Alors, qu'est-ce que "Le Destin De Rome" ? Un docu-fiction en deux parties, qui couvre la même période que la saison 2 de la série "Rome" de HBO, et qui retrace donc la rivalité entre Octave et Marc Antoine, depuis le mort de César jusqu'à la victoire définitive du premier sur le second, après la bataille d'Actium. Je sais, je sais : je vous dévoile le dénouement de l'intrigue, mais ce n'est pas exactement comme si je vous révélais l'identité de Kaiser Sauze dans "Usual Suspects" !! Marc Antoine et Octave : et oui, encore ! Mais l'originalité du documentaire tient à la reconstitution spectaculaire des décors d'époque et des batailles de Philippes et d'Actium, autant qu'aux langues utilisées puisque le documentaire a été tourné en Latin et en Grec. Avec la louable ambition de se rapprocher au plus près de la vérité historique.
Antoine (Pawel Delag) et Octave (Andy Gillet) |
Reprenons brièvement les évènements relatés dans la première partie, "Venger César". En 44 avant J.C., Jules César concentre tous les pouvoirs entre ses mains, et il se murmure qu'il serait sur le point de se faire proclamer Roi. Il est alors assassiné par un groupe de sénateurs hostiles, emmenés par Brutus et Cassius, républicains qui se veulent les défenseurs de la patrie. Mais les conjurés, n'ayant rien prévu pour faire suite à cet assassinat, sont complètement pris de court. Marc Antoine, le bras droit de César, et Octave, son petit-neveu et héritier, saisissent l'opportunité pour retourner la situation en leur faveur : mettant leur rivalité de côté, ils prennent le pouvoir et en appellent à la vengeance. Brutus et Cassius gagnent alors la Grèce afin de lever une armée. En 42 avant J.C., Antoine et Octave se portent à leur rencontre et les affrontent lors de la bataille de Philippes. Le choc entre Césariens et républicains est d'une rare violence : sur les 200 000 soldats engagés, 30 000 trouvent la mort. Cassius et Brutus sont tués et Marc Antoine, artisan de la victoire, voit son prestige accru. Il est désormais l'homme fort de Rome.
Cléopâtre (Laëticia Eïdo) et Antoine (Pawel Delag) |
Le second volet, "Rêves d'Empire", reprend l'action là où nous l'avions laissée. Les vainqueurs de Philippes se sont partagés le territoire dominé par Rome : à Octave l'Italie, tandis que Marc Antoine se rend en Asie. Alors que le premier assoit son autorité et gagne de l'influence en Occident, le second s'éprend de Cléopâtre, autrefois maîtresse de César et mère de son fils Césarion, et se laisse griser par les plaisirs faciles d'une vie de débauche à Alexandrie. Octave et Antoine nourrissent cependant tous deux l'ambition de devenir le seul détenteur du pouvoir, en éliminant l'autre... L'antagonisme ne fait que croître, et le rusé Octave prend le prétexte de l'alliance entre Antoine et Cléopâtre pour déclarer la guerre à la Reine d’Égypte. Les deux factions s'affrontent lors de la bataille navale d'Actium, en 31 avant J.C. : vaincus, Antoine et Cléopâtre prennent la fuite pour tenter de mettre à l'abri leur trésor de guerre et regagnent Alexandrie. Ils s'y suicident quelques mois plus tard. Débarrassé de ses ennemis, Octave devient, 4 ans plus tard, le premier Empereur de Rome sous le nom d'Auguste.
Reconstitution de la bataille d'Actium. |
Voilà pour le fond, que je reconnais avoir ici grossièrement résumé puisque c'est davantage la forme du documentaire qui m'intéresse aujourd'hui. Spectaculaires, les deux films le sont assurément : le recours à la technologie, via images de synthèse, affranchit le réalisateur de toutes les limites, en lui permettant de composer des décors grandioses, de "cloner" ses figurants, d'accumuler les navires et les légionnaires. Pour être totalement honnête, ce genre de procédé me laisse en général assez sceptique : l'aspect virtuel ressort nettement et ça ne fait pas "vrai", tout simplement. Or, j'admets que cette fois, j'ai trouvé le résultat assez bluffant et qu'à de rares exceptions près (les vues générales d'Alexandrie par exemple, ou certains décors un peu froids), on y croit vraiment. Les batailles de Philippes et d'Actium sont réellement époustouflantes, plus réalistes qu'épiques. De ce point de vue, c'est une belle réussite.
