samedi 28 avril 2012

Campagne politique dans la Rome Antique.

Graffiti électoral - Pompéi.

                                        La semaine dernière se tenait le premier tour de l'élection présidentielle française. Les citoyens de notre beau pays ont tranché : Dimanche 6 Mai, leur vote devra départager messieurs Hollande et Sarkozy - ce qui nous laisse encore quelques joyeuses journées de campagne électorale. A l'occasion de cette élection, j'avais rédigé un article sur le cursus honorum, succession des magistratures que se devaient d'accomplir les citoyens romains issus de la classe des nobiles, et j'avais souligné que, les mandats étant attribués pour une durée d'un an, les campagnes électorales étaient quasi permanentes dans la Rome Antique. C'est ce qui m'a donné l'idée d'un billet traitant de la scène politique romaine, qui présente en plus l'avantage d'être parfaitement en phase avec l'actualité.
   
                                        Aux origines de Rome, le pouvoir est aux mains d'un petit nombre de familles nobles. Plus tard, sous la République et, dans une moindre mesure, l'Empire, la scène politique romaine est dominée par la classe sénatoriale, qui se divise en deux "partis" : les populares (que nous assimilerions aujourd'hui à la gauche) et les optimates (vous avez deviné : ce serait la droite). Et donc, tous les ans, les mandats arrivent à terme, et il faut bien élire de nouveaux magistrats - d'où des campagnes incessantes. A noter que le candidat à une charge porte une toge blanchie à la craie - le terme candidatus renvoyant précisément à la couleur du vêtement.

                                        Pour faire campagne et espérer accéder à ces postes, mieux vaut être riche. Certes, une carrière de préteur, par exemple, pourra s'avérer très intéressante sur le plan financier... mais seulement une fois la charge accomplie, puisque les magistrats ne sont pas rétribués. Heureusement qu'en tant que propréteur, ils pourront ensuite se renflouer sur le dos de la province dont ils auront la charge - les plus lucratives étant évidemment les plus convoitées. (Demandez à Verrès, connu pour avoir pillé la Grèce et la Sicile : les Siciliens l'ont traîné en justice en 70 avant J.C., et ont choisi rien moins que Cicéron comme avocat.) Or, la campagne en elle-même demande à elle seule un investissement parfois colossal : le candidat offre des distributions de blé, des jeux, des combats de gladiateurs, parfois de gigantesques banquets publics, fait ériger des monuments... Tout cela, parfois à la limite de la légalité. Mais ce ne sont pas les scrupules qui étouffent nos prétendants à la magistrature : la corruption est - c'est le cas de le dire ! - monnaie courante, et il n'est pas rare d'y aller carrément, et d'acheter les voix. (Bah, tant qu'à faire...) Au final, tout cela coûte une véritable petite fortune. Prenons l'exemple de Jules César, élu grand pontife en 63 avant J.C. : pour y parvenir, il se serait endetté de 50 millions de sesterces ! Même si vous n'avez qu'une vague idée de ce que pouvait représenter un sesterce, vous vous doutez bien que ce n'est pas le genre de somme qu'on trouvait en renversant une charrette...

                                         Le candidat peut également compter sur les alliances familiales, informelles ou scellées par un mariage (Jules César, encore lui, marie sa fille Julie à Pompée). Ainsi, si les femmes sont exclues de la vie politique, certaines, issues des grandes familles dont nous avons parlées, exercent une profonde influence en coulisses - par leur fortune ou par le jeu des alliances. Et puis, il y a les clients : je développerai cette notion une autre fois mais, pour l'instant, je résume vaguement l'idée générale. Un aristocrate a toute une série de protégés - affranchis, commerçants, etc. issus de la plèbe. Il leur doit assistance et leur offre une somme d'argent modique, en échange de toute une série d'obligations, parmi lesquelles, celle de faire campagne et de voter pour lui. Des militants, si vous préférez...

                                         Autre stratégie possible : l'intimidation. On provoque des émeutes (voir l'épisode des Gracques), ou bien on engage des bandits ou des gladiateurs pour jouer les gros bras (Catilina). A moins, bien sûr, qu'on soit général : dans ce cas, les légions que l'on dirige ont un pouvoir de persuasion assez étonnant... C'est le cas d'Octave, si l'on en croit Dion Cassius. Après l'assassinat de Jules César, il lève une armée à ses frais, et défait Antoine à Modène. Puis, il envoie 400 de ses soldats comme ambassadeurs au Sénat, afin de demander que lui soit accordé le consulat. Les sénateurs rechignent ; l'un des légionnaires  porte alors la main à son épée en disant : « si vous ne donnez pas le consulat à César, celle-ci le lui donnera ! » Octave marche alors sur Rome avec toute son armée : il obtient gain de cause... (Tu m'étonnes ! 33 avant J.C. )

Auguste - anciennement Octave : un mec vachement persuasif...


                                         Pour ce qui est du vote en lui-même, au cas où vous vous poseriez la question, voilà comment il se déroulait :  les électeurs (les citoyens romains mâles, rassemblés en centuries ou tribus) se réunissaient dans un vaste espace (généralement sur le Champ de Mars, ultérieurement dans la Basilique Julia, construite par Jules César à ce même endroit) et s'avançaient en file indienne. Chacun tenait à la main une tablette de cire, sur laquelle il inscrivait son vote : V (vti rogas - “comme tu le proposes” pour approuver une loi), A (antiquo - “je vote contre" pour s'y opposer), ou bien le nom du candidat. Il glissait ensuite la tablette dans une urne, appelée cista.


En guise de conclusion, je signale que les éditions Les Belles Lettres ont eu l'excellente idée de sortir il y a quelques mois un petit ouvrage édifiant : "Lettre à mon frère pour réussir en politique" (2euros80 - voir ici.) - dont l'auteur, Quintus Cicero, n'est autre que le frère de l'autre Cicéron ! Quelle meilleure manière d'achever cet article qu'en vous citant quelques unes des recommandations qu'il adresse au célèbre orateur, alors que celui-ci brigue le consulat ?!

"Quand on fait une promesse, le risque est incertain, éloigné dans le temps, et ne concerne que peu de cas. Mais en refusant, on est sûr de se faire beaucoup d'ennemis."

"La flatterie s'impose : elle a beau être mauvaise et avilissante tout autre moment de la vie, elle n'en est pas moins, quand on est candidat, une nécessité."

"Assure toi que ta campagne soit magnifique, brillante, éclatante, populaire, qu'elle ait une dignité exemplaire et que pèsent sur tes concurrents - s’il est possible de trouver quelque chose - des soupçons de crime, de débauche ou de corruption, en accord avec leur caractère."

Je rappelle que ces lignes ont été écrites il y a 2000 ans. De quoi laisser songeur, non ?!

                                        Un dernier lien, enfin, pour amuser mes lecteurs anglophones : les conseils de Quintus Cicero, transposés à l'élection présidentielle américaine de 2012  : voici le lien.



vendredi 27 avril 2012

Hors Série du Midi Libre : Romains Du Sud.

