Parmi eux, il en est un dont la démarche atypique m'a vraiment séduite : Tigre, jeune artisan autodidacte qui vit dans les Alpes-Maritimes. Certes, il s'inspire de ses confrères de l'Antiquité, dont il a assimilé la technique et les principes de base, avec un instinct surprenant. Mais ensuite, il a su exploiter ce savoir-faire et le mettre au service d'une créativité basée sur l'idée de fabriquer des objets "vivants", utilisables au quotidien, et donc en phase avec leur époque. Ses lampes à huile, basée sur des modèles antiques, sont donc résolument contemporaines - il respecte la forme, mais se paye le luxe de réinterpréter l'iconographie. Pin-up ou avions de chasse : au milieu des motifs plus traditionnels (comme les figures animales, très présentes dans ses créations), ces illustrations étonnent, mais séduisent aussi par leur culot et par leur parfaite réalisation. Car avant l'originalité, c'est bien la qualité qui prime pour Tigre : des modèles soignés, réalisés avec une maîtrise étonnante, une attention particulière portée à la symétrie et aux finitions...
En discutant avec le jeune homme, on se rend vite compte que pour lui, il ne s'agit pas que d'une technique artisanale. Derrière son discours, on devine une véritable passion, un désir de mettre les mains "dans le cambouis" (ou dans l'argile, en l’occurrence) et d'échanger avec ceux qui, intéressés par le sujet, lui achètent ses créations. S'il n'est pas un professionnel au sens littéral, il donne pourtant tout son sens au mot "artisanat", en tant que travail d'art manuel, et avec tout ce que cela suppose de savoir-faire et d'engagement, mais aussi de proximité et de partage. "Envie" est un autre mot qui me semble pertinent pour parler de Tigre : l'envie de créer, d'innover en bousculant des traditions tout en respectant les bases, mais aussi celle de faire plaisir, d'offrir un petit bout d'Antiquité.
Avec une grande gentillesse, beaucoup de simplicité et une bonne dose d'humour, il a accepté de présenter son travail, et de répondre à quelques questions. Et même si je ne le connais pas depuis longtemps, je ne peux m'empêcher d'associer à cette phrase d'Yves Saint-Laurent : "Je ne suis pas un couturier, je suis un artisan, un fabricant de bonheur." Un fabricant de bonheur, à l'enthousiasme contagieux : voilà une jolie définition pour un autodidacte talentueux, à suivre avec attention...
Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Êtes-vous artisan de formation ou vous consacrez-vous à la fabrication de lampes à huile durant votre temps libre ? Aimeriez-vous en faire votre métier ?
Je suis "TIGRE " c'est en fait ma marque de fabrique, je n'ai eu aucune formation en poterie ou métier d'art, je suis mécanicien, et je fabrique des lampes à huile romaines car c'est l'une de mes passions. Je n'en ferai jamais mon métier, car ce n 'est pas du tout rentable, on ne peux pas vivre de ça de nos jours. Ça reste plus de l'art avant tout je pense. mais ça fait plaisir de temps en temps que des personnes s'y intéressent ou achètent!
Comment vous est venue l'idée de fabriquer des lampes à huile ? Étiez-vous d'abord intéressé par l'Antiquité, ou plutôt par l'artisanat ? Aviez-vous envisagé d'autres formes artisanales ? (Céramique, mosaïque, tournage sur bois, etc.)
Ha alors la ça remonte à loin , c'est quand j'étais gosse, je devais avoir environs 12 ans, mes parents avaient acheté une véritable lampe à huile, à l'époque on pensait que c’était un objet préhistorique, en fait c’était une lampe toute basique sans décoration et fabriquée d'une manière grossière, mais j'avais trouvé l'objet fascinant ! Et quelques temps après je me suis mis à faire des objets, avec de la terre du jardin, mais je m'étais rendu compte que les objets que je fabriquais se fissuraient de partout! J'en avais conclu que la terre rétrécissait en séchant, contrairement aux impuretés, brindilles et cailloux qu'elle comportait. Et de là, je tamisais la terre, il y avait souvent des merdes de chat car ils allaient "caguer" dans la terre... C'est à ces moments là que j'ai commencé mes toutes premières lampes à huile romaines, je n'en avais fait que deux, une à la main et une en moulant de la terre dans un coquetier recouvert de papier plastique. Le principe c’était que la terre ne s'accroche pas au coquetier. Sans le savoir j'avais donc réfléchi à une sorte de moulage déjà à l'époque! Puis entre 14 et 15 ans j'ai remis ça , j'ai fabriqué quelques lampes à la main pour le plaisir.
Comment avez-vous appris la technique ?
A 27 ans vers fin 2010 j'ai appris la technique, en fait au départ j'avais lu sur internet que les lampes romaines se fabriquaient au moule et en série , sans avoir plus de détails... Et là j'ai cherché une solution : j'ai longuement réfléchi , au départ je pensais faire des moules en coulant de la résine chirurgicale, etc. puis au final, j'ai mis en place une technique pour les fabriquer, et différentes techniques pour l'assemblage, la fabrication des formes , des gravures de la lampe etc.. Mais au final je ne connais même pas la technique officielle.. Si ça se trouve c'est différent de ce que j'utilise? (Remarque du blog : Bin... Non, en fait ! Comme quoi, l'instinct vaut parfois tous les manuels techniques !)
