mercredi 26 février 2014

Bonne Lecture : "Hadrien" de Joël Schmidt.


                                        Hadrien est sans doute l'un des Empereurs les plus célèbres et l'une des figures les plus intéressantes de l'Histoire romaine. Pourtant, les biographies qui lui sont consacrées sont rares, du moins en Français. Peut-être est-ce à cause des "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, chef-d’œuvre littéraire scrupuleusement documenté, qui retrace la vie de notre personnage. "Littéraire" est le mot-clé : ce somptueux roman, bien que basé sur des sources antiques et aussi saisissant de réalisme soit-il, n'en demeure pas moins une œuvre de fiction. Voilà probablement le défi à relever pour qui souhaite se faire le biographe d'Hadrien : réussir à oublier le roman magistral de Yourcenar, pour tenter de se rapprocher d'une réalité historique dépouillée de l'affect insufflé par le talent de son auteur et l'utilisation de la première personne.

                                        C'est ce qu'a tenté de faire Joël Schmidt dans son dernier ouvrage, sobrement intitulé "Hadrien".  Il y réussit remarquablement bien et bat en brèche nombre d'idées reçues. Pour se faire, cet intellectuel réputé est remonté directement aux sources, alimentant son travail de nombreuses citations et extraits de textes antiques, qu'il replace systématiquement dans leur contexte. Biographie en partie linéaire et en partie thématique, le livre s'ouvre sur des chapitres qui retracent la jeunesse, la formation et la carrière d'Hadrien jusqu'à son accession à la Pourpre, et se poursuit ensuite par une présentation des grands axes de sa politique et de sa personnalité.

                                        Hadrien naît en 76 à Italica en Espagne. A la mort de son père, le futur Empereur Trajan le prend sous son aile et Hadrien gravit rapidement les échelons, faisant preuve de ses talents de militaire autant que d'administrateur. Adopté par l'Empereur, dont il a épousé la petite-nièce Sabine, il lui succède à sa mort en 117, et règnera jusqu'en 138. 

                                        Son règne représente à bien des égards un tournant dans l'Histoire romaine. D'abord parce qu'Hadrien rompt avec l'expansionnisme territorial de Trajan et opte pour une stratégie défensive, abandonnant certaines des conquêtes de son prédécesseur pour limiter l'Empire à des frontières plus aisées à défendre - notamment grâce à l'édification du mur qui porte son nom, au nord de l'actuelle Angleterre. Ensuite parce qu'il achève de développer l'administration impériale initiée par Nerva et Trajan, et qu'il codifie les lois en droit perpétuel, jetant les bases du futur Digeste de Justinien, lui-même à la source d'une large partie de la législation occidentale. Enfin parce que, imprégné des cultures grecques et orientales qui le passionnent, Hadrien annonce d'une certaine manière l'influence grandissante de l'Orient sur Rome et, à son insu, creuse les premiers sillons de la faille qui finira par scinder l'Empire romain en deux entités distinctes - Empire d'Orient et Empire d'Occident.  


Buste d'Hadrien. (Musées du Capitole, ©Marie-Lan Nguyen via wikipedia.)

                                        S'il analyse brillamment ces aspects du règne d'Hadrien, Joël Schmidt s'attache aussi à dépeindre la personnalité d'un homme complexe et fascinant. Dans le domaine public, c'est un excellent gestionnaire, qui s'intéresse au moindre détail politique, administratif ou juridique. S'il sait s'entourer d'homme compétents, on a parfois l'impression que l'Empereur a du mal à déléguer... Grand voyageur, il parcourt inlassablement son Empire, dont il inspecte toutes les provinces. Épris de justice, il accomplit des réformes et prend des décisions qui adoucissent le sort des esclaves et la situation des femmes ; mais ce côté libéral est contre-balancé par son respect des institutions, grâce auquel il maintient de bons rapports avec le Sénat.

                                        Mais c'est surtout dans la sphère privée que se révèle Hadrien. Érudit, maîtrisant d'innombrables disciplines (littérature, sciences, architecture, philosophie...), son amour de la culture grecque n'a d'égal que sa curiosité intellectuelle et son ouverture d'esprit. Un homme accompli, imprégné d'humanisme mais qui, pourtant, persécute les Juifs et les Chrétiens. Les révoltes menées par les premiers et le prosélytisme des seconds peuvent expliquer les répressions implacables dont ils furent victimes - mais le paradoxe entre la tolérance d'Hadrien et ces persécutions demeure, et Joël Schmidt s'y intéresse longuement. Sur ce sujet, je ne peux m'empêcher de penser à la biographie de Marc Aurèle rédigée par Yves Roman (voir ici) : il soulignait que l'Empereur-philosophe (qui régna après Hadrien) n'avait tout simplement pas compris la pensée judéo-chrétienne. L'analogie entre ces deux empereurs est à cet égard frappante, d'autant qu'on ne peut imaginer qu'un homme aussi instruit et cultivé qu'Hadrien n'ait pas été au minimum intrigué par ces courants religieux.

                                        Reste à évoquer le changement de caractère d'Hadrien au cours des derniers mois de sa vie. Les historiographes et ses contemporains le dépeignent alors comme un homme cruel, paranoïaque et vindicatif, prompt à exécuter les Sénateurs... Joël Schmidt relativise, arguant que cette réputation est avant tout la conséquence de l'impopularité de l'Empereur auprès des Romains, qui voient finalement d'un mauvais œil l'influence que la Grèce a gagnée sous son règne. Pour ma part, je me garde bien de trancher mais je pense qu'il est possible qu'Hadrien, aigri car miné par la maladie et en proie à de terribles douleurs, ait trouvé pour exutoire la cruauté dont on l'accuse.