 Décidément, la presse ne me laisse aucun répit : la semaine dernière, j'ai trouvé chez mon marchand de journaux un hors série du "Midi Libre" intitulé "Romains du Sud". Au programme : un peu plus de 70 pages sur les apports de mes amis les Romains dans le Sud de La France, le long de la via domitia, de Beaucaire à Roussillon en passant par Narbonne, Béziers, le pont du Gard, Nîmes, Millau, etc.                              

Les articles, simples et concis, laisseront peut-être sur leur faim les acharnés tels que moi, mais une belle iconographie compense la brièveté du propos. A noter, outre une approche géographique, la variété des thèmes abordés, avec le concours de nombreux spécialistes : la viniculture, la mosaïque, les monnaies, la cuisine antique, la gladiature, les rites funéraires... Intéressant car éclairant sur la façon dont un mode de vie, une culture romaines se sont implantés en Narbonnaise. Petit coup de cœur pour les illustrations de Jean Claude Golvin, superbes, qui vous transportent véritablement dans l'Antiquité sans que vous ayez de gros efforts d'imagination à faire.

                                        Enfin, vous trouverez dans ce magazine les coordonnées des sites et musées présentés, ainsi que les informations nécessaires à une visite éventuelle : indispensable si, attirés par la Rome antique, vous comptez venir jouer les touristes dans la région. Ce que je vous recommande vivement, soit dit en passant !
                                        Au final, une revue plus légère, sans doute plus accessible (et, en tous cas, plus économique !) que celles que je vous présente généralement, mais qui n'en vaut pas moins le détour.

Le Midi Libre, Hors-Série 2012 "Romains Du Sud" - 3 euros. 
Lien vers la boutique




mardi 24 avril 2012

Dossiers d'Archéologie : Sexe à Rome, au-delà des idées reçues.

                                        Dans mon dernier billet, je crains de m'être montrée un peu sérieuse, voire un peu austère... C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, je vais vous parler de SEXE !
                                        Bien. Maintenant que je suis certaine d'avoir toute votre attention, laissez-moi préciser mon propos : je vais vous présenter, ainsi que je le fais maintenant régulièrement, un magazine consacré à l'Antiquité romaine, et plus précisément à la vie sexuelle des romains. Les "Dossiers d'Archéologie" y consacrent en effet leur hors série du mois d'Avril, et je ne pouvais évidemment pas passer à côté !



                                         Le sexe à Rome : vaste sujet, qu'il n'est pas évident de traiter. L'une des raisons majeure vient de ce que la sexualité dans l'Antiquité suscite souvent bon nombres de préjugés et de fantasmes, largement nourris d'idées reçues et d'images véhiculées, notamment, par les péplums : rien qu'entre "Quo Vadis" et "Caligula", on est servis ! Nous sommes, de plus et quoi que nous en disions, marqués par une morale judéo-chrétienne qui a façonné toute notre façon de penser et a , de fait, forcément affecté notre regard et celui de nos prédécesseurs sur les pratiques antiques. Ainsi, c'est toute l'idée que nous avons des mœurs et du concept même de sexualité à Rome qu'il nous faut repenser. Adultère, pédophilie, homosexualité : autant de notions qui, si tant est qu'elles existent, prennent une autre acception dans la culture romaine.
                                         Reprenons l'exemple de l'homosexualité, concept qui n'existait pas en tant que tel - pas plus, d'ailleurs, que celui d'hétérosexualité ou de bisexualité : avec un homme ou avec une femme, un citoyen romain respectable se doit d'être le dominant, l'actif du couple... Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Notons d'ailleurs qu'il n'existait aucun équivalent de notre terme "sexualité" - ce qui, franchement, complique encore un peu les choses !
                                         Souvent représentés comme des êtres lascifs à la sexualité débridée, il apparaît en fait que les Romains se faisaient une tout autre idée de l'immoralité et de la vertu, et que si la notion de péché leur était inconnue (merci le christianisme !), un certain nombre de règles  déterminait le comportement attendu de la part d'un citoyen - des règles de tempérance, de maîtrise de soi, délimitant clairement l'espace du plaisir et celui des devoirs.
                                          Tout le mode de pensée des romains sur le sujet nous est étranger : il nous faut oublier tout ce que nous croyions savoir, faire abstraction de notre propre conception de la morale pour pouvoir espérer appréhender ce vaste sujet. C'est à cela que nous invite le hors-série au fil d'articles riches et variés. De la littérature érotique à la prostitution en passant par la figure mythologique de Priape ou le statut des femmes, de nombreux spécialistes abordent, dans un langage clair et précis, la plupart des sujets - y compris les amours entre femmes, thème rarement abordé. De nombreuses illustrations enrichissent ce dossier : largement décryptées, en particulier dans leurs sous-entendus, elles donnent une idée plus précise encore de la place de la sexualité dans la société romaine. Ainsi, les messages érotiques et les graffiti sexuels retrouvés dans la partie Gallo-romaine de l'Empire offrent-ils un aperçu des jeux de mots, des images et des pratiques - et plus exactement de ce qu'elles véhiculaient dans la mentalité des Romains. De même, les objets de la vie quotidienne figurant un phallus ou à l'effigie de Priape ou de créatures dionysaques témoignent de l'aspect prophylactique de ces représentations - bien loin de l'obsession pour le sexe que l'on a souvent voulu y voir.
                                          Au final, je risque d'en décevoir certains car il n'y a rien de choquant ni même de graveleux dans ce magazine - bien que, je vous le concède, certaines illustrations ou certains propos puissent paraître crus aux yeux les plus chastes ! Mais, sans jamais tomber dans l’exhibitionnisme, la revue traite intelligemment d'une thématique rarement abordée avec autant de sérieux, et elle est absolument passionnante du début à la fin. Certes, vous m'objecterez qu'elle est un peu chère - surtout, me direz-vous, qu'elle ne compte que 80 pages. Et bien je vous répondrais que, comme dans bien d'autres domaine, la taille n'est pas le plus important...

Dossiers d'Archéologie : Sexe à Rome, au-delà des idées reçues. - Hors Série n°22 - Avril 2012 - 9 euros. Voir le lien.

vendredi 20 avril 2012

Le cursus honorum : le parcours du combattant... ou plutôt du Sénateur !

                                        Je ne vous apprends rien : ce week-end a lieu en France le premier tour de l'élection présidentielle. Scrutin, mandats, campagne électorale... Et dire que je me demandais pourquoi l'évènement m'avait donné envie de vous parler du cursus honorum ! L'expression vous évoque peut-être vaguement quelque chose : le cursus honorum, que l'on pourrait traduire par "succession des honneurs", c'est le chemin balisé, les étapes obligatoires pour quiconque souhaite entrer dans la carrière publique. Dans son "Dictionnaire Amoureux de la Rome Antique" (éditions Plon), Xavier Darcos le compare fort justement à une sorte de jeu de l'oie du pouvoir : la formule me plait, et je n'aurais pas trouvé mieux !

                                        En effet, un citoyen romain ne peut prétendre occuper n'importe quel poste dans la magistrature publique. Outre les conditions indispensables d'âge, de fortune et de naissance, toute ascension se fait dans un ordre bien précis, selon une hiérarchie fixée en 180 avant J.C., qui a cependant connu de notables évolutions au fil des siècles. La principale réorganisation est due à ce brave Auguste qui, après les guerres civiles, abaisse notamment l'âge à partir duquel chaque fonction peut être briguée et fixe à 600 le nombre de Sénateurs - auquel peut se présenter chaque magistrat sortant (à condition de posséder un minimum d'un million de sesterces.) De plus, dès lors, l'Empereur ne se privera pas d'accorder des dérogations à ses proches, et de nommer des hommes selon son bon vouloir.


