mercredi 13 février 2013

Conférence : L'iconographie érotique antique.

                                        Il y a quelques mois de cela, je vous avais présenté un numéro des "Dossiers d'Archéologie" consacré au sexe à Rome (ici). Une large partie de cette revue était l’œuvre de Cyril Dumas, conservateur des Musées des Baux de Provence. Si je reviens aujourd'hui sur le sujet, c'est à l'occasion d'une conférence que l'auteur a donnée Samedi 9 Février au musée archéologique de Nîmes : "L'iconographie érotique antique". Encore que notre intervenant lui-même avoue, sous forme de boutade, que l'intitulé de cette rencontre a surtout été choisi pour attirer le plus grand nombre (avec succès, puisque la salle était bondée !) et que "L’amour et l'humour dans l'art romain" aurait été plus adéquat...

Monsieur Cyril Dumas.


                                        L'érotisme dans la Rome antique, pour les non-initiés, se résume souvent aux fresques de Pompéi. Parce qu'elles sont spectaculaires et frappent les sens, mais aussi car la censure chrétienne qui s'est prolongée jusqu'à nos jours a occulté le sujet et, le recouvrant d'une chape de plomb, en a empêché l'étude dans son ensemble, excitant encore plus l'imagination et donnant lieu à toutes sortes de généralisations et d'élucubrations, faisant de ces représentations le réceptacle de notre propre conception d'un sexualité marquée par la morale judéo-chrétienne. Cyril Dumas, qui a exploré de nombreuses collections à travers l'Europe, a élargi l'analyse et, au-delà des fresques, a étudié statues, bijoux, objets de la vie quotidienne, etc. pour proposer une autre conception de cet érotisme, qu'il nous expose à travers deux thématiques : Priape et les saynètes.

PRIAPE - OU TROP, C'EST TROP.

 

Priape de la Maison des Vettii, portant des fruits sur le plateau d'une balance, son sexe faisant contrepoids.

                                        L'une des figures que l'on associe spontanément à la sexualité, c'est bien sûr celle de Priape. Ce Dieu, fils des amours d'Aphrodite et de Zeus (ou de Dionysos, selon d'autres légendes), est la victime de la jalousie d’Héra envers la déesse de l'amour - soit à cause de sa beauté, soit à cause de l'infidélité de son époux. Héra, jette en effet un sort au rejeton de sa rivale, et voilà comment Priape se retrouve affublé d'une difformité obscène : un sexe énorme, en perpétuelle érection. Cet attribut lui vaut de devenir le Dieu de la fécondité et de la fertilité, au sens large du terme puisqu'on l'associe notamment à la nature et à la végétation.

                                        On le retrouve ainsi dans les jardins de l'antiquité romaine, où il est symbolisé par un bâton planté dans la terre, dont on peint en rouge l'extrémité. Il protège alors les récoltes et punit les voleurs éventuels, qu'il viole ou assomme avec son sexe. Il est aussi souvent montré portant des végétaux dans un panier ou dans les pans de son vêtement, ce qui le relie au culte bacchique.

                                        Priape, souvent assimilé à Pan, est semble-t-il le Dieu le plus représenté de l'antiquité et son culte se répand dans tout l'Empire, où il fusionne parfois avec d'autres divinités locales. Paradoxalement, on ne lui connait aucun temple.

                                        Dans l'antiquité, un sexe de petite taille est un critère de beauté et il est un signe d'élégance et de tempérance. A contrario, un sexe trop gros ou trop long pourrait même, selon Aristote, être une cause de stérilité. L'organe démesuré de Priape, s'il lui vaut d'être un Dieu de la fertilité, fait paradoxalement son malheur : abandonné, rejeté à cause de cette difformité, il le condamne aussi dans sa sexualité. En effet, grotesque et obscène, il est incapable de séduire. Cette contradiction trouve son illustration dans la légende de la nymphe Syrinx : poursuivie par Pan, elle fuit sur les berges du fleuve Ladon et échappe au désir sexuel du Dieu en étant changée en roseaux. Pan, déçu, est cependant charmé par le bruissement du vent dans les roseaux et il les assemble alors pour garder une trace de la jeune fille, inventant du même coup la flûte qui porte son nom.
"Un jour, le dieu Pan, qui hérisse sa tête de couronnes de pin, descendant du Lycée, la vit, et lui adressa ce discours…." Mercure allait le rapporter. Il allait dire comment la nymphe, insensible à ses prières, avait fui par des sentiers difficiles jusqu'aux rives sablonneuses du paisible Ladon; comment le fleuve arrêtant sa course, elle avait imploré le secours des naïades, ses sœurs; comment, croyant saisir la nymphe fugitive, Pan n'embrassa que des roseaux; comment, pendant qu'il soupirait de douleur, ces roseaux, agités par les vents, rendirent un son léger, semblable à sa voix plaintive; comment le dieu, charmé de cette douce harmonie et de cet art nouveau, s'écria : "Je conserverai du moins ce moyen de m'entretenir avec toi"; comment enfin le dieu, coupant des roseaux d'inégale grandeur, et les unissant avec de la cire, en forma l'instrument qui porta le nom de son amante." (Ovide, "Les Métamorphoses", I - 689.)
Pan et Syrinx, mosaïque du Musée de Naples. (Photo via Mary Harrsch.)


                                        Ici abstinent malgré lui, Priape n'est donc pas un Dieu de la sexualité. Chez lui s'incarne le fascinus (phallus en érection) par opposition à la mentula (phallus au repos) qui symbolise la continence. Fascinus, un terme qui renvoie à la magie (fascinum), en ce qu'il y a dans la procréation une part d'irrationnel, quelque chose d’incompréhensible qui échappe à l'Homme. Cette acception magique fait du Dieu un protecteur, un symbole apotropaïque et pour tout dire superstitieux.

                                        Parfois représenté sous une forme anthropomorphique, ce personnage obscène se prête à merveille à la caricature : il en devient alors grotesque et provoque le rire - un rire là encore apotropaïque, destiné à repousser le mauvais œil. Il est même souvent réduit à sa principale caractéristique, un phallus en érection doté de pattes, que l'on peut voir sur de nombreux bas-reliefs, sur des lampes à huile et autres objets.

Phallus protecteur chassant le mauvais œil - Bas-Relief de Leptis Magna
Il est alors généralement associé à d'autres éléments, vulgaires ou humoristiques comme par exemple un nain, un coq, un ou des sexes surnuméraires ou encore à des sonnailles (tintinabulla), destinés à accroître la charge protectrice en repoussant les esprits et le mauvais sort. L'image de Priape devient de plus en plus abstraite au fil du temps.

Tintinnabula. (via revoada.net)


                                        Sous ces diverses formes, on le retrouve partout, et en particulier dans tous les endroits dangereux et où l'on se sent vulnérable : aux carrefours, sur les ponts, aux portes des villes dont il assure la sécurité, sur les frontières de l'Empire (comme par exemple sur le mur d'Hadrien.) Très souvent lié à l'eau, il figure près des fontaines, sur les aqueducs ou dans les thermes (où l'homme nu est sans défense). 


Mosaïque de thermes.

Phallus sur un pavé d'une route de Pompéi.
On a beaucoup glosé sur les phallus sensés indiquer la direction des lupanars : ce n'est qu'un mythe, assure Cyril Dumas, preuves à l'appui. Ce qui n'exclut pas la présence de ces signes aux abords de ces lieux, où ils évitent alors au client les maladies vénériennes, tout comme ils empêchent les naissances illégitimes lors de rapports sexuels. Et, au sujet des lupanars, signalons que celui de Pompéi est le seul bâtiment de ce type qui nous soit connu, grâce à cette fameuse éruption volcanique qui lui a permis de traverser les siècles sans dommage... Dans les autres cas, on a déduit la présence d'un de ces bordels de la découverte de phallus géants - prémisse erronée, comme nous venons de le voir.

