mardi 24 juillet 2012

La Porte Auguste.

                                        Il y a quelques temps, j'avais rédigé un article sur la Maison Carrée de Nîmes, l'un des monuments romains les plus célèbres au monde. Pourquoi ne pas poursuivre notre visite de la ville, afin d'en découvrir les autres vestiges ? Pour notre seconde étape, je vous invite à vous arrêter sur le boulevard Amiral Courbet, face à l'église Saint-Baudile, afin d'en apprendre davantage sur la Porte Auguste.

                                        A l'époque romaine, Nemausus possédait une vaste enceinte, faisant de la ville l'une des plus grandes cités fortifiées de l'Empire :  elle englobait un périmètre de 7 km, pour une superficie de 220 hectares. Elle était entourée de remparts, hauts de 9 mètres et larges de 2 mètres, comptant 80 tours (dont la Tour Magne) et percés de dizaines de portes, dont ne subsistent aujourd'hui que la Porte de France et, donc, la Porte Auguste.


La Porte Auguste.


La Via Domitia, toujours indiquée à Nîmes !
Autrefois appelée Porte d'Arles (Porta Arelatensis), la Porte Auguste était située à l'Est de l'enceinte. Elle faisait face à la Via Domitia, que recouvre aujourd'hui la rue Pierre-Sémard, vers Arles et Beaucaire : elle était donc l'entrée principale de la ville pour qui souhaitait la traverser, avant de repartir vers l'Espagne par la Porte de France. C'est par là que passaient les légions se rendant à Narbonne. Il est à noter que, les Romains ayant coutume d'enterrer leurs morts à l'extérieur de la cité, les abords de la Porte Auguste ont révélé de très nombreuses tombes, véritable aubaine pour les archéologues de la région. Citons notamment les travaux d'Auguste Pelet qui, en 1849, organisa des fouilles et entreprit de dégager complètement le monument, partiellement enseveli. Ces travaux conduisirent à la mise au jour de la voie antique, ainsi qu'à la découverte de pièces de monnaie, pour la plupart antérieures au règne d'Antonin. Pelet en déduisit que l'enceinte avait été remaniée à cette période.

Pour en revenir à notre porte, elle date de 15 ou 16 avant J.C., ainsi qu'en atteste l'inscription qui la coiffe :

IMP. CAESAR DIVI F. AVGVSTVS COS XI TRIB POTEST VIII PORTAS MVROS COL DAT - "César Auguste, Imperator, fils du divin Jules César, consul pour la 11ème fois, revêtu de la puissance tribunicienne pour la 8ème fois, donne ses portes et ses murs à la colonie."

                                        Toutefois, selon l'historien Jules Teissier, on ne peut pas en déduire qu'Auguste ait fait bâtir à ses frais les portes et les murs d'enceinte afin de les offrir à la cité : en style administratif, cela signifierait simplement qu'Auguste, ayant jugé utile à ses intérêts que Nîmes soit entourée de remparts, lui ordonna de les construire. Cependant, il est généralement admis que l'ensemble de l'enceinte de protection était bien un don de l'Empereur.


Détail de l'inscription, au frontispice du monument.

                                        Voyons à quoi ressemble le monument. Il s'agit d'un édifice entièrement construit en pierre de taille des carrières de Baruthel, formé par quatre arches au total :


L'une des grandes arches.


Tête de taureau ornant les arches.
  • 2 grandes arches centrales (3.93 m de large sur 6,30m de haut), destinées aux chars et aux chevaux, permettant le passage des nombreux véhicules marchands qui animaient la vie économique de la cité. Elles sont surmontées de têtes de taureaux en relief, aujourd'hui passablement dégradées. Ces passages étaient les seuls à être munis de portes à vantail doublées de herses, preuve de la faible dimension défensive de l'ensemble.




L'une des petites arches.
  •  2 arches latérales, plus petites (1.93 m de large pour 4.51 m de haut), réservées aux piétons, au-dessus desquelles se trouvent des niches, destinées à recevoir les statues de divinités protectrices, ou peut-être celles des deux fils adoptifs d'Auguste, Caius et Lucius, princes de la jeunesse romaine et patrons de la colonie.









                                          Sur le façade de l'édifice, l'entablement est supporté par des pilastres richement décorés, respectivement toscans et corinthiens. Les pilastres du milieu sont séparés par une petite colonne ionique appuyée sur une console, mais dépourvue de piédestal : elle marquait, selon Auguste Pelet (voir ci-dessous) le milliare passum primum de Nîmes, soit la pierre à partir de laquelle on mesurait les distances - un kilomètre zéro, si vous préférez. L'hypothèse est discutée : si elle remporte l'adhésion de certains archéologues, d'autres pensent en revanche que la borne milliaire  se situait en réalité à quelques 100 m à l'intérieur de l'enceinte augustéenne, à la jonction des rues Nationale et Xavier-Sigalon.

Colonne séparant les pilastres.

                                        L'édifice, large au total de 39,60 m, formait une saillie de 5,23 m sur les remparts. Flanqué de tours de gardes (on aperçoit encore la voûte d'entrée de l'une d'elles, côté jardin), il s'ouvrait sur une vaste cour (10 m sur 13 m), bordée de galeries couvertes dans le prolongement des arcades. Aujourd'hui, on peut voir une statue de l'empereur Auguste dans ce jardinet : elle n'est pas d'origine. Il s'agit d'une réplique, achetée avant la seconde guerre mondiale par la municipalité.

Statue de l'Empereur Auguste.


                                       Ce monument, l'un de ceux que je préfère à Nîmes, revient vraiment de loin : je vous laisse en juger par vous-mêmes ! En 1391, Charles VI ordonna la construction d'un château royal englobant la porte auguste, afin de protéger les habitants. Partiellement abimé lors des guerres de religions, il fut alors donné aux frères prêcheurs dominicains au XVIème siècle, et ceux-ci l'incorporèrent à leur couvent.


Emplacement de l'ancienne tour.
Lors de la révolution française, les remparts furent abattus - et notamment les deux tours romaines, dont il ne reste plus aujourd'hui que les bases, matérialisées par des dalles. Fort heureusement, alors que la démolition était déjà bien avancée, on aperçut dans les décombres le vestige romain, et plus particulièrement l'inscription augustéenne : la destruction fut immédiatement stoppée, et des passants vinrent spontanément aider à reconstituer la dédicace romaine. Mais personne ne saisit l'importance de la mise au jour, et il s'en fallut de peu que le monument ne soit démantelé. C'est à A. Vincent, membre de l'académie de Nîmes (1771-1830) que l'on doit sa conservation : il fit notamment remettre en place l'inscription, partiellement renversée. Malheureusement, ainsi que le rapporte P. Malosse, commissaire à la recherche des monuments d'arts et sciences du Gard, il était trop tard pour préserver l'édifice du plus gros des dégâts :

« Les dégradations cessèrent ; mais le mal étoit déjà opéré. La partie supérieure de l'édifice n'existoit plus les pierres qui formoient la frise et l'architrave avoient été brisées et précipitées par terre avec le reste des démolitions du rempart ; et l'inscription que l'on auroit pu y lire en entier avoit conséquemment disparu."

Vue sur les arcades, sous les arches.

                                        Reconnaissez que la Porte Auguste doit donc une fière chandelle à Vincent et Pellet - entre autres - qui ont su reconnaître, dégager et préserver ce superbe édifice, qui s'inscrit aujourd'hui, comme jadis à l'époque romaine, dans l'architecture de la ville. Îlot de romanité au cœur de la cité moderne, je lui trouve quelque chose d'émouvant, comme la manifestation d'un lien entre le passé et le présent...

