dimanche 19 avril 2015

Publilius Syrus : auteur oublié, citations connues.


                                        Des auteurs latins, vous en connaissez : même si vous ne les avez jamais lus, les noms d'Horace, Ovide ou Virgile vous sont familiers. Il est pourtant un auteur latin dont vous n'avez sans doute jamais entendu parler... Et pourtant, vous le citez au cours de la conversation, sans même le savoir. Il se nomme Publilius Syrus (ou Publius Syrus), et il est à l'origine de nombreuses maximes qui, sous une forme plus ou moins fidèle, sont passées dans notre langage courant.

                                        Contemporain de Cicéron, cet esclave syrien (d'où le nom de Syrus) est emmené en Italie où son maître, séduit par sa beauté et son esprit, lui fait donner une éducation soignée avant de l'affranchir. Dès lors, Syrus prend le cognonem de son maître, Publilius, et se consacre au théâtre. Plus précisément, il s'attelle à la composition de mimes, comédies burlesques très appréciées des Romains, qui lui valent un vif succès. Sa renommée gagne rapidement toute l'Italie,  au point que Jules César le fait venir à Rome en 45 avant J.C., afin qu'il participe aux fêtes célébrant sa victoire sur l'armée de Pompée.

Scène de théâtre. (Pompéi - ©Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Luciano Pedicini.)


                                        Macrobe se souvient d'une anecdote qu'il raconte dans ses "Saturnales": au cours des célébrations données en l'honneur de César, on organise divers jeux et concours, et notamment une compétition littéraire opposant plusieurs auteurs et poètes. Parmi ceux qui sont invités à improviser et à jouer leurs mimes, on trouve évidemment Publilius, mais aussi son principal rival, un partisan des Républicains nommé Laberius. Celui-ci n'épargne pas César, qui a fortement insisté pour qu'il se produise sur scène.
"Dans cette même pièce Laberius se vengeait comme il le pouvait, dans le rôle d'un Syrien battu de verges, sous le masque duquel il s'écriait 'Désormais, Romains, nous avons perdu la liberté !'. Et il ajoutait peu après 'Il faut qu'il craigne beaucoup de gens, celui que beaucoup de gens craignent.' A ces derniers mots, tout le peuple fixa les yeux sur César, et se complut à le voir dans l'impuissance de repousser ce trait qui le frappait. Cette circonstance fut cause que le dictateur transporta ses faveurs à Publius." (Macrobe, "Saturnales", II-7.)

Ainsi, si César a parfaitement saisi l'allusion, il n'en montre rien mais octroie finalement la victoire à notre ami Publilius. Macrobe ajoute que Publius, remportant la palme, lance à Laberius : "Sois favorable, comme spectateur, à celui que tu as combattu comme écrivain."

                                        Il semble que Publilius Syrus ait poursuivi sa carrière après la mort de César, se produisant sur scène avec un succès jamais démenti. Mais nous ne connaissons finalement que peu de choses sur la vie de cet auteur, qui était avant tout acteur et improvisateur. Seuls quelques fragments de deux œuvres nous sont parvenus, et il serait certainement tombé dans l'oubli sans la compilation, dès l'Antiquité, de plusieurs citations de ses pièces.

                                        En effet, de nombreux vers ont été extraits des pièces de Publilius et réunis en un livre d'aphorismes nommé les Sententiae. Certaines sources affirment que l'ouvrage a été composé par l'auteur lui-même, quand d'autres avancent que ces maximes ont été compilées par des lettrés, à peine deux siècles après sa mort. Elles marquèrent en tous cas les esprits, au point d'être paraphrasées par d'autres écrivains (comme Martial ou Pétrone), citées en exemple par Sénèque, et plus tard prisées des savants du moyen-âge et de la Renaissance. Progressivement enrichi, le recueil rassemble traditionnellement près de 700 vers iambiques ou trochaïques - pour la plupart apocryphes. On y trouve même la citation de Laberius mentionnée plus haut - celle-là même qui valut sa défaite au rival malheureux !


Portrait de Sénèque. (Lucas Vorsterman, XVIIème s., ©Harvard Art Museums/Fogg Museum.)

