mercredi 8 août 2012

Statues de l'Antiquité : couleur ou noir et blanc ?


"Ma vie est un prodige et un tissu de calamités : Junon et ma beauté en sont la double cause, Plût au ciel que ces traits, comme les couleurs d'une statue, pussent être effacés et devenir difformes !"
(Euripide, Hélène.)

                                        Si je vous demande ce qu'évoque pour vous l'Antiquité, sans doute une multitude de noms, de mots et d'images vous viendront-ils à l'esprit : la mythologie gréco-latine, Périclès, Socrate, Romulus, Jules César, l'Empire romain, la guerre de Troie, le Colisée... Que sais-je encore ? Mais je suis prête à parier que bon nombre d'entre vous auront à l'esprit le Parthénon d'Athènes. Ce temple majestueux, se détachant dans sa blancheur lumineuse sur le ciel d'azur, resplendissant au soleil méditerranéen : voilà sans nul doute l'un des symboles de l'Antiquité. Et, tout comme pour les statues, cette couleur - ou plutôt cette absence de couleur - cette blancheur, est étroitement lié à l'idée que nous nous faisons de l'art et de l'architecture antique.

Le Parthénon.

                                        Or, il apparaît clairement que nous avons tort : les statues de l'Antiquité n'étaient pas laissées vierges, mais peintes dans des couleurs vives et exubérantes que ne renierait pas Andy Warhol et qui feraient presque passer les œuvres du Douanier Rousseau pour des gribouillages de dépressif... Aujourd'hui, de nombreux archéologues se penchent sur le sujet, comme par exemple Ivy Nguyen, Stephen Fine, ou encore Vinzenz Brinkmann et Ulrike Koch-Brinkmann. (auxquels la chaîne Arte a consacré il y a peu un documentaire passionnant, "Les Dieux Polychromes de l'Antiquité", à revoir ici.)

Vase du Met., représentant un artiste peignant une statue.
Lorsque des sculptures antiques sont découvertes, elles apparaissent dans leur pureté toute virginale, les siècles écoulés ayant finalement eu raison de la peinture, effaçant les couleurs et rendant les statues à cette blancheur éburnéenne à laquelle nous sommes habitués. Il y a longtemps qu'on sait pertinemment que ces œuvres - ou du moins une partie d'entre elles - étaient peintes : le Metropolitan Museum de New York possède un vase datant de 360 - 350 avant J.C., montrant un homme en train de peindre une statue d'Héraclès. Pourtant, on a longtemps préféré conserver des sculptures en l'état, sans peinture : d'une part, on craignait d'endommager l'original et, d'autre part, on ignorait à l'époque quelles étaient exactement les couleurs employées. Même lorsqu'il restait des traces de couleur, celles-ci, passées à cause des intempéries, du temps, etc. ne permettaient pas de déterminer avec précision les nuances d'origine. Mais aujourd'hui, les progrès de la science se mettent au service de l'art, et les chercheurs peuvent ainsi établir, grâce à diverses techniques, l'apparence qu'avaient réellement les statues polychromes de l'antiquité. Mais comment procède-t-on ? Comment retrouve-t-on les couleurs d'origine, leur intensité ? 

Musée de Carlsberg - observation d'une statue au microscope. (Photo Carlsberg Glyptotetek.)

                                       Étonnamment, retrouver ces traces, ces couleurs perdues, semble d'une simplicité évangélique : il suffit d'éclairer la statue à l'aide d'une lampe. Cette technique, appelée "lumière rasante", est utilisée depuis longtemps. On place une lampe de sorte que le faisceau lumineux soit quasiment parallèle à la surface de l'objet étudié. Sur des peintures, le procédé révèle les traces de pinceau, de sable et de poussière. Sur des statues, l'effet est plus subtil : il est impossible de mettre en relief les coups de pinceau, mais il se trouve que les différentes couleurs résistent plus ou moins bien à l'outrage du temps... L'érosion de la pierre permet ainsi de tracer un contour - une sorte d'image fantôme. De plus, les zones à peindre étaient bien souvent délimitées au couteau, méthode qui a laissé des traces sur la pierre.


Traces de peinture, vues au microscope, de l’œil gauche sur une statue Grecque. (Photo Leica.)

                                        Les rayons ultraviolets fluorescents (XRF), sont également employés pour discerner ces traces, en rendant visibles des résidus de pigments, imperceptibles à l’œil nu ou même au microscope : de petits fragments organiques résiduels brillent sous les ultraviolets, permettant de tracer les contours de façon encore plus précise.


Ivy Nguyen utilise les XRF pour déceler les traces de couleur. (Photo museum.stanford.edu)

                                        Une fois les contours mis en évidence, on se heurte à un autre problème : comment déterminer quelles étaient les couleurs utilisées sur la sculpture ? Quand bien même il resterait à la surface des traces patentes de pigments, rien ne prouve que la couleur n'ait pas été altérée au cours des siècles, et il n'est pas certain qu'il s'agisse de la couleur d'origine... Une fois encore, la science vole au secours des chercheurs.

Traces de pigments bleus sur une statue de Sphinx. (Photo Carlsberg Glyptotetek.)

