Et puis, patatras ! On tombe sur une expression, qu'on emploie sans même y penser, et on découvre qu'elle est issue de la Rome antique, et on était à mille lieues de s'en douter. Vous voulez un exemple ? Lorsque vous dites d'un évènement ou d'une histoire qu'elle "finit en queue de poisson", vous ne faites rien d'autre que citer le poète Horace. Et celle-là, avouez que vous ne l'aviez pas vue venir !
C'est en effet dans son "Art Poétique" qu'Horace emploie la formule - "desinit in piscem" dans le texte. Dissertant sur les différentes formes de poésie, l'auteur fustige le manque de cohérence dans les œuvres, dénonçant l'absurdité d'un texte sans unité ou ligne directrice :
"Supposez qu'un peintre ait l'idée d'ajuster à une tête d'homme un cou de cheval et de recouvrir ensuite de plumes multicolores le reste du corps, composé d'éléments hétérogènes; si bien qu'un beau buste de femme se terminerait en une laide queue de poisson. À ce spectacle, pourriez-vous, mes amis, ne pas éclater de rire ? Croyez-moi, chers Pisons, un tel tableau donnera tout à fait l'image d'un livre dans lequel seraient représentées, semblables à des rêves de malade, des figures sans réalité, où les pieds ne s'accorderaient pas avec la tête, où il n'y aurait pas d'unité." (Horace, "L'Art Poétique", IV-1.)
Pour Horace, des ouvrages aussi hétéroclites sont donc décevants, en ce que leur conclusion ne correspond pas à ce que leur commencement laissait présager. Ce jugement esthétique ne s'accorderait guère avec l'art actuel (Horace aurait piqué une crise de nerfs devant les tableaux de Dali ou de Picasso), mais l'image a conservé toute sa force. Il n'est pas difficile d'imaginer la déception d'un homme qui, apercevant une splendide jeune femme, se rend compte que ce corps si séduisant se... termine en queue de poisson ! (Demandez au Prince du conte "La Petite Sirène".)
"La Sirène" (Tableau de John Waterhouse.). |
La sirène, justement : c'est évidemment cette créature légendaire qui vient immédiatement à l'esprit en lisant Horace. Rappelons pourtant que la sirène gréco-romaine n'a rien à voir avec la petite sirène danoise, puisque dans la mythologie grecque, cette créature est décrite comme un grand oiseau à tête de femme. Au nombre de deux ou trois selon les sources, elles demeuraient près des côtes siciliennes et, attirant les marins par leurs chants envoûtants, elles les précipitaient sur les récifs avant de les dévorer. On les rencontre notamment dans l'"Odyssée" d'Homère - mais elles n'ont donc rien à voir avec la créature qu'évoque Horace, qui se rapprocherait davantage de la Néréide mentionnée par Pline l'Ancien dans son "Histoire Naturelle".
Vase attique représentant Ulysse et les sirènes. (©Jastraw via wikipedia.) |
La précision est certes anecdotique, mais je ne pouvais pas en faire l'économie. Même si cet article, en s'achevant sur l'évocation de créatures mi-femmes mi-oiseaux, se termine... en queue de poisson !
2 commentaires:
Il est où le bouton "j'aime" ?
comme toujours très bon reportage et belles photos choisies
Je crois que le bouton "j'aime" est resté sur Facebook. Mais je prends ça comme l'équivalent du pouce levé (bien que l'idée reçue soit fausse - je sais je sais) pour les gladiateurs dans l'arène. En même temps, j'espère être moins en danger quand même...
Merci pour ton message ;-)
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