                                         Mais que contiennent exactement ces aphorismes ? Il s'agit de courtes phrases en vers, où alternent l'humour et le sérieux. Fortement empreintes de stoïcisme, elles ont le plus souvent valeur de conseil, indiquant le comportement le plus moral et reflétant sans doute la sagesse populaire de l'époque. Sénèque souligne qu'elles apportaient en quelque sorte un contrepoint au grotesque du mime dans lequel elles apparaissaient :
"Quand Publilius veut abandonner ses farces ineptes, bonnes tout au plus pour les spectateurs des derniers rangs, il a plus d’énergie que tous les poètes tragiques et comiques. Dans une foule de pensées, il s’élève non seulement au-dessus de la scène mimique, mais du cothurne même." (Sénèque, "De la tranquillité", IX.)
                                        Certaines sont aujourd'hui devenues proverbiales dans de nombreuses langues, sous une forme identique ou au minimum approchante, y compris en Français. D'autres sont tout simplement irrésistibles, même si elles ne sont pas passées dans le langage courant. En voici quelques-unes, à titre d'exemple - à vous de voir celles que vous reconnaissez :

  • Bonne renommée est un second patrimoine.
  • Certains remèdes sont pires que le mal.
  • Il faut se préparer pour chaque jour comme s’il était le dernier. 
  • Le lendemain vaut toujours moins que le jour présent.
  • La fortune ôte l’esprit à ceux qu’elle veut perdre.
  • Qui avoue sa faute se place près de l’innocent. 
  • Qui prétend faire deux choses à la fois ne fait bien ni l’une ni l’autre.
  • Vous ne pouvez bien jouer de la lyre ? Prenez la flûte.
  • Le chameau, en voulant avoir des cornes, a perdu ses oreilles.
  • La colère est la pire de tous les conseillers.
  • Il faut battre le fer quand il est rouge au feu.
  • C’est dans l’arène même que le gladiateur décide ce qu’il doit faire.
  • Le coq est roi sur son fumier.
  • Mieux vaut exciter l’envie que la pitié.
  • Quand le lion est mort, les lièvres l’insultent.
  • Qui poursuit deux lièvres à la fois n’attrape ni l’un ni l’autre.
  • La pierre que l’on roule, ne se couvre pas de mousse.
  • Ne promettez pas plus que vous ne pouvez tenir.
  • Si vous voulez des poires, allez-en chercher sur le poirier, et non sur l’orme.
  • Mieux vaut tard que jamais.
  • La faute du père ne doit jamais nuire au fils.
  • Attends-toi à recevoir des autres ce que tu auras fait à autrui.
  • Celui qui fait un second naufrage accuse Neptune à tort.
  • La violence est l'arme des faibles.
  • Il faut préparer en temps de paix ce qui est indispensable en temps de guerre.
  • La prospérité fait abonder les amis ; l’adversité les jauge et les passe au tamis.
  • Lorsque la cause est bonne, la manière importe peu.
  • Rien ne reste quand l'honneur est perdu.
  • On ne saurait être sage quand on aime, ni aimer quand on est sage.
  • Où le feu a brûlé longtemps, il ne manque jamais de fumée.

Interprète de pantomime. (©Historical Pictures Service, Chicago)


                                        Et pourtant, bien que nous ayons adopté plusieurs de ces maximes, leur auteur est bel et bien tombé dans l'anonymat. C'est ce que Laberius avait pressenti... Après sa confrontation malheureuse avec Publilius, il ouvrit son mime suivant par ces paroles :
"On ne peut pas toujours occuper le premier rang. Lorsque tu seras parvenu au dernier degré de l'illustration, tu t'arrêteras avec douleur; et tu tomberas, avant d'avoir songé à descendre. Je suis tombé; celui qui me succède tombera aussi : la gloire est une propriété publique."

Revanche mesquine, mais prophétique...






5 commentaires:

FL a dit…

Je m'auto-commente, pour corriger une erreur, signalée par un lecteur dont j'ai perdu le nom en route ! Je m'"en excuse auprès de lui, qui m'a fait remarqué que je citais Plaute comme imitateur de Publilius... alors qu'il lui est antérieur de plus d'un siècle ! Effectivement, j'ai "bugué" : plongée dans la lecture de ses pièces, je mets du Plaute partout ! Il s'agissait de Martial... C'est fait, c'est corrigé ! Merci de m'avoir avertie...

Anonyme a dit…

Intéressant ! Amusant ..Un patrimoine de toutes ces expériences du quotidien qui finalement nous relient avec l'être antique. Nous aurions eu des points communs pour nos conversations . Lyllia

FL a dit…

Personnellement, je suis fan de "Le chameau, en voulant avoir des cornes, a perdu ses oreilles." Cette expression m'enchante, et je propose de réhabiliter certaines citations antiques du même genre, absolument délicieuses ! Qui en est ?!!

Unknown a dit…

Comme s'il n'y avait pas assez d'auteurs antiques que je n'ai pas lu, voilà que tu en rajoutes. Merci pour tes recherches et tes explications qui contribues à garder les choses anciennes vivantes alors qu'aujourd'hui ils veulent supprimer nos langues Latines et Grecques

FL a dit…

C'est à la fois réjouissant et déprimant : même en vivant centenaire, je crois bien qu'on ne connaîtra jamais toute la littérature latine. Pire : songe un peu à tous les textes disparus, perdus à jamais... :-(