Vestige retrouvé dans une boulangerie de Pompéi. (Photo via armillum.com)

                                        Mais Priape n'est pas seulement présent dans l'architecture, et il occupe une bonne place dans des objets de la vie quotidienne, et ce dans tous les milieux, des plus riches aux plus pauvres. Les amulettes représentant un phallus sont nombreuses, qu'elles soient en os, en or, en bronze, en argent, etc. Elles sont généralement munies d'un trou, dans lequel on sertissait une pierre, vraisemblablement de couleur rouge. Certains de ces bijoux se présentent sous la forme d'amulettes triphaliques , associant cette représentation de Priape à un poing fermé (encore un signe de protection magique). Ils sont portés par les petites filles et les jeunes femmes, à qui ils assurent autant la survie que la fécondité. On observe également cette image sur les harnachements des chevaux, animaux précieux dont on prend grand soin.

Amulettes phalliques - Musée Saint-Rémi de Reims.

Lampes à huile.
                                        La représentation se voit aussi de façon plus discrète, sur des lampes à huile, des statuettes, des vases, des amphores, etc. Ses vertus protectrices s'étendent ainsi au commerce et à l'artisanat et, lorsque le symbole n'est pas directement moulé dans l'objet, ce sont des esquisses ou des graffiti qui y sont apposées par le propriétaire.


Graffiti sur une pièce de vaisselle sigillée. (©C. Dumas)

                                        Enfin, on remarque parfois des pierres ou des galets dont la forme naturelle, évoquant un sexe turgescent, a tellement impressionné un de nos chers Romains qu'il l'a tout bonnement rapportée chez lui, y voyant un signe de la présence de ce Priape protecteur...


                                        Après l'antiquité, le Dieu sera tout naturellement victime de ce membre trop démonstratif, et il sera alors émasculé, ses statues et représentations étant allègrement mutilées. Parmi les exemples choisis par l'intervenant, je ne résiste pourtant pas à la tentation de citer ce Priape du Braghettone, que l'on a affublé d'une feuille de vigne afin de dissimuler cette nudité trop spectaculaire ! 
Priape du Braghettone.

SCÈNES SEXUELLES : AU-DELÀ DES APPARENCES.


                                        En dépit de l'idée reçue bien ancrée dans les mentalités, pas de scène d'orgies débridées dans les saynètes sexuelles représentées sur les fresques, lampes à huile et autres supports. Les ébats qui y sont figurés montrent la plupart du temps deux, parfois trois personnages , on y voit même de temps à autre des animaux, mais quitte à vous décevoir, vous n'y trouverez rien d'ouvertement lubrique. Pas de parties fines ni de zoophilie ! En réalité, l'iconographie montre des scènes théâtralisées, dont la signification va bien au-delà du simple érotisme ou de la pornographie.

Pan découvrant Hermaphrodite - Pompéi, Maison des Dioscures.

                                        En premier lieu, elle évoque des récits mythologiques et autres ébats divins, qui renvoient davantage à une identité culturelle et à la superstition qu'à la religion proprement dite. Outre Priape / Pan, symbole de bestialité (ici représenté avec Hermaphrodite qui, de toute évidence n'a pas les faveurs de lui plaire...),  voyez ci-dessous l'illustration du viol de Léda par un Zeus transformé en cygne.


                                        On rencontre fréquemment des trios acrobatiques : une femme, dos à son amant, faisant le poirier, tandis que celui-ci lui saisit les jambes et qu'un petit personnage accompagne son mouvement - suggestif - de bassin. Il s'agit en fait d'une scène métaphorique, où un petit Éros vient au secours du couple en position périlleuse !

                                        Il existe aussi des représentations renvoyant à "L’ Âne d'Or" d'Apulée, roman du IIème siècle mettant en scène un aristocrate, transformé en âne par sa maîtresse, et qui vit une succession d'aventures burlesques mêlant magie, sexe et violence et qui le mettent successivement en contact avec des brigands, des esclaves, des prêtres, des commerçants...

Lampe à huile montrant un âne.

                                        Plusieurs mises en scène, récurrentes, sont présentes dans tout l'Empire : riches en détails et à peu de choses près identiques, elles racontent une histoire, un épisode dont la représentation doit se lire avec un certain regard pour être compréhensible dans tous ses sous-entendus. Elles n'ont pas vocation à provoquer l'excitation ni à illustrer un hypothétique kama-sutra romain : loin d'être des débauchés, les Romains respectent en fait un code moral strict, un ensemble de règles régissant  la société et limitant leur comportement, toujours dans un souci de tempérance. Ces images ont donc généralement pour but la dénonciation de mœurs jugées déviantes, de la transgression des interdits menaçant la société, notamment par le biais de la caricature ou du détournement. Parmi les exemples cités par Cyril Dumas, on trouve des satires sociales :

Ici, le mari surprend son épouse en pleine action avec son amant - selon la loi, il a le droit de tuer les deux dévergondés.
©C. Dumas.


Sur une autre lampe, une douce épouse prend soin de son vieux mari souffrant... tandis qu'un esclave l'assaille par derrière.

Sur cette intaille, une esclave (reconnaissable à son chignon) nous est montrée en pleine action avec son maître - mais en pleine lumière, ce qui est contraire à l'usage qui veut que l'acte sexuel s'accomplisse dans le noir.

©Scala Florence /  Ministero dei beni e le Attività Culturali.

Autre scène très représentée, celle-ci montre un couple s'ébattant dans un lit luxueux, l'homme relevant la stola de sa partenaire. La stola étant l'apanage de l'élite féminine, il s'agit donc d'une noble matrone, surprise dans une situation compromettante.

Vénus portant la stola et la palla.

                                        Il existe aussi des exemples de satires politiques : on connaît de nombreuses lampes à huiles montrant une naine arborant un chignon, assise sur un phallus terminant la queue d'un crocodile. Il s'agit en fait de la Reine Cléopâtre, que Pline surnommait la Reine Prostituée (Regina meretrix), en train de s'accoupler avec l’Égypte. D'autres images la montrent dominant César et Antoine : ceux-ci, montés sur une barque, luttent contre une Cléopâtre / crocodile tentant de les faire chavirer...



Nain ithyphallique (en érection) (©jastrow via wikipedia.)




                                        Certaines de ces représentations, lorsqu'elles jouent un rôle magique ou protecteur, revêtent une fois encore un caractère trivial, l'humour et la grossièreté étant des marqueurs prophylactiques. Ainsi, les illustrations de nains dans des positions plus ou moins acrobatiques, jouant souvent des castagnettes, qui montrent une caricature destinée à amuser le spectateur. Ou l'affranchi, arborant le volumen propre à son nouveau statut et un organe particulièrement développé.


©C. Dumas.

L'humour n'est donc pas absent de cet art érotique, dont il constitue même souvent l'une des caractéristiques : on peut voir une femme se moquant de la taille de son amant, pourtant juché sur un marchepied.
©C. Dumas.


Certaines saynètes sont même légendées : la lampe à huile montrant une gladiatrice s'écriant  "Attention ! C'est un bouclier !" représenterait en fait Epia, l'épouse volage d'un sénateur, particulièrement attirée par les beaux combattants de l'arène, et raillée par Juvénal. Autre exemple : ici, le couple est surmonté de l'inscription : "Tu Sola Nica" - "toi seul triomphe."

©C. Dumas.


                                        Il semble que cette iconographie concerne avant tout la noblesse, puisqu'il s'agit d'un art noble que l'on peut admirer dans les villas les plus cossues, mais aussi sur des objets d'apparat, comme par exemple de la vaisselle ouvragée : selon notre conférencier, ces plats et assiettes servaient sans doute lors des mariages, alors que les convives multipliaient plaisanteries grivoises et chansons licencieuses devant les jeunes époux. Le registre comporte en effet, comme nous l'avons vu, un code précis qu’il faut savoir décrypter. Il stigmatise donc bien un certain nombre de comportements, dont doit se garder l'élite de la société romaine.

EN CONCLUSION : IDÉES REÇUES BATTUES EN BRÈCHE.