                                        Comme toujours avec Joël Schmidt, le propos est érudit mais toujours accessible. En dépit de l'énumération, parfois fastidieuse, des voyages d'Hadrien, le style est fluide et agréable. L'auteur retient l'essentiel et développe quelques thématiques passionnantes, comme la propagande dans la numismatique, la question de la succession impériale, ou la Villa Hadriana. Le livre est donc un bon condensé sur la personnalité et sur l’œuvre politique d'Hadrien. Pour le reste, j'avoue avoir regretté que la biographie à proprement parler ne soit pas plus fouillée : par exemple, la relation d'Hadrien avec Antinoüs n'est que brièvement évoquée. Il n'empêche que l'ouvrage est remarquable de concision et de finesse. En outre, j'ai maintenant envie de me plonger dans les textes antiques, et surtout de... relire les "Mémoires d'Hadrien", à la lumière du livre de Joël Schmidt ! Décidément, on n'en revient toujours là.




"HADRIEN" de Joël SCHMIDT.
Éditions Perrin - lien ici.
360 pages - 23€.



Petite précision : je pense avoir fait preuve d'objectivité, mais là, je vais flamber un peu. Parce que Joël Schmidt a eu l'immense gentillesse de citer mon blog dans ses sources, lorsqu'il parle des Jeux Romains de Nîmes, qui mettent en scène chaque année la visite d'Hadrien dans notre ville. Je l'en remercie s'il lit ses lignes. Heureuse d'avoir été utile, et surtout très fière : l'Empereur n'est pas mon cousin...


mercredi 19 février 2014

Terminus Et Les Terminalia.

                                        La religion romaine comporte une multitude de divinités, et l'année elle-même compte presque autant de fêtes et de célébrations religieuses, au point qu'on ne dénombrerait que 55 jours ouvrables dans le calendrier. Puisque nous sommes en Février, parlons aujourd'hui des Terminalia, qui se tenaient le 23 du mois, en l'honneur du Dieu Terminus. Un nom suffisamment éloquent, qui dit bien qu'il préside aux limites et aux bornes. Mais voyons plus précisément l'origine de ce Dieu, et les rituels attachés à la fête célébrée en son nom.


TERMINUS, TOUT LE MONDE DESCEND ! (Pardon. Je sors...)


                                        C'est bien joli de fonder une ville et de conquérir les territoires avoisinant. Mais, concrètement, comment fait-on pour distribuer les terres, fixer les propriétés et éviter les conflits au sein de son propre peuple ? Le problème se pose bien évidemment à la Rome des origines, mais Romulus ne s'en soucie guère et c'est Numa Pompilius, son successeur, qui attribue aux citoyens les terres conquises :
"Et d'abord il [Numa] distribua par tête aux citoyens les terres que Romulus avait conquises; il leur fit comprendre que, sans piller ni ravager, ils pouvaient, par la culture de leurs champs, vivre dans l'abondance des biens, et leur inspira l'amour de la tranquillité et de la paix, à l'ombre desquelles fleurissent la justice et la bonne foi, et dont l'influence tutélaire protège la culture des campagnes et la récolte des fruits de la terre." (Cicéron, "De La République", II - 14.)

Denier d'Octave avec une représentation de Terminus.

                                        Numa instaure surtout l'institution religieuse qui détermine ce partage, et qui permet d'éviter les controverses et revendications entre voisins mal embouchés. Pour se faire, il crée les termina, bornes de pierre qui matérialisent les limites de chaque parcelle. Une consécration religieuse place ces bornes sous la protection de Jupiter en sa qualité de Dieu de la Bonne foi et gardien des serments. Ce patronage se retrouve chez les Grecs (qui consacrent les délimitations à Zeus) et chez les Étrusques pour qui Jupiter est à l'origine des limites tracées dans les champs, afin de réfréner l'avidité des hommes et empêcher les conflits dégénérant en un bouleversement social.  
"Ce fut encore lui [Numa], je pense, qui borna le territoire de Rome. Romulus n’avait pas voulu le faire, parce qu’en mesurant ce qui lui appartenait, il aurait montré ce qu’il usurpait sur autrui. En effet, les bornes, quand on les respecte, sont un lien qui enchaîne la puissance, et, quand on les arrache, une preuve qui convainc l’injustice." (Plutarque, "Vie de Numa", XVI.)

                                        Et le Dieu Terminus, dans l'histoire ? A l'origine, Terminus est simplement le nom donné à une pierre, encastrée à côté des trois statues divines dans le Temple de la Triade capitoline. Les Romains créent une légende a posteriori, qui personnifie le Dieu Terminus et fait de lui une divinité antérieure au sanctuaire capitolin : lors de la construction du Temple, les Augures auraient demandé aux Dieux archaïques s'ils acceptaient de céder leur place, et Terminus (seul ou avec la Déesse Juventas selon les versions) aurait refusé. On laissa donc la pierre en place, y voyant un bon présage qui garantissait la permanence des limites de la cité.
"Les Augures furent d'avis qu'on consultât les oiseaux sur chaque autel en particulier, que si les dieux le permettaient, on pourrait transporter autre part tous ces autels. Les autres dieux et génies leur permirent de transporter ailleurs les autels qui leur étaient consacrés ; il n'y eut que le dieu Terminus et la déesse Juventas qui ne voulurent jamais quitter leur place, quelques instances que fissent les Augures. On fut donc obligé d'enfermer leurs autels dans l'enceinte du temple, et aujourd'hui il y en a un dans le vestibule de Minerve ; l'autre est dans le temple même tout proche du Sanctuaire. De là les Augures conjecturèrent que jamais les limites de Rome ne changeraient, et que cette ville se conserverait toujours dans sa force et dans sa grandeur. " (Denys d'Halicarnasse, "Antiquités Romaines", III - 28 - 2.)

(©Evil Berry via wikipedia.)


                                        Représenté à l'origine par une simple pierre, on lui donne plus tard une apparence humanisée : une tête, placée au sommet d'une pierre pyramidale symbolisant le torse. Privé de bras et de jambes, Terminus est donc incapable de se mouvoir et de changer de place, ce qui traduit le caractère immuable des limites sur lesquelles il veille.

