Ce n'est pas un scoop : Noël approche. Si vous êtes comme moi, vous êtes lancés depuis déjà quelques temps dans une course effrénée aux cadeaux, et vous écumez fiévreusement les boutiques et sites marchands, à la recherche du présent qui, à coup, sûr, fera plaisir à Tata Gertrude. Le défi est nettement moins compliqué à relever au moment de gâter vos neveux, vos petits cousins ou vos enfants : les magasins débordent de jouets de toute sorte, et vous avez à votre disposition une bonne dizaine de catalogues diligemment déposés dans votre boîte aux lettres - et parfois gracieusement annotés par vos chérubins afin de vous faciliter la tâche. C'est cette déferlante de poupées, peluches, jeux vidéos, de société, legos, robots, etc. qui m'a poussée à m'interroger sur les jouets dans l'antiquité romaine. Parce que, franchement : à quoi pouvait bien s'occuper un petit Romain, sans Playstation ni Playmobils ?! Nul doute que cette question primordiale nécessitait un article sur ce blog.
Bien sûr, il existe une grande disparité selon la classe sociale à laquelle appartient la famille de l'enfant : le fils d'un patricien ou d'un riche commerçant possèdera davantage de jouets, et de meilleure qualité et dans des matériaux plus précieux, que le rejeton d'une famille pauvre. Quant aux petits esclaves, ils n'avaient certainement pas beaucoup de temps libre pour s'amuser... On peut quand même supposer que, employés par une famille aisée, ils avaient peut-être accès aux jouets du jeune maître, à qui ils servaient de compagnons de jeux. Mais si la plupart des enfants devaient se contenter de peu, cela ne signifie pas pour autant qu'ils étaient privés de divertissements : simplement, ils se servaient de leur imagination, et l'éventail était finalement très large. Aujourd'hui, nos bambins jouent au maître d'école ou au marchand, et il en était de même dans l'antiquité où les petits Romains reproduisaient volontiers les activités de la vie réelle, imitant les situations auxquelles ils étaient confrontés au quotidien.
Une fois écartés les jeux vidéos et autres objets modernes, les divertissements des enfants de la Rome antique sont aussi variés que ceux que nous connaissons aujourd'hui, et étonnamment (ou pas, d'ailleurs...) semblables aux nôtres. Les matériaux qui composent les jouets sont évidemment différents (pas de plastique !), mais le style de jeu reste le même.
Hochet (Musée de Tarragone, via www.la-detection.com) |
A la naissance, on offre à l’enfant ses premiers jouets, de petits objets sonores : les crepundiae (de crepitare, "faire du bruit"). On connaît la crepitacula (sorte de hochet en terre cuite ou métal rempli de cailloux ou de grelots, présentant la forme d'un disque ou d'un animal), la tintinnabula et les sistres (hochets plus simple en métal) ou encore les crotales (des instruments de musique en bois.)
Stèle du Musée du Louvre. |
Plus tard, les jeux de guerre sont très appréciés des garçons, qui se battent les uns contre les autres en utilisant des épées en bois ou des bâtons. Une version populaire de ce jeu est appelée "Jeu de Troie" (lusus troiae - à ne pas confondre avec les jeux du même nom qui se déroulaient dans les cirques), d'après la guerre éponyme : les garçons sont répartis en deux équipes, et le but est de pousser l'équipe adverse derrière une ligne tracée au sol, tout en résistant à son assaut. Dans la même catégorie, il existe des boucliers et des chevaux de bois, parfaits pour jouer au petit soldat.