                                        Une dernière petite remarque, si jamais vous avez l'occasion de venir admirer de vos yeux la Porte Auguste : ne manquez pas de faire une halte un peu plus loin, dans le hall d'accueil de la Banque Populaire, au n° 5 boulevard Amiral Courbet, située dans l'alignement du monument. Là, vous pourrez apercevoir un petit vestige des remparts de Nemausus, conservé et valorisé in situ...


Dans le hall d'accueil de la Banque Populaire.

Mes remerciements à M. Jean Pey du Musée Archéologique de Nîmes, qui a gentiment accepté de me renseigner quant à cette fichue borne milliaire...

vendredi 20 juillet 2012

Numa Pompilius, le deuxième Roi de Rome.

                                        Habituellement, je ne planifie pas les sujets abordés dans mes billets. J'ai certes quelques idées, que je garde dans un coin de mon esprit mais, le plus souvent, j'écris selon l'inspiration du moment. Parfois, l'idée vient d'un article, d'un livre, d'un reportage à la télévision. De temps à autres, c'est une réflexion entendue dans la rue, une référence inattendue à l'histoire romaine, voire quelque chose d'aussi insignifiant qu'un rendez-vous chez le coiffeur, qui allume une petite ampoule au-dessus de ma tête et m'incite à consacrer quelques lignes de ce blog à un sujet précis. Il arrive aussi que je me réveille un matin en me disant, "Tiens, je vais parler de Fulvia.", sans savoir d'où peut bien sortir une telle idée. En tous cas, rien n'est prévu longtemps à l'avance, tout est spontané. Et bien cet article, c'est l'exception qui confirme la règle, puisqu'il s'agit en quelque sorte d'une "commande" : ma mère, qui lit mon blog
(bonjour, maman !), m'a demandé de rédiger un billet sur Numa Pompilius.

Brigitte Fossey et Paul Barge.

                                        Et figurez-vous que, si j'avais été un garçon, je me serais justement prénommée Numa ! N'y voyez aucune référence au deuxième Roi légendaire de Rome, puisque la faute en incombe entièrement à Élisabeth Barbier et à son roman "Les Gens De Mogador", que ma mère lit pratiquement en boucle depuis 30 ans ! Ce livre, qui retrace la saga d'une famille provençale sur plusieurs générations, met en scène, dans sa dernière partie, les amours contrariées de Dominique et Numa Vernet - interprété par Paul Barge dans l'adaptation télévisée qui en a été faite dans les années 70. Bon, il se trouve que, comme je suis une fille, un autre choix s'est imposé... Mais Numa reste le prénom masculin préféré de ma douce mère, raison pour laquelle elle a émis le souhait de me voir traiter du personnage romain qui le porte. Souhait que je m'empresse donc d'exaucer...
(N.B. : Encore une chance que ma mère n'ait pas été fan de "Dallas" : je ne sais pas où j'aurais déniché un Bobby ou un J.R. dans l'Histoire romaine.)

Numa Pompilius.

                                        La première chose à savoir sur Numa Pompilius... c'est qu'on ne sait pas grand-chose ! C'est-à-dire que la plupart des textes se réfèrent à des légendes, à des rumeurs, et que les historiens en sont réduits à émettre des hypothèses. D'ailleurs, les historiographes se disputaient déjà au sujet de Numa du temps de Plutarque ! Les faits se contredisent, et les allégations sont souvent fantaisistes. Ainsi, malgré l'évidence chronologique, Numa Pompilius aurait été le disciple de Pythagore... mort 173 ans avant lui ! C'est vous dire si on est rendu... Mais enfin, entre suppositions et récits mythologiques, essayons tout de même de retracer les grandes lignes de la vie de Numa Pompilius.

Numa et Pythagore...

                                  Numa Pompilius serait né le jour même de la fondation de Rome par Roumulus (le 21 Avril 753 avant J.C., donc). Cadet de Pomponius, qui avait trois autres fils, c'était un homme sérieux, menant une vie austère et sans ostentation. Le roi sabin Titus Tatius, qui avait également été co-Roi de Rome avec Romulus pendant 5 ans, lui donna en mariage sa fille unique, Tatia. Elle aurait accouché d'une fille, Pompilia. D'autres sources avancent que le couple aurait également engendré quatre fils, Pompo, Pinus, Calpus et Mamercus. D'autres enfin prétendent que Pompilia était issue du mariage de Numa et Lucrèce, contracté après l'accession au trône de Numa. Mais toutes ces informations sont sujettes à caution : Plutarque explique, comme je l'ai rapporté, que les historiographes étaient incapables de se mettre d'accord et débattaient notamment du nombre d'épouses et d'enfants de Numa Pompilius.

                                        A la mort de Romulus, et après un interrègne de plus d'un an, les Sabins exigèrent que le nouveau roi soit l'un des leurs. Les Romains acceptèrent, à condition de pouvoir décider eux-mêmes de l'homme en question. Leur choix se porta sur Numa, précédé par sa réputation de tempérance et de sagesse. Devenu veuf après 13 ans de mariage avec Tatia, il s'était retiré dans la campagne sabine, près de la ville de Cures. Une délégation, composée de Romains et de Sabins, alla donc annoncer à Numa son  élection. D'abord réticent, il finit par se laisser convaincre par son père et par le peuple de Cures. L'opinion de ces derniers était que les Romains, livrés à eux-mêmes, resteraient toujours le peuple belliqueux qu'ils avaient été sous Romulus, et qu'il leur fallait un roi pacificateur, capable de les contenir ou, à défaut, de canaliser leur agressivité sur d'autres que les Sabins ! L'argument porta et Numa accepta l'offre, en 715 avant J.C. Son premier acte consista à renvoyer la garde royale instituée par Romulus...

Numa et la nymphe Égérie. ( Thorvaldsen Museum)
                                       

Numa Pompilius a laissé l'image d'un roi sage, pieux et pacifique, respecté par tous. On disait qu'il avait pour conseillère la nymphe Égérie : celle-ci venait la nuit, dans la grotte des Camènes près d'une source sacrée, afin de lui prodiguer ses conseils. Elle serait même devenue sa maîtresse, avant de l'épouser.









Mais ceci n'est guère étonnant puisque Numa papotait avec Jupiter lui-même ! C'est en tous cas ce que rapporte Ovide dans ses "Fastes" : à l’époque, les foudres tombaient sur Rome sans discontinuer et les Romains étaient terrorisés. Que croyez-vous que fit Numa ? Et bien, il parlementa directement avec Jupiter ! Celui-ci lui réclamait un sacrifice humain :
"Coupe une tête", dit-il; le roi répondit : "J’obéirai; il faudra couper la tête d’un oignon tiré de mon jardin". Le dieu précise : "la tête d’un homme"; le roi répond : "Tu prendras ses cheveux"; mais le dieu exige une vie; Numa réplique : "la vie d’un poisson". Le dieu se mit à rire et dit : "Par ces offrandes, tâche de conjurer les traits de ma foudre, ô mortel qui n’est pas indigne de converser avec les dieux." (Ovide, "Fastes", 3)

Et le lendemain Jupiter, décidément beau joueur, fit descendre sur le Palatin un bouclier gravé de prophéties concernant Rome. Numa, au cas où on égarerait l'original, en fit forger 11 répliques, placées sous la protection des prêtres Saliens, dans le palais de la Régia.  Ces boucliers, connus sous le nom d'ancilla, étaient emmenés en procession annuelle par ces mêmes prêtres, accompagnés de Saliens en armure.
 