                                        Les auteurs antiques s'accordent à dire que Terminus est un Dieu présent dès les temps archaïques et d'origine sabine - puisqu'il aurait été introduit à Rome par Titus Tatius (collègue de Romulus) ou Numa Pompilius (son successeur). Il apparait aussi dans les mythologies ligures et étrusques mais cependant, les inscriptions latines spécifiquement dédiées à Terminus, dissocié de Jupiter, ne datent que du début de l'Empire. Denys d'Halicarnasse évoque d'ailleurs de "Jupiter Terminalis", et il n'est pas rare qu'il soit encore honoré au temps d'Auguste, lors des Terminalia. Il est donc difficile de dire à quelle époque est apparu Terminus en tant que Dieu du panthéon romain.
 
Denier de Pompée dédié à Jupiter Terminus. (©Coinarchives.com)

RITUELS ET FÊTE DES TERMINALIA.   


                                        Pour les Romains, la religion suppose un certains nombres de pratiques spécifiquement codifiées. Cette délimitation des terrains, dès lors qu'elle relève du domaine religieux, n'échappe pas à la règle et elle donne lieu à tout un rituel entourant la consécration des limites de la zone définie. Lorsqu'on fixe les limites d'une propriété, les deux parties concernées prennent part à un sacrifice. Plutarque nous apprend qu'à l'origine, le sang n'était pas versé mais, plus tard, on immole un animal en l'honneur de Terminus. Le sang de la bête (généralement un agneau) est versé dans le trou creusé pour recevoir la borne matérialisant la limite du lieu. On ajoute des graines et des herbes, on brule par-dessus du miel, du vin et d'autres offrandes, et sur ces débris (qui peuvent à l'occasion servir de preuve, en cas de contestation) est placée la pierre.

                                        Mais le Dieu est aussi salué lors de la célébration des Terminalia, le 23 Février. Instituée par Numa, cette fête succède aux Lupercales et aux Quirinales, toutes deux des fêtes de purification, au terme de l'année écoulée. Les Terminalia s'inscrivent dans cette logique puisque, renouvellement de la force protectrice des bornes, elles réaffirment la perpétuation des propriétés et le nécessaire respect de l'ordre public.


Représentation de Terminus. (Gravure de Jean Mignon.)

                                        Concrètement, le jour des Terminalia, les deux propriétaires de champs adjacents se réunissent près de la borne, la couronnent de guirlandes et allument un feu. On érige un autel sommaire, sur lequel on sacrifie un animal et on répand du blé. On se partage des fruits, des gâteaux de miel et du vin, dont on offre une partie au Dieu, et on chante des chants rituels en son honneur. Les rites des Terminalia supposent en fait le renouvellement de la reconnaissance mutuelle des limites fixées aux propriétés respectives.
"Lorsqu'une nuit aura passé, que l'on rende les honneurs habituels au dieu qui par sa marque délimite les champs.  Terminus, que tu sois une pierre ou une souche enfoncée dans le sol, toi aussi, tu détiens ton pouvoir divin depuis les temps anciens. Deux propriétaires, venant de directions opposées, te couronnent, et t'apportent deux guirlandes et deux gâteaux. (...) La borne commune est aspergée du sang d'un agneau immolé,   et Terminus ne se plaint pas lorsqu'on lui offre une truie encore à la mamelle. Les voisins se réunissent, célèbrent simplement un repas, et ils chantent tes louanges, vénérable dieu Terminus." (Ovide, "Fastes", II - 639 etc.)

                                        Célébrées en privé, les Terminalia sont aussi saluées par une cérémonie publique. Mais il devient vite difficile d'honorer Terminus à chaque frontière d'un territoire devenu trop vaste à force de conquêtes. La pratique cultuelle observée dans les champs est alors remplacée par un sacrifice, offert à la sixième borne miliaire de la Via Laurentina. Sans doute l'endroit marquait-il la première frontière du territoire romain.
"Il est une route qui mène les gens aux champs des Laurentes, le royaume recherché autrefois par le chef Dardanien. Là, la sixième borne à compter de la Ville voit s'accomplir un rituel où, Terminus, on te sacrifie le foie d'un agneau laineux. Les autres nations ont un territoire aux frontières bien définies ;   la Ville de Rome et l'univers ont la même étendue." (Ovide, "Fastes", II - 679 etc.)

                                        Terminus, qui fixait donc les limites des champs, est devenu par extension le Dieu des frontières de l’État, puis celui des limites en général. A ce titre, la date choisie pour les Terminalia n'est sans doute pas fortuite puisqu'elles sont célébrées juste avant le Mercedonius mensis - mois intercalaire inséré tous les 2 ou 3 ans avant que ce brave Jules César ne réforme le calendrier républicain. Les Terminalia marquent donc aussi la fin de l'année, ou la limite entre les deux millésimes successifs.


Autel dédié à Silvanus. (© J.P. Gramont via wikipedia.)

                                        Terminus n'a finalement laissé que peu de traces : les représentations sont rares, et on le connaît surtout par les textes et les inscriptions. Encore ne sont-elles pas toujours très claires, et elles évoquent souvent Jupiter Terminus, au lieu du... Terminus-Tout-Court. L'une des raisons de cette désaffection tient sans doute à la popularité d'une autre divinité, Silvanus, qualifié de tutor finium ("gardien des limites") et honoré sous ce titre pendant toute l'antiquité païenne. Silvanus remplissant des fonctions similaires, on pourrait dire qu'il est en concurrence directe avec Terminus. Mais je le reconnais : l'expression est limite...

dimanche 16 février 2014

Les Calendes Grecques.

                                        Ce n'est pas la première fois : je vous ai déjà présenté sur ce blog des expressions, dictons ou citations qui trouvent leurs sources dans l'Antiquité romaine. Aujourd'hui, j'ai choisi de me pencher sur l'expression : "Remettre aux Calendes grecques".