                                        En marge de sa conférence, Cyril Dumas a apporté quelques précisions sur la prostitution, grand réservoir à fantasmes pour les amateurs d'antiquité. Il s'agit selon lui d'une hypocrisie de la société romaine, et il s'appuie entre autres sur cette anecdote, mettant en scène notre ami Caton l'Ancien : un jour, ce vieux rabat-joie revient du forum lorsqu'il croise un jeune homme, sortant du lupanar. Celui-ci, tout honteux d'être surpris devant ce lieu de débauche, se cache le visage, mais Caton l'apostrophe et, loin de le blâmer, le félicite : "Courage, enfant, tu fais bien de fréquenter des femmes de rien, et de ne pas t’en prendre à celles qui sont honnêtes !" Le lendemain, rebelote : à la même heure, Caton revoit son jeune ami, ressortant du même lieu, cette fois ostensiblement. Mais  au lieu de le complimenter à nouveau, notre vieux barbon s'exclame : "Je t’ai dit d’aller chez les filles, c’est vrai, mais pas d’habiter chez elles" !"

Exemple de "sprintia".

                                        Ainsi, la prostitution est tolérée en tant que "soupape de sécurité" : elle est un moindre mal qui permet aux hommes d'assouvir leurs pulsions sans déchoir ou attenter à l'honneur d'une femme libre, mais ne doit pas être un prétexte à se laisser dominer par ses sens. Autre idée fausse battue en brèche, les spintriennes, ces jetons que l'on dit parfois destinés à payer les services d'une prostituée, seraient en fait de simples jetons de jeux : et paf ! Au temps pour la légende !

                                        En guise de conclusion, nous en venons tout naturellement à Ovide, grand poète de l'amour s'il en est. S'il fut exilé par Auguste sous le prétexte de son "Art d'Aimer", ce ne serait pas tant à cause du dernier livre composant l'ouvrage, et qui parle de sexualité de façon explicite, mais plutôt pour le reste du texte, énumération de conseils destiné au jeune homme désirant séduire et se faire aimer des belles Romaines. L'austère Auguste n'aurait donc rien trouvé à redire aux ébats eux-mêmes, mais aurait beaucoup moins bien réagi à l'incitation à une frivolité amoureuse qui irait jusqu'au mensonge et à la tromperie, corruption bien plus dangereuse. L'amour plus dérangeant que le sexe ? voilà de quoi rassurer les âmes les plus fleurs bleues...

                                        On devine à travers mon bref compte-rendu combien cette conférence fut intéressante, et d'une richesse telle qu'elle aurait mérité de durer plus longtemps. De fait, et malgré tout le talent de Cyril Dumas, je ne peux m'empêcher de regretter que certains thèmes n'aient pas été davantage approfondis. Espérons donc que cet intervenant remarquable, sympathique, passionné et disponible, capable d'aborder un tel sujet avec autant de sérieux que d'humour et sans jamais tomber dans la vulgarité, reviendra nous voir dans le cadres d'autres conférences.

En attendant, si vous désirez en savoir plus, je vous recommande :
  • à nouveau "Dossiers d'Archéologie : Sexe à Rome, au-delà des idées reçues." - H.S. 22 - Éditions Faton - 9€

  • et "Le Sexe Et L'Effroi" de Pascal QUIGNARD.Folio Poche n°2839  - 8€10. Lien ici. - Remarquable essai, érudit et d'une profondeur quasi philosophique, sur la sexualité antique vue entre autres à travers les fresques de Pompéi.  
Les articles et ouvrages de Cyril Dumas :

  • C. Dumas (2012) - Nouvelles réflexions sur les objets grivois du quotidien - Instrumentum n°35 juin 2012
  • C. Dumas, J.-M. Baude (2007) -  L’art érotique en Gaule romaine, Sexologies -Vol. 16 -n°2, pp.144-147, Ed. Elsevier Masson SAS -ISSN : 1158-1360- 2007
  • C. Dumas (2005) - La Gaule : un goût de paradis - Histoire Antique n°21, septembre
  • C. Dumas (2005)  - L’art érotique en Gaule romaine du IIe siècle av. au IIIe siècle apr. J.-C - L’archéologue n°80, octobre- novembre
  • C. Dumas & Jean-Michel Baude (2005) -  L’érotisme des Gaules, Ed. Cazenave Musée des Baux, 55p. 150 ill. coul. ISBN 2-9525039-0-7 
 
Pour en savoir plus, vous pouvez contacter Cyril Dumas : cyrildumas@yahoo.fr


    

dimanche 10 février 2013

Des Lupercales A La Saint-Valentin.

                                        Ah, la Saint-Valentin ! Fête commerciale, destinée à vendre du chocolat et des fleurs aux pauvres malheureux qui s'imaginent avoir besoin de ça pour célébrer leur amour ! Oui, je sais : ça sent la célibataire frustrée !!! Mon point de vue changerait peut-être si l'on m'offrait, à moi aussi, du chocolat et/ou des fleurs... Il n'empêche que, de l'avis général, voilà encore une de nos fêtes qui provient directement de l'antiquité romaine. Alors, avec ou sans cœur en chocolat, je ne pouvais pas laisser passer ça.

                                        Notre Saint-Valentin serait en effet issue des Lupercales (Lupercalia), fête annuelle célébrée à Rome entre le 13 et le 15 Février (15 jours avant les calendes de Mars). Donc à l'origine à la fin de l'année, puisque avant l'instauration du calendrier julien, celle-ci débutait le 1er Mars. A Rome, cette période était l'occasion de rituels d'expiation des fautes commises envers les Dieux et de purification (februum - d'où le mot "Février") : on nettoyait les maisons de fond en comble et on aspergeait le sol de sel et de blé.

UNE CÉLÉBRATION AUX ORIGINES CONFUSES.


                                        Les historiens divergent quant à l'identité du Dieu que l'on célébrait lors des Lupercales. La plupart pense qu'il s'agissait en toute logique du dieu Lupercus, que l'on assimile aussi au dieu Faunus (équivalent du Dieu grec Pan.) Lupercus était le dieu de la fertilité, des bergers, et le protecteur des troupeaux. Mais d'autres avancent qu'il pourrait s'agir de Mars, Junon, Lycaeus, Bacchus ou Februus. Pour ma part, je me rangerais à l'opinion la plus communément admise : puisque ce sont les lupercales, restons-en à Lupercus !

Pan, équivalent grec de Faunus (Mosaïque d'Antioche. © C. Osseman.)

                                        Étymologiquement, le mot se rapporte au latin lupus ("loup"). Traditionnellement, on considérait que les lupercales avaient été instituées par Romulus et Remus, lors de la fondation de Rome (753 avant J.C.), en hommage à la louve dont la légende rapporte qu'elle les aurait recueillis et nourris alors qu'ils étaient encore enfants. En réalité, cette fête était vraisemblablement bien antérieure - peut-être une transposition d'une cérémonie grecque en l'honneur de Pan Lycéen (du Grec Lykaion, "loup"). Il est donc probable que le nom en soit directement dérivé, ou bien qu'il fasse référence à la sauvagerie du loup, animal redouté par les bergers. Tout cela, on le voit, demeure assez confus.

                                        Une des particularités de cette fête tenait à ce que, contrairement aux autres célébrations, elle n'était rattachée à aucun temple. Il faut dire que les Romains eux-mêmes n'étaient pas certains du Dieu qu'ils étaient supposés honorer : tout comme nos historiens, les auteurs latins hésitaient entre Faunus, Lupercus ou Inuus ! Peu importe, car cela n'a jamais empêché de célébrer cette grande fête populaire. Son épicentre était la grotte du Lupercal sur le Palatin où, selon la légende, la fameuse louve avait allaité Romulus et Remus. En passant, la grotte en question aurait été découverte en 2007, au-dessous du palais d'Auguste - bien que certains archéologues demeurent sceptiques, et ne voient dans la caverne mise au jour qu'un nymphée du palais impérial.

"Romulus Remus Et Leur Nourrice."  (Jacques-Laurent Agasse.)


LE RITUEL DES LUPERCALES.