L'Empereur Auguste.

                                          Mais en attendant, revenons au début de l'Empire : les hommes issus des familles nobles entrant dans la carrière sénatoriale doivent occuper toute une série de postes et, théoriquement, ils sont élus par les différentes assemblées. Je précise "théoriquement", car dans la pratique, il arrive fréquemment sous l'Empire que les charges soient attribuées par l'Empereur himself ou par son entourage, en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes... (C'est le cas, par exemple sous Vespasien ou Commode). Avant tout, il faut remplir un certain nombre de conditions pour être éligible : être citoyen romain, appartenir à la classe équestre et avoir effectué son service militaire en tant que cavalier (ce qui nécessitait une fortune d'au moins 400000 sesterces.) Les mandats sont attribués pour un an, de sorte que les campagnes électorales sont quasi permanentes : quand on voit l'ambiance chez nous en ce moment, voilà qui laisse songeur !

Les mandats successifs que doit briguer notre citoyen romain sont les suivants :

1) Questeur (quaestor) - à partir de 30 ans, puis 25 ans sous le principat. Cette magistrature est généralement exercée par un ancien tribun militaire. Le questeur est en charge du trésor public : il collecte l'impôt, gère les dépenses, éventuellement la trésorerie d'une province et rémunère l'armée. Ils sont au nombre de 20 chaque année - puis 70 ultérieurement, l'étendue de l'Empire nécessitant davantage de magistrats . Le poste de questeur est un prérequis indispensable pour pouvoir ensuite se présenter au tribunat de la plèbe (voir l'article sur Tiberius Gracchus), bien que cette charge soit purement honorifique sous l'Empire.

2) Edile (aedilis) - à partir de 36 ans, puis 27 ans sous le principat. Étape facultative, il fallait néanmoins avoir été questeur pour pouvoir y prétendre. L'édile est à la tête de l'équivalent de la police municipale (petite délinquance, vols, flagrants délits...) et est en charge de l'entretien de la voirie, de la distribution du blé, de l'organisation des jeux, etc. Ils sont au nombre de 4 : les édiles curules élus par les comices tributes, et les édiles plébéiens par les conciles... plébéiens ! Ils bénéficient de l'inviolabilité.

3) Préteur (praetor) - à partir de 40 ans, 30 ans sous le principat. Leur nombre varie au fil du temps : 8 sous Sylla, 16 sous César, 12 au début de l'Empire, ils ne sont par exemple plus que 6 en 241. Il en existe de deux sortes : les préteurs urbains et les préteurs pérégrins. Garants de la justice et détenteurs de l'autorité militaire (imperium), ils gèrent les affaires entre citoyens romains dans le premier cas, et celles impliquant un ou des étrangers dans le second. Le préteur urbain communique également aux Consuls les décisions du Sénat, et peut les remplacer en cas d'absence. Élus par les comices centuriates, les préteurs disposent de l'imperium, peuvent prendre les auspices majeurs et sont précédés de licteurs. Un préteur pourra, à l'issue de son mandat, devenir propréteur - le suffixe -pro indiquant qu'il conserve les pouvoirs et les honneurs liés à sa précédente fonction - et devenir gouverneur d'une province mineure ou légat (commandant) de légion.

4) Consul (bin, consul !) - à partir de 43 ans, 33 ans sous le principat. A l'origine, le  poste de consul a été crée en 509 avant J.C., lors de la chute de la monarchie et l'établissement de la république. Ils sont au nombre de deux, élus par les comices centuriates. Le plus haut magistrat de l’État, tant dans le domaine civil que militaire, lui aussi détenteur de l'imperium, il a le droit de prendre les auspices et est précédé de 12 licteurs. Le consul convoque et préside les réunions du Sénat, les comices curiates et centuriates, peut intervenir en justice et commande les armées. Il donne également son nom à l'année. Chaque consul peut opposer son véto aux décisions de son collègue. Au terme de son mandat, il peut devenir proconsul, ce qui lui permet de devenir gouverneur d'une province importante, comme la Grèce par exemple. Il peut aussi devenir préfet de la ville (c'est-à-dire chargé du maintien de l'ordre public à Rome). Ancien consul, le censeur a quant à lui la charge de dresser la liste des membres du Sénat.
Une fois son mandat accompli, un consul doit attendre 10 ans minimum pour briguer un second mandat. (Enfin, logiquement... Parce que Marius ou Cinna, par exemple, ne s’embarrassent pas de la loi et se font élire plusieurs années de suite !) Néanmoins, sous l'Empire, l'élection n'est plus qu'une formalité et c'est le plus souvent l'Empereur qui nomme le consul - voire, qui s’octroie lui-même (ou conseille fortement aux Sénateurs de lui octroyer...) la fonction. Et inutile de préciser que, dans ce cas, la limitation suscitée compte pour des prunes :  Domitien, consul 10 fois en 16 ans, ne me contredira pas ! Ce n'est plus, de toute façon, qu'un titre honorifique, l'Empereur détenant dans les faits tous les pouvoirs.


Pièce romaine représentant la chaise curule, attribut des magistrats détenant l'imperium.

                                        Au IVe siècle, toutes ces magistratures ne correspondront plus qu'à des titres, vidés de toute substance : les postes importants ne dépendront plus du cursus honorum ou de l'appartenance à une classe sociale. Constantin Ier, par exemple, ne nommera plus que des consuls à titre purement honorifique, et laissera au Sénat le soin de désigner questeurs, prêteurs, etc. Le cursus honorum aura vécu.

                                        O.K., je le reconnais : ça fait beaucoup d'informations à assimiler. D'autant plus que des notions comme l'imperium, les comices ou le légat sont peut-être assez floues dans votre esprit... Pas d'inquiétude, j'aurais l'occasion d'y revenir ! En attendant, souvenez-vous donc simplement de l'ordre dans lequel les magistratures devaient être accomplies et de leur fonction principale :

Questeur - trésor public.
Édile (facultatif) -
police municipale.
Préteur -
justice.
Consul -
plus haute magistrature sous la république, titre honorifique sous l'Empire.

Si vous avez retenu ça, vous avez compris l'essentiel. Et vous serez un peu plus savant au moment de glisser votre bulletin dans l'urne !


mardi 17 avril 2012

Bonnes lectures : Kaeso le Prétorien.

Illustration : Studio Gothika.

                                        Dans un récent billet, j'avais évoqué le forum du livre péplum, organisé à Nîmes par l'association Carpe Feuch. J'en étais repartie les bras chargés de livres, et j'avais promis de vous en reparler. Plus largement, j'ai décidé de consacrer quelques articles de ce blog à mes lectures, et en particulier aux ouvrages de fiction. Non pas que je sois moins intéressée par les biographies ou autres études sur l'Antiquité, mais je cite généralement ces ouvrages au fil des sujets que j'aborde, et je risquerais donc de me répéter. Ceci dit, j'envisage de vous proposer, à plus ou moins brève échéance, une petite sélection des livres qui me paraissent les plus intéressants. Mais aujourd'hui, j'ai décidé de vous présenter les deux premiers tomes d'une série de romans historiques que j'ai découverte lors de ce fameux forum : les aventures de Kaeso le Prétorien, écrites par Cristina Rodriguez.