                                        Sans doute avez-vous déjà entendu cette phrase : remettre ou renvoyer quelque chose aux Calendes grecques (Ad calendas graecas), cela signifie tout simplement que cet évènement n'arrivera jamais. Pour comprendre le sens de l'expression, il faut savoir que les Calendes (calendae ou kalendae en Latin archaïque.) désignaient dans le calendrier romain le premier jour du mois, soit celui de la nouvelle lune puisque la mesure du temps était à l'origine basée sur le cycle lunaire - avant la réforme de Jules César, qui adopte le cycle solaire pour fixer la durée de l'année, mais conserve les divisions des mois en nones, ides et calendes. (Pour plus de détails, voir ici) Mais le calendrier romain, les Grecs n'en avaient rien à faire ! Et ils continuaient à utiliser leur propre calendrier (ou plutôt leurs calendriers, puisque chaque région ou presque avait le sien), à partir des cycles solaire et lunaire. Donc, pas de Calendes en Grèce, et renvoyer une affaire aux calendes grecques signifie la reporter à une date qui n'existe pas - l'équivalent de notre Saint-Glinglin, en somme.

Fragment de calendrier Julien, datant de l'époque impériale.


                                        Par ailleurs, les dettes arrivaient à échéance le premier jour du mois (les Calendes, donc), date à laquelle on devait les rembourser. Le mot "calendrier" vient justement du mot Calendes : le calendarium latin désignait le livre de comptes où l'on consignait les sommes dues aux Calendes. Par extension, le terme s'est bientôt appliqué au registre sur lequel on notait les évènements prévus au cours du mois.

                                        Selon Suétone, c'est à l'Empereur Auguste que l'on devrait l'image des "calendes grecques". Des expressions fantasques et savoureuses comme celle-ci, le fondateur de l'Empire, homme d'une finesse d'esprit et d'une verve malicieuse, en avait apparemment plein sa musette :  
"On voit dans ses lettres autographes quelques locutions remarquables qui lui étaient familières en conversation. Par exemple, veut-il caractériser de mauvais débiteurs, il dit "qu'ils paieront aux calendes grecques". Pour engager à supporter l'état présent des choses quel qu'il fût, il disait: "Contentons-nous de ce Caton-là". Pour exprimer avec quelle vitesse une chose était faite, il disait: "En moins de temps qu'il n'en faut pour cuire des asperges". " (Suétone, "Vie d'Auguste", 87.)

L'Empereur Auguste. (Musée des Termes, Rome.)


Je pense que j'aurais l'occasion de revenir sur certaines citations d'Auguste. Cette expression des "calendes grecques" est encore utilisée aujourd'hui dans de nombreuses langues, comme l'Anglais, l'Italien, le Portugais, l'Espagnol, etc.

                                        En guise de conclusion, signalons que le mot "calendes” (kalanda - καλενδα) existe bel et bien en Grec, ancien comme moderne : ce sont les chants traditionnels, interprétés à Noël, le Jour de l’an et lors de la fête de l'Épiphanie. Rien à voir avec notre locution augustéenne, donc...

mercredi 12 février 2014

Un Timbre A L'Effigie De Jules César.


                                        Obélix aime à répéter qu' "ils sont fous, ces Romains", et la Poste abonde dans son sens puisque, à partir du 15 Février, Jules César sera timbré ! Ce jour-là sera en effet lancé un timbre à l'effigie du plus célèbre des Romains, qui reprend le buste découvert en 2007 dans le Rhône par l'équipe de la DRASSM (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines).

                                        Le timbre, d'une valeur faciale de 1.65 €, est émis à 1 million d'exemplaires. Il sera disponible le 15 Février en avant-première au Musée d'Arles-Antique (Presqu'île du Cirque romain, 13200 Arles) et dans la boutique "Carré d'Encre" (13 bis rue des Mathurins, 75009 Paris.). Seront également mises en vente des enveloppes Premier Jour et le Musée d'Arles proposera l'entrée au tarif réduit pour les acheteurs.



Création et gravure de P. Albuisson. (© R. Bénal.)


                                        Puis, à partir du 17 Février, vous pourrez trouver le timbre dans certains bureaux de poste, sur le site internet de la poste ( www.laposte.fr/timbres ) ou par correspondance via le service clients (Phil@poste - Service clients - Z.I Avenue Benoît Frachon, BP 10106 Boulazac, 24051 Périgueux Cedex 09.)

                                        Ce n'est pas la première fois que les philatélistes voient ce buste figurer sur un timbre, puisqu'il apparaissait déjà dans une collection consacrée à la région PACA, datant de 2011. Il illustrait alors le timbre dédié à Arles, endroit où il a été découvert. La ville, fondée au VIème siècle avant J.C., fut élevée au rang de colonie romaine par César en 46 avant J.C., en récompense de l'aide qu'elle lui avait apportée face à Marseille, qui avait pris le parti de Pompée lors de la guerre civile.

                                        Rappelons tout de même que l'identification du fameux buste fait débat. Tout le monde s'accorde sur la datation (milieu du Ier siècle avant J.C.), mais quand certains sont persuadés qu'il s'agit bien du plus ancien portrait de César connu à ce jour, d'autres pensent que l'homme est plutôt un magistrat romain ou un noble arlésien. La poste, elle, n'y perd pas son Latin et fait fi des polémiques, puisque c'est le César du Rhône qu'elle a choisi.

                                        Vous commencez à me connaître : il ne m'en fallait pas davantage pour me découvrir une âme de philatéliste... Moi aussi, je suis un peu timbrée !

  

dimanche 9 février 2014

Contraception Et Avortement Dans La Rome Antique.

                                        Ah, les Romains ! Si vous vous contentez de l'imagerie véhiculée par les péplums, nul doute que vous les imaginez fort portés sur la chose, ces jeunes patriciens court vêtus côtoyant des jeunes filles plus court vêtues encore, à la cuisse légère et d'une trouble sensualité. Pour ne rien dire de ces Maciste et Hercule, tout en muscles huilés, propres à éveiller les fantasmes de la ménagère - voire du ménager, puisqu'ils sont tout de même très gay-friendly, ces colosses qu'une horde d'Amazones dénudées ne fait guère réagir... Les fresques pompéiennes pourront éventuellement vous conforter dans l'idée qu'à Rome, on sait comment s'amuser dans un lit.

