jeudi 29 mars 2012

Carte de l'Empire Romain : les provinces.

                                        Pour qui s'intéresse à l'Antiquité romaine et souhaite se plonger dans cette partie de l'Histoire, force est de reconnaître que ce n'est pas toujours simple. Une fois surmontée la difficulté afférente aux noms propres (nous en avons déjà parlé...) et celle de la généalogie, souvent complexe, des différents protagonistes, surgit un nouvel obstacle : la géographie.

                                        L'Italie, la Gaule, l'Ibérie, la Germanie... Jusque là, on s'en sort ! Mais lorsqu'on vous parle de l'Illyrie, de la Pannonie ou de la Bétique, l'affaire se corse. Évidemment, on pourrait considérer que ce n'est qu'un détail, et que la localisation de telle ou telle bataille ne change rien à son issue ; qu'on se fiche pas mal de savoir où se situe la province X, du moment qu'on connaît les évènements qui s'y sont déroulés. On pourrait... sauf qu'on ne va pas le faire ! Nous sommes d'une autre trempe, mes amis : de celle des gens curieux de tout, avides de découvertes et pour qui ces détails, justement, permettent de mieux appréhender l'Histoire. Et puis franchement, pouvoir situer le royaume du Pont sur une carte, c'est la classe ou pas ?!

                                        Certes, la république puis l'Empire romain ont considérablement évolué au cours des siècles : d'un minuscule confetti du temps de Romulus, il a fini par recouvrir une superficie considérable, phagocytant au passage divers territoires, royaumes et régions. Par conséquent, il est impossible de fournir une carte qui serait valable de la naissance de Rome à sa chute. Mais j'aime les défis ! Je me suis donc efforcée de réaliser une carte qui indiquerait les principales provinces qui, si elles n'ont pas toujours été intégrées à l'Empire, n'ont pas pour autant déménagé au fil du temps... Ainsi, ce que je vous propose n'est pas une photographie de l'Empire à l'instant T, mais plutôt une extrapolation sensée vous indiquer les régions les plus souvent citées. Pour cela, j'ai utilisé le fond de carte proposé par http://blogs.dalton.org/rome. Un site chaudement recommandé : il regorge de documents pédagogiques, liens, etc... aussi utiles que passionnants.

                                        Mais assez parlé ! Partons plutôt pour un petit tour des provinces romaines...



samedi 24 mars 2012

Les Gracques : Caius, le cadet.

Suite et fin de la saga des frères Gracchus. Nous en étions restés hier à la mort de ce pauvre Tiberius : voyons si Caius va mieux se débrouiller...


CAIUS.

                                        Caius, le petit frère, est né en 154 avant J.C. D'abord questeur en Sardaigne, il suit la même trajectoire que Tiberius et est élu tribun de la plèbe en 124 avant J.C. S'il partage les mêmes idées et le même programme que son aîné, il se révèle bien plus organisé : brillant orateur, il sait maîtriser ses nerfs et se montre fin politique. Il a bien compris que la concentration des richesses entre les mains de l'aristocratie sénatoriale, au détriment du plus grand nombre, menaçait l'ensemble de la société romaine. Il pense également que la citoyenneté latine doit être accordée à l'ensemble des alliés de Rome.

                                        Caius parvient à faire voter toute une série de lois : des réformes foncières reprenant les idées de son frère, des réformes agricoles visant à réguler l'approvisionnement et la distribution de blé et d'en fixer le prix, des réformes judiciaires enfin, interdisant désormais les exécutions sommaires et empêchant les Sénateurs de juger leurs pairs dans des affaires d'abus de biens sociaux. Il décrète également la fondation de nouvelles colonies italiennes, dans le but de relancer l'industrie. Par ailleurs, Caius s'appuie largement sur les chevaliers, auxquels il accorde la parité avec les Sénateurs au sein des jurys et la perception de l'impôt en Asie. Ces décisions en faveur de l'ordre équestre lui offrent un soutien de poids ; en contrepartie, elles lui aliènent encore davantage les Sénateurs, furieux d'être privés de leurs prérogatives. Il n'a pourtant pas lésiné, ce brave Caius, puisqu'il leur a permis d'acquérir dans le Latium des terres qu'ils convoitaient...


Tiberius et Caius Graccus - bronze d'Eugène Guillaume (musée d'Orsay.)

                                        En 122 avant J.C., Caius Gracchus réussit là où Tiberius avait échoué : une nouvelle loi ayant été adoptée, il peut - par un tour de passe-passe politique - obtenir un second mandat de tribun avant l'achèvement du premier. Dans la foulée, il tente de faire passer une nouvelle série de réformes, afin de créer de nouvelles colonies en Afrique du Nord (notamment à Carthage), et d'accorder le droit de cité romaine à tous les Latins et la citoyenneté latine aux alliés. Le second tribun de la plèbe, Marcus Livius Drusus, oppose son véto (refrain connu !)... et lance à son tour une série de propositions qui vont encore plus loin que celles de Caius ! Ces lois sont adoptées - mais elles ne seront jamais appliquées, car elles avaient pour seul but de contrer celles de son collègue.

                                        Décidément, Caius Gracchus n'est pas en veine ! Comme nous l'avons mentionné, il a fait construire une colonie à Carthage. Or, des rumeurs prétendent que celle-ci empiète sur l'ancien site de la ville, décrété "maudit" (et donc inconstructible) par Rome depuis la fin des guerres puniques. La popularité du cadet des Gracques est en chute libre, et il échoue lorsqu'il brigue un troisième mandat. Parallèlement, son opposant le plus acharné, Lucius Opimius, est élu lors des élections consulaires : il révoque immédiatement toutes les lois votées à l'instigation de Caius et le Sénat décrète le démantèlement de la colonie de Carthage.

                                         A partir de là, l'histoire se répète : Caius tente de soulever ses partisans contre ces décisions, et il les rassemble sur le Capitole. Une mêlée éclate, au cours de laquelle un proche d'Opimius est tué. Ni une, ni deux : le Sénat en profite pour promulguer le premier senatus consultum ultimum de l'histoire, par lequel il autorise l'élimination de Caius par n'importe quel moyen. Pas besoin de lire entre les lignes pour comprendre que ses jours sont comptés... Les émeutes, dès lors, se multiplient : des centaines de partisans de Caius sont massacrés, et lui-même prend la fuite avec un de ses esclaves. S'est-il suicidé ? A-t-il été trahi par son esclave, rattrapé et tué par ses ennemis ? Les récits divergent. Toujours est-il qu'il est retrouvé mort en 121 avant J.C.


APRES LES GRACQUES.

                                        Débarrassés de ces empêcheurs de légiférer en rond, les Sénateurs ont les mains libres. Pourtant, ils préfèrent ménager le peuple, dont ils craignent la colère, et décident ne ne pas toucher à la plupart des réformes engagées par les Gracques.

                                        D'un point de vue politique, la chute des Gracques marque un véritable tournant : le peuple, désormais, n'aura plus guère la possibilité de peser sur le Sénat par le biais des tribuns de la plèbe. A la suite des Gracques, les hommes politiques romains se diviseront en deux "partis" : les optimates ("les meilleurs") d'un côté, où l'on retrouve des aristocrates à tendance conservatrice qui se targuent d'une supériorité due à leur naissance, et les populares ("partisans du peuple") de l'autre, qui portent les revendications de la plèbe pour la protéger face aux optimates. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, la distinction est nettement plus floue, et il n'y a pas forcément de rapport entre l'origine sociale d'un homme politique et son appartenance idéologique à un camp. Ainsi, Jules César, issu de l'aristocratie, est le fer de lance des populares, tandis que Caton le Jeune, bien que plébéien, prend la tête des optimates. De plus, de nombreux hommes d'état s'appuieront sur les populares pour accéder au pouvoir, et le mouvement sombrera dans la démagogie, avec des hommes tels que Marius ou Catilina...