                                      Je connaissais déjà l'auteur pour avoir lu le remarquable "Le César Aux Pieds Nus", dans lequel Hélicon, esclave de Caligula, racontait la fin du règne de Tibère et les débuts de celui de son maître. J'avais adoré ce livre - et je m'explique donc d'autant moins pourquoi je ne me suis pas jetée sur les autres ouvrages de Cristina Rodriguez ! (Exception faite de "Les Mémoires De Caligula" : là, je sais que c'est parce que je ne parviens pas à mettre la main dessus !) C'est désormais chose faite, avec "Les Mystères de Pompéi" et "Meurtres Sur Le Palatin" - en attendant avec impatience de me procurer le troisième volet, "L’Aphrodite Profanée"...


 Commençons donc avec "Les Mystères de Pompéi". Logique : c'est le premier de la série ! Nous sommes en 31. Tibère, vieillard paranoïaque et dépressif, s'est retiré sur l'île de Capri. Kaeso, le héros de ce roman, est le fils d'une noble bibracte, ancienne esclave versée dans la médecine et la divination, et d'un garde prétorien décédé. Bien qu'il ait suivi les traces de son père, Kaeso a été déchu de son poste. Jeté en prison suite aux manigances de la clique du préfet du prétoire, l'odieux Séjan, (cf. l'article consacré au règne de Tibère pour plus d'informations sur ce sinistre individu...), il ne doit son salut qu'à son amitié avec Nerva, sénateur proche de Tibère. Muté à la tête de la police locale de Pompéi, Kaeso y débarque accompagné de sa mère et de Io, son fidèle léopard apprivoisé. Il y découvre une caserne décrépie, où somnole une garnison composée de feignasses indisciplinées, plus habituées à profiter du beau soleil de la Campanie qu'à faire régner l'ordre. Notre beau centurion compte bien y remédier, quand bien même on ne cesse de lui répéter que Pompéi est une petite ville bien tranquille. Quoique, tout est relatif : dès son arrivée, Kaeso croule littéralement sous les cadavres ! Meurtres, complot contre l'Empereur, fausse monnaie... A lui de démêler tous les fils, quand bien même ils le mèneraient à son puissant ennemi, Séjan. Pour cela, outre le concours de sa mère et le flair imparable de Io, il peut compter sur ses hommes, pathétiques mais pleins de bonne volonté, sur sa cousine , la chipie (mais néanmoins charmante) Concordia, et sur son ami Caligula, bien décidé à se mêler à l'enquête...

Second volume, "Meurtres sur le Palatin" voit Kaeso de retour à la tête de la garde prétorienne, à Rome. Décidément, le pauvre homme n'a pas de chance : il essuie une nouvelle averse de cadavres ! Cette fois, plusieurs personnes sont retrouvées assassinées, une pièce de monnaie dans la bouche. Le meurtrier, pris de remords, a -t-il pris soin de payer à Charon leur passage dans l'au-delà ? Ou s'agit-il d'un avertissement ? Et qu'ont donc en commun les victimes, un gladiateur et un sénateur ? Une nouvelle fois, Kaeso va devoir faire preuve d'autant de perspicacité que de prudence pour résoudre cette enquête, qui va l'entraîner dans le quartier chaud de Rome, le Suburre, dans les tripots et les lupanars. Heureusement que, outre ses hommes, il peut compter sur Hildr sa mère, Concordia et Caligula pour l'épauler - sans parler de l'inénarrable Io ! Redoutable quatuor auquel vient s'ajouter le bel éphèbe Apollonius, qui se prétend oracle d'Apollon. Mais est-il aussi innocent qu'il le prétend ?

                                        Au final, j'ai dévoré ces deux livres. Je dois avouer une légère préférence pour "Les mystères de Pompéi" : l'écriture à la première personne m'a davantage séduite, en particulier parce qu'elle permet au lecteur de plonger plus directement dans l'univers du roman - qu'il s'agisse du cadre spatio-temporel ou de l'esprit de Kaeso, ce qui permet de mieux cerner sa personnalité. Par ailleurs, le dénouement m'a vraiment bluffée ! Il est très bien amené, et absolument insoupçonnable : moi, en tous cas, je ne l'ai pas vu venir ! (Ce qui est assez rare. Généralement, je devine l’identité du tueur à la page 20...) C'est un peu moins vrai concernant "Meurtres Sur Le Palatin", à l'intrigue moins prenante et au dénouement plus attendu. Pour autant, les deux livres sont vraiment formidables : on y retrouve la même ambiance, le même style d'écriture fluide et bourré d'humour, la même érudition distillée avec l'élégance de ceux qui savent transmettre leurs connaissances avec simplicité et sans pédanterie, les mêmes éléments historiques parfaitement imbriqués dans le récit... Et surtout, les mêmes personnages : réels ou imaginaires, pas un n'est à jeter ! Émouvants, truculents, agaçants - parfois les trois à la fois ! - , ils ont tous une personnalité propre, mais subtile, loin des clichés, et la profondeur psychologique du moindre protagoniste lui confère une humanité que l'on ne retrouve que rarement dans les romans policiers historiques. Par ailleurs, l'auteur offre sur Caligula un regard dénué de tout préjugé, presque tendre, qui donne une toute nouvelle perception de cet homme si souvent caricaturé en grand malade mental. Ce n'est pas la moindre des qualités de ces livres. Bien que, très honnêtement, je confesse un léger faible pour Concordia, plus complexe qu'il n'y paraît, et bien évidemment pour le léopard, Io, dont je suis fan !
Concordia, exactement comme je l'imaginais ! (Illustration : studio Gothika)
                                        Quelques bémols, malgré tout. D'abord, plusieurs points demeurent, euh, mystérieux lorsqu'on referme "Les Mystères de Pompéi" - un comble ! Le lien entre Hélicon et la prêtresse d'Isis, par exemple, me perturbe beaucoup... Certains passages, ensuite, qui sont retranscrits mot pour mot d'un livre à l'autre. Et enfin, quelques maladresses stylistiques m'ont agacée, donnant parfois l'impression d'une écriture un peu bâclée. Peu importe, je persiste et signe : deux excellents romans, où les détails de la vie quotidienne dans l'Empire romain s'intègrent à la perfection dans des intrigues intelligentes et intéressantes. Je vous les recommande vivement, et j'attends avec impatience de poursuivre l'aventure avec "L’Aphrodite Profanée" !

