mercredi 2 octobre 2013

Orange Antique : l'Arc De Triomphe.

                                        Suite et fin de l'excursion orangeoise organisée par l'association Carpefeuch : après la visite du théâtre antique et du musée municipal, Cathy Caffort nous emmène jusqu'à l'Arc commémoratif, situé au nord de la ville.

                                        Probablement érigé vers l'an 20 de notre ère, l'Arc se dresse dans l'axe du cardo, sur la via Agrippa (actuelle RN7), à l'extérieur des remparts de prestige (donc sans valeur défensive) qui entouraient Arausio, dans l'enceinte sacrée du pomerium. Il est donc orienté Sud-Nord. On parle couramment de l'Arc de triomphe d'Orange : en réalité, il s'agit d'un arc commémoratif, un monument municipal célébrant la conquête romaine. Bien qu'il ait été ultérieurement dédié à l'Empereur Tibère (voir plus bas), il a probablement été édifié en l'honneur de son fils adoptif Germanicus, général extrêmement populaire et mort en 19. L'érection de l'Arc correspond également à une période de soulèvements au sein de tribus locales, et il permet en même temps aux Romains d'affirmer leur puissance.


Arc d'Orange.


                                        L'arc est construit en blocs de calcaire de grand appareil, posés à joints secs et assemblés par des agrafes, visibles sur l'un des côtés du monument. Il repose sur des pieux car il a été bâti sur un terrain marécageux où coulait autrefois l'Aigues, détournée par les ingénieurs romains. D'une hauteur de 19.57 m pour 19,21 m de large et 8,5 m de profondeur, il s'agit d'un arc à trois portes : une grande baie voûtée au centre, encadrée par deux petites.

Agrafes visibles sur la façade Ouest.

                                        Ce monument présente la particularité unique d'être constitué de deux attiques reposant sur un étage inférieur et d'être entièrement sculpté, sur les façades comme sur les côtés, ce qui renforce l'image forte que les Romains souhaitaient véhiculer auprès des rebelles. L'attique supérieur supportait un quadrige de bronze recouvert d'un enduit doré qui en conservait l'éclat.

                                        Affirmation de la puissance romaine, l'arc d'Orange demeure un monument impressionnant et il a conservé toute la splendeur de ses décors. Si l'ornementation se décidait à Rome, les reliefs ont été exécutés à Orange, directement sur les murs, par des artistes expérimentés si l'on en juge par la qualité des œuvres.


LES GRANDES FAÇADES.


                                        Les grandes façades présentent donc trois portes, encadrées chacune de colonnes corinthiennes cannelées. Elles sont couronnées de chapiteaux corinthiens et les archivoltes sont ornées de motifs végétaux (fleurs, fruits, etc.) Au-dessus des deux petites arches se trouvent des panneaux en haut-relief représentant des crânes et un amas de dépouilles militaires (armes, lances, boucliers, faisceaux, enseignes...), commémorant la victoire des Romains sur les tribus gauloises. Ces armes ne sont pas celles de guerriers gaulois au sens strict, mais appartiennent à des Gaulois romanisés.

Panneau d'armes.


                                        Au-dessus, les attiques présentent de nouvelles sculptures en relief, figurant des dépouilles navales. On peut y voir différentes pièces de navire : proues ornées de l’œil apotropaïque, tridents, avirons, ancres, cordages, etc. Les éléments de la composition ont été sculptés en intégralité et se superposent les uns aux autres. Cette accumulation d'épaisseur et le soin apporté aux détails donnent à l'ensemble une impression de profondeur. Sur la façade Nord apparait également, sur le côté de l'attique,  un décor constitué d'objets de divination.


Panneau des dépouilles navales.

                                         Les socles centraux du second attique montrent des scènes de bataille entre Romains et Barbares. Les premiers sont en nette supériorité numérique et sont représentés à cheval, tandis que les seconds sont à terre. Sur la façade Nord, on remarque un personnage à gauche, portant un uniforme d'officier et un bouclier orné d'une tête de Capricorne : il s'agit du symbole de le IIème Legio Augusta. (D'après ce que j'ai lu. Je ne l'ai pas observé moi-même...) Une fois encore, la finesse des détails est stupéfiante : reliefs accentués par le contour des sculptures, expressivité des visages, corps révulsés, confusion de la  bataille animent la scène et donnent vie aux combats.

Socle central de l'attique.
 

                                        A noter : la grande voûte de l'arche de passage est décorée  de caissons hexagonaux en forme de nids d'abeille, qui inspireront plus tard les architectes du Palais Farnese.


Voûte de l'arche centrale.

 

LES PETITES FAÇADES.