Les Vestales - détail d'une fresque d'Arpino. (Photo Mary Harrsch)



Temple de Vesta à Rome. (Photo Flickr Dalbera)
Profondément religieux, Numa serait l'instigateur de la plupart des cultes et institutions sacrées de Rome. Par la même occasion, les Romains occupés par les processions et les cérémonies pensaient moins à taper sur leurs voisins : Numa était venu pour les pacifier, et c'était un moyen d'y parvenir ! Ainsi, il fit élever un temple à la Fides. Il fit aussi construire celui de Vesta, et créa le collège des prêtresses vouées à la déesse (les Vestales, vierges chargées de veiller sur le feu sacré.) Il institua les collèges sacerdotaux des flamines, des féciaux (dont l'assentiment était nécessaire avant d'entrer en guerre), des Augures, des pontifes (chargés des sacrifices et obsèques publics) et, bien sûr, celui des prêtres Saliens (voir ci-dessus). Grâce à lui, on rendit les honneurs religieux à Romulus, divinisé sous le nom de Quirinus, et il créa aussi d'autres cultes, parmi lesquels ceux de Jupiter Terminus, Jupiter Elicius, Janus... Il incorpora également au panthéon romain plusieurs divinités sabines.


Numa (gauche) - Détail d'une fresque d'Arpino. (Source Mary Harrsch.)

                                        Numa a également laissé son nom à une réforme du calendrier : du temps de Romulus, le calendrier comptait 304 jours, répartis en 10 mois de 30 et 31 jours, avec 61 jours  ajoutés en fin d'année. Avec Numa, les mois passèrent à 29 ou 31 jours, et il ajouta deux mois supplémentaires : Février (28 jours) et Janvier (29 jours - désormais premier mois de l'année, au lieu de Mars) - portant ainsi l'année à 355 jours, auxquels il adjoignit un mois intercalaire de 29 jours, tous les 4 ans. On lui doit également l'instauration de jours fastes et néfastes.

                                        Ces modifications, religieuses autant qu'administratives, montrent que Numa ne s'est pas contenté d'importer de nouveaux Dieux ou de réguler les cultes et institutions religieuses. Ainsi, il distribua les terres conquises par Romulus aux citoyens les plus pauvres, dans l'espoir que l'activité agricole, en pourvoyant à leurs besoins alimentaires, les détourne de la guerre. On raconte qu'il avait pour habitude de visiter lui-même les fermes, félicitant ceux qui s'occupaient convenablement de leurs terres et morigénant les paresseux. C'est également à lui qu'on attribue l'organisation des premières guildes de métiers à Rome : alors que, jusque là, les habitants de Rome se considéraient avant tout comme Romains ou Sabins, ces guildes les incitaient à se rassembler selon leur profession, et non plus leur origine.    

Numa et Égérie portant l'ancilla - tableau d'Angelica Kauffmann.

                                        Numa Pompilius mourut de vieillesse, à Rome, en 673 avant J.C. Sa disparition ouvrit une nouvelle période d'interrègne, avant que Tullus Hostilius ne lui succède sur le trône. Au final, nous disposons donc de très peu de certitudes sur Numa Pompilius. Mais subsiste malgré tout l'image d'un législateur et d'un réformateur ayant contribué à la fondation de la société romaine, tant du point de vue culturel que cultuel. Un roi pacifique aussi : durant ses 43 ans de règne, les portes du temple de Janus, ouvertes en temps de guerre, demeurèrent closes. Le nom de Numa est passé à la postérité et, sous la République, quatre gentes se réclamaient de sa descendance :
  1. les Pomponii (issus de Pompo)
  2. les Aemilii (de Mamercus)
  3. les Calpurnii (de Calpus)
  4. et les Pinarii (de Pinus)
Pour les Romains, le deuxième roi de Rome était une figure fondatrice, et eux-mêmes se surnommaient les "rejetons de Numa".

                                        Voilà : j'ignore si le résultat répondra aux attentes de mon commanditaire. En tous cas, je n'aurais pas eu à rougir de mon prénom, si j'avais été un garçon. Et Numa me paraît toujours préférable à John Ross...

Pièce montrant Numa sacrifiant une chèvre.

mardi 17 juillet 2012

De quoi "César" est-il le nom ?


                                       A partir d'Auguste, tous les empereurs ou presque ont porté le nom de César - Caesar. Bien évidemment, le terme renvoie directement à Caius Julius Caesar, qu'on ne présente plus (mais rassurez-vous, on le fera quand même un jour ou l'autre !) Le titre a d'ailleurs survécu à l'Empire romain, traversant les siècles et les frontières pour dériver en Kaiser en Allemagne ou Tsar en Russe - tout comme Imperator a donné notre Empereur.
                                        Reste que César, lui, n'a jamais été empereur... Oh, ce n'est pas faute d'avoir essayé - même s'il eut plutôt dans l'idée de viser la royauté, avec les conséquences que l'on connaît : les Ides de Mars, les 23 coups de poignard, "tu quoque fili" et toute la chanson. Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi les maîtres de Rome ont choisi d'inclure ce nom à leur titulature officielle. Pour se revendiquer comme héritiers de Jules César, certes, mais encore ?

Buste de Jules César (Musée Arles antique. Photo Christine Vaufrey)


Étymologie.


                                       L'origine du nom demeure inconnue. L'auteur de l' "Histoire Auguste" avance les quatre hypothèses les plus communément admises :

1) De "caesaries" - cheveux - parce que le fondateur de la lignée serait né avec la tête couverte de cheveux. Ce qui serait assez ironique, puisque Jules César était extrêmement complexé par sa calvitie...

2) De "caesius" - que l'on traduirait par "bleu-gris" ou "gris" - en référence à la couleur des yeux des membres de la gens. (Jules César, quant à lui, avait les yeux noirs. Juste au cas où vous vous poseriez la question.)

3) De "caesum" - couper - car la mère du premier de la gens Caesar étant décédée avant l'accouchement, on aurait ouvert l'utérus pour en sortir le bébé. D'où le nom de "césarienne".  Pline l'Ancien penche pour cette étymologie.

4) De "caesai" - éléphant en punique - parce que le premier Caesar aurait tué l'un de ces animaux lors d'une bataille. C'était la signification mise en avant par Jules.

Quoi qu'il en soit, il est clair qu'il n'y a aucun lien direct susceptible d'expliquer le choix de ce mot dans la titulature officielle.

Denier de César à l'éléphant.


Le premier César : Auguste et la pérennité du principat.


                                        N'en déplaise à Suétone qui, dans sa "Vie des Douze Césars", s'est borné à considérer Jules César et les empereurs d'Auguste à Domitien, le nom a continué à se transmettre. Chose d'autant plus étrange que la dynastie des Julio-claudiens s'est éteinte avec Néron, et qu'à partir de Claude, l'empereur ne descendait plus directement de Jules César...