                                        Les rites étaient dirigés par les luperques, institués soit par le Roi Evandre, soit par Romulus et Remus. Ils étaient divisés en deux collèges sacerdotaux - les Quinctiliani et Fabiani, d'après les gens Quinctilia et Fabia, vieilles familles patriciennes romaines auxquelles appartenaient leurs membres. En 44 avant J.C., un troisième collège, les Julii, fut créé en l'honneur de Jules César, avec Marc Antoine à sa tête. A l'origine chasse gardée des patriciens, ce furent le plus souvent des chevaliers qui remplirent la fonction à l'époque impériale.

                                        La fête en elle-même comportait trois temps forts : les sacrifices, la course des luperques et un grand banquet. 

                                        Tout débutait donc avec le sacrifice, peut-être par le dialis flamen. Je dis "peut-être", car les sources sont contradictoires : bien qu'il soit cité comme officiant, les mêmes textes disent qu'il n'avait pas le droit d'être en contact avec les boucs et les chiens... Allez comprendre ! Bref, on immolait deux boucs et un chien dans la grotte du Lupercal. Deux jeunes luperques, vêtus uniquement d'un pagne en peau de bouc, étaient conduits jusqu'à l'autel, et le prêtre sacrificateur leur marquait le front avec le sang du sacrifice. Le couteau utilisé pour le rituel était essuyé avec de la laine trempée dans du lait, après quoi les jeunes gens étaient obligés de rire.


Le rituel des Lupercales. (Via National Geographic.)

                                        On découpait ensuite des lanières dans la peau des boucs sacrifiés, et les luperques couraient à travers Rome, totalement nus, en riant et en éclusant du vin. Cicéron s'en indigne d'ailleurs à propos de Marc Antoine :
"Vous-mêmes, après les Lupercales, vous n'avez pu croire qu'Antoine fût consul. En effet, le jour où, sous les yeux du peuple romain, nu, dégouttant d'huile, abruti par l'ivresse, il harangua la multitude, et voulut poser le diadème sur la tête de son collègue; ce jour-là, il a renoncé non-seulement au consulat, mais à la liberté." (Cicéron, "Les Philippiques", III - 5.)

Nous reviendrons sur cette histoire de diadème... En attendant, nous ignorons pourquoi les luperques étaient nus, mais Plutarque émet une suggestion dans sa "Vie De Romulus" :
"Caïus Acilius raconte qu’avant la fondation de Rome, Romulus et Remus égarèrent un jour quelques troupeaux : qu’après avoir fait leur prière au dieu Faune, ils se dépouillèrent de leurs habits pour pouvoir courir après ces bêtes sans être incommodés par la chaleur ; et que c’est pour cela que les luperques courent tout nus." (Plutarque, "Vie De Romulus", XXVII.)
Après avoir fait le tour du Mont Palatin, ils parcouraient la ville en fouettant de leurs lanières tous ceux qu'ils rencontraient, et les femmes en particulier. Celles qui désiraient avoir un enfant se pressaient sur leur passage, car le rituel était sensé assurer la fertilité, prévenir la stérilité et soulager les douleurs de l'enfantement.
"On célébrait la fête des Lupercales, qui, selon plusieurs écrivains, fut anciennement une fête de bergers, et a beaucoup de rapport avec la fête des Lyciens en Arcadie. Ce jour-là, beaucoup de jeunes gens des premières maisons de Rome, et même des magistrats, courent nus par la ville, armés de bandes de cuir qui ont tout leur poil, et dont ils frappent, en s'amusant, toutes les personnes qu'ils rencontrent. De nombreuses femmes, même les plus distinguées par leur naissance, vont au-devant d'eux, et tendent la main à leurs coups, comme les enfants dans les écoles ; elles sont persuadées que c'est un moyen sûr pour les femmes grosses d'accoucher heureusement et, pour celles qui sont stériles, d'avoir des enfants." (Plutarque, "Vie De César", LXI.) 
Les Lupercales. (Domenico Beccafumi.)

                                        Avant le banquet qui se tenait pour clore les festivités, on organisait une sorte de loterie amoureuse, placée sous les auspices de Junon : les jeunes filles inscrivaient leur nom sur une tablette qu'elles déposaient dans une jarre, et chaque jeune garçon tirait au sort le nom de celle qui l'accompagnerait tout au long du repas.

ÉVOLUTION DES LUPERCALES VERS LA SAINT-VALENTIN.


                                        La dimension sexuelle de la fête des lupercales est flagrante. Outre les luperques entièrement nus, les femmes mariées elles-mêmes se dénudaient partiellement pour être flagellées. Auguste y mit cependant le holà : il exclut du collège des officiants les jeunes hommes imberbes, considérés comme trop séduisants et, pour que la cérémonie devienne un peu plus décente, il fit garder aux luperques les pagnes en peau de bouc. Au cours du IIème siècle après J.C. enfin, les vénérables matrones restaient habillées, et tendaient simplement leurs mains aux fouets.

                                        Dans les premières années du christianisme, l'empereur romain Claude II fut confronté à un problème : plusieurs de ses soldats étaient des hommes mariés, et ils refusaient d'abandonner leur doux foyer pour partir régler leur compte aux barbares. Claude II prit donc des mesures, et il interdit formellement de marier les militaires. Or, un prêtre ne l'entendit pas de cette oreille, et il estima qu'il était légitime que les soldats puissent se marier si cela leur chantait. Partisan du mariage pour tous (en tous cas pour les légionnaires), il célébra donc des mariages chrétiens en secret. Ce qui devait arriver arriva, et le prêtre fut arrêté et emprisonné, avant d'être décapité à la veille des lupercales de 270. Il s'appelait Valentin...

                                        Les lupercales étaient si populaires qu'elles survécurent à l'implantation et au développement du christianisme, bien que les dignitaires chrétiens - on s'en doute ! - n'appréciassent guère cet étalage de nudité, ces flagellations obscènes et ces sacrifices païens. Ceux-ci eurent beau être interdits en 341, cela n'y changea rien : on célébrait toujours les lupercales, et plusieurs Papes s'y cassèrent les dents. Cela dit, les lupercales n'avaient plus rien de commun avec la fête originelle et, en lieu et place des nobles luperques nus, c'était désormais toute la racaille (habillée, elle !) qui en profitait pour mettre la pagaille dans les rues. Ce fut finalement le Pape Gélase (494 - 496) qui tapa du poing sur la table : il rédigea une longue diatribe contre les lupercales et décida de leur interdiction pure et simple. Toutefois, la fête fut célébrée à Constantinople jusqu'au Xème siècle.

                                        Certains auteurs affirment que Gélase remplaça les lupercales par la "Fête de la Purification de la Bienheureuse Vierge Marie", fixée au 15 Février ; d'autres prétendent qu'il y aurait substitué la célébration du martyr de ce Saint Valentin dont nous avons déjà parlé, saint patron des fiancés et des amoureux, le 14 Février. Rien ne permet de privilégier l'une ou l'autre de ces hypothèses. Toutefois, le lien entre les lupercales et la fécondité, la coutume appareillant les convives lors du banquet et surtout le martyr de Saint-Valentin permettent d'envisager un rapprochement entre Lupercales et notre fête des amoureux.

Saint Valentin prêchant en prison.

SYMBOLISME DES LUPERCALES.


                                        Les origines des lupercales semblent être multiples, et il en va de même pour leur signification. Pour commencer, d'où pouvait bien venir cette idée étrange de fouetter les femmes avec des lanières découpées dans la peau d'un bouc ?! Une légende étiologique semble apporter la réponse : après le rapt des Sabines (voir ici), il s'avéra que celles-ci étaient stériles. Ce qui posait un sacré problème, puisque c'était précisément pour assurer leur descendance que les Romains les avaient enlevées ! C'est alors qu'une voix s'éleva dans le bois sacré : "Qu'un bouc pénètre les femmes italiennes !" Consternation des Sabines (du moins, j'imagine !!), mais heureusement pour elles, un devin sut interpréter l'ordre divin et il fit découper dans la peau d'un bouc des lanières dont on fouetta les jeunes femmes - qui vécurent heureuses, et eurent beaucoup d'enfants ! (Source : Encyclopedia Universalis)

Statue Du Dieu Faunus. (Hever Castle - ©Corel Corporation.)