                                        Notons enfin, pour l'anecdote, que le nom des Gracques a été repris par une association, un groupe de "réflexion et de pression", engagé à gauche et souhaitant participer à la "modernisation intellectuelle de la gauche en France". A l'origine, un groupe d'anciens hauts fonctionnaires socialistes avait signé de ce nom un appel à une alliance PS-UDF, lors de la campagne présidentielle de 2007. Le choix du pseudonyme montre au moins à quel point le nom des Gracques demeure associé à la notion de réforme, et à un idéal de justice et de valeurs proches d'une idéologie de gauche...

vendredi 23 mars 2012

Les Gracques : Tiberius, le grand frère.

                                        Dans un billet consacré au film "Gladiator", j'évoquais le personnage du Sénateur Gracchus (interprété par Derek Jacobi) en expliquant que, bien que n'ayant pas réellement existé, on pouvait voir en lui une allusion aux Gracques. J'avais promis de vous en reparler : c'est donc ce que je vais faire aujourd'hui - en commençant par l'aîné, Tiberius.

                                        Les Gracques, comme les Grimm, les Bogdanov et les Gallagher (cherchez l'erreur) sont deux frères : Tiberius et Caius. D'ascendance illustre, ils ont pour parents le consul Tiberius Sempronius Gracchus qui s'est illustré en tant que commandant en Espagne, et Cornelia, fille du héros de la deuxième guerre punique Scipion l'Africain. Avec une telle naissance, le doute n'était pas permis : ils étaient appelés à exercer les plus hautes fonctions. Et pourtant, toute leur action politique aura pour but de réformer le système qui a permis à leur famille d'atteindre une telle position.


TIBERIUS.

                                        Né en 163 avant J.C., Tiberius a épousé Claudia Pulcheria, fille d'un ancien consul et ancien censeur. Élu questeur en 137 avant J.C., il a été envoyé en Espagne. Sur place, il ne se fait pas que des amis : l'armée romaine est en déroute face aux Numantins, et Tiberius parvient, grâce aux bonnes relations que ce peuple a entretenu avec son père, à négocier la paix. Mais le Sénat juge le traité indigne et le rejette : la carrière militaire de Tiberius est étouffée dans l’œuf, et ses rapports avec le Sénat se tendent...
                                        En Espagne, Tiberius n'a pas manqué de remarquer la faiblesse et la démotivation des légionnaires, ni d'observer la manière dont les terres cultivables étaient vidées de leurs paysans et ouvriers agricoles au profit de riches propriétaires qui y employaient leurs esclaves. Ces mêmes riches exploitants, par leur cruauté, provoquent en 135 avant J.C. une immense révolte servile en Sicile : plus de 70 000 esclaves se soulèvent, mettant l'île à feu et à sang pendant 3 ans, avant d'être écrasés avec violence. Un avant-goût de Spartacus, en somme ! 
                                        Des terres trop vastes, concentrées entre trop peu de mains ; un recours massif à la main d’œuvre servile, qui met en péril la sécurité de la République ; des paysans italiens, base de l'armée, sans ressource et donc fragilisés : sans doute Tiberius a-t-il compris que tous ces dangers menaçaient gravement l’État. Il a sans doute aussi entrevu les problèmes que posait la domination d'une poignée d'aristocrates face à une plèbe toujours plus nombreuse et toujours aussi pauvre : une sorte de révolution française avant l'heure, en quelque sorte, si l'on veut risquer l'anachronisme.


Tiberius Gracchus. (British Museum) - photo empruntée à http://philo-lettres.pagesperso-orange.fr/



                                        En 133 avant J.C., Tiberius Gracchus est élu Tribun de la Plèbe. Sa première action est de proposer une loi agraire, la rogatio sempronia : elle projette de diviser les terres agricoles en plus petites parcelles et de les redistribuer pour confier leur exploitation à des paysans libres, plutôt qu'à des esclaves. En échange, elle prévoit l'indemnisation des grands propriétaires terriens. Seulement, voilà : les Sénateurs ne voient pas ça d'un très bon œil ! Et pour cause : ils profitent largement de ces terres, les utilisent pour monnayer leur influence. On s'en doute : ils s'opposent à Tiberius, en achetant son collègue au tribunat de la plèbe, Octavius, afin que celui-ci oppose son véto. S'en suit alors une guerre des tranchées, chaque parti campant sur ses positions et bloquant tous les textes législatifs soumis par l'adversaire. Finalement, Tiberius exige qu'Octavius renonce à son véto, sans quoi il en appellera au peuple pour demander sa destitution. Octavius refuse : il est forcé de quitter ses fonctions, et la loi est promulguée dans un climat délétère, entaché de soupçons quant à la légitimité de la destitution d'Octavius.
                                        En 132 avant J.C., Tiberius Gracchus brigue un second tribunat - dans l'illégalité la plus totale, puisque la loi interdit d'occuper deux fois de suite le même mandat. Mais ce titre s'accompagne de l'inviolabilité, et il juge sans doute qu'il sera ainsi mieux à même de pérenniser sa réforme. Évidemment, on lui oppose un refus et cette transgression flagrante lui coûte une bonne partie de ses soutiens. En 133 avant J.C., une rixe éclate alors que Tiberius a rassemblé ses soutiens pour une démonstration de force : le malheureux est égorgé (ou tabassé à coups de banc, selon les versions), son cadavre est jeté au Tibre, et 300 de ses partisans sont massacrés par des sénateurs déchaînés. Exit Tiberius Gracchus ! Quant à ses derniers appuis, ils sont victimes d'une véritable purge, organisée par le Sénat.
                                        Néanmoins, des voix s'élèvent pour tenter de poursuivre l'action du premier des Gracques. Parmi elles, celle de son beau-frère et cousin, Scipion Emilien, héros de la troisième guerre punique - mais il meurt avant d'atteindre son but - et celle de Marcus Fulvius Flaccus, ancien consul. Mais c'est son frère, Caius, qui reprendra véritablement le flambeau quelques années plus tard...

mardi 20 mars 2012

Tempus Fugit - Le Temps Chez Les Romains.

                                        Dans mon dernier billet, j'évoquais la mort de Jules César et j'en mentionnais évidemment la date - le 15 mars 44 avant J.C., les fameuses "ides de Mars". Mais peut-être vous demandez-vous ce que sont exactement les "Ides" ? Et, plus globalement, comment les Romains notaient les dates et comment s'organisait leur calendrier ? C'est une excellente question - que je vous remercie de ne pas m'avoir posée - et à laquelle je vais tenter de répondre. Je dis "tenter", parce que c'est pas gagné !

                                        Déjà, il faut savoir qu'il y a eu plusieurs calendriers en vigueur avant la réforme définitive, que l'on doit à Jules César en 45 avant J.C. : citons le calendrier Romuléen, le calendrier Pompilien et le calendrier républicain. Mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'entrer dans les détails : c'est déjà suffisamment complexe pour qu'on évite d'en rajouter, et ça n'apporterait de toute façon pas grand-chose. Cependant, pour plus de renseignements, n'hésitez pas à me contacter.

I) L'ANNEE.
Elle était désignée soit par le nom des consuls (y compris sous l'Empire) - M. Tullius Cicero coss. (pour consulibus), soit par rapport à la fondation de Rome (fixée en 753 avant J.C.) - DCCCXVIII (818) U.C. ou p. U. C. (Urbis Conditae ou post Urbem conditam - avant ou après la fondation de la ville.)

II) LE MOIS.
Les noms des douze mois sont les suivants : 
Januarius - mois de Janus
Februarius - dérivé d'un mot sabin signifiant purification
Mars - en l'honneur, bien sûr, du Dieu de la Guerre. C'était le premier mois de l'année
Aprilius - origine inconnue
Maius - éponyme du Dieu de la croissance
Junius  - en l'honneur de Junon
Quinctilis - 5ème mois de l'année, devenu ensuite Julius - en l'honneur de César
Sextilis - 6ème mois, changé plus tard en Augustus - en l'honneur d'Auguste
September -7ème mois
October  - 8ème mois
November - 9ème mois
December - 10ème mois - on rappelle que l'année débutait en Mars.