Statue du jeune Octave - env. 30 avant J.C. (Musée du Capitole)

                                        Auguste est le premier à adopter le nom. Plus exactement, il n'est pas encore Auguste : il s'appelle encore Octave. A l'ouverture du testament de son grand-oncle Jules César, il est désigné comme son héritier et adopté à titre posthume. Il prend donc le surnom de son père adoptif, comme le veut l'usage, et devient Caius Octavius Caesar. Une fois seul maître de Rome, après la défaite de Marc Antoine à Actium, Octave réorganise les institutions. Pour résumer, il les vide petit à petit de leur substance tout les maintenant en apparence, et s'arroge tous les pouvoirs : instruit par la malheureuse expérience de Jules, il instaure donc une monarchie sans en avoir l'air. Bien que les Sénateurs lui octroient le titre d'Augustus (27 avant J.C.), il conserve le nom de Caesar. C'est une légitimité supplémentaire, qui lui permet de rappeler à tous qu'il est bel et bien l'héritier de l'imperator - et le descendant d'un Dieu, puisque César a été divinisé peu de temps après sa mort. Ce qui, dans une Rome aussi superstitieuse et respectueuse des divinités, peut toujours être utile...

                                        Le grand problème d'Octave / Auguste, tout au long de son règne, tiendra à sa succession. Si dans les faits, le pouvoir réside bel et bien entre les mains du seul princeps, tout est fait pour perpétuer la fiction de la continuation de la République. Dès lors se pose une question : comment pérenniser le principat, et éviter que le nouveau régime ne soit qu'une parenthèse, appelée à se refermer à la mort de son fondateur ? Mais, précisément parce que cette monarchie en est une sans en avoir le nom, l'hérédité du pouvoir n'est pas envisageable... Tu parles d'une quadrature du cercle ! Mais Auguste résout l'impossible équation de manière fort ingénieuse. Puisqu'il tient officiellement ses pouvoirs du Sénat, il va "suggérer" un successeur, choisi dans sa famille et avalisé par le Sénat. Ainsi, tout comme les Sénateurs semblent encore diriger la République, il leur offre l'illusion de choisir le futur Empereur...

Auguste représenté en pontifex maximus (Musée National Romain - photo nick in exsilio)

                                        Son épouse Livie, issue de la gens Claudia, ne lui ayant pas donné d'héritier, Auguste va se reporter sur les autres jeunes hommes de sa famille - son neveu Marcellus, ses petits-fils Caius et Lucius, qui mourront tous avant lui - avant de choisir en définitive Tibère, son beau-fils. La manœuvre est simple : il leur permet de briguer d'importantes magistratures avant l'âge légal, leur accorde des titres honorifiques (Princeps juventutis - "prince de la jeunesse", par exemple), leur confie l'imperium (c'est le cas pour Tibère), les associe étroitement au pouvoir. Et, bien sûr, il les adopte, leur transmettant ainsi à son tour le nom de Caesar. Le but, c'est que le pouvoir reste dans la famille. C'est pourquoi, lorsqu'il ne lui reste plus d'autre choix que d’adopter Tibère afin de faire de lui son successeur "présumé", il l'oblige à adopter à son tour son neveu Germanicus. Oui, car Auguste voit loin...

Les successeurs d'Auguste : Tibère et Caligula.


                                        Tibère, fils adoptif d'Auguste, a donc naturellement le droit de porter le cognonem de Caeasar : devenu empereur, il prend le nom de Tiberius Caesar Divi Augusti Filius Augustus. Or, à nouveau, les héritiers putatifs tombent comme des mouches : Germanicus en 19, ses enfants en 29 et 33, Drusus II le propre fils de Tibère les ayant précédé en 23 (la plupart aidés par Séjan, le préfet du prétoire. Voir le billet sur Tibère pour plus de détails - lien) Restent Caligula, dernier fils survivant de Germanicus et donc petit-fils adoptif de Tibère, et Gemellus, son petit-fils par la sang.

Tibère. (Musée du Louvre)

                                         Lorsque Tibère décède, on découvre qu'il a désigné les deux jeunes hommes comme héritiers, à égalité. Tibère n'avait pas choisi, et laissait l'Empire dans un sacré pétrin. Ce fut Caligula qui l'emporta, grâce au préfet Macron qui le fit acclamer par la garde prétorienne avant même que le Sénat soit consulté, de sorte que l'assemblée n'eut d'autre option que d'entériner ce choix. C'était un coup d'état, mais Caligula était l'arrière-petit-fils d'Auguste par adoption, le fils du très populaire Germanicus, la foule le soutenait, et Macron avait menti en affirmant que Tibère l'avait désigné comme son successeur : les sacro-saintes apparences étaient sauves, et les sénateurs, bien qu'abusés, pouvaient encore feindre d'avoir pris la décision finale. Descendant d'Auguste, comme je l'ai déjà dit, il pouvait sans problème porter le nom de Caesar : Caligula devint donc le troisième empereur, sous le nom de Caius Caesar Augustus Germanicus.

Le tournant : où comment Claude devint César.


                                        A ce stade, vous trouvez sans doute toutes mes explications complexes, et pour tout dire assez inutiles. Elles sont pourtant nécessaires, parce qu'on arrive à l'étape cruciale : celle où un homme, qui n'est pas un descendant direct de Jules César, inclut pourtant le cognonem dans sa titulature. Et l'homme en question, c'est l'empereur Claude, le quatrième Julio-Claudien, l'oncle de Caligula.

L'empereur Claude (Musée du Louvre)
Pour vous la faire courte, ce dernier est assassiné en 41. Il meurt sans avoir fait de testament et sans descendance (il a bien une fille, encore un bébé. Mais les meurtriers ne font pas les choses à moitié, et il lui fracassent le crâne contre un mur.) Au palais, c'est la débandade : tout le monde court dans tous les sens, personne ne sait qui est impliqué dans la conspiration, et les membres de la famille impériale risquent aussi bien de se faire tuer par un conjuré que par un partisan de l'empereur défunt. Dans l'affolement général, un garde prétorien retrouve Claude, tremblant, caché derrière une tenture. Certes, on le tient pour un crétin congénital, mais c'est un Julio-Claudien, et on a rien de mieux sous la main : Claude est proclamé empereur par la garde prétorienne. S'en suit un jeu de dupes, au cours duquel le Sénat, hostile à Claude car il n'aime pas qu'on lui force la main aussi ouvertement, perd la partie. Les membres de l'assemblée sont bien obligés  d'entériner à nouveau le choix des militaires. Mais cette fois, aucune porte de sortie pour sauver la face : c'est un putsch net et sans bavure, le principat repose désormais clairement sur l'armée. Or, Claude n'a aucun droit civil de porter le cognonem de Caesar, malgré le lien familial, puisqu'il n'est que collatéral - rappelons que Claude est le petit-fils d'Octavie, elle-même petite-nièce de César. Or, sa titulature officielle est pourtant Tiberius Claudius Caesar Augustus Germanicus. Il semblerait que le Sénat, contraint de le désigner empereur à la suite des prétoriens, lui ait octroyé ce titre, au moment de l'investir des pouvoirs de ses prédécesseurs, pour faire bonne mesure. Est-il besoin de rappeler que Tibère, quelques années plus tôt, se plaignait déjà de la servilité de la noble assemblée ?! Ainsi, à partir de Claude, Caesar cesse d'être un nom propre pour devenir un titre - exactement comme Augustus ou Imperator.


Évolution du titre de César.


Dioclétien. (Musée archéo. d'Istanbul. Photo S. Giralt)
Quand la dynastie Julio-Claudienne s'éteindra avec Néron, le titre de Caesar continuera de se transmettre aux empereurs, avec le reste de la titulature impériale. D'autres évolutions suivront. En 293, l'empereur Dioclétien divise l'Empire en deux entités distinctes (Orient et Occident), et il fonde la tétrarchie, introduisant deux Césars, désignés comme co-empereurs auprès de deux Augustes. Mais le système ne dure qu'un temps, jusqu'en 306 précisément, avec l'avènement de Constantin, proclamé César par ses troupes.