                                        Donc, si la fête des lupercales est une fête de purification, c’est aussi une fête de la fertilité. Le rire des luperques qui succède au sacrifice est en lui-même le symbole de l'affranchissement des contraintes sociales, d'un retour à la sauvagerie de la nature, sensée raviver la fécondité. Ce qui explique que l'on rattache le plus souvent la fête à Lupercus ou Faunus, maîtres des forces naturelles sous leur forme la plus spontanée. Faunus était représenté avec des cornes, la partie inférieure de son corps était celle d'un bouc, et j'ai déjà indiqué que l'on sacrifiait des boucs et des chiens. Les premiers sont des symboles de sexualité et de fécondité, et Plutarque avance plusieurs explications quant au sacrifice des seconds :
"Quant au chien qu’on sacrifie, si cette fête est réellement un jour d’expiation, il est immolé sans doute comme une victime propre à purifier. Les Grecs eux-mêmes se servent de ces animaux pour de semblables sacrifices. Si au contraire c’est un sacrifice de reconnaissance envers la louve qui nourrit et sauva Romulus, ce n’est pas sans raison qu’on immole un chien, l’ennemi naturel des loups ; peut-être aussi veut-on le punir de ce qu’il trouble les luperques dans leurs courses." (Plutarque, "Vie De Romulus", XXVII.)
Ainsi, puisque la flagellation était supposée assurer la fertilité, elle représentait sans doute l'acte de pénétration - une pénétration symbolique, un symbole de fertilité (lanière en peau de bouc) marquant la chair.


EN GUISE DE CONCLUSION.


                                        Si les lupercales étaient un des temps forts des célébrations religieuses dans la Rome antique, elles sont aussi restées dans les mémoires suite à un évènement politique, survenu en 45 avant J.C. : le 15 Février de cette année-là, Antoine qui participait aux Lupercales en profita pour tendre à Jules César une couronne de lauriers, l'invitant ainsi à accepter le titre de Roi. Les huées de la foule forcèrent César à repousser ladite couronne à deux reprises - le peuple romain, décidément, ne voulait pas d'un nouveau Roi.
"César assistait à cette fête, assis dans la tribune sur un siège d'or, et vêtu d'une robe de triomphateur.  Antoine, en sa qualité de consul, était un de ceux qui figuraient dans cette course sacrée. Quand il arriva sur la place publique, et que la foule se fut ouverte pour lui donner passage, il s'approcha de César et lui présenta un diadème enlacé d'une branche de laurier. Cette tentative n'excita, qu'un battement de mains faible et sourd, qui avait l'air de venir de gens apostés ; César repoussa la main d'Antoine, et à l'instant tout le peuple applaudit, Antoine lui présenta une seconde fois le diadème, et très peu de personnes battirent des mains ; César le repoussa encore, et la place retentit d'applaudissements universels. Convaincu, par cette double épreuve, des dispositions du peuple, il se lève, et donne ordre qu'on porte ce diadème au Capitole. Quelques jours après, on vit ses statues couronnées d'un bandeau royal : deux tribuns du peuple, Flavius et Marcellus, allèrent sur les lieux, et arrachèrent ces diadèmes.  " (Plutarque, "Vie De César", LXI.)

Antoine Offrant La Couronne A César.


On ne saura jamais si l'initiative venait d'Antoine lui-même, ou si toute cette mise en scène avait été orchestrée par César - et l'on peut se demander comment il aurait réagi si le public n'avait pas manifesté sa désapprobation. Cet évènement fut cependant l'un des éléments qui conduisirent aux Ides de Mars. Tu parles d'une Saint-Valentin ! Comme quoi, on a raison de dire que les histoires d'amour finissent mal - en général...




mercredi 6 février 2013

Bonne Lecture : "Femmes De Pouvoir Dans La Rome Antique."



                                        Quand on pense à l'Histoire de Rome, une foule de personnages nous viennent à l'esprit, pour le meilleur ou pour le pire : Jules César, Cicéron, Auguste, Néron, Caligula, Marc Aurèle, Hadrien, Constantin... Que des hommes, donc. Le nom de Cléopâtre survient parfois, mais elle ne compte pas puisqu'elle est égyptienne. Pourtant, un Jean Ferrat antique aurait très bien pu chanter que "la Romaine est l'avenir du Romain." C'est en quelque sorte ce que démontre Joël Schmidt, dans un essai remarquable intitulé "Femmes de pouvoir dans la Rome antique".
Fresque de Pompéi.

                                        Dans la plupart des civilisations méditerranéennes antiques et si l'on excepte les Reines telles que Zénobie ou, donc, Cléopâtre, les femmes régnaient certes sur leur demeure, mais elles n'avaient en général aucun rôle public, et encore moins politique. A Rome, c'est tout le contraire, et ce dès les origines de la cité fondée par Romulus. Et c'est ainsi que l'auteur ouvre son livre par l'exemple des Sabines, finalement ravies d'avoir été ravies par les Romains, et qui permettront par leur courage et leur détermination d'unir les peuples de leurs pères et de leurs maris.


Joël Schmidt. (©JB via wikipedia.)


De l'époque de la royauté à l'Empire, en passant par la République, Joël Schmidt démontre que les femmes romaines ont toujours ou presque détenu un vrai pouvoir - hormis durant la période des empereurs-soldats, où il résidait alors entre les mains des légions. Il faut dire que ces dames ne dominaient pas officiellement la politique de Rome mais œuvraient dans l'ombre, le plus souvent éminences grises de leurs époux ou leurs fils.




 
                                        Certaines, héroïnes magnifiques, marquent les esprits par leur courage et leur abnégation. Ainsi Clélie, qui fait plier le Roi étrusque Porsenna, Hispalia dénonçant les orgies des Bacchanales au péril de sa vie, ou la célèbre Lucrèce dont le suicide, après son viol par Sextus Tarquin, marquera la fin de la royauté. D'autres étonnent par l'ambition qu'elles nourrissent pour leur mari ou leurs enfants : on songe à Tanaquil qui impose son époux Tarquin sur le trône, ou bien sûr à Agrippine la Jeune, capable de tout - y compris de plusieurs meurtres - pour porter son fils Néron à la tête de l'Empire. On lira aussi le portait de dignes matrones (telles Octavie, subtil agent de la politique de son frère Auguste ou la redoutable Agrippine l'Aînée), de femmes légères victimes de leurs passions (Évidemment Messaline, mais aussi Julie, la fille d'Auguste), de séductrices cruelles (la belle Poppée, seconde épouse d'un Néron décidément bien mal entouré), de dominatrices énergiques (les Julia Maesa, Julia Soaemias et Julia Mamaea qui régnèrent à la place d'Héliogabale ou d'Alexandre Sévère)...

Agrippine et Germanicus. (Toile de Pierre Paul Rubens.)

                                        Parmi toutes ces grandes figures féminines, se détachent à mes yeux celles de Cornélie, Livie et Hélène. La première, noble patricienne et surtout mère des Gracques, qui perdit ses deux fils à quelques années d'intervalle, en impose par sa dignité, sa grandeur et toute la noblesse de son attitude. Livie, quant à elle, reste à mon sens une redoutable femme politique, à qui son mari Auguste faisait toute confiance, au point de lui avoir confié un double du sceau impérial. Les éventuels héritiers de son mari écartés les uns après les autres (dont certains, dit-on, grâce à elle...), son fils Tibère accèdera à la Pourpre et se détachera peu à peu de l'emprise de cette mère étouffante. La dernière, enfin, bouleversa sans doute la face du monde : ouvertement chrétienne, elle influença la politique de son concubin Constance Clore et de son fils Constantin, conduisant l'Empire vers le christianisme. A la fin de sa vie, parcourant les sites bibliques, elle découvrit la croix du Christ, et devint plus tard Sainte Hélène.