Fresque de Pompéi. (©Wolfgang Rieger via Wikipedia.) : 2 garçons, 1 fille, 3 possibilités...

                                        Le thème du sexe dans la Rome antique a fait couler beaucoup d'encre, et j'aurai sans doute l'occasion d'y revenir sur ce blog. Le sujet est certes intéressant, quoi que difficile à traiter tant la conception que nous avons de la sexualité diffère de celle des Romains. Cependant, si  l'on se penche sur le sujet, il apparait que les questions associées que sont la contraception et le contrôle des naissances se posaient déjà à l'époque. Et ce même si l'on mettait en valeur la fertilité des femmes, au point que la stérilité était considérée comme une malédiction ou un châtiment. Pourtant, il existait déjà dans l'antiquité de nombreuses "recettes" contraceptives, aussi bien chimiques que mécaniques ou même magiques. Reste que les méthodes contraceptives étaient mal différenciées des méthodes abortives, et que les auteurs ne faisaient alors guère la différence entre les deux.

CONTRACEPTION.


                                        On trouve des preuves de l'existence de moyens contraceptifs d'abord en Égypte, dans des Papyrus datant d'environ 1800 avant J.C. : on y conseillait l'application d'une pâte à base d'excréments de crocodile dans le vagin ou d'un mélange de miel et de bicarbonate de soude. Ce texte mentionnait aussi l'introduction dans la vulve d'une boule de laine enduite de miel. Plus tard en Grèce, Aristote proposait quant à lui un spermicide constitué notamment d'huile de cèdre, ou encore des solutions à base de vinaigre ou de savon.

Papyrus Ebers, présentant des méthodes contraceptives. (©Université de Leipzig)

                                        Par ailleurs, on considère généralement Hippocrate (IVème s. avant J.C. - le type du serment.) comme le précurseur du dispositif intra-utérin (DIU) : il avait en effet découvert que la mise en place d'un corps étranger dans l'utérus de certaines femelles les empêchait de devenir pleines. Il faudra toutefois attendre le XXème siècle pour que le dispositif soit amélioré... Soranus d'Ephèse (IIème s. avant J.C.), quant à lui, préconisait entre autres choses de boire après le coït l'eau utilisée dans les forges. 

                                        D'autres méthodes se basaient sur l'idée selon laquelle la conception venait de l'absorption totale du sperme par la matrice. Afin de l'empêcher, on suggérait donc de se lever ou de se laver immédiatement après l'acte sexuel, ou de s'accroupir et de sauter plusieurs fois. Les médecins étudiaient aussi le rythme menstruel mais, malheureusement, ils avaient tout faux ! Ils pensaient en effet que le pic de fertilité se situait juste après la fin des règles - période durant laquelle il convenait donc de s'abstenir de rapport sexuel. Manque de bol, c'est l'inverse ! En revanche, le coït interrompu était fortement déconseillé, car on pensait que la rétention du sperme en fin de coït était nocive pour les reins et la vessie.

                                        Certaines recommandations s'apparentaient davantage à la magie qu'à la médecine. Ainsi, pour Aetius d'Amide (IVème siècle), il suffisait de porter attaché au pied un tube contenant un foie de belette, et Pline l'Ancien prescrivait de porter avant le lever du soleil un petit sac contenant deux vers attachés dans une peau de daim.

Le Roi Minos, La Reine Pasiphae et Dédale. (© http://www.greekmyths-greekmythology.com/)

                                        Nettement moins exotique, le préservatif existait aussi du temps des Romains. Il est apparu en Égypte antique, il y a environ 3000 ans, avant d'être utilisé en Grèce et à Rome. Il s'agissait alors de sortes d'étuis en tissu, recouvrant le pénis. La légende du roi Minos fait aussi référence à l'utilisation de vessies de poissons ou de chèvres, pour retenir la semence. A Rome, ils étaient confectionnés à partir des boyaux de moutons ou d'agneaux, et protégeaient avant tout contre les MST. On ignore comment ils étaient fabriqués mais la découverte de préservatifs similaires en Angleterre, quoi que nettement postérieurs, donne une bonne idée de leur apparence : des boyaux d'animaux, cousus sur une extrémité et attachés de l'autre à un ruban que l'on fixait au pénis. D'un prix relativement élevé, ils étaient lavés et réutilisés. Ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle, avec le commerce du caoutchouc en provenance des colonies, que le préservatif se démocratisera et sera utilisé autant à des fins contraceptives que pour se protéger des maladies.   

AVORTEMENT.

La problématique morale.


                                        On se doute que toutes ces solutions étaient bien aléatoires. Si elles échouaient et en cas de grossesse non désirée, il fallait alors envisager l'avortement. Ce sujet n'a jamais cessé de faire l'objet de controverses, quoi que sous des formes différentes selon l'époque. De nos jours, les débats concernent des notions morales relatives au droit à la vie, à la liberté individuelle et au droit des femmes à disposer de leur corps. On retrouve certaines critiques contemporaines chez Ovide, lorsqu'il craint pour la vie de sa maîtresse, Corinne, qui se fait avorter :
"A quoi sert-il aux belles de n'avoir point à se mêler dans les combats, et à se couvrir du bouclier ? Sans aller à la guerre, elles se blessent de leurs propres traits, et arment contre leurs jours leurs aveugles mains. Celle qui la première essaya de repousser de ses flancs le tendre fruit qu'ils portaient, méritait de périr victime de ses propres armes. Quoi ! de peur que tes flancs ne soient sillonnés de quelques rides, il faut ravager le triste champ où tu livras le combat ! (...) Toi-même, qui devais naître si belle, tu aurais péri, si ta mère avait accompli ce que tu viens de tenter. Et moi, dont la destinée plus heureuse est de mourir d'amour, je n'aurais jamais existé ; si ma mère m’eût étouffé dans son sein." (Ovide, "Les Amours", Élégie XIV.)

