samedi 24 mars 2012

Les Gracques : Caius, le cadet.

Suite et fin de la saga des frères Gracchus. Nous en étions restés hier à la mort de ce pauvre Tiberius : voyons si Caius va mieux se débrouiller...


CAIUS.

                                        Caius, le petit frère, est né en 154 avant J.C. D'abord questeur en Sardaigne, il suit la même trajectoire que Tiberius et est élu tribun de la plèbe en 124 avant J.C. S'il partage les mêmes idées et le même programme que son aîné, il se révèle bien plus organisé : brillant orateur, il sait maîtriser ses nerfs et se montre fin politique. Il a bien compris que la concentration des richesses entre les mains de l'aristocratie sénatoriale, au détriment du plus grand nombre, menaçait l'ensemble de la société romaine. Il pense également que la citoyenneté latine doit être accordée à l'ensemble des alliés de Rome.

                                        Caius parvient à faire voter toute une série de lois : des réformes foncières reprenant les idées de son frère, des réformes agricoles visant à réguler l'approvisionnement et la distribution de blé et d'en fixer le prix, des réformes judiciaires enfin, interdisant désormais les exécutions sommaires et empêchant les Sénateurs de juger leurs pairs dans des affaires d'abus de biens sociaux. Il décrète également la fondation de nouvelles colonies italiennes, dans le but de relancer l'industrie. Par ailleurs, Caius s'appuie largement sur les chevaliers, auxquels il accorde la parité avec les Sénateurs au sein des jurys et la perception de l'impôt en Asie. Ces décisions en faveur de l'ordre équestre lui offrent un soutien de poids ; en contrepartie, elles lui aliènent encore davantage les Sénateurs, furieux d'être privés de leurs prérogatives. Il n'a pourtant pas lésiné, ce brave Caius, puisqu'il leur a permis d'acquérir dans le Latium des terres qu'ils convoitaient...


Tiberius et Caius Graccus - bronze d'Eugène Guillaume (musée d'Orsay.)

                                        En 122 avant J.C., Caius Gracchus réussit là où Tiberius avait échoué : une nouvelle loi ayant été adoptée, il peut - par un tour de passe-passe politique - obtenir un second mandat de tribun avant l'achèvement du premier. Dans la foulée, il tente de faire passer une nouvelle série de réformes, afin de créer de nouvelles colonies en Afrique du Nord (notamment à Carthage), et d'accorder le droit de cité romaine à tous les Latins et la citoyenneté latine aux alliés. Le second tribun de la plèbe, Marcus Livius Drusus, oppose son véto (refrain connu !)... et lance à son tour une série de propositions qui vont encore plus loin que celles de Caius ! Ces lois sont adoptées - mais elles ne seront jamais appliquées, car elles avaient pour seul but de contrer celles de son collègue.

                                        Décidément, Caius Gracchus n'est pas en veine ! Comme nous l'avons mentionné, il a fait construire une colonie à Carthage. Or, des rumeurs prétendent que celle-ci empiète sur l'ancien site de la ville, décrété "maudit" (et donc inconstructible) par Rome depuis la fin des guerres puniques. La popularité du cadet des Gracques est en chute libre, et il échoue lorsqu'il brigue un troisième mandat. Parallèlement, son opposant le plus acharné, Lucius Opimius, est élu lors des élections consulaires : il révoque immédiatement toutes les lois votées à l'instigation de Caius et le Sénat décrète le démantèlement de la colonie de Carthage.

                                         A partir de là, l'histoire se répète : Caius tente de soulever ses partisans contre ces décisions, et il les rassemble sur le Capitole. Une mêlée éclate, au cours de laquelle un proche d'Opimius est tué. Ni une, ni deux : le Sénat en profite pour promulguer le premier senatus consultum ultimum de l'histoire, par lequel il autorise l'élimination de Caius par n'importe quel moyen. Pas besoin de lire entre les lignes pour comprendre que ses jours sont comptés... Les émeutes, dès lors, se multiplient : des centaines de partisans de Caius sont massacrés, et lui-même prend la fuite avec un de ses esclaves. S'est-il suicidé ? A-t-il été trahi par son esclave, rattrapé et tué par ses ennemis ? Les récits divergent. Toujours est-il qu'il est retrouvé mort en 121 avant J.C.


APRES LES GRACQUES.

                                        Débarrassés de ces empêcheurs de légiférer en rond, les Sénateurs ont les mains libres. Pourtant, ils préfèrent ménager le peuple, dont ils craignent la colère, et décident ne ne pas toucher à la plupart des réformes engagées par les Gracques.

                                        D'un point de vue politique, la chute des Gracques marque un véritable tournant : le peuple, désormais, n'aura plus guère la possibilité de peser sur le Sénat par le biais des tribuns de la plèbe. A la suite des Gracques, les hommes politiques romains se diviseront en deux "partis" : les optimates ("les meilleurs") d'un côté, où l'on retrouve des aristocrates à tendance conservatrice qui se targuent d'une supériorité due à leur naissance, et les populares ("partisans du peuple") de l'autre, qui portent les revendications de la plèbe pour la protéger face aux optimates. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, la distinction est nettement plus floue, et il n'y a pas forcément de rapport entre l'origine sociale d'un homme politique et son appartenance idéologique à un camp. Ainsi, Jules César, issu de l'aristocratie, est le fer de lance des populares, tandis que Caton le Jeune, bien que plébéien, prend la tête des optimates. De plus, de nombreux hommes d'état s'appuieront sur les populares pour accéder au pouvoir, et le mouvement sombrera dans la démagogie, avec des hommes tels que Marius ou Catilina...

                                        Notons enfin, pour l'anecdote, que le nom des Gracques a été repris par une association, un groupe de "réflexion et de pression", engagé à gauche et souhaitant participer à la "modernisation intellectuelle de la gauche en France". A l'origine, un groupe d'anciens hauts fonctionnaires socialistes avait signé de ce nom un appel à une alliance PS-UDF, lors de la campagne présidentielle de 2007. Le choix du pseudonyme montre au moins à quel point le nom des Gracques demeure associé à la notion de réforme, et à un idéal de justice et de valeurs proches d'une idéologie de gauche...

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