                                        Et c'est là que ça se complique... Dans les premiers calendriers, les mois suivaient le cours de la lune : l'année comptait 355 jours et on ajoutait tous les deux ans un mois intercalaire. Sauf que, pendant les guerres civiles, les pontifes ayant d'autres chats à fouetter, ils ont négligé "d'intercaler" ! Résultat, c'était la panique : les fêtes célébrant les moissons tombaient au moment des semailles, et on fêtait l'été en Novembre. (Je caricature à peine...) Heureusement, ce brave Jules César allait remettre de l'ordre dans tout ça : en 45 avant J.C., il consulte à droite et à gauche, et nous pond le calendrier Julien encore utilisé aujourd'hui (hormis quelques modifications au XVIème siècle) : 365 jours par an, avec un jour supplémentaire tous les quatre ans, et des mois de 30 ou 31 jours. Bonsoir, merci : de rien, messieurs dames !
                                        Les mois eux-mêmes sont partagés en trois parties inégales, délimitées par les Calendes (le 1er du mois), les Nones (8 jours avant les Ides. Mais comme on incluait les jours des Nones et des Ides, ça faisait 9 jours - d'où le nom Nones) et les Ides (coïncidant en théorie avec la pleine lune - en pratique, la 13 ou le 15 selon le mois.)
                                        On nommait les jours en partant des Calendes, Nones ou Ides à venir - en incluant ce jour dans le décompte. Par exemple : 4ème jour avant les Nones de Mai (donc, trois jours pour nous...) - a.d. IV Nonas Maias.

J'aurais peut-être dû prévenir que ce billet risquait de provoquer des commotions cérébrales...

III) LES JOURS.

Gardez l'aspirine à portée de main : les complications ne sont pas finies !

                                        Les jours étaient divisés en plusieurs catégories. Pour commencer, il y avait des jours fastes et des jours néfastes (de fas, droit religieux) : les jours fastes, il était permis de rendre la justice - au contraire, c'était interdit les jours néfastes. Certains jours néfastes étaient, en plus, considérés comme funestes - commémoration de défaites, de catastrophes, fête des morts, dernier jour du mois. Parmi les jours fastes, on distinguait les jours ouvrables (profesti), fériés (festi), fériés le matin et le soir mais ouvrables la journée (intercisi), fériés uniquement le matin (fissi). Pauvres Romains, ai-je envie de dire !
Les jours fériés, le travail était interdit - aux hommes comme aux bêtes. Les jours ouvrables, quant à eux, pouvaient être comitiales (comices et administration de la justice autorisés) ou fasti (seule l'administration de la justice pouvait avoir lieu.)

IV) LA SEMAINE.

                                        Le mot semaine vient  de septem et mane, sept matins. Ce sont les Babyloniens qui, les premiers, ont effectué ce regroupement de 7 jours : ils avaient remarqué 7 astres qui se déplaçaient au fil des nuits, et avaient attribué à chacun le nom d'un Dieu. L'innovation se transmit aux Grecs, qui remplacèrent les noms des Dieux babyloniens par les leurs, et les Romains firent de même au Ier siècle avant J.C. Les jours rebaptisés une nouvelle fois étaient les suivants :
Lunae dies - jour de la lune (Lundi)
Martis dies - jour de Mars (Mardi)
Mercoris dies - jour de Mercure (Mercredi)
Jovis dies - jour de Jupiter (Jeudi)
Veneris dies - jour de Vénus (Vendredi)
Saturni dies - jour de saturne (Samedi - qu'on retrouve dans Saturday en Anglais)
Solis dies - jour du soleil (Dimanche - Sunday en Anglais)

V) LES FETES.

                                        Là encore, il en existait de deux sortes : fixes (statae, annoncées par les pontifes) ou mobiles (indictae, dont la date est décidée par un magistrat.) Je consacrerai un autre article aux principales fêtes célébrées à Rome.

Voilà pour les dates ! Vous êtes d'attaque, on continue avec les divisions de la journée ?!

VI) LES HEURES.

Et bien les Romains employaient deux systèmes similaires pour les heures du jour et de la nuit.

                                        Le jour était partagé en 12 "heures", du lever au coucher du soleil : la durée de ces périodes variait donc d'une saison à l'autre. Le seul point fixe était midi, où commençait invariablement la septième heure. Dans la pratique, on distinguait mane (jusqu'à 8 heures du matin), ad meridiem (jusqu'à midi), de meridie (jusqu'à 16 heures) et suprema (jusqu'au coucher du soleil).
                                        La nuit, c'était à peu près la même chose : on divisait le temps en 4 veilles, du coucher au lever du soleil (rebelote pour la variation de durée selon la saison), avec un point fixe à minuit, début de la troisième veille.

                                        Ajoutons, enfin, que les Romains utilisaient comme instruments de mesure les clepsydres et les cadrans solaires (qu'ils avaient piqués aux Grecs) - que l'on retrouve dans tout l'Empire (Italie, Espagne, Afrique, Germanie, Dacie etc.), aussi bien dans les lieux publics que dans les maisons particulières.

                                        A ce sujet, terminons sur une note plus légère, avec une anecdote assez croquignolesque, empruntée à Pline l'Ancien :

Le premier cadran solaire de Rome avait été ramené de Catane après la première guerre punique par le consul M. Valerius Messala (263 av. J.-C.). Or, l'objet avait été construit pour une latitude de 4 degrés et demi, qui ne correspondait pas à celle de Rome, ce qui entraînait un décalage d'environ 30 minutes. Et bien, nos amis Romains l'utilisèrent quand même pendant près d'un siècle !

"Le premier qui donna aux Romains un cadran solaire, onze ans avant la guerre de Pyrrhos, fut L. Papirius Cursor, qui l'établit auprès du temple de Quirinus, dont son père avait fait le voeu, et dont lui fit la dédicace (an de Rome : 461) c'est du moins ce que rapporte Fabius Vestalis; mais il n'indique ni la manière dont ce cadran était disposé, ni le nom de l'artiste, ni d'où le cadran avait été apporté, ni dans quel auteur il avait lu ce fait. M. Varron rapporte que le premier cadran établi en public le fut auprès des Rostres, sur une colonne, lors de la première guerre punique, par M. Valérius Messala, consul, après la prise de Catane en Sicile.

Il fut donc apporté de là 30 ans après la date assignée au cadran de Papirius, l'an de Rome 491. Remarquez que les lignes qui y étaient tracées ne concordaient pas avec les heures. Cependant on s'en servit quatre-vingt dix-neuf ans, jusqu'à ce que L. Martius Philippus, qui fut censeur avec L. Paulus, en fit poser près de l'autre un mieux approprié; et parmi les actes de sa censure ce fut un des mieux reçus.

Néanmoins, quand le temps était couvert, les heures étaient Incertaines, et il en fut ainsi jusqu'au lustre suivant. Alors Scipion Nasica, collègue de Laenas, marqua le premier, à l'aide d'une clepsydre à eau, les heures tant le jour que la nuit ; il la plaça dans un lieu couvert, et en fit la dédicace l'an de Rome 595."

(Pline l'Ancien, Histoires Naturelles, Livre VII - LX.)

Personnellement, c'est une histoire qui m'a toujours beaucoup amusée ! Et Dieu sait qu'il est bon de rire après s'être bien cassé la tête sur la mesure du temps par les Romains !
Et encore : j'ai simplifié. Si, si...

jeudi 15 mars 2012

Cesar et Vercingetorix dans Le Figaro.

