dimanche 21 juin 2015

Graffitis pompéiens : du travail pour les Scriptores !

                                        L'éruption du Vésuve en 79 fut une tragédie : alors que l'on croyait le volcan éteint en dépit d'une série de secousses et de séismes dans les années précédant la catastrophe, la pression des gaz accumulés finit par provoquer une explosion, projetant à 32 km de haut une colonne de fumée, cendres, gaz, poussière et pierre ponce. Une fois la poussée épuisée, la colonne retomba à terre et, orientée par le vent, ensevelit sous ses nuées incandescentes les villes de Pompéi, Herculanum et Stabies, étouffant les habitants sous des gaz toxiques et détruisant monuments, habitations, magasins... 

                                        Paradoxalement, la colère du Vésuve fut aussi une chance pour les archéologues, en particulier à Pompéi. C'est en effet grâce à elle qu'ont été conservés intacts de nombreux éléments de la ville : les fresques, recouvertes de poussière volcanique, ont ainsi été protégées des outrages du temps, de même que des objets du quotidien (y compris les plus périssables, comme le pain) ou les habitants eux-mêmes, figés pour l'éternité dans la posture dans laquelle la mort les a trouvés... Le Vésuve a donc anéanti Pompéi et, dans le même temps, l'a rendue éternelle. 
Éruption du Vésuve. (Source : Bibleonline.)

                                        Ces vestiges, remarquablement conservés, sont une source d'information précieuse pour les historiens. Et parmi eux, les graffitis occupent une place de choix : en recouvrant les murs de Pompéi, les cendres ont protégé près de 3000 inscriptions murales. Il en existe de toutes sortes : déclarations amoureuses, slogans publicitaires, invectives contre le voisin, plaisanteries ou allusions grivoises, et bien sûr propagande électorale.

                                        Si certains de ces graffitis étaient l’œuvre de particuliers, la majeure partie était réalisée par des professionnels, les scriptores, qui signaient leur travail. S'ils pouvaient se charger des dédicaces amoureuses, des publicités ou des insultes, ils étaient surtout actifs durant les périodes électorales. Les inscriptions étaient en général simples et directes : elles exhortaient les électeurs à voter pour tel candidat au duumvirat ou à l'édilité et vantaient ses mérites ou, au contraire, fustigeaient son adversaire. Le premier, homme intègre et généreux, était paré de toutes les vertus tandis que le second, corrompu et malhonnête, frayait avec les escrocs et les voleurs...

Inscription électorale en faveur de M. Casellium. (©Patricia Daussin Jacob.)


                                        Les scriptores peignaient aussi les edicta munerum edendorum, qui annonçaient les jeux. On y indiquait le nom de l'organisateur (editor - l'Empereur ou un magistrat par exemple), le motif du spectacle (fête religieuse, inauguration d'un bâtiment public, etc.), le lieu et la date, le programme et le nombre de gladiateurs prévu, ou toute autre attraction digne d'intérêt. S'ajoutaient parfois des formules de salutation (salutem ou vale) ou des acclamations destinées aux gladiateurs et permettant de mettre en exergue les noms des vedettes. Si la majorité des annonces concernaient des jeux se tenant à Pompéi, d'autres présentaient des spectacles prévus à Pouzzoles, Cumes, Nola... Les amateurs de combats ne rechignaient donc pas à se déplacer pour assister à une manifestation. De même, la mention "Pompeis" (à Pompéi) figurant sur les annonces suggère que le même texte était peint sur les murs des villes voisines...

"Ici on donnera une chasse le 5 des calendes de Septembre : Felix combattra contre des ours." (©Fer.filol via wikipedia.)


                                        Écrites en noir ou rouge, les inscriptions se faisaient en capitalis quadrata (majuscules similaires aux lettres figurant sur les dédicaces de monuments par exemple) ou, le plus souvent, en capitalis rustica  - une forme de lettre plus proche de la cursive, plus légère et plus fine mais avec des empattements plus épais sur la ligne de base, ce qui la rendait plus facile à exécuter au pinceau.