                                        Encore ne s'agit-il que de quelques-unes des personnalités, tour à tour admirables, glaçantes, attachantes mais toujours surprenantes, que présente l'auteur dans son ouvrage. Joël Schmidt maîtrise bien sûr son sujet, lui qui écrit sur l'Antiquité depuis des décennies, nous offrant essais, biographies ou romans historiques avec la même verve, la même érudition et visiblement le  même plaisir. A travers de courts chapitres chronologiques, il se base sur les textes antiques pour tracer le portrait de ces femmes et relater les récits mythiques ou historiques qui composent leurs faits d'armes. On sent le romancier autant que l'historien, qui conte autant qu'il analyse, avec subtilité, les ressorts de ses héroïnes.

                                        Il serait facile de les qualifier de féministes, encore que le mot semble abusif : ces personnalités historiques ont dans l'ensemble davantage œuvré pour la grandeur de Rome ou pour leurs propres ambitions, sans considération quant à leur sexe. A l'exception notable de toutes celles, anonymes, qui manifestèrent contre la Lex Oppia votée durant la deuxième guerre punique, qui visait à limiter l'étalage de luxe dans leur apparence (bijoux, costume, etc.), et que stigmatisa un Caton l'Ancien aussi austère et rétrograde qu'on peut l'imaginer...

                                        Et les hommes, dans tout ça ? Ils ne sont pas absents. Si quelques-uns apparaissent effacés et dominés par leurs compagnes, leurs mères ou leurs maîtresses, d'autres surent tirer parti de ces liens et relations, à l'instar d'un César instrumentalisant ses maîtresses, comme le raconte Joël Schmidt dans un remarquable chapitre.
         

Julie, fille d'Auguste. (Centrale Montemartini, Rome. ©Indiana University.)

                                        Je n'émettrai que deux petits bémols quant à ce livre, que j'ai dévoré de la première à la dernière page. D'abord, le traitement de l'antiquité tardive me semble un peu succinct, bien que j'entende les raisons avancées par l'auteur. J'aurais aussi apprécié quelques lignes supplémentaires sur Antonia... Mais surtout, j'ai été surprise par les passages consacrés à Julie, la fille d' Auguste : Joël Schmidt a choisi de privilégier l'hypothèse de son exil pour inconduite, sans se faire l'écho des diverses théories évoquant un complot auquel la jeune femme aurait pris part au côté du fils de Marc Antoine, dans le but de renverser l'Empereur...

                                        Nonobstant cette légère réserve, je demeure séduite par ce formidable ouvrage, qui démontre à quel point les Romaines comptèrent dans l'Histoire de Rome. Loin des idées reçues de la femme recluse dans sa domus et d'une scène politique réservée aux hommes, Joël Schmidt démontre comment elles ont su s'émanciper et marquer leur temps, exerçant une réelle influence qui, parfois, modifia de façon radicale le cours des évènements. Certes personnages de pouvoir, elles n'en demeurent pas moins des épouses, des mères et des amoureuses - bref, des femmes, que Joël Schmidt donne à voir dans leur grandeur et leur complexité. Un Michel Sardou antique aurait tout aussi bien pu chanter que les Romaines étaient des femmes "ayant réussi l'amalgame / de l'autorité et du charme" ... (Et c'est là qu'on juge de la modernité de ma culture musicale !)


"FEMMES DE POUVOIR DANS LA ROME ANTIQUE" de Joël SCHMIDT.
Éditions Perrin - 20€50 - lien ici.

Pour plus d'informations, le site internet de l'auteur : http://www.joel-schmidt.com/

dimanche 3 février 2013

Tout ce qui brille : bijoux de la Rome antique.



                                        Je suis aussi brune qu'elle est blonde, aussi fine qu'elle est pulpeuse. Pourtant, il y a une Marilyn Monroe qui sommeille en moi, et j'ai parfois envie de chanter, moi aussi : "A kiss on the hand / May be quite continental / But diamonds are a girl's best friends !". Allez, je l'avoue : j'exagère un peu. Je suis effectivement attachée aux bijoux, mais ils ont à mes yeux valeur de symbole, et sont les porteurs d'une charge émotionnelle, les agents d'une transmission familiale. Cela dit, je ne cracherais pas sur un solitaire.  Quand j'ai rédigé, il y a quelques semaines, un billet sur la tenue vestimentaire des Romaines, il y a deux aspects de la question que j'ai volontairement laissés en suspens : les cosmétiques, et les bijoux. Dans les deux cas, je n'avais pas envie de traiter ces sujets à la va-vite, et j'ai préféré attendre de leur consacrer toute la place qu'ils méritent. Et c'est ainsi que je reviens aujourd'hui sur les bijoux dans l'Antiquité romaine : Tiffany's.... Cartier.... Talk To Me, Harry Winston, tell me all about it !

Portait de femme, Ier siècle avant J.C..

ORIGINE ET ÉVOLUTION DES BIJOUX.


                                        Ce n'est pas la première fois que j'écris cette phrase, et ça commence à devenir lassant, mais enfin, c'est ainsi : l'art de la joaillerie, chez les Romains, s'inspire en grande partie des Étrusques. A se demander ce que l'on ferait sans ce peuple, que l'on connaît finalement assez mal, établi grosso modo sur l'actuelle Toscane, et qui y prospéra du VIIème siècle avant J.C. jusqu'à leur assimilation par les Romains, au Ier siècle avant notre ère... Remarquables artisans, les Étrusques avaient mis au point de nombreuses techniques, directement importées des civilisations méditerranéennes avec lesquelles ils avaient été en contact - Grecs, Égyptiens, Syriens, Phéniciens. Autant d'influences qu'ils parvinrent à fusionner, pour donner naissance à des pièces sublimes, fonctionnelles et pourtant très élaborées.

Exemple de bijoux en filigrane. (Pas romain, pour le coup !)

                                        Deux des techniques utilisées par les Étrusques sont largement employées par les Romains - au point qu'elles perdurent encore aujourd'hui : la granulation (qui consiste à souder au bijou des milliers de granules d'or minuscules) et le filigrane (des fils d'or ou d'argent entrelacés puis soudés sur une même pièce de métal). Les Romains - et surtout les Romaines - adoptent la mode étrusque et arborent des bijoux fabriqués en or (l'argent est moins courant) et perles de verre, souvent façonnés par des artisans Grecs.

Technique de la granulation.

                                        Cependant, au fil des conquêtes et avec l'extension de l'Empire romain, les influences se diversifient : les apports des diverses cultures - aussi bien orientales que nord-africaines ou même celtes - tendent à complexifier la conception des bijoux, qui deviennent de plus en plus ostentatoires.
"Mais vos mères ont enfanté des filles délicates ; vous voulez porter des habits brochés d'or; vous voulez des coiffures variées pour vos cheveux parfumés ; vous voulez montrer une main étincelante de pierreries. Vous ornez votre cou de perles tirées de l'Orient, et si grosses, qu'elles sont un fardeau pour vos oreilles. Cependant nous ne devons pas accuser les soins que vous prenez pour plaire, car ce siècle est aussi témoin de la recherche des hommes dans leur parure. " (Ovide, "Cosmétiques")


De même, l'introduction de nouvelles matières premières, comme certaines pierres précieuses importées depuis les confins de l'Empire, offre de nouvelles possibilités, et les pièces deviennent de plus en plus spectaculaires. Au point qu'au cours de la deuxième guerre punique est votée une loi, la lex Oppia,, destinée à lutter contre cet étalage de luxe ! Elle punit d'une forte amende les femmes arborant trop de bijoux ou des vêtements de couleur, et prétend investir dans la guerre l'argent ainsi économisé. En 195 avant J.C., les femmes, furieuses, descendent manifester dans la rue : "la guerre punique est finie depuis belle lurette, rendez-nous nos bijoux !" revendiquent-elles en substance.  Le consul Caton l'Ancien, toujours aussi revêche, a beau bougonner et s'indigner, la loi est abrogée.