Plus d'informations sur le site www.kaesolepretorien.com

"Les Mystères de Pompéi" de Cristina Rodriguez. Éditions Le Masque. 8e70
"Meurtres Sur Le Palatin", même auteur, même éditeur. 8e20
Et tant que j'y suis : "Le César Aux Pieds Nus", même auteur. Éditions Flammarion. 22e40

vendredi 13 avril 2012

La langue dans l'Empire romain

                                        Si vous pouvez lire ce blog, c'est grâce aux Romains. Bien sûr, sans eux, j'aurais eu du mal à rédiger des articles sur l'Antiquité romaine - ça tombe sous le sens ! Mais ce n'est pas exactement ce que je voulais dire... Si vous pouvez DÉCHIFFRER ce blog, c'est grâce aux Romains : l'alphabet que nous utilisons, ces lettres que vous avez appris à reconnaître tout petits, nous viennent directement de la Rome Antique. En effet, ce sont eux qui ont créé notre alphabet, qui était déjà quasiment identique à celui que nous connaissons :

A B C D E F G H I K L M N O P Q R S T V X Z

Comme vous l'avez remarqué, il ne manque que le J, le U, le W et le Y. A noter que, dans les inscriptions latines, le I était également utilisé pour la lettre J, et le V pour la lettre U.

                                         La trace la plus ancienne en langue latine date du VIIème siècle avant J.C. L'alphabet latin a été constitué à partir de signes grecs et étrusques - dont l'alphabet s'inspirait déjà largement de celui des Grecs. Nous avons peu ou prou conservé le même système, plusieurs siècles plus tard.

                                         Rome, au fil des siècles, n'a cessé de se développer et de conquérir de nouveaux territoires, repoussant sans cesse ses frontières, de la Bretagne à l'Afrique et de la péninsule ibérique à, grosso modo, l'Iran actuel et la Germanie. Inévitablement se pose la question de la langue : comment gouverner un empire aussi vaste, où sont parlées des multitudes de langues différentes ? Et bien, les Romains n'ont jamais tenté d'éradiquer les idiomes locaux : ils se sont contentés de les ignorer, et de "s'arranger" pour que le Latin devienne indispensable aux élites autochtones.

Pièces romaines (représentant la tête de Minerve et la louve)
Tout d'abord, ils imposent le Latin comme langue officielle dans l'administration. En pratique, cela revient à dire que le Latin est nécessaire à quiconque souhaite s'associer aux services publics, grimper dans l'échelle sociale et la hiérarchie. Logiquement, le Latin devient également la langue de la finance - la monnaie romaine se diffusant dans toutes les provinces et les compagnies financières liées à l'administration impériale utilisant évidemment le Latin. Un autre vecteur de diffusion de la langue Latine, c'est le fonctionnement de l'armée : en effet, les peuples vaincus étaient obligés de fournir aux Romains d'importants effectifs militaires, incorporés dans des armées commandées en Latin. De plus, les soldats en fin de carrière recevaient en récompense des terres, généralement situées dans les provinces, et ces colonies de peuplement ont permis d'étendre le Latin dans les campagnes - bien que sa diffusion reste un phénomène essentiellement urbain. Du reste, tout l'Empire a connu, à un moment ou à un autre, une période plus ou moins longue de bilinguisme Latin / langue locale.

                                         Pour autant, il ne faut pas imaginer que le Latin parlé au fin fond de la Gaule ou de la Lusitanie était celui d'un Caton ou d'un Cicéron ! Le Latin utilisé par les colons, les soldats, les autochtones, était bien différent du Latin littéraire. En marge de ce Latin classique, un Latin plus populaire s'est développé : essentiellement oral, il est progressivement employé par les scribes ou les clercs lors de rédaction d'actes civils et a gagné en influence - au point, selon certain, d'avoir perverti la langue jusqu'à Rome ! Il sert également de vecteur au Christianisme, qui touche en premier lieu les plus pauvres et les classes modestes, et se sert donc de ce Latin "du peuple" pour transmettre son message. Devenu langue de l’Église, c'est ainsi que ce Latin populaire perdurera, survivant à la chute de Rome - et qu'il donnera naissance aux langues telles que l'Espagnol, le Français, le Roumain, etc.   

                                         Ainsi, une certaine unité linguistique s'installe dans tout l'Empire, le Latin côtoyant les différentes langues vernaculaires. Seul le Grec résiste à cette hégémonie : il demeure utilisé en Orient, tandis que toute la partie occidentale utilise le Latin. Ainsi, les documents étaient systématiquement traduits à l'intention des provinces hellénophones, et les courriers adressés aux cités grecques étaient rédigés dans leur langue.

                                         De fait, le Grec jouissait d'un grand prestige au sein des élites romaines, qui se devaient d'être parfaitement bilingues. Langue de la littérature et de la philosophie, elle était enseignée aux enfants des grandes familles, souvent avant même le Latin, de sorte que les esclaves hellénophones étaient particulièrement recherchés. Par ailleurs, tout cursus scolaire digne de ce nom incluait obligatoirement quelques mois passés en Grèce - tout comme aujourd'hui, nos étudiants les plus privilégiés partent étudier quelques semestres dans des universités anglaises ou américaines... Mais nous aurons l'occasion d'approfondir le sujet un de ces jours !

                                          Bref, pour résumer, si vous aviez vécu dans la Rome antique, vous auriez pu parcourir la totalité de l'Empire et vous débrouiller en ne maîtrisant que deux langues : le Latin et le Grec ! Alors que maintenant, il vous faudrait parler Italien, Français, Allemand, Portugais, Arabe, Turc, Roumain, Grec... Avouez que c'était quand même plus pratique ! Évidemment, cette diffusion du Latin dans les territoires conquis visait surtout à imposer la domination romaine, et pas tellement à faciliter le tourisme... Mais de cela aussi, nous en reparlerons à l'occasion - mais pas en Latin, promis !

mercredi 11 avril 2012

Les origines de Rome.

                                        Cela fait peu de temps que je tiens ce blog et vous avez certainement remarqué que les sujets que j'y traite ne sont pas abordés de façon chronologique. Pour être honnête, je n'établis aucun plan, et j'écris mes billets selon mes lectures, mes visites, ou lorsqu'une idée me vient. Plus qu'un simple caprice, il s'agit d'un choix délibéré : je me sentirais limitée par une approche linéaire de l'Antiquité romaine, car elle m'imposerait un rythme, des règles et des thèmes dont je peux plus facilement m'affranchir en n'en faisant qu'à ma tête ! De plus, d'autres l'ont fait avant moi, et je n'ai pas la prétention de les égaler... Pourtant, il fallait bien que je me décide, à un moment ou à un autre, à vous parler des origines de Rome. C'est donc ce que je m'apprête à faire aujourd'hui...

                                        Encore faut-il savoir de quoi l'on parle. En effet, la naissance de le ville qui allait devenir le cœur de l'Empire peut être présentée de deux façons : historique et mythologique. Dans le premier cas, on se rapportera aux découvertes archéologiques et aux rares écrits qui nous sont parvenus ; dans le second, on relatera l'histoire de Romulus et Remus. C'est de ce second aspect que nous allons traiter.

                                         Signalons tout d'abord que la légende de Romulus et Remus est bien postérieure aux évènements qu'elle relate. Au néolithique, la péninsule italienne était occupée par les Ligures. Ils en furent chassés à l'âge du Bronze principalement par les Italiotes, venus d'Europe centrale.  C'est au XIIème siècle avant J.C. que se situe la légende d’Énée, début du mythe des origines de Rome. Vers l'an 1000 avant notre ère, les Étrusques arrivent sur le territoire : chassés d'Asie mineure par les Doriens, ils assimilent petit à petit les Italiotes, notamment grâce à leur culture extraordinairement riche. Viendront ensuite les colons grecs, qui s'établissent en Sicile et dans le Sud de l'Italie, à partir du VIIIème siècle avant J.C. Enfin, l'année 753 avant J.C. marque la fondation légendaire de Rome. Voilà, en gros, quelles sont les origines du peuplement en Italie.

