Bref, il y a quelques jours, mes pas m'ont conduit malgré moi dans une petite rue de Nîmes, jusqu'à une boutique spécialisée dans les BDs. A croire que j'ai un GPS intégré, qui repère les livres à des kilomètres - mais c'est une autre histoire. La tentation était trop forte et je suis entrée, "juste pour voir". Vous devinez la suite : je ne suis pas repartie les mains vides ! Encore n'est-ce pas entièrement de ma faute, puisque j'ai déniché un album intitulé "César-Auguste ou le Crocodile Enchaîné", dessiné et scénarisé par Étienne Schréder. Voilà donc un billet tout trouvé pour ce blog !
L'histoire est simple : de retour d'Hispanie, l'Empereur Auguste débarque à Massalia pour rejoindre Rome. Le Prince est alors vieillissant : il a certes soumis les tribus ligures des Alpes, pacifié la Gaule et réorganisé l'Hispanie, mais Mécène et Agrippa sont morts, et lui-même souffre de douleurs au ventre que son médecin est incapable de soigner. Alors qu'il s'apprête à visiter Arelate en compagnie de son épouse Livie, une délégation de Gaulois arrivée de Nemausus vient le trouver. La cité est sur le point de se soulever contre l'autorité romaine, certains de ses habitants ayant pris le parti du roi Cottius, chef d'une tribu des Alpes. Auguste décide donc de pousser jusqu'à la ville, afin de tenir un discours dans la Curie et tenter de calmer les rebelles. Là, il découvrira le culte de Nemausus, Dieu de la source sur laquelle a été bâtie la ville, et effectuera un voyage initiatique qui lui permettra de se recentrer et de reprendre conscience de ses responsabilités de chef d'état...
Le scénario n'est pas évident à résumer, pour la bonne et simple raison que l'action n'y joue finalement qu'un rôle secondaire. Le cœur du récit, c'est cette introspection, cette réflexion à laquelle Auguste va être poussé par Nemausus, vers lequel il se tourne, démotivé et à bout de force, lorsque les remèdes prescrits par son médecin ne le soulagent plus et que même les paroles de Livie ne parviennent plus à apaiser ses tourments. Ses doutes, ses désillusions, la peur des présages (représentés par un crocodile) et la lassitude du pouvoir, c'est à ce Dieu mystérieux qu'il va les confier, et c'est au sein de son sanctuaire qu'il puisera l'énergie et la détermination nécessaires à la poursuite de son œuvre. Dans cet aspect, l'album donne à voir le portrait d'un homme complexe, fort et fragile à la fois, mais affaibli et sur le déclin, sans illusion, et qui mesure l'ampleur de la tâche qu'il lui reste à accomplir et la solitude dans laquelle celle-ci l'enferme. Un Empereur d'une grande intelligence et d'une certaine sensibilité aussi, courageux et capable d'autant de sévérité que de clémence. Paradoxalement, le crocodile enchaîné serait donc Auguste lui-même -alors que, je le rappelle, certains avancent que l'animal représenterait en fait Antoine, enchaîné à Cléopâtre ! Mais la symbolique est intéressante. Ni détracteur, ni hagiographe, l'auteur nous montre un Auguste touchant mais surtout crédible, et fait preuve d'une grande finesse dans l'analyse psychologique de son personnage.
Les Jardins De La Fontaine, à l'emplacement de la Source de Nemausus. |
En marge de ce parcours mystique, la B.D. s'ancre dans un cadre spatio-temporel restreint. Y sont illustrées l'édification de la cité de Nemausus et son élévation au rang de colonie romaine, de même que sont brièvement abordés la situation géopolitique et le statut de la Curie par exemple, ou encore l'organisation et le déroulement du voyage impérial. On retrouve aux côtés de l'Empereur son épouse Livie et son médecin Musa, ainsi que les spectres d'Agrippa, de Mécène, de César, d'Antoine, de Cléopâtre et de Cicéron... L'ensemble, toutefois, manque cruellement de détails : aucune date précise n'est indiquée, la construction des divers monuments est mise sur le même plan et à peine développée en annexe, et la vie quotidienne est à peine esquissée. La chronologie, surtout, est ambigüe : le texte ne renvoie à aucune source précise quant à ce séjour d'Auguste à Nemausus, et la mention d'une rébellion menée par Cottius ne semble pas cohérente avec l'aboutissement des travaux de la Maison Carrée. En revanche, aucune mention de Tibère, pourtant étroitement associé au pouvoir à cette époque. Bref, les dates sont confuses, et on a un peu de mal à s'y retrouver... Reste qu'Auguste semble avoir une cinquantaine d'années environ, ce qui situe l'action à la fin du Ier siècle avant J.C. : il faudra s'en contenter.
Dupondius figurant Auguste et Agrippa avec au revers le crocodile de Nîmes. |
Le manque de précision historique, bizarrement, semble presque faire écho au dessin : simple voire dépouillé, d'une grande clarté, le trait est fin et élégant. Il confère aux différentes planches une atmosphère particulière, un peu irréelle, qui flirte parfois avec l'impressionnisme lorsque le visage des protagonistes est à peine suggéré. Si ce choix tend à figer l'action, il se prête davantage aux paysages et aux panoramas de Nîmes, ainsi qu'à toute la réflexion d'Auguste, qui gagne en mystère. Le dessin est donc plus évocateur que réaliste, ce en quoi l'album se démarque totalement de ce que l'on a pu observer ailleurs.
Au final, toute cette B.D. semble tendre vers un récit onirique, avec un fond historique un peu confus et que la caution d'un conseiller ne parvient guère à clarifier. On peut regretter ce flou général : il est indéniable qu'en tant que bande dessinée historique, celle-ci laisse le lecteur sur sa faim. Ou au contraire, on peut embrasser le parti pris par l'auteur et se laisser emmener par le regard qu'il porte sur Auguste, et à travers lui, sur une cité nîmoise rapidement entr'aperçue.
Pour ma part, je reste partagée : il me semble que l'idée de départ, excellente, aurait mérité un traitement plus approfondi mais, d'un autre côté, je suis sensible à la démarche d’Étienne Schréder et à la manière dont il s'est attaché aux états d'âme du premier Empereur. Un travail qui me laisse un léger goût d'inachevé, mais que je trouve néanmoins intéressant. Le mieux est peut-être que vous forgiez votre propre opinion : vous trouverez toutes les références ci-dessous, si jamais il vous prenait l'envie d'y jeter un œil. Dans ce cas, n'hésitez pas à réagir à ce billet ou à me communiquer votre avis !
"César-Auguste Ou Le Crocodile Enchaîné" d’Étienne Schréder.
Éditions Audoin.
10 euros.
ISBN : 360-0-12-101177-9
2 commentaires:
prof de latin je recherche désespérément ce livre depuis longtemps!! merci de me préciser l'adresse exacte de ce libraire.
Pas de problème : il s'agit de la librairie "Peter Pan", 22 rue de l'Horloge à Nîmes (Tél : 04 66 67 70 12.) Elle est juste derrière la Maison Carrée.
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