Petites filles jouant à la balle. |
Une partie de hockey - jeu d'origine grecque. |
Sarcophage représentant des enfants jouant aux noix. |
Parmi les jeux les plus courants, on retrouve le jeux de noix (similaire à nos jeux de billes) - au point que l'expression nuces relinquere ("délaisser les noix") est une périphrase fréquemment utilisée pour désigner le fait de sortir de l'enfance. Garçon ou fille, chaque enfant conserve jalousement ses noix dans un sac, et cherche à augmenter son trésor au cours du jeu. Les noix sont également distribuées à l'école, en guise de récompense pour les bons élèves. On connaît ce jeu sous deux noms : "Ludus castellarum" ("jeu du château") et "Nuces castellatae" ("Château de noix"). On forme une petite pyramide de trois noix, symbolisant un château, que l'adversaire doit détruire en lançant une quatrième noix. S'il réussit, il remporte toutes les pièces ; dans le cas contraire, il perd celle qu'il a jetée. On peut aussi utiliser les noix pour un autre jeu : sur une planche en bois inclinée, les enfants font rouler leurs noix en essayant de toucher celles déjà mises en jeu par les autres concurrents. Il existe bien d'autres alternatives.
"[Les noix] servent également aux jeux des enfants, soit que debout, et à l'aide d'une noix lancée sur les autres, ils rompent l'ordre dans lequel elles sont disposées ; soit que, baissés, ils atteignent en un ou deux coups le même but, en la poussant du doigt. Quatre noix suffisent pour ce jeu ; trois au-dessous et la quatrième au-dessus. D'autres fois on fait rouler la noix du haut d'un plan incliné, de manière à ce qu'elle rencontre une de celles qui sont à terre sur son passage. Avec elles aussi on joue à pair ou non, et le gagnant est celui qui a deviné juste. Ou bien on trace avec de la craie une figure pareille à la constellation du Delta, ou à la quatrième lettre des Grecs ; sur ce triangle, on tire des lignes, puis on y jette une baguette ; celui des joueurs dont la baguette reste dans le triangle gagne autant de noix qu'en indique l'intervalle où elle est restée. Souvent enfin on place à une certaine distance un vase dans lequel doit tomber la noix qu'y lance le joueur." (Ovide, "Le Noyer")
Petite fille jouant aux osselets. |
Le jeu d'osselets est un autre classique, pratiqué aussi bien par les enfants que par les adultes. On en trouve en matériaux aussi divers que le marbre, la terre cuite, le bronze, voire l'ivoire ou même l'or. A l'origine, le mot vient du Grec astralagos ou du Latin talus, un petit os cuboïde de l'articulation du pied des quadrupèdes. Signalons que l'astragale avait également une utilisation divinatoire et magique.
Citons également une forme de morpion où il s'agit d'aligner trois pions à l'intérieur d'un cadre en bois, le tric-trac ou les jeux de dés. Le Latrunculus est un autre jeu de société, proche des échecs. Il se joue sur une planche divisée en carrés, avec des pièces en cire, en bois ou en pierre appelés latrunculi - du mot Latin latrunculus qui signifie "mercenaire". Le but du jeu consiste à capturer les pièces de l'adversaire.
"J'ai honte d'entrer dans de si petits détails; mais je veux que mon élève sache jeter les dés avec adresse, et calculer l'impulsion qu'elle leur donne en les lançant sur la table; qu'elle sache tantôt amener le nombre trois, tantôt deviner à propos le côté qu'il faut adopter et qu'il faut demander. Je veux qu'elle soit habile et prudente aux échecs : un seul pion contre deux doit succomber; un roi qui combat, séparé de sa reine, s'expose à être pris, et son rival est souvent forcé de revenir sur ses pas. " (Ovide, "L'Art d'Aimer", III.)
Deux enfants disputant une partie de Latrunculi. |
On peut également citer un divertissement appelé reges, un jeu de mots qui se joue sur un plateau, avec plusieurs rangées de lettres. On en ignore les règles, mais peut-être s'agit-il de l'ancêtre du Scrabble... En parlant d'ancêtre, connaissez-vous le "Tête ou Navire" ??! Et bien, ce n'est rien d'autre que le "Pile ou Face" antique - certaines pièces représentant d'un côté la tête de Janus, et de l'autre la proue d'un bateau.