                                         La fiction n'est pas toujours plus excitante que la réalité, mais force est de constater qu'ici, c'est le cas ! Vous avez entendu parler de la guerre de Troie ? Et bien, notre histoire commence un peu avant. Vénus - qui allait bientôt semer la zizanie que l'on sait entre Grecs et Troyens - tombe amoureuse d'Anchise. De cette union naît un fils, Énée, qui devient le gendre du roi de Troie, Priam. Quelques années plus tard, le fils de Priam, Pâris, est sollicité pour arbitrer un concours de beauté entre Athéna, Héra et Venus. La suite, on la connaît : Vénus achète son vote en lui offrant l'amour de la belle épouse du roi Ménélas, Hélène, et c'est le début des ennuis. Pâris ramène Hélène à Troie, le mari bafoué lève une armée et s'embarque avec une flopée de guerriers grecs (dont Achille et Ulysse. Excusez du peu !) pour aller récupérer sa femme et ficher une dérouillée aux Troyens. Ce qui prendra 10 ans. Finalement, les Troyens font entrer à l'intérieur de la ville un cheval de bois géant laissé devant leur porte par leurs ennemis, ce qui n'est pas très malin parce que : primo, que comptaient-ils faire d'un cheval de bois géant ? ; et secundo, des Grecs étaient cachés à l'intérieur, prêts à ouvrir les portes de la ville à leurs camarades. Résultat : Troie est incendiée et entièrement détruite, et ses habitants sont presque tous massacrés. Énée fait partie des survivants : portant son père aveugle et paralysé sur son dos, tenant son fils Ascagne par la main, il fuit les ruines de la cité et, réunissant quelques compagnons rescapés, il prend la mer à la recherche d'une nouvelle patrie...

Énée et Anchise, représentés fuyant Troie. (Statue de Pierre Lepautre)
  
                                          La joyeuse équipe parcourt la Méditerranée, et Énée tente de se fixer à plusieurs reprises. Il fait escale en Thrace, à Délos, en Crète... Mais les Dieux - et en particulier Héra - sont contre lui et ne cessent de lui mettre des bâtons dans les roues. Anchise meurt en Sicile, et Énée poursuit sa route, s'arrêtant à Carthage, où la Reine Didon s'éprend de lui. Zeus ne l'entend pas de cette oreille : il lui intime l'ordre de planter là sa maîtresse, et de repartir. Énée obéit, et tant pis si Didon se suicide ! Finalement, notre héros débarque par hasard sur les rives du Tibre, là où Saturne avait trouvé refuge après avoir été détrôné par son fils - Zeus, encore ! Comme quoi, le Tibre était le rendez-vous des exilés... Bref : le descendant de Saturne, Latinus, comprend vite en rencontrant Énée qu'il n'a pas à faire au perdreau de l'année, et il lui donne en mariage sa fille, Lavinia. Évidemment, comme elle est promise à Turnus, roi des Rutules, ça pose un léger problème - mais rien qu'une bonne guerre ne puisse régler ! Turnus attaque Latinus et Énée : il est finalement vaincu, mais Latinus meurt dans la bataille. Énée lui succède, fonde la ville de Lavinium en l'honneur de son épouse et donne le nom de Latins à son peuple. C'est sur cet épisode que s'achève le poème de Virgile, "L’Énéide".

                                          Voyons la suite : à la mort d’Énée, son fils Ascagne lui succède. (Pour information, on l'appelle aussi Iule, et il serait à l'origine de la gens Iulius - celle de César, ce qui vous explique pourquoi le dictateur se réclamait descendant de Vénus. ) Ascagne crée la ville d'Albe-La-Longue, et fonde une dynastie qui comptera dix rois. A la mort du dixième, Procas, ses enfants s'affrontent violemment pour prendre le pouvoir. L'aîné, Numitor, est renversé par son frère, Amulius. Tant qu'il y est, ce dernier en profite pour tuer son neveu et obliger sa nièce Rhéa Silvia à se vouer au culte de Vesta : c'est bien pratique, puisque ça l'oblige à rester vierge sous peine de finir enterrée vivante, ce qui évite que d'éventuels enfants viennent plus tard réclamer le trône à Amulius.

                                          Hélas, c'était compter sans le Dieu de la guerre, Mars, qui tombe sous le charme de la jeune vestale. Et hop ! La voilà mère de deux jumeaux,Romulus et Remus. Fou de rage, Amulius jette les deux enfants dans le Tibre en crue, mais le fleuve les dépose au pied du mont Palatin, sous un figuier où ils sont recueillis et allaités par une louve. Le berger Faustulus, constatant le prodige, prend les jumeaux sous sa protection et les confie à sa femme, Larentia. Selon Tite-Live et Plutarque, Larentia était en fait une prostituée, ce qui lui aurait valu le surnom de lupa (la louve). D'où la légende, le mot étant réinterprété dans un sens plus symbolique.


Louve capitoline, allaitant Romulus et Remus. (Musée du Capitole, Rome.)


                                           A 18 ans, Romulus et Remus découvrent le secret de leur naissance : prenant les armes, ils rétablissent leur grand-père Numitor sur le trône et massacrent leur oncle Amulius. Puis ils partent fonder leur propre ville, optant pour le site où ils ont naguère été rejetés par le Tibre. Reste à déterminer, qui de Romulus ou de Remus, sera le roi de cette nouvelle cité. Les deux frères consultent le vol des oiseaux, remettant la décision entre les mains des Dieux. Sur le score de 12 vautours à 6, ceux-ci désignent Romulus haut-la-main. A l'aide d'une charrue, le vainqueur trace immédiatement le sillon marquant les limites de la ville (le pomerium, de post murum : derrière le mur). Mais Remus prend cette histoire à la rigolade et, par dérision, franchit d'un bond la frontière symbolique. Mauvaise idée : Romulus ne plaisante pas avec SA ville, et il fend le crâne de son jumeau, histoire de faire un exemple. Voilà pour la naissance de Rome.

                                           Ensuite... Et bien, Romulus entreprend de construire la cité, mais il n'a personne pour la peupler. Convenons-en : c'est embêtant ! Il fonde donc sur le Capitole un asile, afin de recueillir tous les traîne-savates, brigands et malfaiteurs des environs, et se proclame roi de cette joyeuse engeance. Oui, mais il faut aussi des femmes ! Qu'importe, Romulus a un plan : il invite ses voisins, les Sabins, à venir à Rome célébrer des jeux en l'honneur du Dieu Consus et, pendant la fête, il fait enlever les femmes des Sabins. On se doute que ces derniers ne vont pas se laisser faire. Une guerre sanglante éclate entre les deux cités et après bien des rebondissements, Jupiter accepte d'accorder la victoire à Romulus en échange d'un joli Temple. La paix est signée, et Sabins et Romains signent une alliance.