                                        Les infrarouges et la spectroscopie aux rayons X  apportent la réponse. La spectroscopie se base sur l’absorption des ondes par les atomes, ceux-ci réagissant différemment selon la matière qu'ils composent : ainsi, la différence d'absorption des longueurs d'ondes permet de déterminer quelle substance est présente à la surface. Les infrarouges, quant à eux, mettent en avant les composés organiques comme les roches et les minéraux. En associant ces deux techniques, on peut définir les produits utilisés et, donc, les couleurs de l'époque.  En effet, on sait que les différentes couleurs étaient obtenues grâce à des pigments, produits à partir de substances organiques et inorganiques. Mieux : on les connaît grâce aux écrits de l'époque, et notamment à l' " Histoire Naturelle" de Pline l'Ancien. Voici quelques exemples :

  • Le cinabre, sulfure de mercure donnait un pigment minéral rouge, très apprécié mais assez cher;
  • L'ocre, une terre contenant de l'oxyde de fer, donnait des teintes allant de l'orange au brun-rouge;
  • Le tétroxyde de plomb donnait également du rouge;
  • La laque de garance alizarine, tirée de racines végétales, donnait un rouge tirant sur le rose;
  • L'orpiment et le réalgar, sulfures jaunes d'arsenic minéraux, donnaient... du jaune;
  • L'azurite, un minéral de cuivre, donnait du bleu. En le mélangeant à de la malachite, on obtenait des nuances de vert;
  • Le calcium, le silicium et le cuivre donnaient le "bleu égyptien" - le plus ancien pigment synthétique connu;
  • Le noir d'ivoire (ou noir d'os) et le "noir de vigne" sont des pigments organiques résultant de la carbonisation;
  • Le céruse, un carbonate de plomb, était un pigment synthétique blanc.

(source www.glyptoteket.com)


Aperçu de différents mélanges de pigments. (Musée archéologique de Nîmes.)

                                        Ainsi, les techniques expliquées ci-dessus, associées à bien d'autres moyens scientifiques, permettent-elles de déterminer de quelles couleurs était peinte une sculpture aujourd'hui complètement décolorée et vieille de plus de 2000 ans...

                                        Mais toutes les statues de l'antiquité étaient-elles peintes ? Difficile de le dire, mais on sait cependant que c'était le cas d'une bonne partie d'entre elles...  A nos yeux, ces statues polychromes, aux couleurs vives, ont quelque chose de déconcertant. Mais sachez bien que, sans cette explosion de teintes chaudes, les statues paraissaient nues et carrément laides aux artistes et amateurs d'art de l'Antiquité !

                                        Le Dr. Fine, de son côté, a illustré sa thèse par l'étude de deux statues en particulier. L'une d'elle représente l'empereur Caligula. La version peinte, qu'il a recréée, est un exemple frappant de ce que la couleur peut apporter, conférant au modèle une profondeur, une humanité bien éloignée de la froideur du marbre blanc.

Caligula, version monochrome...
... et polychrome.


                                        Toutes ces recherches ont permis d'organiser des expositions présentant la reconstitution des œuvres de l'Antiquité, telles que les Grecs et les Romains les connaissaient. Reste que le débat est ouvert : faut-il présenter les statues peintes, comme elles l'étaient à l'origine, ou au contraire en conserver cette image de marbre
blanc ? Le documentaire présenté par Arte pose la question, et on est loin d'une réponse unanime... L'archéologue Johann Joachim Wincklemann (1717-1768) déclarait quant à lui : "la couleur ne doit représenter qu'une part mineure dans la considération de la beauté." Ce n'est pas l'opinion de Colin Cunnigham, par ailleurs auteur d'un essai passionnant, "The Parthenon Marbles" (voir ici) : "Personnellement, j'aime admirer des reconstitutions peintes de statues anciennes, parce que cela me rappelle à quel point les canons occidentaux et mes propres préférences artistiques sont des constructions. Je suis sûr que les Grecs et les Romains trouveraient bizarre que les cultures postérieures aux leurs aient laissé leur sculptures blanches et sans fioriture. Le plus drôle, c'est que nous avons continué à créer des sculptures dépouillées et sans peinture pendant des siècles, tout ça au nom du classicisme !"

Statue d'Auguste, avant et après... (Travail des Brinkmann.)


                                        Et il n'a peut-être pas tort... Pendant des siècles, nous avons cru que ces sculptures antiques, dans la pureté et la clarté de leur marbre blanc, représentaient les canons de la beauté et, durant la Renaissance, ce sont précisément ces canons qui ont inspiré les artistes, qui tentaient de se rapprocher de cette esthétique dans leurs œuvres...  Imaginons un instant que la peinture des statues antiques ait été préservée lorsqu'elles ont été mises au jour. Considérons maintenant le David de Michel-Ange. Ou, plus proche de nous, le Penseur de Rodin... Ces œuvres auraient-elles alors été peintes ? Et dans ce cas, n'est-ce pas l'art tout entier qui en aurait été bouleversé ? Nous n'en saurons jamais rien, évidemment. Il nous reste seulement la possibilité d'imaginer, l'espace d'un instant, les conséquences qu'aurait pu avoir sur l'histoire de l'art la simple préservation de la peinture à la surface de quelques statues antiques... Le hasard, au bout du compte, en a décidé autrement. Mais je vous avoue que moi, ça me donne le tournis !

Archer perse devant le Parthénon. (Reconstitution des Brinkmann.)
 




2 commentaires:

Art Now a dit…

Merci!

FL a dit…

De nada, je vous en prie, ! ;-)