"Le Capitole était rempli d'une foule d'hommes partagés aussi en deux camps. Les femmes elles-mêmes, sans se laisser arrêter par aucune autorité ni par la pudeur, ni par les ordres de leurs maris, sortaient de leurs maisons; on les voyait assiéger toutes les rues de la ville, toutes les avenues du forum et conjurer les hommes qui s'y rendaient de consentir à ce qu'on ne privât point les femmes de leurs parures, dans un moment où la république était si florissante et où la fortune des particuliers s'augmentait de jour en jour.  Ces rassemblements de femmes devenaient chaque jour plus considérables; il en arrivait des places et bourgs du voisinage. Déjà même elles osaient s'adresser aux consuls, aux préteurs, aux autres magistrats et les fatiguer de leurs sollicitations." (Tite-Live, "Histoire Romaine", XXXIV - 34.)

Collier en or et verre - Vème s. av. J.C. (Photo Mary Harrsch.)



                                        Cette débauche de luxe va en s'accentuant, et aux IIIe et IVe siècle de notre ère, la mode syrienne prédomine. Elle se caractérise par de grands bijoux, lourds et imposants : colliers composés de cylindres d'or, bracelets à  enroulements multiples, boucles d'oreilles tombantes constituées de plusieurs perles et de pendeloques. A l'instar du costume, les bijoux s'orientalisent.

MATÉRIAUX.


                                        Les perles sont très prisées : les Romaines préfèrent leur coloration naturelle au clinquant du diamant. Les perles du golfe Persique sont particulièrement appréciées, et sont parfois combinées à des émeraudes ou des péridots d’Égypte, ou encore des cornalines, jaspes, lapis-lazuli ou onyx de Perse.
 "Les femmes mettent leur gloire à en charger leurs doigts, et à en suspendre deux et trois à leurs oreilles. Il y a pour cet objet de luxe des noms et des raffinements inventés par une excessive corruption. Une boucle d'oreille qui porte deux ou trois perles s'appelle grelot, comme si les femmes se plaisaient au bruit et au choc de ces perles. Déjà les moins riches affectent ces joyaux ; elles disent qu'une perle est en public le licteur d'une femme. Bien plus, elles en portent à leurs pieds; elles en ornent non seulement les cordons de leur chaussure, mais encore leur chaussure tout entière; ce n'est plus assez de porter des perles, il faut les fouler et marcher dessus. " (Pline l'Ancien, "Histoire Naturelle", IX - 55.)


Boucle d'oreille en or et perles - Ier s.

                                        Cependant, la pierre précieuse favorite des Romaines reste l'ambre - au point qu'il existe une "route de l'ambre", acheminant le joli caillou depuis Gdansk, épicentre de la production, jusqu'à Rome même. Vers la fin de l'Empire, on rencontre aussi des pierres précieuses venues d'Extrême-Orient, comme le saphir ou la topaze, importées d'Inde ou du Sri Lanka. Bien souvent, les gemmes sont conservées brutes, et non pas polies ou taillées afin de mieux capter la lumière. On les façonne en camaïeu, en cabochon ou on y grave des portraits, et on les porte en bagues ou en pendentifs.

Camée porté en bague. (Getty Museum - Photo M. Harrsch.)




                                        Au Ier siècle avant J.C., on assiste dans les classes les plus aisées à une véritable frénésie, une "collectionnite" aiguë, qui conduit à tous les excès. A titre d'exemple, Marc Antoine offre une somme considérable à un sénateur romain, Marcus Nonius, afin de lui racheter une magnifique opale de la taille d'une noisette, qu'il compte offrir à Cléopâtre. Nonius ayant refusé, Antoine lui propose alors l'alternative suivante : céder la pierre, ou quitter Rome. Et notre sénateur d'opter pour la seconde option...

"Aujourd'hui encore existe une opale pour laquelle Antoine proscrivit le sénateur Nonius (...)  Ce Nonius proscrit fuyait, n'emportant de tout son bien que son anneau, estimé, cela est sûr, 2 millions de sesterces. Singulière cruauté, singulière passion du luxe chez Antoine, qui proscrivait pour une pierre précieuse; et non moins singulière obstination chez Nonius, qui s'éprenait de la cause de sa proscription, tandis qu'on voit les brutes même s'arracher les parties du corps  pour lesquelles elles se savent en péril." (Pline l'ancien, "Histoire Naturelle", XXXVII - 21.)

LES DIFFÉRENTS TYPES DE BIJOUX.


Fibule en or, IIIème s. av. J.C. (© Met Museum.)

                                       La plupart des bijoux de la Rome antique ont une valeur fonctionnelle, tout autant que décorative. Parmi les accessoires les plus courants, citons la broche ou la fibule, utilisée pour attacher les vêtements - un peu comme une épingle à nourrice. La variété de modèles est impressionnante, de l'agrafe toute simple à celles richement décorées, ornées par exemple d'un camée glyptique en creux, d'un buste de femme, ou encore d'une Victoire ailée. Une fois encore, ces différentes conceptions, plus ou moins travaillées, dénotent le statut social de leur propriétaire.


Épingle en verre, Ier - IVème s. av. J.C. (© Met Museum.)

                                        Tout comme les fibules, les épingles à cheveux sont avant tout des ustensiles pratiques, fixant les coiffures féminines. Mais cette fonction utilitaire s'est rapidement doublée d'un rôle esthétique. L'évolution de la coiffure a évidemment entraîné des changements dans la conception des épingles, plus longues et ouvragées pour parer les coiffures les plus complexes. Certaines, fabriquées en or, argent ou ivoire, sont extrêmement ornementées : par exemple illustrées de sculptures de déesses ou de scènes mythologiques, ou encore incrustées de pierres précieuses. Les plus simples et les moins coûteuses sont façonnées à partir d'os ou de bois. Toujours dans le domaine des accessoires capillaires, il existe aussi des filets tressés en fil d'or.

Bracelet en or figurant un serpent.

                                        Les bracelets se portent par paires, autour des bras - et non des poignets. La forme du serpent se prêtant particulièrement bien à la structure de cette pièce, le symbole est très présent. En tant que symbole d'immortalité, il n'est pas rare que les bijoux le représentant soient placés dans les tombes : on a ainsi dégagé des sépultures qui démontrent que  les femmes pouvaient parfois revêtir jusqu'à 7 bracelets sur chaque bras.

Boucles d'oreilles, époque impériale. (Photo M. Harrsch.)

                                        Les boucles d'oreille semblent être une invention romaine - il faut bien innover de temps en temps! Elles apparaissent vers 300 avant J.C., et sont fabriquées en or, grâce aux fameuses techniques héritées des Étrusques (granulation et filigrane). Au départ assez simples, elles deviennent de plus en plus ouvragées, souvent ornées d'épis de blé, de Bacchantes ou d'effigies du Dieu Éros. Elles ont également tendance à s'allonger, descendant parfois jusque dans la cou.


Pendentif avec camée.

                                         Les colliers se portent généralement courts, leur longueur ne dépassant pas le cou. L'un des modèles les plus courant est le torque, emprunté aux Celtes et aux Gaulois (chez qui il était un symbole guerrier, mais ceci est une autre histoire...) Le plus souvent en or, il en existe des variétés plus modestes, en cuivre par exemple.

Bague sertie d'une pierre.
                                        Les bagues sont pour la plupart serties de pierres ou figurent des animaux ou des figures mythologiques. L'anneau se porte le plus souvent à l'auriculaire - ce qui explique leur petite taille. Les Romains ne connaissent pas l'alliance proprement dite : seule la bague de fiançailles existe dans la culture romaine. Elle est offerte à la future mariée par l'époux lorsque l'union est décidée, et elle se porte à l'annulaire gauche, que les Romains croyaient directement relié au cœur. Il est à noter que les hommes ne portent aucune bague de fiançailles, puisque celle-ci symbolise avant tout l'appropriation de la femme par l'homme... (J'entends déjà les Chiennes de Garde !)

SYMBOLES ET TALISMANS.