                                           Du reste du règne de Romulus, on sait peu de choses. Sa mort, par contre, est aussi extravagante que sa naissance. Au bout de 33 ans de règne, Romulus est enlevé dans les cieux par son père Mars au cours d'un orage. Peu après, il apparaît, auréolé d'un halo de lumière surnaturelle, à un Sénateur (l'histoire ne précise pas si ce dernier était porté sur la bouteille) auquel il ordonne qu'on le proclame Dieu et qu'on l'honore sous le nom de Quirinus. Selon d'autres versions, Romulus aurait agi en véritable despote - à tel point que les Sénateurs, à bout de nerfs, l'auraient taillé en pièces.

                                           Si la seconde version est la plus réaliste, elle n'exclue cependant pas une question essentielle : y a-t-il quoi que ce soit de vrai dans toute cette histoire ?! Et, plus précisément encore, Romulus a-t-il réellement existé ? A priori, la réponse est non : Romulus ne serait qu'un héros imaginaire. Mais au fond, peu importe qu'il ait été ou non un personnage réel : cet épisode mythologique, omniprésent dans l'esprit des Romains, est une justification de la fondation de leur ville, en même temps qu'il apporte la preuve de ses origines divines, et donc de leur légitimité à dominer le monde. C'est en cela que l'origine légendaire de Rome a finalement pris le pas sur la réalité historique.

                                           Pour en savoir plus, notamment sur les liens entre la légende et la réalité historique, je recommande la lecture du livre "Romulus" de Thierry Camous (Biographie Payot). Ouvrage fouillé et érudit, parfois un peu complexe, il éclaire cependant de façon passionnante le mythe de la fondation de Rome, et vous permettra d'en savoir plus sur ce sujet.

vendredi 6 avril 2012

Revue de presse - Archéothéma.

                                        Un court billet pour, une nouvelle fois, vous présenter un magazine sorti récemment et traitant - devinez de quoi ? - de l'Antiquité romaine ! En même temps, si j'avais chroniqué une revue de jardinage, vous auriez été en droit de protester. Cette fois-ci, je vous signale la sortie en kiosque d'un numéro du bi-mensuel Archéothéma avec, pour thème principal, "Rome et la Chine". Alléchant, n'est-ce pas ? Il faut dire que c'est un sujet rarement traité - bien moins, en tous cas, que les rapports entre romains et germains, par exemple.

                                        Archéothéma consacre la quasi intégralité de son numéro aux liens entre les romains et les chinois - soit environ 70 pages. Les deux Empires, diamétralement opposés sur le continent Eurasien, ont en commun leur longévité, leur étendue et la manière dont ils ont marqué, façonné de vastes territoires - les leurs, tout comme ceux de leurs voisins. Bizarrement pourtant, rares furent les contacts directs attestés entre eux. De rares ambassades, aucun échange commercial, aucun affrontement militaire... Pourtant, chacun connaissait l'existence de l'autre, et nourrissait à son encontre toutes sortes de fantasmes (les Romains imaginant par exemple les Chinois - ou Sères, puisqu'ils les appelaient ainsi - comme des grands bonhommes aux cheveux rouges et aux yeux bleus !) Car, s'ils ne se sont jamais côtoyés directement, les relations existaient bel et bien, mais au travers d'intermédiaires : perses, indiens, mèdes, hébreux, nomades... Autant de peuples qui faisaient le lien entre Rome et la Chine. Par voie maritime, mais aussi par diverses routes terrestres - dont la célèbre Route de la Soie - que les marchands empruntaient au gré des saisons ou des bouleversements géopolitiques (apparemment, les mecs de l'empire Kouchan n'étaient pas très arrangeants...) Mention spéciale à l'article sur la mission de Thomas en Chine : surprenant, car peu connu.

                                        Monnaie et artisanat romain chez les Han, objets chinois chez les Romains : les fouilles ne les livrent qu'au compte-gouttes. Par contre, d'un Empire à l'autre, de nombreux objets retrouvés dans des tombes (de la modeste sépulture au tombeau royal) témoignent d'un métissage, d'un syncrétisme ayant donné naissance à des bijoux, des pièces de vaisselle, d'apparat ou d'armement réunissant des caractéristiques propres à chacune des deux cultures.

                                        La revue a l'intelligence d'aborder les différents aspects des relations sino-romaines en alternant les deux points de vue, rendant la confrontation particulièrement pertinente et intéressante. Certains textes, détaillant les fouilles, pourront paraître un peu austères ou techniques aux yeux du simple amateur, mais largement illustrés par de superbes photos, ils sont pourtant passionnants. Le résultat est un dossier vraiment atypique, riche et qui apporte autant de réponses qu'il suscite de nouvelles questions, en traitant d'un sujet méconnu, sur lequel on a forcément envie d'en savoir plus. Une initiative vraiment originale ! Comptez sur moi pour guetter les prochains numéros du magazine, et vous tenir informés de leurs prochains dossiers - que j'attends avec impatience...

Archéothéma - n°19 - Mars / Avril 2012 - 7 euros.
http://www.archeothema.ch/




  

jeudi 5 avril 2012

Peplum et film antique.

                                        Le week-end dernier se tenait à Nîmes le 2ème salon du livre péplum, à l'initiative de l'association Carpe Feuch (www.carpefeuch.blogspot.com). Des invités prestigieux (parmi lesquels Claude Aziza ou Eric Teyssier), des projections de films, des conférences... Évidemment, j'y étais ! Et je suis repartie les bras chargés de livres - dont je vous reparlerais en temps utile. Mais en attendant, puisque cet évènement met en lumière le péplum, je profite de l'occasion pour me pencher sur le sujet.

                                        Mais pour commencer, qu'est-ce qu'un péplum, exactement ? Et puis d'abord, d'où vient ce nom ? Et bien péplum vient du mot grec peplos, qui désigne une tunique longue de style dorien portée par les femmes. On voit vaguement le rapport avec la choucroute, mais on n'est quand même pas totalement convaincu : en effet, le protagoniste principal du péplum est généralement un homme, et la plupart du temps court vêtu - jupette pour les militaires, tunique dévoilant la cuisse (musclée, de préférence) pour les autres. Certains font remonter l'origine de l'utilisation du mot péplum au film "La Tunique" (1953) mais Claude Aziza avance une explication que je trouve plus séduisante : on devrait le mot "péplum" à Bertrand Tavernier, amateur du genre dans les années 50. Il se rendait dans les ciné-clubs avec ses amis pour y voir des films "en péplum" (ou plutôt "en pépla" !), comme on dit "des films en costumes". L'expression "péplum" viendrait donc de là... Si non e vero, e ben trovato !

