En Septembre, c'est Lutèce qui est à l'honneur, puisque Historia y consacre une trentaine de pages, depuis les origines de la cité des Parisii jusqu'à la ville romaine du Bas-Empire. La localisation de la première fait encore débat, et la revue examine la question à la lumière des écrits de Jules César (décidément incontournables !) et des dernières découvertes archéologiques, en donnant la parole à Maurizio Silenzi et Antide Viand, qui défendent respectivement une implantation des Parisii sur l'île Saint-Germain pour l'un, et à Nanterre pour l'autre. Les deux théories sont très convaincantes - bien que, après lecture, j'ai moi-même tendance à privilégier la seconde... Les deux articles ont cependant le mérite, outre la défense argumentée de points de vue divergents, de permettre d'appréhender le travail des archéologues au regard de leurs hypothèses, qu'ils confrontent aux récits historiques autant qu'aux faits. A cet égard, le magazine a eu l'excellente idée de faire intervenir un créateur 3D et une chercheuse du CNRS, et de les interroger sur les reconstitutions numériques des vestiges antiques, de plus en plus fréquentes. La question qui se pose est alors celle de l'utilité et de la fiabilité de ces reconstructions, où l'hypothèse et l’extrapolation, aides précieuses à la recherche, risquent parfois de renforcer des préjugés, ou de pousser les moins scrupuleux à céder à la facilité. Une mise au point certainement utile, et qui rappelle aux amateurs (dont je suis) la nécessité de savoir garder un esprit critique et de prendre du recul face à ces projections en 3D, pour aussi fascinantes soient-elles.
La ville romaine, quant à elle, est l'objet d'un long article rédigé par le fantastique Joël Schmidt, qui parvient à dessiner les contours de la cité antique, mettant en lumière sa structure générale et situant très exactement ses principaux monuments, comme le forum, le Temple de Jupiter, les arènes (dont subsistent des vestiges, visibles Rue Monge) ou les Thermes de Cluny. Outre ces descriptions, l'auteur s’attache à expliquer l’évolution de la cité avec érudition mais simplicité, depuis la victoire de Labienus, lieutenant de César, jusqu'à l'action de Sainte Geneviève, en passant par le couronnement entre ses murs de l'Empereur Julien l'Apostat. Sous sa plume, le passé et le présent sont intimement liés, laissant voir tout ce que Paris et Lutèce se doivent mutuellement : l'une a emprunté à l'autre son organisation, mais lui a permis de survivre en révélant ses vestiges. Vous aviez certainement compris que j'étais une inconditionnelle de Joël Schmidt mais, une fois encore, j'ai trouvé dans son article une implication personnelle, à travers des anecdotes ou de simples réflexions, qui doublent mon admiration d'une profonde sympathie.
Autre habituée des pages de la revue Historia, Catherine Salles livre quant à elle une description passionnante de la vie dans l'atelier d'un artisan potier - activité importante à Lutèce, les potiers Gaulois se révélant même meilleurs que les Romains, dont ils développèrent et améliorèrent les techniques. Vivant et didactique, ce récit évoque les procédés de fabrication et de diffusion autant que la vie quotidienne des artisans et, bien que se cantonnant aux généralités, la personnalisation du propos offre toutefois une tonalité touchante.
En conclusion, le dossier se referme sur une présentation des Nautes, armateurs et bateliers de la Seine. S'appuyant sur la situation géographique de la cité, au confluent de plusieurs cours d'eau et plaque tournante des échanges entre l'Europe septentrionale et la Méditerranée, ils contribuèrent à son essor économique, devenant en même temps ses édiles. Le Pilier des Nautes, dédié à l’Empereur Tibère, témoigne de leur influence et de leurs liens avec la capitale de l'Empire, autant que du rapport particulier qui les liait à elle, faisant en quelque sortes des Nautes les tenants de l'ordre et les relais du pouvoir romain auprès des Parisii.
Le dossier d' Historia ne se résume cependant pas à ces articles, puisque vous y trouverez également de nombreuses illustrations et entrefilets, proposant des anecdotes (comme le rôle que joua Victor Hugo dans la conservation des fameuses arènes de Lutèce) et décryptages (sur le blason de la ville de Paris, par exemple). Un seul regret : manque un plan permettant de localiser précisément toutes les traces encore visibles de la vieille Lutèce dans les rues de l'actuelle Paris...
Nonobstant ce détail, l'ensemble est très intéressant. J'aurais souhaité une bonne dizaine de pages supplémentaires - mais quand il s'agit des Romains, je n'en ai jamais assez ! En marge de ce dossier consacré à Lutèce, le reste du magazine est tout aussi prenant : Elihu Thomson, les naufragés de l'île Tromelin, l'histoire de la ville de Perpignan, Jeanne d'Arc, les journées du Patrimoine, le peintre Canaletto... Autant de sujets traités dans le numéro de Septembre. Sans oublier un article relatif à la séquestration du Pape Boniface VIII à Anagni, par Sciarra Colonna et Guillaume de Nogaret - que je cite à part, car je l'ai particulièrement apprécié. Mais ça, c'est à cause de Maurice Druon et de ses "Rois Maudits" ! Comme quoi, je sais aussi m'éloigner de l'Antiquité romaine de temps en temps...
Historia - Septembre 2012, n°789 : " Lutèce : de la cité gauloise aux splendeurs de la ville romaine" - 5 € 50 - lien ici.
A visionner sur le site, une vidéo de présentation du magazine, reprenant les principales illustrations et détaillant le sommaire du dossier : par ici.
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