                                        15 Mars 44 avant J.C. : une date que connaissent forcément les passionnés d'Antiquité Romaine, puisqu'il s'agit de la date de l'assassinat de Jules César - les fameuses ides de Mars. On est d'accord, c'était pas hier ! Mais je profite de cette date anniversaire pour rédiger un court billet, afin de vous parler du nouveau tome de la collection lancée par le Figaro : "Ils Ont Fait La France". Sont déjà parus les ouvrages consacrés à Jeanne d'Arc, Saint Louis, Charlemagne et Richelieu (entre autres) et le douzième tome, sorti la semaine dernière, est justement dédié à Jules César et Vercingétorix. Vous vous en doutez : je me suis jetée dessus...
                                        Signalons d'abord que la collection est dirigée par Max Gallo, lui-même auteur d'une série d'ouvrages, "Les Romains", et d'un livre retraçant le parcours de Jules César ("Cesar Imperator" disponible chez Pocket.) : c'est dire s'il connaît le sujet ! Pour ce tome, il a débauché Pierre Cosme, grand spécialiste de la Rome Antique, à qui l'on doit notamment une remarquable biographie d'Auguste. ("Auguste" disponible chez Perrin).
                                        "César et Vercingétorix" présente donc, en quelques 370 pages, les destins croisés des deux hommes qui se sont affrontés en 52 avant J.C., lors de la Guerre des Gaules. (J'étais à Gergovie, moi, Monsieur !) Après une courte introduction de Max Gallo, c'est au tour de Pierre Cosme de prendre la plume pour une biographie, ramassée mais très complète, de l'Imperator. Richement illustrée, cette partie de l'ouvrage rafraîchira la mémoire de ceux qui se sont déjà intéressés à la vie de César, et les autres y apprendront l'essentiel. Comme toujours avec Pierre Cosme, le propos est riche, fouillé, mais reste accessible et toujours passionnant : cette homme-là a le chic pour rendre compréhensible les points législatifs, les nuances ou les stratégies militaires les plus complexes, avec une érudition dénuée de toute pédanterie, qui vous fait vous sentir nettement plus intelligent !


Jules César.

                                        Viennent ensuite les "Commentaires de La Guerre des Gaules" de Jules himself, sa biographie par Suétone ("Vies des douze Césars") puis Plutarque ("Les Vies Parallèles"), des extraits de Dion Cassius, Jules Michelet ou encore Gustave Bloch : autant de textes de diverses époques et origines qui reviennent sur les parcours du général romain et de son adversaire gaulois. S'y ajoutent encore d'autres textes, une chronologie et quelques citations et opinions de diverses personnalités (de Cicéron à Montesquieu en passant par Napoléon III) sur nos deux héros. Le choix, original, est par ailleurs enrichissant en ce qu'il permet de revenir aux sources et de confronter les points de vue. A ce titre, les pages rédigées par Cosme introduisent superbement l'ensemble.
                                        Il est amusant de constater que, d'une certaine manière, le propos de ce nouveau tome de la collection du Figaro répond au magazine Historia que je vous présentais récemment : au-delà de la sacro-sainte image de nos ancêtres gaulois, symbolisés par Vercingétorix, notre pays s'est aussi construit grâce aux apports des Romains. Ainsi, Vercingétorix et César apparaissent tous deux comme des symboles. Ennemis dans l'Histoire, ils sont les représentants de deux peuples qui ont façonné notre identité : le "Gallo" de Vercingétorix se liant au "Romain" de Jules César.
                                        Traçant une ligne directe entre les deux hommes et les futurs rois des Francs, "César et Vercingétorix" remet en perspective leur affrontement et, au-delà, l'apport culturel qui découla de l'issue de la guerre qui les opposa.
                                        Un ouvrage complet, recommandé à tous : les fanas comme moi se régaleront, et les novices se cultiveront avec plaisir. Une belle manière de célébrer la mémoire de ce bon vieux Jules !


"César et Vercingétorix - naissance d'une civilisation." - Collection "Ils Ont Fait La France" - Le Figaro - 9.90 euros en kiosque.

http://boutique.lefigaro.fr/article-12-cesar-et-vercingetorix-0-18-923.html 

mardi 13 mars 2012

La Maison Carrée.

                                        Si vous avez lu mon profil, à gauche sur cette page, vous avez appris que j'habitais dans la ville d'origine de la familled'Antonin Le Pieux. Et, dans ce cas, peut-être avez-vous eu la curiosité de chercher quel était le lieu en question... Pour les autres (ceux qui n'ont pas daigné s'intéresser à ma modeste personne, ou les feignasses qui n'ont pas googlé ce brave Antonin), je lève le suspens : il s'agit de Nîmes, célèbre pour ses férias, sa brandade et ses monuments romains (cherchez l'intrus). Et parmi eux se détachent clairement, en terme de notoriété, les arènes et la maison carrée. C'est de cette dernière que je vais vous parler aujourd'hui.

La Maison Carrée.



                                        La maison carrée, donc. Bon bin, d'abord, elle n'est pas carrée ! Simplement, autrefois, le terme "carré" désignait toute figure géométrique à quatre angles droits. En fait, c'est un rectangle dont les dimensions sont approximativement de 26 mètres de longueur sur 15 mètres de largeur et 17 mètres de hauteur, construit en calcaire extrait du bois de Lens (rien à voir avec la ville, on parle d'un lieu près de Nîmes). Il s'agit d'un temple romain hexastyle (doté en façade d'un portique de 6 colonnes), bâti au Ier siècle, entre 2 et 5 après J.C., sur le modèle des temples d'Apollon et de Mars Vengeur à Rome. Son architecture est représentative des canons classiques des temples antiques : colonnes corinthiennes, corniches ouvragées, frises richement décorées... 


Détails d'une colonne.

                                        Il avait été dédié par Auguste à ses petits-fils (devenus ensuite ses fils adoptifs), Lucius et Gaius. Seuls héritiers du Prince, ils auraient dû lui succéder, mais sont morts tous les deux à quelques années d'intervalle : le premier en 2, à l'âge de 19 ans et le second en 4, à 24 ans. Sur le frontispice apparaissait une dédicace, déchiffrée par le nîmois Jean-François Séguier en 1758 :  "G. CAESARI AVGVSTI F. COS. L. CAESARI AVGVSTI F. COS. DESIGNATIO PRINCIPIBVS IVVENTVTIS" (À Caius et Lucius fils d'Auguste, consuls désignés, princes de la jeunesse.)


Reconstitution de la dédicace du temple.

                                        Classée monument historique en 1840, la maison carrée est l'un des rares temples antiques parfaitement conservés, avec le Panthéon à Rome et le Temple d'Auguste et de Livie à Vienne (en France, pas en Autriche !) - malgré quelques aménagements plus récents comme le plafond de l'entrée (le pronaos) qui date du XIXe siècle, ou la porte actuelle, réalisée en 1824. Bâtie à l'extrémité Sud du forum, qu'elle dominait depuis une plateforme surélevée, la maison carrée était entourée de portiques dont on peut encore voir les vestiges. Elle faisait face à un autre bâtiment (sans doute la Curie) et l'ensemble constituait le cœur politique, social et économique de la cité antique.  

                                        Une dernière précision : les Romains n'avaient pas la même définition du "temple" que nous. Pour commencer, le mot "templum" désignait non seulement le bâtiment, mais aussi l'enceinte sacrée. (Pour l'édifice religieux, on utilisait le mot fanum ou aedes.) Et surtout, seuls les religieux avaient accès au pronaos et à la cella (salle cultuelle qui abritait la statue de la divinité) où ils officiaient, tandis que la foule des fidèles se massait à l'extérieur. Mais nous aurons l'occasion de revenir sur les pratiques cultuelles...

                                       Au fil du temps maison consulaire, couvent, dépôt d'archives, écurie, église, mairie, préfecture, etc., on peut dire que la maison carrée a connu plusieurs vies ! Aujourd'hui, on peut y voir un film en 3D, intitulé « Héros de Nîmes », qui permet de revivre les grandes heures de a ville sous l’Empire Romain ou au Moyen Âge, de suivre les pas des Camisards ou encore de plonger dans une féria actuelle. Un site incontournable si vous venez dans la région !



vendredi 9 mars 2012

Gladiator et l'Histoire.