Figurine sur roulettes représentant un cheval. |
Enfant aux cerceaux. (©Prioryman via wikipedia) |
Enfant dans un charriot tiré par un mouton. |
Et les filles, dans tout ça ? Si l'on excepte les jeux de guerre, il semble bien qu'elles partagent les mêmes amusements que leurs petits camarades masculins : jeux de société, jeux de balles, cerceaux... Mais bien évidemment, le jouet féminin par excellence, c'est la poupée ! Des poupées de chiffons, de cire, de bois, d'argile, de terre cuite ou d'ivoire - toujours selon la richesse de la famille, et qui possèdent dinettes et petit mobilier (lits, berceaux, tables, etc.). Certaines de ces poupées sont habillées et ont même des membres articulés. Elles sont en outre coiffées selon la mode en vigueur à l'époque de leur fabrication, ce qui les rend faciles à dater.
Poupée romaine en ivoire, portant un collier d'or. |
Poupée en terre cuite peinte. |
Les petites romaines issues des classes aisées possèdent des poupées parfois très raffinées, au visage peint et aux yeux et lèvres teints de façon à simuler le maquillage, et parfois munies de petits bijoux. Les autres se contentent de poupées plus simples, de moindre valeur.
La fillette est très attachée à sa poupée, dont elle ne se sépare qu'au moment du mariage. La veille du grand jour, elle prend alors part à une cérémonie au cours de laquelle elle l'abandonne à la déesse Diane, signifiant par là qu'elle quitte le monde de l'enfance pour commencer sa vie de femme adulte. Lors de la mort d'une fillette (ou d'une jeune femme restée célibataire), on l'enterre avec sa poupée : on a retrouvé de nombreux jouets dans des tombes, à côté de leurs propriétaires, ainsi que des stèles montrant la petite fille offrant sa poupée préférée à une divinité (encore Diane, généralement).
La métaphore du jeu de noix citée plus haut ou l'abandon de la poupée par la fillette sur le point de se marier montrent bien à quel point les Romains associaient ces divertissements à l'enfance, période de la vie précédant l'entrée du bambin dans la vie sociale. Pour autant, les jeux ne sont pas uniquement réservés aux plus jeunes, et les adultes ne sont pas forcément en reste... Certes, ils délaissent les cerceaux et le colin-maillard, mais les jeux de balles sont fréquemment pratiqués à la palestre. Et certains Romains respectables sont toujours friands du jeu de noix (l'Empereur Auguste himself : "Pour se délasser l'esprit, tantôt il pêchait à l'hameçon, tantôt il jouait aux osselets et aux noix avec de petits enfants agréables par leur figure et par leur babil..." - Suétone, "Vie d'Auguste", LXXXIII), des osselets, des dés ou du jeu de mourre (micatio). Bien qu'illégal, le jeu n'en est pas moins une pratique fréquente, et l'on dilapide parfois des sommes faramineuses...
"Indifférent à sa réputation de joueur, il [Auguste] jouait sans déguisement et sans mystère. C'était un délassement qu'il affectionnait, même dans sa vieillesse, non seulement pendant le mois de décembre, mais encore les autres jours de l'année, qu'il y eût fête ou non. C'est ce qu'on voit par une lettre de sa main, dans laquelle il dit: "Mon cher Tibère, j'ai soupé avec les mêmes personnes. Vinicius et Silius le père sont venus augmenter le nombre des convives. Pendant le repas, nous avons joué en vieillards, hier comme aujourd'hui." (...) Dans une autre lettre il dit: "Mon cher, Tibère, nous avons bien passé les fêtes de Minerve; car nous avons joué tous les jours, et nous avons bien chauffé la table de jeu. Ton frère jetait les hauts cris ; mais, au bout du compte, il n'a pas perdu beaucoup. Contre son attente, il s'est refait de ses grandes pertes. J'en suis, moi, pour vingt mille sesterces."(Suétone, Ibid., LXXI)
Je reviendrai à l'occasion sur ces divertissements d'adultes. Mais pour aujourd'hui, puisque ce sont les fêtes de fin d'année qui m'ont inspiré cet article, je préfère me limiter aux jouets et jeux d'enfants : après tout, Noël est bien leur fête, non ?! (Et aussi celle de la naissance d'un certain Jésus Christ, me dit-on...)
Pour approfondir le sujet, je vous signale un lien, ici : "Des Jeux Et Des Hommes", une passionnante étude coordonnée par François Perdrial, sur les jeux et jouets dans l'antiquité.
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