"L'Art D'Aimer" d'Ovide. (Ill. Paul-Emile Bécat via lamusegalante.com)

                                        Dans l'Antiquité pourtant, la problématique était en général toute autre. Tout d'abord, les connaissances médicales liées à la conception n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Selon Pline l'Ancien, le fœtus commençait à se former au 10ème jour de grossesse mais, pour la plupart des médecins, il n'était complètement développé qu'au bout de 40 jours environ (la durée varie de quelques jours selon les auteurs). On pensait aussi que les garçons étaient formés plus rapidement, car la semence engendrant des filles était plus faible et plus humide.

                                        Mais à quel moment considèrait-on le fœtus comme un être humain ? Les opinions divergeaient. Pour résumer grossièrement :
  • les pythagoriciens pensaient que le sperme était un morceau de cerveau contenant de la vapeur chaude, qui créait l'âme dès la conception ;
  • les platoniciens et stoïciens croyaient que l'âme venait de l'extérieur, et que le fœtus ne devenait véritablement  humain qu'à la naissance, lors de sa première inspiration;
  • d'autres enfin, comme Hippocrate et Galien, situaient l'épineux moment quelque part entre la conception et la naissance - lorsqu’il est formé (donc environ 40 jours après la conception) ou lorsqu'il commence à bouger dans le ventre de sa mère. Encore que certains médecins considéraient qu'il ne s'agissait que de mouvements mécaniques, et non conscients.
                                        Bref, on le voit : les médecins de l’Antiquité n'étaient vraiment pas unanimes sur le sujet ! Il ressort toutefois que, pour la majorité d'entre eux, le fœtus n’avait pas encore d’âme lors des premières semaines de grossesse.
"Ici donc nous concluons que toutes les facultés naturelles de l'âme, sont en elles-mêmes, comme inhérentes à sa substance, grandissant et se développant avec elle, à dater de sa naissance, ainsi que le dit Sénèque qui se rencontre souvent avec nous: « Les semences de tous les arts et de tous les âges sont déposées au fond de nous-mêmes. Dieu, notre maître intérieur, produit secrètement nos aptitudes, » c'est-à-dire les fait sortir des semences qu'il a déposées en nous et cachées par l'enfance, qui sont l'intellect; car c'est de là que sortent nos aptitudes." (Tertullien, "De L’âme", XX.)
Tertullien.

Ils employaient d'ailleurs des mots tels que "pertes" ou "dissolution" pour désigner l'avortement, qui n'était considéré ni comme un meurtre, ni même comme une offense aux Dieux, et la religion n'intervenait pas dans le débat. On considérait tout de même que l’avortement était une pollution, une souillure, comme toute émanation corporelle (sang, excrément, etc.). Une purification était donc nécessaire et une femme ne pouvait fréquenter un temple après un avortement. Bien sûr, tout changera avec la montée en puissance du christianisme, qui condamnera totalement le recours à l'avortement, comme à la contraception.

                                        Sur un plan juridique, il n'existait aucune législation à proprement parler, bien que le mari puisse porter plainte contre sa femme, s'il s'estimait lésé d'un descendant. Si le mari lui-même acceptait l'avortement ou dans le cas d'une femme célibataire, aucune sanction n'était prévue. Toutefois au IIIème siècle, sous le règne des Sévères, une femme ayant eu recours à l'avortement a été punie par l'exil (Source : Classic Oxford Dictionnary). Mais à l'époque, Rome développait un programme nataliste en vue d'affronter les menaces extérieures pesant sur l'Empire. Il s'agissait donc d'une décision plus politique qu'éthique.

                                        Maintenant, pour quelles raisons une femme avortait-elle à Rome ? Principalement pour des questions de légitimité (éviter la naissance d'un enfant adultérin, par exemple), de succesion, pour des raisons médicales ou en fonction de la situation économique. Citons aussi le cas des prostituées qui, pour des raisons évidentes, ne désiraient pas devenir mères. Il faut tout de même signaler que les avortements liés à des raisons économiques étaient finalement assez rares : d'une part, le rôle traditionnel des femmes était d'abord d'enfanter et, d'autre part, l’exposition des bébés (soit l’abandon du nouveau-né dès sa naissance) présentait une alternative moins dangereuse.

Méthodes abortives.


                                        La confusion entre contraception et avortement fait qu'il semble y avoir davantage de renseignements sur le second que sur la première. De nombreux auteurs antiques ont ainsi traité du sujet, en exposant plusieurs méthodes. La plupart étaient associées à des prescriptions magiques ou astrologiques. Les substances connues peuvent être classées en différentes catégories : les emménagogues (qui provoquent la menstruation), les expulsifs (surtout utilisés lorsque le fœtus est mort) et les abortifs (qui détruisent l’embryon). On retrouve généralement les mêmes ingrédients quelle que soit la méthode employée, mais en quantité différente.

Drogues orales : Certaines drogues se prenaient oralement : le lait de chienne ou des décoctions de chicorée (mentionnées par Pline), le thelypteris (une fougère) mélangé à du miel et du vin, la rue (bien connue comme substance abortive), les graines de giroflée, les testicules de castor, le sang de chèvre mêlé à des épices aromatiques, la menthe pouliot, le concombre d'âne... Oribase, médecin de l’empereur Julien, citait le genévrier sabine, la myrrhe, le lupin et la centaurée. On connaissait aussi l'opopanax, à la fois comme substance contraceptive et abortive. Enfin, le silphion, plante aujourd'hui disparue qui poussait dans la Libye actuelle, et à laquelle ont prêtait de nombreuses propriétés. Pline mentionnait par exemple son efficacité contre les maux de gorges , la toux, la fièvre, les indigestions ou les verrues. Mais elle avait aussi un effet œstrogénique et empêchait l'implantation de l’œuf fécondé dans l'utérus.

Drachme en or montrant un plante de silphion.