Constance II, son fils, transmet le titre à ses cousins, Gallus d'abord, Julien ensuite. Mais le terme de César désigne alors simplement des membres de la famille impériale, disposant certes d'un pouvoir important, mais pas plus co-empereurs que moi, et encore moins héritiers du prince. Là encore, le dispositif ne perdure pas.





                                       Après la chute de l'Empire romain (476), la titulature latine subsiste un temps, jusqu’à ce qu'elle soit abandonnée dans l'empire byzantin par Héraclius (r. 610-641). Celui-ci délaisse le titre d'Augustus et relègue celui de Caesar après celui de Basileus. Par la suite, le titre de Caesar ne cessera de reculer dans une titulature de plus en plus longue, et disparaîtra peu à peu... avant de ressurgir, sous les formes déjà citées de Kaiser et de Tsar, démontrant ainsi sa postérité et son importance dans l'inconscient collectif.

L'empereur byzantin Héraclius. (Doc. fourni par la bibliothèque diocésaine de Skara.)

jeudi 12 juillet 2012

Fulvia.

                                        Lorsqu'on évoque l'Histoire de Rome, les noms et les visages qui surgissent sont généralement masculins : César, Néron, Marc Aurèle, Hadrien, Cicéron... On pense plus rarement aux femmes, et celles qui nous viennent spontanément à l'esprit sont forcément Agrippine et Messaline, plus connues pour leur moralité douteuse et l'image qu'ont laissé d'elles les auteurs antiques (la meurtrière et la nymphomane, grosso modo) que pour l'influence qu'elles ont pu exercer. Encore convient-il de nuancer pour Agrippine, souvent présentée comme la séductrice perverse ayant manipulé Claude pour porter son fils Néron au pouvoir... ce qui n'est pas forcément inexact ! Pourtant, les femmes influentes n'ont pas manqué, tout au long de l'Antiquité romaine : outre celles que je viens de citer, on pourrait ajouter Livie, Cornelia, Fausta, etc. Et je n'ai pas mentionné les ennemies de Rome qui, comme Cléopâtre VII, Zénobie ou Boudicca, ont bien failli faire vaciller l'Empire.

Pièce de monnaie à l'effigie de Fulvia.

                                        Parmi ces femmes, il en est une qui a toute ma sympathie, et dont j'ai décidé de vous parler aujourd'hui : il s'agit de Fulvia, principalement connue en tant qu'épouse de Marc Antoine, et accessoirement la première femme à avoir eu son effigie sur des pièces de monnaie. Découvrons-la ensemble...

ORIGINES FAMILIALES ET PREMIER MARIAGE.


                                        Les lieux et dates de naissance de Fulvia Flacca Bambula ne sont pas connus précisément : on retient généralement l'an 83 avant J.C. et la ville de Rome. Certaines sources, cependant, avancent qu'elle serait née à Tusculum, principalement car il s'agit du berceau de la gens Fulvia. La lignée ne manque pas de prestige : du côté maternel, Fulvia descend directement de Scipion l’Africain, dont elle est l'arrière-arrière-petite-fille, mais elle est également liée à la gens Claudia et aux Gracques. Les Fulvii, bien qu'issus de la plèbe, font donc partie de la noblesse romaine, et la famille peut se vanter d'avoir fourni à la République plusieurs consuls et sénateurs.

Buste de Scipion l'Africain. (Musée archéologique de Naples.)


                                        Aux alentours de 62 avant J.C., Fulvia épouse Publius Clodius Pulcher, dont elle aura deux enfants : un garçon portant le même nom que son père (Publius Clodius Pulcher) et une fille, Clodia Pulchra, future épouse éphémère d'Octave / Auguste. De Clodius, on retient surtout l'épisode rocambolesque du scandale de la Bona Dea, en 62 avant J.C., qui mérite qu'on lui accorde quelques lignes. Alors que s'y déroulait la cérémonie de la Bona Dea, culte secret réservé aux femmes, Clodius s'était travesti et avait pénétré dans la maison de Jules César (alors Pontifex Maximus) afin, dit-on, d'y retrouver l'épouse de ce dernier. Démasqué par une esclave et à moitié lynché par les participantes de la cérémonie, il fut ensuite accusé d'incestum (acte violant la pureté religieuse), et se défendit en prétendant avoir été absent de Rome ce soir-là. L'alibi fut démonté par Cicéron, qui ne se priva pas de l'attaquer publiquement. Clodius fut acquitté - selon Cicéron parce qu'il avait corrompu les jurés. Inutile de dire que cela n'améliora pas les relations entre les deux hommes, déjà passablement tendues.


Publius Clodius Pulcher.

                                        Malgré l'incident relaté ci-dessus, Clodius reste proche de César, qui favorise son passage dans les rangs de la plèbe, pour lui permettre de briguer le tribunat en 58 avant J.C. Dès son accession à la magistrature, Clodius s'oppose au Sénat, revenant sur des décisions prises par l'assemblée. Il peut de plus compter sur des bandes armées à ses ordres, des partisans chargés de faire le coup de poing face à ses opposants. Le Sénat décide de combattre le mal par le mal, et prend alors le parti de Titus Annius Milo (francisé en Milon), à qui il confie la mission de contrer Clodius. Les escarmouches dégénèrent en véritables émeutes et, en 52 avant J.C., Clodius trouve la mort sur la voie Apienne, assassiné par les séides de Milon.

Le corps de Clodius exposé au Forum. (source : University of Texas.)

                                        C'est à l'occasion de sa mort que Fulvia apparaît pour la première fois dans les écrits : veuve éplorée, elle traîne le corps de son mari à travers Rome, et hurle sa colère et son désespoir, soulevant les partisans de Clodius afin de venger sa mort dans le sang de ses meurtriers. Le spectacle pathétique et l'immense popularité du défunt provoquent la fureur de la foule, qui s'empare du cadavre et le brûle devant le Sénat. Présente durant le procès de Milon, Fulvia est la dernière à témoigner contre l'accusé : son récit est déterminant, et envoie Milon en exil. 

DEUXIÈME MARIAGE.


                                        Nous l'avons vu : Clodius avait à ses ordres plusieurs bandes de redoutables sbires, un véritable gang qui, à sa mort, se range derrière Fulvia. Veuve de Clodius, mère de ses enfants, dépositaire du souvenir d'un homme adoré par la plèbe, elle a désormais la main sur des bandes armées qui lui sont fidèles. Son influence, sa naissance et son intelligence en font un parti des plus convoités.

                                        Peu après les dix mois de veuvage traditionnels, Fulvia se remarie avec Caius Scribonius Curio (Curion). S'il est issu d'une famille moins prestigieuse que celle de Clodius, il s'avère qu'il est aussi beaucoup plus riche... Et, tout comme Clodius, Curion est un homme aimé des plébéiens. Alors qu'il faisait jusqu'ici partie des Optimates, il se range du côté des Populares peu après son mariage, et poursuit la politique engagée par le premier époux de Fulvia, soutenant à son tour Jules César. En 50 avant J.C., il est élu tribun, mais est tué un an plus tard en Afrique du Nord, en combattant les troupes de Juba Ier, roi de Numidie, aux côtés de l'Imperator.

