, Gordien III et
Maxence. De la même manière, on se figure souvent que les prétoriens ont allègrement massacré les Empereurs qui leur déplaisaient, pour les remplacer par d'autres, plus à leur goût ; en fait, ils n'en ont éliminé que 6 - bien qu'on retrouve parmi eux deux de ceux qu'ils avaient porté au pouvoir :
Caligula, Galba, Pertinax, Héliogabale, Papien et
Balbin.
En définitive, on constate donc que les légions dispersées sur l'ensemble du territoire romain eurent un influence plus importante et imposèrent plus souvent que nos amis prétoriens leur favori comme Empereur. Dans tous les cas, l'illusion d'un Princeps choisi par le sénat ne tenait pas : face aux militaires - légionnaires ou prétoriens - les sénateurs étaient démunis et contraints de s'incliner devant leur décision. Ainsi, le nouvel Empereur était presque toujours acclamé par les prétoriens ou les légions des provinces, et le sénat ne faisait qu'entériner ce choix.
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Les equites singulares augusti accompagnent Trajan en campagne en Dacie. (colonne trajane via wikipedia) |
Les prétoriens, force militaire centralisée car stationnée à Rome, ne furent bientôt plus en phase avec un Empire romain au sein duquel le pouvoir glissait insensiblement vers les provinces : aux Empereurs issus de Rome succédèrent des Italiens, des hommes issus des provinces occidentales puis enfin d'Afrique et d'Orient. Le morcellement de l'Empire ne pouvait qu'être fatal à une force armée, certes d'élite, mais intrinsèquement attachée à la ville de Rome : le déclin de l'Urbs signa la mort de la garde prétorienne.
Il en reste cependant des traces, même encore de nos jours. Tout d'abord le terme "prétorien" qui désigne, par glissement et de façon péjorative, les partisans d'un régime dictatorial ou militaire. Mais aussi le devise de la garde prétorienne, sensée rappeler aux soldats leur serment de fidélité à l'Empereur :
"Semper Fidelis" - "toujours fidèle". Abrégée en "
Semper Fi.", elle est encore employée aujourd'hui par les Marines américains (comme le savent tous les fans de la série NCIS !), mais aussi par des régiments français (47e régiment d'infanterie de ligne), canadien, britannique et suisse. On le retrouve également sur certaines armoiries, et c'est enfin la devise de la ville de Saint-Malo.
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Blason de la ville de Saint-Malo. |