Reconstitution du forum romain. |
Qu'en est-il du parti pris audacieux d'un film tourné entièrement en Latin et en Grec ? Si j'ai fait référence à la saison 2 de "Rome", ce n'est pas totalement gratuit puisque, outre la ressemblance entre les acteurs choisis pour incarner Antoine et Octave dans les deux versions, Fabrice Hourlier, le réalisateur du "Destin De Rome" confie avoir été impressionné par la série de HBO, à un détail près : la langue. "Entendre César parler anglais, ça m'a fait bizarre", a-t-il avoué à Télérama. Dont acte : rendons à César ce qui appartient à César, et le Latin à nos braves Romains ! Pour se faire, l'équipe s'est basée sur les graffiti d'époque, écrits phonétiquement par des ouvriers ou des gens du peuple. Quant au Grec, langue des élites romaines et omniprésente en Orient, il leur a fallu se contenter du Grec moderne, la prononciation de la langue en vigueur au Ier siècle avant J.C. n'étant pas connue. Sur le papier, l'idée est séduisante. Mais dans la réalité, je ne suis pas certaine que ça apporte grand-chose au spectateur, qui se retrouvera le plus souvent à lire des sous-titres français traduisant du Latin ou du Grec au lieu d'Anglais...
Brutus (Cédric Brenner) et Cassius (Olivier Neveux) sous-titrés, puisque parlant Latin... |
Pour couronner le tout, les spécialistes se crêpent joyeusement le chignon quant à la crédibilité de ces dialogues antiquisants ! Paul-Marius Martin, professeur émérite de langue et littérature latines à l'université Montpellier-III, et qui a supervisé les traductions du documentaire, est enchanté par les recherches effectuées pour les textes en Latin, et se dit convaincu par l'exactitude des intonations ; en revanche, il est plus mesuré quant à l'emploi du Grec moderne, assez éloigné du Grec ancien selon lui. Tout au contraire, Claude Aziza, agrégé de Lettres classiques et maître de conférences honoraire de latin à l'Université Paris III Sorbonne Nouvelle, se montre plutôt indulgent vis-à-vis des textes en Grec, mais fustige les tentatives de reconstitution du Latin antique et notamment les "risibles roucoulades dans les r", qu'aucun élément ne permet d'étayer. (Revue "Histoire" 365.)
Loin de moi l'idée de jouer les arbitres dans ce débat d'érudits, pour lequel je ne suis pas compétente. Au-delà de la question légitime de la fiabilité de la reconstitution linguistique, encore faut-il voir ce que les acteurs en ont fait, et il faut bien admettre que leurs performances sont inégales : si Cléopâtre (Laëticia Eïdo) s'en tire relativement bien (quoiqu'elle ânonne un peu), d'autres déclament avec une emphase cicéronienne peu naturelle. Quant à Octave (Andy Gillet) , on a parfois l'impression qu'il manque d'assurance et qu'il s'apprête à nous réciter ses déclinaisons (rosa rosa rosam...) ! Antoine (Pawel Delag) est sans doute celui qui s'en sort le mieux, tant au niveau du jeu que de la diction.
Extrait du making of : galope, brave Cassius ! |
Pour autant, j'ai parfaitement conscience du défi relevé par ces comédiens, qui ont réussi à redonner vie à des langues mortes. A leur décharge, leur tâche n'a pas été aisée : en plus de devoir apprendre leurs dialogues en phonétique, à l'aide de baladeurs numériques sur lesquels ils étaient enregistrés, les pauvres se sont vus contraints de gesticuler sur un fond vert puisque tout, des décors à la masse des figurants, était ajouté en surimpression! Privés de repères visuels et sans texte concret auquel se raccrocher, on imagine combien ils ont dû en baver... Vu sous cet angle, ils n'ont pas démérité.
Reste que l'utilisation du Latin et du Grec a une autre vertu puisque, contre toute attente, elle a permis au projet d'atteindre une ampleur internationale. Diffusé au Japon, en Italie, aux États-Unis, en Grèce, en Belgique, au Portugal, en Chine, en Slovénie, en Australie, etc., le documentaire a partout connu un franc succès, autant critique que public. Pour ma part, en dépit des réserves exposées ici, j'ai finalement apprécié ces deux films : convaincants sur le plan historique, d'une grande qualité esthétique grâce à des reconstitutions magistrales, des acteurs kamikazes qui ne s'en tirent pas si mal que ça... Quant au choix du Latin et du Grec, et quelle que soit l'opinion éclairée des linguistes, force est de reconnaître qu'il fallait un sacré cran pour oser un tel pari ! Il en ressort un documentaire passionnant, qui a le mérite de dépoussiérer le genre et d'instruire tout en divertissant. Ce n'est pas la moindre de ses qualités, une autre étant, j'espère, d'éveiller la curiosité et d'inciter le spectateur à approfondir le sujet à travers la lecture de biographies, d'études ou même des textes antiques... Une émission à voir, ne serait-ce que par curiosité, et surtout parce qu'on passe un agréable moment. Après tout, c'est bien là l'essentiel !
© Chiloe Productions |
"LE DESTIN DE ROME" de Fabrice Hourlier et Stéphanie Houville.
"Venger César" et "Rêves d'Empire" : 2 X 52''.
Coproduction : ARTE France, Docside Production, Indigènes
Disponible en DVD chez Chiloe Productions - 33 € - lien ici.
Diffusion sur ARTE le 1er Décembre 2012 à 20h45 et le 5 Décembre 2012 à 10h30.
Sauf mention contraire, toutes les photos © Docside / Indigènes.
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