                                        Dans un récent article, je vous ai parlé des Empereurs romains les plus fous qui aient régné sur Rome. Parmi eux, Commode était en bonne place et, pour le situer, j'avais cité le film "Gladiator" de Ridley Scott, dans lequel il est interprété par l'excellent Joaquin Phoenix. Ce qui m'a donné envie de revoir le film... et de rédiger un billet sur le sujet. Pas tant pour parler du film en lui-même que pour examiner sa véracité historique.
                                        Je ne m'attacherai pas ici aux menus détails (le tatouage de Maximus, le décor rococo du palais impérial, la présence de bergers allemands en guise de chiens de guerre...), ni même aux incongruités que l'on retrouve dans presque tous les péplums. La scène d'ouverture (celle de la bataille) présente de nombreuses erreurs, tout comme les séquences de combats de gladiateurs alignent les (fausses) images d'Epinal. Citons simplement le pouce baissé de Commode (levé ou baissé, le geste n'a jamais été attesté et relève d'une invention moderne), ou encore les costumes - ah, le casque de Maximus lors de son premier combat à Rome, façon Transformers ! Pour plus de détails, vous pouvez vous reporter à l'excellent site http://peplums.info (et notamment http://peplums.info/pep53c.htm#7b) pour tout ce qui à trait à la bataille contre les Germains) Mais ces maladresses n'ont pas d'impact sur le scénario. Non : ce que j'ai voulu mettre en lumière, ce sont les inexactitudes et les raccourcis rencontrés dans l'histoire elle-même. Assumés par les scénaristes et Ridley Scott lui-même, il m'a néanmoins semblé intéressant de rétablir la vérité quant aux principaux protagonistes.





                                       Pour ceux d'entre vous qui n'ont pas vu le film, un bref résumé :
Maximus (Russell Crowe), puissant général romain, est un bon gars : loyal, courageux, désintéressé... Vous voyez le tableau. Au point que le vieil empereur Marc-Aurèle (Richard Harris), qui lui est attaché
et le tient en haute estime, décide de lui léguer l'empire au détriment de son bon à rien de fils, Commode (Joaquin Phoenix). A charge pour Maximus de rétablir le pouvoir du Sénat. Mais Commode, qui porte
mal son nom, ne l'entend pas de cette oreille : furieux lorsqu'il apprend les dispositions prises par son père, il l'étrangle, se fait proclamer empereur, et ordonne l'exécution de Maximus, et celle de sa femme et de son fils (tant qu'il y est). Maximus, qui n'est pas un manche, parvient à s'échapper mais, capturé par un marchand d'esclaves, il est acheté par un laniste en Afrique du Nord et devient gladiateur. Comme il massacre systématiquement tous ses adversaires, il acquiert vite une jolie réputation. Or, à Rome, Commode a décidé d'organiser des jeux pour célébrer la mémoire de son père (le sale hypocrite !). C'est ainsi que Maximus se retrouve dans le Colisée. On imagine le psychodrame lorsque Commode le reconnaît... Maximus, quant à lui, est bien décidé à se venger. Pour se faire, il peut compter sur Lucilla (Connie Nielsen), son ancienne maîtresse et accessoirement sœur de Commode (elle a bien compris que son frère était dingue) et sur l'appui du Sénateur Gracchus (Derek Jacobi), partisan du retour à la république. Mais le complot est éventé. Pour se débarrasser de Maximus, Commode - qui se prend lui-même pour un gladiateur et ne dédaigne pas tâter du glaive- organise un combat en face-à-face dans l'arène. Mais truqué, le combat : Maximus, préalablement blessé, titube, chancelle, et n'en mène pas large. Pourtant, il parvient à avoir le dessus : il tue Commode, avant de s'effondrer et d'y rester à son tour.   


                                        Honneur à l'Empereur : commençons donc par Marc Aurèle. Le portrait est assez convaincant. Au moins autant connu pour ses "Pensées pour moi-même" et presque considéré comme un philosophe stoïcien, il a régné de 161 à 180 et s'est illustré tant pour les réformes accomplies (notamment législatives) que par des campagnes militaires contre les Parthes, les Chattes et une flopée de peuples Germains. Cependant, il est décédé à Vienne, non pas alors que la paix était rétablie dans l'Empire, mais à la veille d'une nouvelle campagne. De plus, je n'ai sûrement pas été la seule à tiquer lorsque Maximus s'adresse à lui en l'appelant "Sire" (ou "my lord" en version originale)... Quant à sa mort, si certains auteurs antiques ont insinué qu'il avait été assassiné par son fils Commode, personne n'y croit et on estime qu'il est certainement mort de la peste. Notons d'ailleurs que, lorsqu'il était à l'agonie, Marc Aurèle aurait réclamé la présence de son fils, et de lui seul. On est donc loin du rejet que manifeste l'Empereur dans "Gladiator"...

                                        Vient ensuite le héros à proprement parler, Maximus. Ce personnage - de son nom complet Maximus Decimus Meridius (ce qui, déjà, ne tient pas la route : la nomenclature correcte aurait été Decimus Meridius Maximus) -  n'a pas existé. Enfin, pas exactement... Il semble que notre héros soit un amalgame de plusieurs personnages historiques, parmi lesquels Avidius Cassius (général de Marc-Aurèle en Parthie, qui revendiqua le titre d'Empereur), Tarruntenus Paternus (qui combattit sur le Danube et remporta la dernière victoire de Marc Aurèle) et l'historien Marius Maximus (confident de Marc Aurèle, cité justement
dans les "Pensées" dont nous parlions ci-dessus). Cependant, il est à noter que Maximus est représentatif de la façon dont Marc Aurèle, se fiant au mérite plus qu'à la naissance, n'a cessé de promouvoir des
hommes n'appartenant pas à l'élite. De plus Maximus, surnommé l'espagnol, partage donc des origines communes avec les Empereurs Hadrien, Trajan et Marc Aurèle himself, tous originaires d'Ibérie. Par contre, mieux vaut ne rien dire quant à l'hypothèse selon laquelle un général romain pourrait se retrouver réduit en esclavage dans l'Empire... 

                                        Troisième personnage marquant du film, Commode, le fils de Marc Aurèle. Je ne m'étendrai guère sur le bonhomme, puisque je l'ai déjà fait récemment. Soulignons simplement que son règne a duré de 180 à 192. Or, si le film ne mentionne aucune date, il donne l'impression très nette que la période embrassée n'excède pas deux ou trois ans... Physiquement, Joaquin Phoenix n'est pas très crédible, puisque Commode avait 18 ans à la mort de son père, et qu'il est décrit comme un colosse aux boucles blondes. Cependant, ce fana de combats de gladiateurs descendait effectivement dans l'arène pour des affrontements truqués contre des adversaires affaiblis, auxquels on fournissait des armes émoussées. Il tenait le rôle du secutor et une inscription lui attribue même la bagatelle de 620 victoires ! Gladiateur, donc, mais pas que : déguisé en Hercule, il se produisit un jour dans l'arène pour massacrer à coup de massue des estropiés et des vieillards. Il participait également à des venatio (reconstitutions de chasses) et décapita un jour plusieurs autruches - exhibant leurs têtes coupées sous le nez de sénateurs qu'on imagine médusés ! Quant à sa mort, je l'ai déjà relatée précédemment : il n'est pas tombé en jouant les Spartacus. De nombreux complots avaient été déjoués sur la fin de son règne, entraînant toute une série de purges. Finalement, son préfet du prétoire et sa concubine tentèrent de l'empoisonner, mais Commode régurgita le poison ; il fut étranglé dans son bain par Narcisse, l'esclave qui l'entraînait au maniement des armes.

                                        En ce qui concerne sa sœur Lucilla, présentée comme l'ancienne amante de Maximus, il n'y a pas grand-chose d'exact. La véritable Galeria Lucilla vécut de 149 à 182. Elle avait été mariée à Lucius Verus, un temps co-Empereur aux côtés de son père puis, devenue veuve, elle épousa le général Pompeianus. Elle eut également une liaison incestueuse avec son frère et était connue pour ses mœurs, euh, relâchées. En 182, son ambition la poussa à prendre part à une conspiration visant à renverser Commode : exilée à Capri, elle fut condamnée à mort à l'âge de 35 ans. Elle n'a donc pas survécu à Commode. Quant à son fils, tel qu'il apparaît dans le film, il n'a rien d'historique. De son mariage avec Lucius Verus, Lucilla avait eu 3 enfants : une fille mariée à Claudius Pompeianus Quintanus (le couple participera au complot qui coûtera la vie à Lucilla), une seconde fille et un fils morts en bas âge. Par contre, de son second mariage avec le général Pompianus, Lucilla eut un fils, âgé de six ans au moment où est sensé se dérouler l'intrigue du film... Cet enfant, Aurelius Commodus Pompeianus, sera consul en 209. L'enfant de "Gladiator" serait donc un mélange de ses deux fils.