                                        Pendant la guerre civile opposant César à Pompée, Fulvie reste vraisemblablement à Rome. Elle est désormais l'une des femmes les plus influentes de Rome : toujours liée à la clientèle de Clodius et obéie par ses milices, elle est désormais l'héritière de la fortune de Curion.

TROISIÈME MARIAGE.


                                        Quelques années après la mort de ce dernier, en 47 ou 46 avant J.C., Fulvie se marie une troisième et dernière fois. Elle épouse cette fois-ci Marcus Antonius Marci Filius Marci Nepos (Marc Antoine). Mais si l'on en croit Cicéron, leur relation aurait débuté plusieurs années auparavant, alors que Fulvia était encore l'épouse de Clodius. Il suggère également que le futur triumvir l'aurait épousée pour son argent... Pourtant, le fait est que, pour elle, Marc Antoine quitte sa maîtresse, l'actrice Cytheris, qu'il fréquentait depuis longtemps. A cette époque, Antoine est déjà un homme politique établi : il est l'homme de confiance de César, qui l'a nommé son Maître de Cavalerie, il a déjà été tribun de la plèbe, et c'est un militaire aguerri et réputé, adoré par ses hommes et dont la vaillance n'est plus à prouver. Ce mariage scelle l'union de deux forces politiques majeures, pouvant compter sur l'appui d'une partie de l'armée, du peuple, sur les fameux hommes de Clodius et, qui plus est, sur l'argent légué par Curion... Ensemble, Antoine et Fulvia auront deux fils : Marcus Antonius Antyllus et Iullus Antonius.

Marc Antoine.

                                        Selon Plutarque, Fulvia aurait eu une influence non négligeable sur son troisième mari. Certes impliquée dans la vie politique, elle aurait également attisé la haine qu'Antoine vouait à Cicéron. Étant donné que l'orateur avait condamné le beau-père de Marc Antoine à mort quelques années plus tôt, je ne pense pas qu'elle ait eu beaucoup de difficultés ! Il faut également reconnaître que Cicéron n'a jamais ménagé les époux successifs de Fulvia - et l'inimitié l'opposant à Antoine, qu'il tenait pour un homme vulgaire et une brute épaisse, n'allait pas améliorer les choses. Fulvia prit toujours le parti de son époux et lui apporta un soutien inconditionnel - comme nous allons le voir.

Pièce représentant Fulvia. Au revers : un lion et les mots "Antoni Imperator".

                                        Après l'assassinat de César, Marc Antoine devient l'homme le plus puissant de Rome. Alors consul, il s'impose comme le leader du parti des Césariens, notamment en retournant la foule contre les conjurés, lors des funérailles. S'étant emparé des papiers de César, il les utilise à son avantage, afin de faire passer des lois qui lui sont profitables et qui lui permettent d'accroître sa fortune tout autant que son pouvoir - et, du même coup, ceux de Fulvia. Mais le Sénat demeure hostile à Antoine et, contre lui, décide de jouer la seule carte possible : il mise sur Octave, petit-neveu et fils adoptif de César. Lorsque Antoine assiège, en toute illégalité, un des Césaricides à Modène, il s'attire la colère de Cicéron, qui prononce la première de ses "Philippiques." - série de discours violents et insultants, ainsi nommés en référence à ceux que prononça Démosthène contre Philippe II de Macédoine. En 41 avant J.C., Cicéron fait annuler les mesures prises sous le consulat d'Antoine, et le fait déclarer ennemi public (hostis), malgré les vaines tentatives de Fulvia, qui s'efforce de mobiliser les soutiens de son mari.

                                        Mais Octave, qui ne trouve pas auprès du Sénat le soutien qu'il avait espéré, finit par signer la paix avec Antoine : c'est la formation du triumvirat, qui lie Antoine, Octave et Lépide (qui, disons-le tout de suite, compte pour du beurre...). Pour entériner cette alliance, la fille de Fulvia, Clodia, est alors mariée au jeune Octave. L'accord entre les trois hommes débouche sur les proscriptions, chacun d'eux livrant, en signe de bonne volonté, ses anciens alliés aux séides des deux autres. Parmi les victimes se trouve Cicéron, qui paie chèrement ses diatribes contre Antoine. Dion Cassius et Appien nous décrivent à cette occasion une Fulvia proche de la virago, qui profite de l'occasion pour s'enrichir aux dépends des condamnés, et surtout pour se venger de Cicéron. Dion Cassius raconte comment jubilant à la mort de son ennemi, elle lui aurait percé la langue d'une épingle à cheveux.

                                        En 42 avant J.C., Antoine et Octave ayant quitté Rome pour poursuivre les assassins de César jusqu'en Asie, Fulvia dirige pratiquement Rome en sous-main. Dion Cassius peut ainsi écrire :

 "Voilà ce qui se produisit alors l'année suivante : Publius Servilius et Lucius Antonius (N.B. : frère de Marc Antoine) furent consuls en titre, mais en réalité, ce furent Lucius et Fulvia. En effet (...), elle s'occupait elle-même des affaires, de sorte que ni le Sénat ni le peuple ne décidait quoi que ce fût de contraire à son bon plaisir." (Dion Cassius, 48, 4-1)

GUERRE DE LA PEROUSE ET MORT DE FULVIA.


                                        Après l'élimination des deux principaux instigateurs du meurtre de César, Brutus et Cassius, à Philippes en 42 avant J.C., les triumvirs se partagent le territoire Romain : l'Italie échoit à Octave, Antoine obtient l'Asie et Lépide doit se contenter de l'Afrique. Antoine part visiter ses provinces : survient alors sa rencontre avec Cléopâtre, qui devient sa maîtresse. Un an plus tard, Octave divorce de la fille de Fulvia, accusant au passage cette dernière de viser le pouvoir. Il licencie également une partie des légions de César, auxquelles il doit alors fournir des terres. Pour se faire, il réquisitionne des propriétés privées. Fulvia prend alors le parti des propriétaires spoliés, craignant que les légionnaires ne se rangent du côté d'Octave au détriment de son mari. Elle trouve le soutien de son beau-frère, Lucius Antonius, et prend la tête de l'oppostition contre Octave. Les troubles politiques et sociaux aboutissent alors à la guerre de Pérouse, en 41-40 avant J.C. Appien prétend que Fulvie, jalouse de la liaison entre son mari et Cléopâtre, autait volontairement poussé la confrontation jusqu'au point de non -retour, afin d'inciter Antoine à revenir en Italie.

Pièce à l'effigie de Cléopâtre et Antoine. (Source:  AncientArtPodcast.)

Lucius Antonius.
Avec Lucius Antonius, elle lève huit légions pour combattre Octave. Lucius, quant à lui, attend que les légions d'Antoine viennent à son secours, mais son frère n'est pas au courant de la tournure prise par les évènements : il est toujours en Orient, tout s'est fait à son insu et, par conséquent, il n'a donné aucune consigne à ses troupes. Celles-ci, sans directives claires, refusent de s'engager, et Lucius ne doit son salut qu'aux hommes que Fulvia parvient à lui envoyer en renfort. L'armée de Fulvia et Lucius occupe brièvement Rome, mais doit se replier sur La Pérouse, où elle est assiégée par celle d'Octave. Le siège dure 2 mois, et en février 40 avant J.C., Lucius et les soldats, affamés, se rendent ; Fulvia, elle, réussit à s'échapper et fuit en Grèce avec ses enfants. Là-bas, elle retrouve Antoine, furieux : non seulement elle a gravement mis en danger l'alliance scellée entre les triumvirs, mais en plus Octave en a profité pour faire main basse sur la Narbonnaise, son fief ! Il ne lui pardonnera pas : il rentre à Rome pour s'entendre avec Octave, abandonnant Fulvia à son sort. Elle meurt, seule et malade, exilée à Corinthe, quelques mois plus tard.