                                        Outre un rôle utilitaire et ornemental, j'ai signalé que les bijoux romains peuvent aussi revêtir une fonction apotropaïque (ou protectrice, si vous préférez !), en tant qu'amulettes ou talismans. Dans ce cas, ils sont décorés de symboles sensés attirer la chance, éloigner le mauvais œil, procurer la fortune ou la santé. Certains se rencontrent fréquemment :

  • Le nœud Héraclès, inspiré des Grecs, utilisé comme amulette protectrice;
  • la couronne d'Isis - motif emprunté à l’Égypte - fréquemment utilisée pour des boucles d'oreille au cours du IIe siècle avant J.C. ;
  • les poissons qui représentent la fertilité et l'abondance ;
  • les araignées, gages de clairvoyance en affaires,
  • la "corne" qui protège contre le "mauvais œil" (symbole toujours vivace dans le Sud de l'Italie),
  • l'aigle, qui apporte la puissance et la gloire
  • le phallus, qui protège et attire la chance.
  • le serpent enroulé (symbole d'immortalité), ornant fréquemment les bracelets ;
Exemple de bijou avec le nœud d’Héraclès.

A ce sujet, Suétone cite cette anecdote, relative à Néron : Messaline, épouse de Claude et rivale d’Agrippine, envoie des tueurs étrangler son fils Néron, encore bébé.

"On ajouta que les meurtriers s'étaient enfuis, effrayés à la vue d'un serpent qui s'élança de son oreiller. Ce qui donna lieu à ce conte, c'est qu'on trouva un jour la peau d'un serpent auprès du chevet de son lit. Sa mère la lui fit porter pendant quelque temps à son bras droit dans un bracelet d'or." (Suétone, "Vie De Néron", VI)

                                        Ce type de "porte-bonheur" n'est pas l'apanage des femmes, et les hommes les revêtent également - bien que généralement de façon plus discrète. Par ailleurs, les jeunes garçons de naissance libre portent autour du cou la "bulla" - sorte de pendentif en or (en cuivre pour les moins aisés) contenant des amulettes de protection destinées à conjurer le sort. Ils ne la quittent qu'à l'âge de 16 ans, au cours d'une cérémonie officielle. Les petites filles arborent, jusqu'à leur mariage, la lunula - un pendentif en forme de lune, symbole de Diane (la Déesse vierge.) Pour un tour exhaustif de la question, signalons enfin que les petits garçons ont souvent au doigt un petit anneau d'or, sculpté d'un phallus pour leur porter chance.

Bulla en or.

UN MARQUEUR SOCIAL.


                                        J'ai eu l'occasion d'insister sur le rôle que jouaient les vêtements, révélateurs de la richesse et du statut social. Il en va de même pour les bijoux, qui se portent avec ostentation. A ce titre, il est symptomatique de constater que les pièces de monnaie montées en bijoux, sont assez fréquentes dans l'Antiquité romaine : quel meilleur moyen d'étaler sa richesse que de les porter en broche, collier ou bague ?! S'il ne s'agit pas d'une invention romaine, l'utilisation de la monnaie en bijouterie est particulièrement appréciée à Rome. Témoin de la richesse de celle qui les arbore, les bijoux sont également considérés comme un véritable patrimoine, que les femmes se transmettent de génération en génération.

Pièce de monnaie à l'effigie de Marc Aurèle, montée en bague.




                                        Sans surprise, plus un bijou est ouvragé, plus il est cher. Bien évidemment, les pierres précieuses et les matériaux les plus rares ne sont pas à la portée de toutes les bourses, et restent réservés aux classes supérieures - qui en font souvent un objet de snobisme.  Pour preuve, cette anecdote rapportée par Pline l'Ancien au sujet du musicien thébain Isménias (IVème siècle avant J.C.) :

"On trouve seulement que le joueur de flûte Isménias avait coutume de porter plusieurs belles pierres, et sa vanité est le sujet d'une anecdote : une émeraude sur laquelle était gravée [la Danaïde] Amymone fut mise en vente dans l'île de Chypre au prix de six deniers d'or; il ordonna qu'on la lui achetât. Mais le marchand ayant diminué le prix, lui renvoya deux deniers; Isménias dit alors : "Par Hercule, c'est maladroit : voila qui déprécie grandement la pierrerie."" (Pline l'Ancien, Ibid, XXXVII - 3.)

Cependant, des pièces plus simples ou confectionnées à partir de lave durcie, de coquillage ou de verre sont plus accessibles, et donc portées par des gens plus modestes (et du coup, snobées par les patriciennes...). Prenons l'exemple du verre, introduit au Ier siècle avant J.C. : les Syriens et les Palestiniens ont été les premiers à en maîtriser la cuisson et le soufflage, ainsi que la coloration - qui s'obtient en ajoutant des minéraux tels que le cuivre, le fer, le plomb et l'étain au verre en fusion. Ces techniques, ainsi qu'une conception plus rapide et moins coûteuse, rendent possible une production "de masse", qui permet une plus large diffusion des bijoux, et les met à la portée des bourses plus modestes. Les verreries de Murano donnent aujourd'hui une petite idée de ce que pouvaient être les réalisations de l'époque.


Mosaïque, Ier siècle avant J.C.

ET LES HOMMES, DANS TOUT CA ?


                                        Oui, qu'en est-il des hommes, à propos ? Si les bijoux d'une femme traduisent son appartenance à une classe sociale, il en va exactement de même pour ces messieurs. A une restriction près, tout de même : il est plutôt mal vu pour un romain de se promener, truffé de pierres précieuses comme une dinde de marrons à Noël ! Hormis quelques joyeux excentriques (tel l'admirable Mécène, son goût prononcé pour les parures, bagues et autres cailloux lui valant d'être surnommé par son ami Auguste "mon émeraude d’Étrurie"), le romain viril se contente d'une bague. Enfin ça, c'est pour la théorie : dans la pratique, il semble que la tolérance soit devenue plus grande sous l'Empire, où les fashion victims portaient parfois un anneau à chaque doigt...

" Nous étions dans ces magnificences, quand Trimalcion en personne fut amené au son de la musique et déposé au milieu de tout petits oreillers. Cet aspect imprévu nous arracha des rires mal dissimulés. Figurez-vous un manteau écarlate, d'où sortait sa tête toute rasée, et tout autour de son cou emmailloté dans sa robe, il avait encore jeté un foulard à large bordure rouge, orné de franges qui pendaient de tous côtés. Il portait en outre au petit doigt de la main gauche un large anneau légèrement doré, et à la dernière phalange du doigt suivant une bague plus petite et toute d'or, à ce qu'il me sembla, mais incrustée d'une manière d'étoiles en fer. Et voulant nous montrer encore d'autres richesses, il découvrit son bras droit qu'ornaient un bracelet d'or, et un cercle d'ivoire fermé par une plaque d'émail. " (Pétrone, "Satiricon", XXII - XXIII.)

La bague (ou les bagues, pour les plus coquets) est un symbole majeur du statut social : s'il est souvent en or, les artisans ont appris à combiner le précieux métal à du cuivre, par exemple, afin de le rendre plus solide. Les Sénateurs et les chevaliers portent un anneau d'or (en fer, à l'origine), mais il existe d'autres bagues typiquement masculines, en particulier celles qui sont incrustées d'un symbole ou d'un sceau personnel, utilisées pour authentifier et sceller la correspondance.  La pierre précieuse sertie dans la bague est alors sculptée de l'emblème personnel du propriétaire, mais on trouve des modèles grossiers (mais moins chers), en verre, représentant notamment des Dieux.

Bague avec sceau.

                                        On le voit, la thématique est riche et complexe. Les vêtements féminins ne varient guère d'une classe sociale à l'autre, si ce n'est par la qualité du tissu : dès lors, ces accessoires deviennent essentiels dans la parure féminine, seul moyen pour ces dames de se distinguer, d'affirmer leur rang dans la société romaine - au même titre que la coiffure. Objets précieux, conservés avec soin et parfois enterrés avec les défunts, les pièces qui sont parvenues jusqu'à nous sont souvent d'une grande beauté, et d'une incroyable modernité. Au point que les grands joailliers actuels n'hésitent pas à y puiser leur inspiration : je pense notamment à Bulgari, bien sûr. Preuve que, 2000 ans plus tard, Marilyn avait raison - diamonds are, indeed, a girl's best friends !