                                        Le Sénat a également son rôle à jouer puisque, prétend le scénario, Marc Aurèle aurait souhaité nommer Maximus comme son successeur à la tête de l'Empire, afin qu'il rétablisse le pouvoir du Sénat. Alors, est-ce crédible ? Franchement, pas le moins du monde ! Déjà, il paraît fort douteux que le vieil homme ait seulement envisagé de léguer l'Empire à un autre que son fils Commode - qu'il avait nommé César dès l'âge de 5 ans ! Commode était, depuis son plus jeune âge, étroitement associé au pouvoir. De plus, revenir à la République, pour les Romains de l'époque, était à peu près aussi délirant que l'idée de rétablir la royauté le serait chez nous aujourd'hui. Bref, sur ce point, c'est à peu près n'importe quoi - les Sénateurs eux-mêmes n'y pensaient pas ! Après l'assassinat de Commode, ils désigneront d'eux- mêmes son successeur à la pourpre, en la personne de Pertinax. Quant au sénateur Gracchus, qui participe au complot devant permettre l'évasion de Maximus, il n'a pas existé. Cependant, son nom renvoie peut-être aux frères Tiberius Sempronius Gracchus et Caius Sempronius Gracchus (les Gracques), tribuns de la plèbe sous la république. Je vous en parlerai plus longuement prochainement...

                                        On le voit, "Gladiator" ne se soucie guère de la réalité historique. Pour autant, ne boudons pas notre plaisir : il s'agit d'un film à grand spectacle, esthétiquement intéressant, au scénario certes très hollywoodien et outrageusement manichéen, mais qui reste extrêmement divertissant. Les décors, grandioses, et les scènes de combats à couper le souffle permettent de se montrer indulgents - d'autant plus que, ne l'oublions pas, il ne s'agit que d'un film ! Par ailleurs, quitte à se prendre la tête, on peut également y voir une critique de la société du spectacle. (comme le souligne Xavier Darcos dans son "Dictionnaire de La Rome Antique")

                                        Reste, malgré tout, une question en suspens : tous ces raccourcis, ces amalgames, ces contre-sens historiques sont-ils volontaires, ou bien s'agit-il simplement des preuves d'une inculture crasse ?! A priori, j'aurais eu tendance à accorder à Ridley Scott et à son équipe le bénéfice du doute. Sauf que, en revoyant le film, j'ai remarqué quelque chose qui m'avait complètement échappé jusqu'à lors : la date
indiquée en ouverture du film ! Soit, 180 AVANT J.C. Hum. Sans vouloir la ramener, c'est bien 180 mais  APRES J.C. Avouez que c'est bêta... Mais considérons qu'il s'agit d'une étourderie des studios, et profitons de notre film. Nous aurons bien le temps de nous replonger dans l' "Histoire Auguste" un autre jour...



"Gladiator" de Ridley Scott - disponible chez Universal Pictures.

mardi 6 mars 2012

En kiosque ce mois-ci.

A signaler ce mois-ci : la revue Historia, avec en couverture Astérix, Obélix et ce bon vieux Jules. Et pour cause : on y trouve un long dossier intitulé "Nos ancêtres... les romains".

A l'intérieur, des articles fort intéressants et des signatures réputées, telles que celles de Joël Schmidt ou Catherine Salles. En vrac : un retour sur l'assassinat de Jules César, un portrait de Vercingétorix et la récupération qui a été faite, sous le second empire, du chef de guerre arverne pour des raisons politiques, un article sur l'architecture et l'urbanisme en Gaule, un autre sur l'agriculture, la question de l'implantation de la langue latine ou encore de l'assimilation par les peuples Gaulois des grands aspects de la société romaine... Bref, il y a de quoi faire, et les sujets abordés sont aussi variés qu'originaux.

Ce numéro a le mérite de bousculer les idées reçues pour, nous dit-on en sous-titre, "en finir avec le mythe des irréductibles Gaulois." Il met ainsi en exergue l'interpénétration, en Gaule chevelue comme en Cisalpine, des deux cultures, qui représentent le fondement de nos origines. Battant en brèche l'image d'Epinal des irréductibles Gaulois luttant sans cesse contre l'occupant Romain, le magazine permet d'appréhender la part romaine de notre héritage Gallo-romain, en ouvrant ses pages à des auteurs qui n'hésitent pas à souligner les contradictions, à mettre l'accent sur des points méconnus et, lorsqu'ils sont en désaccord, à étayer leur opinion par une argumentation solide et passionnante, dans un langage toujours clair et accessible.

Ajoutez à cela de superbes illustrations, une mise en page aérée et agréable et des apartés toujours enrichissants... Le seul défaut de ce dossier est d'être trop court à mon goût !

Historia n°783, Mars 2012 - 5 euros 50.
Plus de détails : http://www.historia.fr/mensuel/783

dimanche 4 mars 2012

Who's bad : les "mauvais" empereurs.

                                        L'histoire romaine regorge de héros, de grands hommes qui, même s'ils ne sont pas des saints, forcent le respect et l'admiration - pour des raisons diverses et variées. J'ai moi-même mon panthéon personnel, que je vous livrerai un jour ou l'autre. Mais avant ça, je vous propose un petit palmarès des pires empereurs de Rome. D'accord, ce sont des brutes, des assassins ou des fous - voire les trois à la fois. Mais c'est justement pour ça qu'ils sont intéressants ! Et, avouons-le, nettement plus drôles qu'un Trajan, un Marc Aurèle ou un Jules César (qui n'était pas empereur, d'ailleurs) : s'ils sont dignes d'éloges, on se fend nettement moins la pêche avec eux. Encore que, je ne suis pas certaine que les mouches partagent mon opinion... (Cf. Domitien)
Racoleur ? J'assume ! Et me considérant moi-même comme pas tout à fait saine d'esprit, je trouve assez rassurant de constater qu'il y a des cas bien pires que le mien.
                                        J'ai donc établi mon top 5 des pires tarés de Rome (qui ont tous finis assassinés, comme par hasard...), en toute subjectivité et en me rapportant aux écrits de Tacite, Suetone et consorts. Et veuillez noter que, si leurs témoignages ne sont pas toujours fiables car souvent partiaux, j'ai décidé de les prendre au pied de la lettre et de me fier à leurs allégations - simplement pour cet article. En toute subjectivité : je vous avais prévenus.  

5) COMMODE : Hercule réincarné.

Commode succède à son père Marc-Aurèle et règne de 180 à 192. L'Empereur du film "Gladiator" de Ridley Scott, c'est lui.


Commode en Hercule (source : Marie-lay Nguyen.)

Pourquoi est-il complètement cintré ?  Parce que, fana de combats de gladiateurs, il se désintéresse complètement de l'Empire, qu'il laisse aux mains de son préfet du Prétoire. Il se consacre aux courses de char, aux combats et aux beuveries. Persuadé d'être le descendant d'Hercule, il revêt une peau de lion et se balade avec une massue à la main. Il descend lui-même dans l'arène et exerce la gladiature, obligeant les sénateurs à assister au spectacle et puisant dans les caisses de l'état pour se rémunérer. Paranoïaque, il voit des complots partout - et il n'a pas tout à fait tort. Du coup, il projette de faire assassiner les deux consuls, pour les remplacer par des gladiateurs. C'en est trop pour son secrétaire et son préfet, qui le font empoisonner. Mais Commode, complètement bourré, régurgite le poison, et il faut l'étrangler pour l'achever.




4) ELAGABAL : le Roi-Soleil.

Elagabal (ou Héliogabale) règne de 218 à 222, sous le nom de Marcus Aurelius Antoninus. Il est le petit-neveu par alliance de l'Empereur Septime Sévère et le neveu de Caracalla.

Elagabal. (Source : G. Dallorto.)