                                        Après sa mort, Antoine et Octave s'accordent pour rejeter leur mésentente sur Fulvia, bouc émissaire tout trouvé. L'accord est renforcé par le remariage d'Antoine, qui épouse Octavie, la sœur d'Octave. La jeune femme s'occupera de tous les enfants de Fulvia - tout comme elle recueillera ceux d'Antoine et Cléopâtre, après la mort des deux amants.

CONCLUSION.


                                        L'image qui reste de Fulvia est au mieux celle d'une femme ambitieuse s'impliquant dans la politique romaine aux côtés de ses époux successifs (et d'Antoine en particulier), au pire celle d'une virago sans pitié, qui utilisa Clodius, Curion puis Antoine pour assouvir sa soif de pouvoir et de richesse. Le rôle de l'Historien n'est pas de juger. Du reste, cela serait impossible, notamment à cause de la partialité des sources : n'oublions jamais que l'Histoire est écrite par les vainqueurs - Octave / Auguste en l’occurrence - et que les vaincus sont presque systématiquement salis.

Portrait de Fulvie, extrait de Promptuarii Iconum Insigniorum a Seculo Hominum (G. Rouillé - 1553)

                                        Cela étant dit, j'ai l'excuse de ne pas être historienne, et je peux donc vous livrer mon sentiment ! Pas question pour autant d'interpréter les faits de manière à les adapter à mon opinion. Simplement, je demande un peu d'indulgence pour cette femme qui, comme nombre de ses sœurs, a été largement maltraitée par Cicéron, Dion Cassius et consorts. Voilà une femme forte, ambitieuse, autoritaire, douée de sens politique : c'était un leader, capable de mener des troupes aussi bien que d'entraîner derrière elle des partisans. Autant de qualités qui, plébiscitées chez un homme, firent d'elle, pour les textes antiques, une virago amorale, une espèce de folle hystérique incontrôlable qui manipula les hommes pour arriver à ses fins. Mais je n'y crois guère. Car, pour peu que l'on se donne la peine de creuser, on découvre rapidement que, derrière une ambition affichée (ce qui, ma foi, n'a rien de monstrueux), se dessine le portrait d'une femme qui tenta toujours de concilier son cœur et sa raison - et qui y parvint quasiment jusqu'à la fin.

                                       Je n'ai aucun élément prouvant qu'elle aima sincèrement ses trois époux successifs, mais j'en suis pourtant convaincue : je pense qu'elle trouva le moyen de se dresser et d'agir à leurs côtés, accroissant son influence et leur pouvoir en tant que couple. Pour moi, loin de l'image de gorgone qu'a conservée la postérité, Fulvia était avant tout une grande amoureuse, capable de concilier ses sentiments et ses ambitions, et de mettre à leurs services ses incroyables talents de meneuse d'hommes. Les historiens me donneront peut-être tort... Décidément, j'ai bien de la chance de ne pas être historienne !

lundi 9 juillet 2012

Orbis : Tous Les Chemins Mènent à Rome...

Arausio, notre point de départ...

                                        Allez, un petit effort d'imagination ! Nous sommes le 15 Avril 214 après J.C. (Dies Veneris prid. Kal Apr CMLXVII AUC - sauf erreur de ma part...) Vous vous appelez Lucius Rufus Rubinius - ce nom en vaut un autre, je vous laisse libre d'en changer. Vous vivez près d'Arausio (Orange), où vous avez bâti votre fortune grâce à l'exportation de produits de la région, que vous vendez à Rome. Votre frère, Caius, s'est installé à Lutetia (Paris). Or, depuis quelques temps, vos affaires se sont tellement développées que vous ne vous en sortez plus tout seul, et vous avez décidé de rendre visite à Caius, afin de lui proposer de s'associer avec vous. Et là, je vous pose la question : comment allez-vous vous y prendre ? Quelles villes allez-vous traverser, par où allez-vous passer ? Quel moyen de locomotion choisirez-vous ? Combien de temps durera votre voyage ? Quand parviendrez-vous à destination, et est-ce que votre frangin doit vous attendre pour dîner ? Et quand serez-vous de retour à Arausio, avec ou sans Caius ? Normalement, vous séchez. Et je vous comprends ! Aujourd'hui, vous haussez les épaules et vous vous précipitez sur Google Maps : Orange-Paris en voiture,  6 h 23 min au moment où je tape ces lignes (le temps varie selon les conditions du trafic), en passant par l'A6 et l'A7. Mais, en tant que Lucius Rufus Rubinius, vous allez devoir vous débrouiller autrement. Google Maps, même latinisé en Googlius Mapsius, ça ne passera pas...  


Le site Orbis.


                                       Heureusement, il y a désormais le site orbis.stanford.edu ! Comme sur Google Maps, vous n'avez qu'à sélectionner vos villes de départ et d'arrivée, et en voiture Simone ! Ou plutôt, en raeda... Marcia ! (Cf. ci-dessous pour la définition de la raeda...) Évidemment, on n'obtient pas du tout le même résultat : comptez en moyenne 22 jours avant de serrer votre frère dans vos bras ! Voire 50 en char à bœufs - en passant par Vienna (Vienne), Lugdunum (Lyon), Augustodonum (Autun)... Prévoyez 27 jours à dos de mulet, contre un peu plus de 3 si vous avez les moyens de vous payer un relais à cheval. A moins que vous ne préfériez transiter par Narbo (Narbonne), Tolosa (Toulouse) et Burdigala (Bordeaux), pour vous embarquer sur un bateau et longer l'Atlantique jusqu'à Civitas Namnetum (Nantes)...

                                        Ce programme, mis au point par une équipe d'historiens, de géographes et d'informaticiens de l'Université de Stanford, reprend donc peu ou prou la formule de Google Maps - à ceci près qu'il se base sur les routes de l'Empire romain pour calculer votre itinéraire. A partir de plus de 700 sites répertoriant cartes et routes, les concepteurs ont recréé le réseau de transport du IIIème siècle après J.C., sur une superficie équivalente à celle du Canada. Près de 270 ports, plus de 84 000 kilomètres de routes, des pistes au milieu du désert, sans compter les canaux et rivières, les routes maritimes... Bref, tout ce qu'il faut pour préparer son petit week-end à Arelate (Arles) : reste juste à réserver une auberge.
 
                                        Le petit plus d'Orbis, c'est qu'il vous offre la possibilité de choisir vos paramètres : moyen de transport (à pied, à cheval , en char à bœufs, en chariot, avec un mulet, à marche militaire, etc.), période de l'année, sur terre ou par mer... Choisissez également entre le trajet le plus court, le plus rapide et le moins cher : croyez-moi, cela réserve pas mal de surprises. Tous ces facteurs pouvaient faire varier la durée du voyage de manière considérable - de quelques jours à plusieurs mois.


Pièce romaine illustrée d'un carpentum.


Litière. (Source Don Carson 3D.)