Pour ceux qui n'y connaissent rien, pouvez-vous expliquer brièvement comment on fabrique une lampe à huile ? Quels matériaux utilisez-vous, combien de temps faut-il pour fabriquer un exemplaire ? Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?
Pour fabriquer une lampe romaine , l'essentiel c'est de fabriquer un modèle mère, c'est une sorte de maquette, qui va représenter la forme définitive de la lampe, puis en suite il faut mouler cette maquette en deux parties, avec du plâtre, pour qu'il y est le récipient et le couvercle , et ensuite à partir de là on introduit de l'argile dans ces deux moules, on laisse sécher jusqu’à ce que ça se décolle des moules et on encolle les deux parties avec de la barbotine " boue".
Pour fabriquer un exemplaire de lampe une fois que le moule est prêt à l'emploi, il faut bien une heure de travail ! En tout cas en ce qui me concerne il me faut ce temps la, car par la suite je passe pas mal de temps à soigner la finition.
Les principales difficultés que je rencontre lors de la fabrication d'un modèle mère c'est la gravure du médaillon central, et aussi le fait de tailler le bon angle sur le modèle mère pour que le démoulage soit possible.
Vos lampes sont proches des modèles antiques : vous vous en inspirez sans pour autant fabriquer des reproductions. Pour quelle raison ? Qu'est-ce qui vous rapproche des artisans de l'Antiquité, et qu'est-ce qui vous en éloigne ?
Une lampe à huile ça reste quand même assez classique, ça reste toujours le même système , un réservoir, un bec, une poignée des fois... Ça ne peut donc pas avoir une forme totalement inédite! Après j'ai des préférences, je trouve que la lampe à bec triangulaire avec volutes c'est de très bon goût, et c'est pour ça que j'aime bien les fabriquer ! Ce que je n'aime pas faire c'est graver des êtres humains ou des scènes d'époque, les combats de gladiateurs la violence etc, je préfère en règle générale faire des animaux, terrestres ou marin. Par exemple un aigle royal je trouve que c'est beau à représenter !
Comment choisissez-vous vos motifs, antiques (comme Pégase) ou modernes (la pin-up, par exemple) ? Est-ce que vous les dessinez vous-mêmes ?
Alors Pégase je l'ai choisi pour donner un look ancien à mes lampes et comme c'est un animal ça tombe bien! Oui je dessine tout moi même ! Ça demande beaucoup d'entrainement ! Et la pin-up est dessinée d'après un personnage de cinéma que j'aime bien. (Remarque du blog : Moi, elle me fait un peu penser à Lara Croft !)
Lampe à huile en forme d'avion de chasse. |
Vous êtes en quelque sorte à mi-chemin entre la reproduction artisanale historique et la création artistique. Vous reproduisez une technique antique, pour y appliquer des codes visuels contemporains. Avez-vous déjà envisagé d'exposer, en marge des collections d'un Musée par exemple, ou d'effectuer des démonstrations en collège ou lycée ?
^^ pas si sûr que ma technique soit vraiment antique haha ! Oui j'ai déjà pensé à exposer ! mais bon il faudrait déjà que je trouve un site qui soit intéressé par mes productions! Ha mais oui je me verrais bien faire formateur, pour apprendre aux gamins comment faire une lampe! Ils ont intérêt à être sérieux sinon ça risque d'aller très mal pour eux haha !
Vous vendez vos créations en ligne : qui sont vos clients ? Peut-on vous commander un motif précis, une forme particulière ?
Mes clients ? ce sont des êtres humains je pense.. haha !!! Ce n'est pas possible de me commander un motif ou une forme précise , car je travaille par inspiration, et de plus le fait de fabriquer un modèle mère et un jeu de moules , pour au final vendre une seule lampe n'est pas raisonnable !
Finalement,qu'est-ce qui vous motive ? La création elle-même, l'échange avec des passionnés, l'expérimentation ?
Les 3 réponses ! C'est passionnant de fabriquer , de tester de nouvelles idées et aussi d'échanger avec des passionnés ! Ce serait vraiment déprimant de voir que ça n’intéresse absolument personne!
En guise de conclusion, que diriez-vous à un fabricant de lampes à huile de la Rome antique ?
Je lui dirais qu'il fait de vraies petites merveilles, mais qu'il fasse plus attention à la symétrie de ses lampes ^^ Et merci car grâce à lui j'ai trouvé la sympathique fanny ^^
Et moi, j'ai découvert un autodidacte passionné et talentueux, plein d'entrain et de bonne humeur, et vraiment chaleureux ! Un vrai coup de cœur pour sa démarche, comme pour sa personnalité. Faites-vous plaisir, allez jeter un œil au blog de Tigre et à sa boutique en ligne : les deux valent largement le détour.
La blog : http://tigre06110.skyrock.com/
La boutique : http://fr.dawanda.com/shop/lampe-romaine
Toutes les photos : ©Tigre - Pas de copie sans autorisation de l'auteur.
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