Pourquoi est-il complètement cintré ? Parce que, né en Syrie et accédant à la pourpre à l'âge de 14 ans, il est obsédé par le Dieu solaire Héliogabale, adoré à Emese. Au point de décréter qu'il prendra désormais le pas sur tous les autres Dieux romains, Jupiter inclus. Ramenant de sa région natale la pierre noire liée au Dieu, il la transporte à Rome dans un char en or attelé à des chevaux blancs, conduits à reculons jusqu'au Palatin dans un temple spécialement édifié pour l'occasion. Il tente d'imposer au peuple une sorte de religion unique (d'où son surnom), épargnant une seule divinité romaine, la Bonna Dea. Laissant sa mère et sa grand-mère gérer les affaires politiques (ce qui choque peut-être encore plus ces misogynes de vieux Romains), il s'occupe en organisant des jeux du cirque et des combats d'animaux. Bisexuel, il épouse une vestale (sensée rester vierge) mais doit la répudier devant le scandale, et nomme à de hautes fonctions ses amants les mieux membrés, parmi lesquels son barbier. Il aime aussi, à l'occasion, se travestir en Vénus et, dit-on, demande à des médecins s'il serait possible de le castrer pour le doter d'organes féminins...  Il est assassiné lorsque les soldats apprennent qu'il envisage de faire exécuter son cousin, Sévère Alexandre, très populaire parmi les légions : Sévère Alexandre accède au pouvoir, et la pierre noire retourne d'où elle est venue. (en marche avant, cette fois.)


3) DOMITIEN : paranoïaque et insecticide.

Fils de Vespasien et frère de Titus, auquel il succède en 81. Il règne jusqu'en 96.


Domitien.

Pourquoi est-il complètement cintré ? Ce charmant monsieur, qui a passé une grande partie de sa vie à tenter de tuer son frère (par exemple en donnant l'ordre qu'on le laisse mourir, alors qu'il était malade), est un paranoïaque doublé... d'un tueur de mouches ! Son grand passe-temps, c'est de les transpercer avec une aiguille - quand il ne fait pas exiler ou exécuter de putatifs conspirateurs. En bloc : des gouverneurs, des philosophes (tous les Stoïciens y passent) et évidemment les membres de sa famille. On raconte qu'un sénateur a la mauvaise idée de faire le mariole, en répondant à quelqu'un qui lui demandait si l'Empereur était seul : "Oui : il n'y a personne avec lui, pas même une mouche." Couic ! Il y passe aussitôt ! Quand même sacrément atteint, Domitien se fait appeler "Maître Des Dieux", et fait recouvrir de miroirs les murs de son palais, afin de pouvoir surveiller ceux qui viendraient dans son dos afin de l'assassiner.
Et pourtant, Domitien est un Empereur compétent et un excellent gestionnaire. Mais, véritable despote, il est détesté par les sénateurs et par sa femme, qu'il trompe allègrement avec une foule de prostituées et, accessoirement, avec sa propre nièce Julia. Il est assassiné en 96 et le Sénat vote même la damnatio memoriae, ce qui signifie qu'on abat ses statues et qu'on détruit toute mention de son nom - comme s'il n'avait jamais existé.


2) NERON : Un artiste qui met le feu.

De son vrai nom Lucius Domitius Ahenobarbus. Fils adoptif de l'Empereur Claude, Néron règne de 54 à 68. Mon petit préféré dans cette liste de détraqués...

Néron.

Pourquoi est-il complètement cintré ?  D'abord, il faut lui reconnaître une hérédité chargée : il est le neveu de Caligula et son père biologique, Cnaeus Domitius Ahenobarbus, est déjà bien secoué. Ou plus exactement, c'est une brute épaisse - le genre à foncer avec son char sur les gamins qui jouent sur la voie, ou à arracher un œil à un type lors d'une bagarre. Sa mère, Agrippine, n'est pas un cadeau non plus : retorse et manipulatrice, elle a zigouillé son oncle Claude, dont elle s'était faite épouser et qu'elle avait convaincu d'adopter Néron. Sympa, la famille...
Ceci étant, bon sang ne saurait mentir : Néron empoisonne son frère adoptif Britannicus, répudie sa première épouse puis la fait décapiter et offre sa tête à sa femme, Poppée (laquelle s'amuse à planter des épingles à cheveux dans la langue de sa rivale défunte. Comme quoi, ces deux-là s'étaient bien trouvés !). C'est cette même Poppée qu'il tue plus tard, au cours d'une dispute conjugale : il lui tombe dessus à bras raccourcis alors qu'elle est enceinte et tue le fœtus à coups de pied. Cependant, il devait sincèrement l'aimer puisque, avisant un jeune garçon qui lui ressemble, il le fait castrer, le force à se travestir et l'épouse. Sans oublier, bien sûr, qu'il fait tuer sa mère Agrippine, son précepteur Sénèque, et force au suicide une flopée de sénateurs et de généraux, accusés de conspirer contre lui.
Quoi d'autre encore ? Ah, oui : il aurait mis le feu à Rome, faisant des milliers des victimes et détruisant une bonne partie de la ville. (Version largement contestée depuis.) En tous cas, ce qui est certain, c'est que pour faire taire les rumeurs qui l'accusent du désastre, il en fait porter la responsabilité aux Chrétiens, qui sont massacrés en foule dans l'arène ou ailleurs (certains sont brûlés vifs la nuit, dans les jardins de Néron, comme pour servir d'éclairage !) A côté de ça, le fait qu'il chante la ruine de Troie depuis ses jardins en contemplant le sinistre paraît presque anodin ! Car Néron n'est pas seulement un matricide, un paranoïaque et un incendiaire : c'est aussi un artiste, qui aime à se produire dans toute sorte de concours, toujours accompagné de sa "claque" constituée de jeunes romains payés pour l'applaudir. Dans le public, les sénateurs et nobles romains obligés d'assister à ses représentations sont terrorisés : c'est à qui acclamera l'Empereur le plus fort - on a trop peur d'y laisser la vie! Le futur empereur Vespasien n'est pas passé loin : il s'endort alors que Néron se produit sur scène, et manque d'être condamné à mort.
Finalement, une révolte des légions porte Galba au pouvoir, et Néron est contraint au suicide. Aidé par un affranchi, il met fin à ses jours en s'écriant : "Qualis artifex pereo !" (Quel artiste meurt avec moi.)    


1) CALIGULA : le mauvais cheval.

De son vrai nom Caius Iulius Caesar Germanicus, surnommé Caligula par les légionnaires, en référence aux petites sandales militaires qu'il portait enfant. Fils de Germanicus, petit-fils adoptif de Tibère, Caligula règne de 37 à 41. Et là, accrochez-vous : dans la catégorie des cinglés, vous êtes tombés chez les poids lourds !

Caligula.

Pourquoi est-il complètement cintré ? Vous avez l'embarras du choix. A proprement parler, Caligula apparaît comme le vrai malade mental de ma petite sélection... Pourtant, tout avait bien commencé : adulé par le peuple, il inaugure son règne par une série de mesures très populaires. Puis, il tombe malade : une fois guéri, il est devenu un tyran fou. Il se prend pour un Dieu, envisage de remplacer les statues des divinités romaines par les siennes, passe son temps à tailler le bout de gras avec Jupiter lui-même (qu'il engueule d'ailleurs copieusement.) Il couche avec ses sœurs, "emprunte" les femmes des autres, notamment une jeune mariée lors de son repas de noces, et détaille longuement leurs performances au lit. Évidemment, il n'est pas en reste niveau épuration : Caligula fait assassiner sa grand-mère et son cousin Gemellus, mais aussi des chevaliers, des Sénateurs, etc. Voire même le roi Ptolémée de Maurétanie, qui a eu l'audace de se présenter à lui vêtu de pourpre ! Et ça, Caligula n'aime pas : ça lui rappelle trop les attributs impériaux !