Plus généralement, la plupart des routes, bien que moins nombreuses et directes que les nôtres, étaient en bon état - bien que parfois peu sûres. Mais surtout, les moyens de locomotion habituels étaient lents. Par exemple, les entreprises de transport privées, assez nombreuses mais au petit nombre de relais, ne circulaient que de jour, avec une moyenne de 60 kilomètres quotidiens. Les riches propriétaires de litières, chevaux, voitures et relais, pouvaient aller beaucoup plus vite. De toute évidence, le choix du cheval s'imposait lorsqu'on était pressé. Autrement, on utilisait la litière, munie de rideaux et portée par plusieurs esclaves (de 2 à 8, selon ses dimensions), le carpentum (voiture à deux roues, à baldaquins et également garnie de rideaux) ou le cisium ou l'essedum pour les courses urgentes (voitures à deux roues pouvant transporter deux personnes). Mais le véhicule de voyage par excellence, c'était la fameuse raeda, voiture à quatre roues.


Une raeda.




                                        Ajoutons qu'il existait de rares hôtelleries (deversoria, mansiones, cauponae) proposant le gîte et le couvert à des tarifs modiques : 1/2 as au IIème siècle avant J.C. Peu confortables, elles étaient surtout fréquentées par les marchands et les personnes modestes. Les plus aisés, quant à eux, s'arrêtaient dans des hospites privati, où ils étaient hébergés par des clients, des amis, etc. - qu'ils accueillaient à leur tour, si l'occasion se présentait. Les fonctionnaires et personnages officiels, enfin, se rendaient chez les parochi, des hôteliers officiels chargés de pourvoir à leurs besoins. 

                                        En tous cas, grâce à Orbis, vous voilà désormais prêts à arpenter les routes de l'Empire ! Votre itinéraire géographique est tout tracé. Par contre, pour le voyage dans le temps, ça pose encore problème...


Je rappelle le lien : orbis.stanford.edu

jeudi 5 juillet 2012

Revue de presse - Histoire Antique Et Médiévale.

                                        Rome, c'est un Empire. Ou plus exactement un principat, né sur les ruines d'une République vieille de cinq siècles, mais qui succomba finalement aux guerres civiles. Ce dernier terme évoque immédiatement les conflits ayant opposé Marius à Sylla, César à Pompée, et Octave à Marc Antoine. Pourtant, dans la littérature antique, la définition n'est pas claire. Pour nous, une guerre civile désigne un conflit armé entre citoyens d'un même état. Mais dans l'antiquité, cette notion est difficile à appliquer - ne serait-ce que parce que celle d'état ne recouvre pas forcément celle de nation. Ainsi, qu'en est-il de la guerre sociale (bellum sociale - 90/88 avant J.C.), entre Rome et ses alliés italiens, qui souhaitaient obtenir la citoyenneté romaine ? Ou de la révolte de Spartacus, les paysans et les pauvres rejoignant la troupe des gladiateurs ? Ou encore des conflits ayant opposé, durant des siècles, la plèbe aux patriciens ? Sans compter que la porosité des classes sociales romaines complique encore les choses - certains plébéiens s'élevant dans la hiérarchie, et certains patriciens utilisant de façon démagogique les questions égalitaires et le problème agraire - véritable serpent de mer des relations entre la plèbe et la nobilitas. On le voit, l'écheveau est difficile à démêler.

                                        C'est pourtant ce que se propose de faire le dernier numéro de la revue Histoire Antique & Médiévale, intitulé : "La République romaine : les guerres civiles, le reflet de la conquête."  Dans un premier temps, elle tente d'apporter une éclairage sur ce problème de définition, en explorant l'idée que se faisaient les anciens des conflits civils, et en remettant en perspective les différentes conceptions existant alors en Grèce et à Rome. Ainsi, la frontière entre guerre civile et guerre extérieure, nettement marquée en Grèce, se révèle-t-elle beaucoup plus floue pour les Romains - César combattant Pompée en Espagne en étant une parfaite illustration. Textes antiques et exemples à l'appui, le magazine parvient à clarifier suffisamment la situation pour rendre la problématique plus intelligible.
                                        Puis, dans une progression chronologique, il s'attache à traiter le thème en profondeur, en commençant par un article passionnant sur la formation de la société romaine, de la création de l'Urbs par Romulus jusqu'à la naissance de la république. Des premières familles patriciennes à la formation de la plèbe, de l'origine de la clientèle à la création du tribunat de la plèbe, jusqu'à l'abolition de la royauté, chaque paragraphe aborde de façon claire mais néanmoins détaillée chacun des aspects, des points forts et des faiblesses des classes sociales dont la lutte intestine allait atteindre son apogée sous la République. 

Buste de Marius. (Musées du Vatican)
L'évolution de cette République romaine, et en particulier les concessions acquises de haute lutte par la plèbe et les mutations qui s'en suivirent sont abordées dans le chapitre suivant, qui explique également comment le changement de statut de l'Urbs, passant du statut de cité-état dominant des villes alliées à celui de capitale d'un vaste territoire, engendra non seulement un bouleversement politique, mais aussi une évolution des mentalités. En s'ouvrant sur le monde, la politique romaine se détacha progressivement d'une conception philosophique du pouvoir, pour construire une pensée politique propre qui, à son tour, allait aboutir à un bouleversement des rapports de force entre le Sénat, la plèbe et les militaires. Le pouvoir, insensiblement, se retrouva entre les mains de généraux qui, à la tête de légions qui leur seraient fidèles, allaient peser sur la politique. Les chocs frontaux, arbitrés par un Sénat qui n'avait pas les ressources
Probable buste de Sylla. (Museo della civilita romana, Rome.)
pour le faire, 
devenaient inévitables : la fin de la République ne fut d'ailleurs qu'une longue série de guerres civiles - celles dont j'ai parlé dans mon introduction - qui aboutirent à la mort du régime. Il faudra attendre la victoire d'Octave sur Marc Antoine, lors de la bataille d'Actium (31 avant J.C.), pour que Rome retrouve la paix, grâce à la fondation du principat, qui instituait une forme de royauté tout en conservant les apparences de la République - réussissant là où César avait échoué. En guise de conclusion, le magazine nous offre un point de vue saisissant sur ce que la conception du principat doit à la pensée philosophique de Cicéron : tout simplement brillant !





                                        Cette revue, toujours excellente, nous offre ce moi-ci l'un de ces meilleurs numéros. Battant en brèche les idées reçues sur les guerres civiles romaines, elle les aborde dans une plus large perspective, les intégrant dans l'Histoire romaine de façon à en expliquer les origines, les épisodes, les conséquences, etc. Le tout avec une grande subtilité, un luxe de détails et une simplicité qui rend la lecture aussi enrichissante qu'accessible. Les éditions Faton, de toute évidence, prêtent à leur lectorat une culture et une intelligence pour le moins flatteuses : on ne vous prend pas pour des idiots, et on essaie de vous tirer par le haut. Certaines ellipses ou raccourcis pourront déconcerter ceux qui ne sont pas  familiers de l'Histoire romaine, mais leur compréhension n'en sera pas pour autant entravée. Des illustrations pertinentes et des sources largement citées complètement un formidable dossier, qui donne envie de se plonger dans les textes auxquels il renvoie. De Romulus à Auguste, voici donc une vue d'ensemble d'un sujet fort complexe, rendu accessible par de talentueux auteurs. S'il existe des livres sur le sujet, cette publication leur tient la dragée haute, et je ne saurais trop vous recommander de vous précipiter chez votre marchand de journaux... et de prolonger la lecture de ce dossier par celle de "De Re Publica" de Cicéron, tant que vous y êtes !






Histoire Antique & Médiévale - Hors-série n°31 - Juin 2012.
7 euros 50 - éditions Faton - lien .