Pessaires : Il existait aussi des pessaires, boules de laine enduites d'une substance insérées dans le vagin, plus puissants et qui contenaient parfois des composants irritants. Galien donnait une recette  de figues mélangées à du carbonate de sodium. On trouvait également des crèmes et onguents, par exemple à base de cyclamen, abortif tellement puissant que, appliqué directement sur l’abdomen, on croyait qu'il pénétrait jusqu’à l’embryon. Mais d'autres substances étaient moins agressives et on les prescrivait la plupart du temps en complément d'autres méthodes non médicamenteuses. 

Pratiques magiques et mécaniques : Parmi celles-ci, Pline encore préconisait par exemple à la femme enceinte d'enjamber un œuf de corneille, sensé provoquer l'avortement par la bouche. Plus prosaïquement, les mouvements violents étaient souvent utilisés. Ils visaient à affaiblir la femme et / ou à décoller l’embryon de la paroi utérine : marcher à vive allure, sauter en remontant les talons jusqu'aux fesses, lever de lourdes charges, faire une promenade en voiture attelée afin que la femme soit secouée, voire l'attacher à une échelle et la secouer jusqu’à ce que le fœtus tombe, etc. Galien pensait quant à lui que l'avortement pouvait être consécutif à une chute ou à des violences physiques ou morales. Toujours dans l'optique de fatiguer l'organisme de la femme enceinte afin d'expulser le fœtus, on employait d'autres moyens comme les saignées ou des bains dans des décoctions à base de graines de lin, de fenugrec ou de mauve. Le régime alimentaire jouait aussi un rôle : on pensait qu'une femme désirant avorter devait manger des aliments âcres et boire du vin.

Instruments chirurgicaux retrouvés à Pompéi. (©Giorgio Sommer via wikipedia.)

Chirurgie : Si rien de ce qui précède n'avait fonctionné, restait en désespoir de cause le recours à la chirurgie. Mais la méthode était très dangereuse : en essayant de détacher l'embryon avec des objets tranchants, on risquait de léser des organes, voire de provoquer une infection ou une hémorragie fatale. L’embryotomie était donc surtout employée lorsque la vie de la femme était en danger, ainsi que par les prostituées.
"Lorsque, dans la grossesse, l'enfant venu presque à terme meurt dans le sein de la mère, et ne peut en sortir par un travail naturel, il faut bien se résoudre à l'opération, et la chirurgie n'en a pas de plus difficile. Elle exige, en effet, une rare prudence et des ménagements extrêmes, parce qu'elle fait courir un immense danger." (Celse, "Traité De La Médecine", VII - 29.)

L'avortement dans les faits. 


                                        Dans la pratique, l'avortement est rarement évoqué par les sources antiques et l'on ne possède que peu de renseignements sur sa fréquence et les techniques les plus utilisées. La variété des méthodes proposées tend cependant à démontrer que celles existantes étaient considérées comme peu satisfaisantes, et que l'on cherchait sans cesse des alternatives. Seuls les moyens chirurgicaux semblent avoir fonctionné, mais au prix de la mise en danger de la vie de la femme enceinte.

                                        On peut raisonnablement supposer que les substances prises oralement étaient les plus utilisées : plus discrètes, elles ne nécessitaient en outre aucune intervention extérieure. Il suffisait sans doute de demander conseil à un médecin voire à une autre femme, et absorber ensuite la mixture préconisée. Toutefois, les plantes dont les propriétés abortives sont désormais avérées étaient mentionnées au milieu d'une longue liste de substances totalement inefficaces : il fallait donc choisir la bonne ! Et les doses à respecter étaient rarement indiquées... De plus, certaines recettes étaient trop complexes ou incluaient des ingrédients trop spécifiques pour être concontées de façon artisanale, et il fallait alors trouver quelqu'un à qui acheter les préparations.  Les pessaires étaient aussi utilisables en toute discrétion mais leur dangerosité était bien connue pusiqu'ils pouvaient causer ulcères, fièvres et inflammations conduisant à la stérilité ou même à la mort. Enfin, les mouvements violents présentaient un double avantage : faciles à mettre en œuvre, ils pouvaient être dissimulés en simples accidents. Reste qu'il fallait une bonne dose de courage et de volonté pour  prendre le risque de se blesser ainsi volontairement...

                                        Au final, l'avortement était perçu comme dangereux - beaucoup plus qu’une grossesse ou qu'une fausse-couche naturelle. On songe à Julie, la nièce de Domitien, qui mourut à l'âge de 25 ans suite à un avortement  :
"Attaché à Domitia par le lien du mariage, il refusa obstinément la fille de son frère qui était encore vierge, et qu'on lui offrait comme épouse. Mais, bientôt après, dès qu'elle fut mariée à un autre, il la séduisit du vivant même de Titus. Lorsqu'elle eut perdu son père et son mari, il l'aima avec passion et publiquement; il fut même cause de sa mort en l'obligeant de se faire avorter. " (Suétone, "Vie De Domitien", XXII.)
Buste de Julia Flavia, nièce de Domitien.

Ovide, déjà cité, évoque sa crainte de perdre sa maîtresse Corinne, lorsque celle-ci décide d'avorter.
"L'imprudente Corinne, en cherchant à se débarrasser du fardeau qu'elle porte en son sein, a mis ses jours en péril. Sans doute elle méritait ma colère, pour s'être, à mon insu, exposée à un si grand danger ; mais la colère tombe devant la crainte. Pourtant c'est par moi qu'elle était devenue féconde, ou du moins je le crois ; car j'ai souvent tenu pour certain ce qui n'était que possible." (Ovide, "Les Amours", Élégie XV.)

EN GUISE DE CONCLUSION...