Cela dit, il fait preuve d'une inventivité dans le sadisme et la cruauté qui force l'admiration : il jette les condamnés aux mines, condamne les Sénateurs à se battre dans l'arène ou les faits brûler vifs. Il aime aussi annoncer que les greniers à blé de la ville sont vides pour assister aux émeutes à la panique de la foule. Sa cruauté n'a d'égale que son sens de l'humour, bien particulier... Au cours d'un repas, il éclate de rire sans raison ; lorsqu'un convive l'interroge, il répond, grosso modo : "Je viens juste de penser que, d'un seul mot, je peux tous vous faire décapiter !" Ce qui semble être une obsession chez lui, puisqu'il répète souvent à ses maîtresses : "une si jolie nuque sera tranchée dès que j'en donnerai l'ordre"...
On peut ajouter que Caligula, parti conquérir la Grande-Bretagne, annonce qu'il va faire la guerre à Neptune... et envoie ses légionnaires ramasser des coquillages sur la plage ! Avant de revenir, triomphal, à Rome. Fanatique des jeux du cirque, il aime y convier la population avant d'en faire fermer les portes et de laisser les spectateurs cuire en plein soleil (au point, dit Suetone, que certains feignent d'être morts pour pouvoir être évacués !)
 Reste enfin Incitatus, son cheval, auquel il est tellement attaché qu'il va jusqu'à lui faire construire une maison avec mangeoire en ivoire, lui attribuer des serviteurs et du mobilier, et faire organiser des banquets en son nom. La veille d'une course, le moindre bruit est interdit dans le voisinage, pour ne pas risquer de déranger l'animal. Il aurait même envisagé de le nommer consul...
Avec un tel palmarès à son actif, ses contemporains ne portent pas vraiment Caligula dans leur cœur et, on s'en doute, il ne meurt pas de sa belle mort : en 41, il est battu à mort par les soldats de sa garde. Il expire en hurlant : "Je suis toujours vivant !" Flippant jusqu'au bout.


                               Il a fallu faire un choix. Pourtant, j'aurais pu sacrément allonger la liste ! J'ai encore quelques joyeux spécimens en réserve... Mais je crois que, franchement, vous ne trouverez pas mieux (ou pire) que ces cinq-là.
                              Pour finir, le choix de l'exergue de ce billet n'est pas fortuit : les paroles de la chanson de Mickaël Jackson renvoient directement à une vidéo aussi géniale que délirante, que l'on doit aux britanniques de Horrible Histories. Parmi d'autres pépites (la chanson de Cléopâtre vaut son pesant de cacahuètes...), cette chorégraphie des Bad Roman Emperors est à se tordre : là voilà, pour finir ce billet en beauté.




jeudi 1 mars 2012

Dis-moi comment tu t'appelles, je te dirai qui tu es.


                                        La biographie de Tibère vous aura au moins permis de vous rendre compte d'une chose : la généalogie romaine, c'est pas de la tarte ! Entre les mariages endogamiques, les divorces, les remariages, les adoptions et j'en passe, il y a de quoi rendre marteau n'importe quelle personne à peu près saine d'esprit. Et l'histoire se complique encore quand on réalise que plusieurs personnages portent le même nom (Tiberius Claudius Nero pouvant désigner Tibère, Claude ou Néron) - ou que le même individu change de nom sans crier gare, au gré des circonstances. Voilà qui n'arrange pas nos affaires et donne lieu à toute sorte de quiproquos - on a frôlé la méningite pour moins que ça.  Pourtant, le nom romain apporte une foule d'informations sur celui qui le porte, voire sur son ascendance et, contrairement aux apparences,
ce n'est pas aussi compliqué qu'il y paraît. Si, si : je vous assure ! Vous allez voir...

                                        Commençons par les hommes libres. L'identité d'un Romain se présente sous la forme de la tria nomina, qui comprend :

1) Le praenomen - équivalent du prénom. Il en existe en gros une quinzaine (Appius, Quintus, Publius, Servius, Caius, Lucius, Marcus...), généralement conseillé par un devin - un proverbe romain annonce d'ailleurs "Nomen omen" soit "le nom est un présage... Dans les formules officielles, le praenomen est abbrégé par sa (ou ses) premières lettres : ainsi, C. désigne Caius, TI. Tiberius, D. Decimus etc. Il est attribué à l'enfant lors du dies lustricus (jour lustral ou de purification), le 9ème jour après la naissance pour les garçons et le 8ème pour les filles. Cette cérémonie marque la reconnaissance de l'enfant par son père et son entrée officielle dans la famille et la société.

2) Le nomen gentilicium - nom de la gens (famille patrilinéaire) ou gentilice, équivalent du nom de famille. Il se termine en -ius. Exemple : le nomen gentilicium de la gens Julia, c'est Julius.

3) Le cognomen, ou surnom. Il n'est pas systématique (ex. : M. Antonius, Marc Antoine, n'en possède pas) mais très fréquent. Il correspond en général à une distinction honorifique (Magnus - "le grand"), une particularité physique (Calvus - "le chauve") ou morale (Brutus - "l'idiot"). D'abord personnel, il finit par se transmettre et désigne alors la branche de la gens. Ciceron (M. Tullius Cicero) doit par exemple son surnom à un de ces ancêtres qui aurait eu sur le bout du nez une verrue ressemblant à un pois chiche (cicer) - bien qu'on n'en soit pas absolument certain.

Parfois s'ajoute encore un second surnom, l'agnomen, lié le plus souvent aux faits d'armes : P. Cornelius Scipio Africanus, alias Scipion l'Africain, parce qu'il a dérouillé les Carthaginois. L'agnomen, contrairement au cognonem, n'est pas héréditaire. 

Il arrive également qu'on indique la filiation par un F (Filius) suivi du prénom du père, et parfois un N (Nepos, petit-fils) suivi du prénom du grand-père paternel.


Initiale du prénom + nom de famille + surnom (s) : jusqu'ici, avouez que ce n'est pas si compliqué.

                                        Evidemment, ces règles ne concernent que les hommes. Occupons-nous donc des femmes, maintenant : elles ne portent pas de praenomen, uniquement le gentilice de leur père, au féminin. La fille de Q. Fabius Maximus s'appelle donc Fabia. Si elle a des soeurs, on précisera par exemple "tertia", la troisième. Et si, d'aventure, on risquait encore de confondre, on ajoute le cognonem de son père au génitif, ou on l'identifie éventuellement par rapport à son mari. A noter que les femmes ne changent pas de nom après leur mariage : Cornelia Crassi, issue de la gens Cornelius et épouse de Crassus, conserve sa gentilice, et on y ajoute celui de son mari au génitif. 

                                        Restent quelques cas particuliers. L'adoption, notamment : les hommes libres adoptés prennent le prénom, le nom et le surnom de leur père adoptif, mais ajoutent un second surnom tiré de leur gentilice allongé d'un suffixe en -anus. Ainsi, le fils de A. Cornelius adopté par C. Marius Barbatus prend le nom de C. Marius Barbatus Cornelianus. Vous suivez toujours ?

C'est à peu près le même processus pour ceux qui reçoivent la citoyenneté romaine : ils prennent le nom de celui qui a favorisé leur naturalisation, suivi de leur ancien nom.


                                        En ce qui concerne les affranchis, le processus de modification du nom ne devrait pas non plus vous valoir d'oedème cérébral : l'affranchi prend le prénom et le nom de son ancien maître, et y adjoint comme surnom son ancien nom d'esclave. Tiro, esclave de M. Tullius Cicero, s'appellera une fois affranchi : M. Tullius Tiro.


                                        Et les esclaves, justement, me direz-vous ? C'est vrai, nous n'avons pas encore abordé le sujet. Rassurez-vous, ce sera très bref : ils n'existent pas, ils ne comptent pas, ils n'ont pas de nom. Bah, il faut dire que ce ne sont pas des êtres humains, juste des objets. Mais quand même, quand on a besoin de la petite servante ou de l'esclave qu'on vient d'acheter au marché, c'est quand même drôlement plus pratique si on peut les appeler... Alors on les désigne quand même par un adjectif, évoquant une particularité physique, leur pays d'origine, etc. Par exemple, Syrus, Afer, Gallus, etc. Ou, simplement, on les
appelle "servus". Pourquoi se casser la tête ?

                                        Voilà pour les bases de l'onomastique. Bien sûr, ce sont des règles générales et, comme partout, il y a des exceptions. De plus, ces principes ont évolués au fil du temps, notamment pour les femmes. Cependant, je pense que ce billet vous aidera à vous y  retrouver plus facilement. De toute façon, ne vous mettez pas la pression : je connais des profs de la Sorbonne qui s'arrachent encore les cheveux et se perdent entre les différentes Aemilia Lepida - il faut dire qu'on en compte pas moins de 7 ! Sans vouloir vous décourager, bien sûr...