                                        Les petites façades comportent également quatre colonnes corinthiennes chacune (deux d'entre elles communes avec les grandes façades - soit 12 colonnes pour l'ensemble de l'Arc.) Entre ces colonnes figurent trois panneaux illustrés d'un couple de Gaulois - un homme et une femme - enchaînés à l'arbre portant les dépouilles. Deux captifs se tiennent debout, au pied d'un support cruciforme auquel sont accrochés une tunique et un manteau, des boucliers de chaque côté de la barre transversale et un casque au sommet. Des enseignes et des lances apparaissent en arrière-plan.


Gaulois captifs et arbre des dépouilles.

                                        La façade Est ayant été mieux conservée, on peut y voir un fronton creusé en une sorte de niche, où est représentée une divinité laurée (Apollon), entourée d'étoiles. L'ensemble est surmonté d'un couple de sirènes, disposées de chaque côté du fronton.


Sirène sur la façade Est. (On devine la niche avec la tête laurée à droite.)


                                        Enfin, la frise d'entablement qui court sur les quatre côtés du monument, est ornée d'un relief aux contours cernés (technique de Pergame) montrant plusieurs duels entre Romains et Gaulois - les premiers étant toujours vainqueurs. Plus largement, cette frise illustre la supériorité des Romains sur les Barbares. Les Gaulois sont nus, portent les cheveux longs et parfois la barbe, et ils sont armés d'un bouclier ; les Romains sont casqués et vêtus d'une tunique ou d'une cuirasse. La sculpture est de facture moins subtile que celle des socles centraux des grandes façades : plus grossiers, les traits manquent de finesse et les proportions ne sont pas toujours respectées.




Frise d'entablement.


LA DÉDICACE.


                                        Sur les deux grandes façades, l'architrave portait la même inscription, aujourd'hui disparue, mais que l'on a pu reconstituer à partir de la découverte d'une seule lettre de bronze (un L). Plusieurs hypothèses ont été émises, mais les spécialistes s'accordent aujourd'hui sur une même interprétation, du moins pour la première ligne :
TI. CAESAR. DIVI. AUGUSTI. F. DIVI. IULI. NEPOTI. AUGUSTO. PONTIFICI. MAXI.
Pour la seconde, deux lectures prévalent :
POTESTATE. XXVIII. IMPERATORI. IXX. COS. IIII. RESTITUTORI. COLONIAE ou ... RESTITVIT. R. P. COLONIAE.

Soit : "A Tibère César, fils du divin Auguste, petit-fils du divin Jules, Auguste, grand pontife, dans sa 28ème puissance tribunitienne, imperator pour la 8ème fois, consul pour la 4ème fois, nouveau fondateur de la colonie" - ou "restitué à celui-ci par la colonie".

                                        On peut donc dater l'inscription de 26 ou 27. Mais dans le premier cas de figure, peut-être s'agit-il de l'envoi de nouveaux colons ou de la distribution de nouvelles terres, alors que la seconde interprétation se base sur l'hypothèse selon laquelle l'Arc aurait été érigé en l'honneur de Germanicus (mort en 19), général de la IIème Legio Augusta dont étaient originaires les vétérans installés à Arausio. Ceux-ci auraient donc souhaité  lui rendre hommage et célébrer ses victoires. Tibère n'aurait guère apprécié d'être supplanté par Germanicus, et Arausio aurait cédé aux pressions de l'administration romaine en modifiant la dédicace, lui "restituant" ainsi l'Arc qui lui revenait de droit. Ce qui expliquerait l'emplacement de l'inscription, à un endroit n'étant pas destiné à cet usage et néanmoins retenu à cause de la longueur de la titulature impériale dans la nouvelle dédicace (deux lignes au lieu d'une seule). Toutefois, d'autres soulignent que des Arcs ont été dédiés à Germanicus - y compris à Rome - sans que Tibère n'en fasse une jaunisse...
 

Portrait de Tibère. (Musée archéologique de Nîmes.)


                                        Nonobstant ce mystère, il n'en reste pas moins que l'Arc d'Orange est donc l'Arc de Tibère - ce qui (vous vous en doutez si vous êtes de fidèles lecteurs de ce blog) ne peut pas me laisser indifférente ! D'autant que, suite à une rénovation achevée en 2009, le monument a retrouvé toute sa majesté et la splendeur de ses décors, qui en font un des édifices les plus impressionnants de la Gaule romaine. Et à mes yeux, Tibère le méritait largement !

                                        Un dernier mot pour remercier une nouvelle fois notre guide pour cette visite dynamique et riche en informations : elle a su nous faire partager un pan de l'Histoire d'Orange avec une bonne humeur communicative. Et bien sûr, merci aussi aux membres de Carpefeuch pour cette belle journée.


Ajout à l'article sur l'Arc d'Orange : à la demande d'un internaute, je poste une photo représentant un des panneaux latéraux, avec ce qui me semble être un casque à cornes. Voir le 1er commentaire sur le billet consacré au théâtre antique pour plus de détails. (C'est le billet précédent.)


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