                                        Je n'ai cité dans cet article qu'une infime partie de toutes les méthodes suggérées par les médecins, philosophes et auteurs de l'antiquité, et vous pourrez en découvrir bien d'autres, plus ou moins farfelues à nos yeux, dans les textes. Précision peut-être inutile mais que je tiens néanmoins à apporter : il va de soi que je déconseille absolument d'avoir recours à n'importe laquelle de ces techniques ou substances ! Sans prendre aucune position éthique, je ne saurais trop vous recommander, mesdemoiselles et mesdames, de passer par votre médecin - qu'il s'agisse d'avortement ou de contraception. Des scandales sanitaires ont certes démontré que certaines pilules n'étaient pas dépourvues de risques mais, dans l'ensemble, les techniques et molécules qui sont à notre disposition aujourd'hui sont sans conteste moins dangereuses et plus efficaces. Quoi que rien ne vous empêche d'enjamber en plus un œuf de corneille : deux précautions valent mieux qu'une !

dimanche 2 février 2014

TV / Film : "Plebs", ou le forum en folie.

                                        Je ne connais pas un seul fana d'Antiquité romaine qui ne soit pas tombé en extase devant la série "Rome" de HBO. Régulièrement citée en exemple par les historiens, encensée par la critique, plébiscitée par le public, elle ne compte malheureusement que deux saisons - en raison de son coût prohibitif et de la destruction d'une grande partie des décors au cours d'un incendie. Si "Rome" est véritablement excellente, elle n'est pas la seule série TV consacrée à... Rome (comme quoi, le titre était bien trouvé) : l'avaient précédée la génialissime "Moi Claude, Empereur", "Empire", une mini-série intitulée "Massada" (fantastique elle aussi), et Spartacus a ensuite pris la tête d'une révolte de gladiateurs pendant 4 saisons sur la chaîne Starz. Au milieu de toutes ces séries dramatiques, plus ou moins fidèles à la réalité historique, il y en a une qui dénote complètement : produite et diffusée par ITV, "Plebs" est un délire comme seuls les britanniques peuvent en inventer, un péplum à 3 sesterces absurde, débile... et complètement réjouissant !



Stylax, Marcus et Grumio. (©ITV)


                                        Marcus et Stylax partagent un appartement, en compagnie de Grumio, l'esclave de Marcus. Les deux jeunes Romains travaillent respectivement comme copieur et déchiqueteur dans un bureau, sous les ordres d'une patronne snob et condescendante. Stylax n'a que deux ambitions dans la vie : s'inviter dans les soirées de la haute société romaine, et accumuler les aventures sexuelles. Marcus, plus réservé, cherche à séduire la nouvelle voisine, une jeune et jolie Bretonne du nom de Cynthia, fraîchement débarquée de sa province natale. Comme de bien entendu, Stylax accumule les mésaventures (et les MST) en cherchant à s'inviter dans des orgies ou des fêtes huppées, et entraîne son compère dans les pires galères. Il faut dire que nos deux amis sont quand même deux benêts systématiquement à côté de leurs sandales...

                                        Marcus, l'amoureux maladroit et contrarié d'un côté ; Stylax l'obsédé sexuel qui saute sur tout ce qui porte stola de l'autre : ces deux garçons sont aussi affligeants qu'attachants. Stylax malgré ses obsessions flippantes et Marcus avec ses sarcasmes sont deux ahuris pathétiques, mais vraiment sympathiques. Au milieu, l'esclave Grumio, personnage impayable avec une bonne tête d'abruti (remarquable Ryan Sampson), mais plus rusé qu'on pourrait le croire. En arrière-plan, les personnages secondaires sont tout aussi barrés : Metella, l'esclave revêche de Cynthia ; le propriétaire cynique et sans scrupule ;  le prêtre de Cybèle à la recherche de nouvelles recrues ; ou encore mon préféré, le porteur d'eau, tête de turc des deux héros.

                                        La série n'a clairement pas la même ambition que "Rome", et encore moins le même budget ! Tournée dans cinq ou six décors au maximum, c'est en fait un péplum-sitcom, qui reprend les codes du genre mais adapte l'Antiquité à la sauce humour british, tendance trash. Le sexe y est omniprésent - pas de scènes de nu mais des propos explicites et sur des thèmes aussi variés que l'inceste, l'homosexualité, la zoophilie ou même la nécrophilie - et les vannes sont parfois très lourdes, voire même scatologiques. C'est là ma seule réserve. Adeptes de la finesse et du bon goût, passez votre chemin !



Cynthia, Metella et Marcus. (©ITV)


                                        Quoi que : comme le laisse entendre le reggae qui sert de bande-originale (!!), la série joue aussi et surtout sur les anachronismes, et elle transpose des problèmes actuels au quotidien de deux jeunes losers romains. Le porteur d'eau joue par exemple les bénévoles dans un foyer de SDF pendant les Saturnales, les combats de gladiateurs prennent des allures de match de foot, les relations extra-conjugales font jaser au bureau, et les vases antiques aux décors érotiques sont les magazines porno de l'époque. Mais la grande obsession de nos jeunes amis, ce sont bien sûr les filles et, à ce titre, leurs interrogations existentielles valent le détour : peut-on inviter une fille à une orgie dès le premier rencard ? L'inceste est-il hype ou déplacé ? Que faire quand la fille qui vous plaît sort avec un prestigieux gladiateur ? C'est ce mélange de décalage et d'absurde (la découverte de la banane, c'est juste du grand n'importe quoi !), auquel s'ajoutent des dialogues pas toujours très fins mais souvent hilarants, qui fait tout le sel de cette série foutraque, qui n'est pas sans évoquer les Monty Pythons ou Mel Brooks.

                                        En conclusion, voilà donc une série pas toujours subtile, mais originale, amusante et dynamique. Navigant sans cesse entre blagues vulgaires et décalages temporels plus fins, les 6 épisodes de 22 minutes provoquent immanquablement le rire - parce que c'est complètement con ! Une comédie efficace et complètement inattendue - en espérant que la saison 2 soit aussi déjantée...


PLEBS : http://www.itvmedia.co.uk/plebs
Inédit en France mais disponible en DVD - Zone 2 (Import) - notamment sur Amazon.fr

Bande-annonce :