"Une chasse et 20 paires de gladiateurs appartenant à Marcus Tullius combattront à Pompéi la veille des nones de Novembre et le 7ème jour des ides de Novembre."

                                        Ces graffitis étaient réalisés à la demande des corporations, des commerçants ou même des particuliers, et le travail ne manquait donc pas. Il existait même des ateliers spécialisés, les officina scriptoria. 

                                        Le scriptor, chargé de calligraphier au mur la phrase commandée, était généralement secondé par des collaborateurs (les sodalis) : 
  • le scalarius portait l'échelle permettant au scriptor d'atteindre le haut du mur ;
  • le dealbator blanchissait au préalable la portion de mur avec de la chaux (effaçant aussi les précédentes inscriptions) ;
  • le lanternarius éclairait l'endroit choisi avec une lanterne.


                                        Car les scriptores travaillaient le plus souvent de nuit... Et ils n'étaient pas toujours bien accueillis! Le risque était grand de recevoir sur la tête un tas d'immondices ou même le contenu d'un pot de chambre, furieusement déversé par le propriétaire de la maison ou boutique ainsi "taguée"! Bref, un boulot pas toujours très agréable et probablement frustrant puisque les graffiti étaient régulièrement recouverts de chaux, pour que l'un de vos collègues puisse à son tour remplir son office. Un scriptor de Pompéi, Aemilius Celer, rajoute d'ailleurs à l'inscription qui lui a été commandée une seconde phrase, à l'intention d'un rival : "Va donc, gros jaloux, si tu sabotes mon travail, que la peste t’emporte !”.

Un autre exemple de graffiti... (©Charles F. Cooper - "The Last Days Of Pompei.".)


                                        Se doutait-il que, vingt siècles plus tard, son graffiti serait encore lisible ? Certainement pas. Et surtout pas au moment où il comprit qu'il allait rendre l'âme, sous les cendres incandescentes et les fumées toxiques du Vésuve déferlant sur Pompéi... Une célébrité dont il se serait probablement bien passé !

dimanche 7 juin 2015

Bonne lecture : "Giampetro Campana, la malédiction de l'anticomane."

                                        Pour les besoins de cet article, j'ose supposer - et je ne prends pas un bien grand risque - que nombre d'entre vous ont déjà visité le musée du Louvre. Sans doute avez-vous arpenté les galeries consacrées à l'Antiquité et, en admirant les différentes pièces, peut-être avez-vous remarqué que beaucoup appartenaient à la "collection Campana". Mais vous êtes-vous interrogé sur ce nom, vous êtes-vous demandé qui était ce Campana ? Mouais, moi non plus. Voilà pourquoi  le courriel que m'a récemment envoyé Jean-Luc Dousset a particulièrement retenu mon attention. Auteur d'un livre intitulé "Giampetro Campana, la malédiction de l'anticomane" (Éditions Jeanne d'Arc), il m'a sollicitée afin de faire connaître son ouvrage. Et a éveillé ma curiosité, me poussant à chercher des renseignements sur cet homme, dont le nom est associé à une quantité incroyable d'antiques - mais pas que... - à travers les musées d'Europe.

                                        Giampetro Campana est né en 1808 à Rome. Il est issu d'une famille de la haute bourgeoisie, riche et cultivée. La passion de l'Antiquité est en quelque sorte un atavisme familial, son grand-père et de son père étant déjà des collectionneurs d'antiques. Le premier avait mené des fouilles et rassemblé divers objets, notamment à Rome et Ostie, tandis que le second avait constitué une importante collection de pièces et médailles. Atteint de la même fièvre, Campana entreprend à son tour des fouilles archéologiques, d'abord à Rome en 1831, puis à Ostie et Cerveteri, contribuant à mettre au jour la civilisation étrusque. Membre de plusieurs sociétés et commissions scientifiques, il gagne rapidement en notoriété et en réputation.


Giampetro Campana.





                                        Achetant par ailleurs de nombreuses pièces archéologiques, Campana est bientôt à la tête d'un véritable musée privé. Il ne se limite cependant pas à l'Antiquité et fait l'acquisition de sculptures et de tableaux, principalement de la Renaissance. Il rachète par exemple une partie de la collection du Cardinal Fesch, mise en vente en 1845, et dépêche des envoyés dans toute l'Italie, les chargeant de traiter avec les marchands d'art les plus célèbres. Ceci explique la grande variété des artistes représentés dans ses collections, et Campana accumule les œuvres afin de constituer un panorama le plus exhaustif possible. Sa collection comporte par exemple près de 400 tableaux de peintres primitifs ! 

                                        Directeur du Mont-de-piété depuis 1833, Campana entreprend de réformer l'institution. Il obtient du gouvernement pontifical l'autorisation d'augmenter la somme maximale des prêts consentis, qui devient illimitée, et la caisse des dépôts est désormais annexée au Mont-de-piété, qui s'enrichit considérablement. A sa demande, l'administration autorise dès 1839 la mise en gage des objets d'art, pour lesquels on consent un prêt d'un tiers de la valeur estimée. Mais les œuvres ne se revendent pas, et cette mesure est révoquée peu après. Or, Campana n'en tient pas compte et malgré l'interdiction, il continue de prêter de l'argent contre des tableaux, notamment aux marchands avec lesquels il est en affaire. Utilisant l'argent du Mont-de-piété, il fait lui-même l’acquisition de plusieurs œuvres d'art, piochant dans les fonds mis à sa disposition. En dépit de plusieurs mises en garde, Campana persiste, dissimulant son identité sous de faux-noms et vendant et achetant à l'étranger par l'intermédiaire de son épouse. 

                                        Le subterfuge finit par être dévoilé et Campana est arrêté le 28 novembre 1857. L'affaire fait grand bruit en raison de sa notoriété, et au terme d'un long procès, le collectionneur est condamné en Juillet 1858 à 20 ans de galère et 900 000 écus d'amende. Sur l'insistance de ses avocats qui plaident que la valeur des œuvres qu'il possède est bien supérieure à cette somme, il en cède la majeure partie au gouvernement pontifical.

                                        La belle-mère de Campana, l'anglaise Mrs Crawford, était une proche de Napoléon III qu'elle avait soutenu à plusieurs reprises ; à sa requête, celui-ci intervient auprès du Pape et obtient que la peine soit commuée en bannissement à vie. Il accepte aussi de racheter une grande partie de la collection de son gendre, qui est vendue et disséminée à travers l'Europe. En 1861, la France acquiert ainsi 11 835 objets et 641 tableaux contre la somme d'environ 4 800 000 francs (soit 812 000 écus romains).

                                        Campana rentrera plus tard à Rome, après l'unification de l'Italie et le chute des états pontificaux, mais il ne retrouvera jamais son prestige et sa fortune d'antan. Reste que son nom demeure associé aux collections qu'il avait constituées, et qu'on retrouve aujourd'hui dans les plus grands musées : l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, le musée de Kensington à Londres, et évidemment le musée du Louvre - dont elles constituent une grande partie des galeries étrusques, grecques et romaines.

                                        Visiteur occasionnel ou inconditionnel des musées, on s'intéresse rarement à l'origine des collections que l'on peut y admirer, et les noms qui y sont accolés suscitent rarement la curiosité. Peut-être devrait-on chercher à en apprendre davantage sur ces hommes, passionnés d'art et d'Histoire jusqu'à l'obsession : à l'instar de celle d'un Guimet, la vie d'un Campana semble tout droit sortie d'un roman. Je ne vous cacherai pas que je n'ai pas lu la biographie que lui consacre Jean-Luc Dousset, dont je n'ai eu connaissance que grâce à son courriel : je ne saurais donc vous la recommander. Toutefois, il me semble qu'elle a bien sa place sur ces pages, et je vous renvoie directement vers le site de l'éditeur pour de plus amples informations. Si vous avez l'occasion de lire cet ouvrage et que vous souhaitez donner votre avis, n'hésitez pas à me contacter.





"Giampetro Campana : la malédiction de l'anticomane" de Jean-Luc Dousset.
Éditions Jeanne d'Arc - lien ici.
15 Euros