                                        Quid de la définition ? Elle n'est pas facile à donner. On considère généralement que le péplum est un film dont l'action - historique ou imaginaire - se déroule dans l'Antiquité. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes, la période s'étendant grosso modo de l'invention de l'écriture à la chute de Rome. On en conviendra : ça laisse de la marge ! Donc, des hommes préhistoriques qui gambadent en peaux de bête : pas péplum ; des types en toges : péplum. Oui, mais que fait-on des pharaons ? Des Grecs ? Des récits bibliques ? Car le péplum ne concerne pas uniquement l'antiquité romaine, mais tout film en costumes dont l'action se déroule dans l'Antiquité... Quoique : les films traitant de la légende arthurienne ont bien pour cadre cette période, mais peut-on légitimement qualifier "Excalibur" de péplum ?! L'affaire se corse... Sans compter que certains spécialistes considèrent que le terme péplum s'applique uniquement à la production italienne d'après 1959, et parlent d'ante-péplum pour la période antérieure, et d'epic pour les films américains. (Source : l'antiquité au cinéma - Frédéric Martin - Éditions CinéLégendes.) Bref, on n'est pas rendu ! Donc, coupons court au débat : pour ce billet, j'adopterai ma propre définition du péplum : un film en costumes, sur fond d'évènement historique ou mythologique, ayant pour cadre l'Antiquité romaine, grecque, égyptienne ou reprenant des épisodes bibliques. Et, pour éviter toute polémique sémantique, j'utiliserai l'expression de "film antique". Parce que c'est MON blog, et que je fais ce que je veux !

                                         Comme nous l'avons vu, la production de films antiques a été dominée, au fil du temps, par deux pays : l'Italie et les États-Unis - et ce, même s'il a existé des tentatives plus ou moins réussies ailleurs, comme en Roumanie ou en Pologne, par exemple. Cependant, on peut considérer que le premier film du le genre est - cocorico ! - français, avec "Néron essayant des poisons sur un esclave" en 1897, une séquence des Frères Lumière durant moins d'une minute. D'autres réalisateurs suivront : Ferdinand Zecca par exemple (avec une première adaptation de "Quo Vadis", "La Passion" ou "Messaline") ou Georges Méliès (qui produit "Néron et Locuste" en 1907). Vers 1910, les Italiens prennent le relais, se démarquant par des films à gros budget, comme la première adaptation de "Les Derniers Jours De Pompéi" (1908) de Luigi Maggi. Les films séduisent le public par leur mélange d'action spectaculaire et d'histoire d'amour et de trahison sur fond d'Antiquité. Dans la foulée, l'industrie cinématographique s’engouffre dans la brèche avec "Quo Vadis" (1912) , "La Chute de Troie" (1910), "Cabiria" (1914) - les deux derniers de Giovanni Pastrone. C'est justement dans "Cabiria" qu'apparaît un personnage qui marque les esprits : Maciste, gros balèze tout en muscles et testostérone, interprété par Bartolomeo Pagano. Il sera décliné à toutes les sauces : Maciste le guerrier, Maciste contre la mort, Maciste médium, Maciste somnambule, Maciste chasseur alpin... N'en jetez plus ! La première guerre mondiale avait cependant mis un frein à la production cinématographique et, malgré les nombreuses productions, le public se lasse : le premier âge d'or du film antique italien prend fin au début des années 20 - même s'il faut signaler le "Scipion l'Africain" de Carmine Galione (1937), film spectaculaire commandé par Mussolini et clairement propagandiste. Hollywood prend le relais - notamment avec Cecile B. DeMille, maître du genre, qui réalise toute une série de films parmi lesquels "Les Dix Commandements" en 1923 (une première version) ou "Le Signe de La Croix". Mais là encore, le genre s'essouffle rapidement.

                                          C'est encore d'Italie que viendra la renaissance du péplum, au début des années 50 - grâce aux Américains ! A Cinecitta se déroule en 1951 le tournage d'une nouvelle version de "Quo Vadis" : ce film de Mervyn Le Roy (avec Peter Ustinov dans le rôle de Néron - fantastique !) est un triomphe, et relance le genre. Cinecitta est élevée au rang de capitale du cinéma américain, et les cinéastes collaborent par-delà l'Atlantique. Suivront, dans le désordre, des chefs-d’œuvre comme "Ben Hur" (1959), "Jules César" (1953) de Joseph Mankiewicz - adaptation de la pièce de Shakespeare tout en sobriété - ou, plus tardivement, "Spartacus" de Kubrik en 1960. Parallèllement, entre 1955 et 1965, le film antique Italien connaît un réel engouement populaire. D'un côté, on retrouve les films historiques, principalement basés sur Carthage, Rome, les vies de Néron ou Cléopâtre, et de l'autre les films mythologiques, mettant en scène Maciste (une vieille connaissance !) et Hercule (dont la série de films reprend peu ou prou les mêmes codes) dans des aventures (parfois très) librement inspirées des légendes antiques. C'est également à cette époque que sortent "Les Légions de Cléopâtre" (1959) et "Hercule A La Conquête de L'Atlantide"(1961), tous deux réalisés par Vittorio Cottafavi et bien représentatifs de ce qui se fait alors.


Hercule interprété par Steve Reeves.

                                        Cependant, l'importance grandissante de la télévision oblige les cinéastes à se renouveler, et Hollywood opte pour des films toujours plus grandioses et spectaculaires (et donc plus chers), à l'image de la nouvelle version de "Les Dix Commandements " (1956 - toujours de Cecile B. DeMille, cette fois avec Charlton Heston et un nombre incalculable de figurants). Le "Cléopâtre" (1963) du même Joseph Mankiewicz déjà cité manque de ruiner la Fox et son relatif échec commercial, ainsi que celui de "La Chute de L'Empire Romain" d'Anthony Mann (1964) sonnent le glas du film antique à Hollywood. Ce n'est pas la seule explication : comme toujours, le pire a côtoyé le meilleur (je me permets de citer l'inclassable "Satyricon" de Fellini) et les codes du film antique ont parfois été usés jusqu'à la corde. Apparaissent ainsi des films parodiques ("La Vie de Brian" des Monty pythons, "Les Week-ends de Néron"...), pornographiques (Ah, le "Caligula" de Tinto Brass !) ou de science-fiction ("Maciste Contre Les Hommes De Pierre") - ou l'on trouve de vraies pépites, mais aussi le plus souvent de la pure série Z ! J'en profite d'ailleurs pour lancer un appel : si quelqu'un sait où je pourrais me procurer "Maciste contre Zorro", qu'il me contacte ! Je crois vraiment qu'après avoir vu ça, on peut mourir tranquille...

                                        Sans doute n'est-ce pas un hasard : le déclin du film antique coïncide avec l'émergence du western spaghetti, dont le fer de lance est un certain Sergio Leone... réalisateur d'un des derniers grands péplums : "Le Colosse de Rhodes" en 1959. La plupart des réalisateurs de péplums se reconvertissent d'ailleurs dans le western. S'en suivent plusieurs décennies de purgatoire, où le genre est au mieux ignoré, au pire méprisé. Ces dernières années ont vu l'émergence de quelques films tentant de renouer avec le bon vieux film antique : "Gladiator", "300", "Le Choc Des Titans" en sont de bons exemples. Mais c'est sans conteste la télévision qui a pris le relais, avec en particulier des séries comme "Rome" ou plus récemment "Spartacus"...

                                        Reste une question : que valent les films antiques du point de vue historique ? Et bien... ça dépend ! Très honnêtement, les films sont souvent remplis d'erreurs, d'images d’Épinal (généralement fausses), de raccourcis et d'amalgames. Que ce soit de bonne foi ou en toute connaissance de cause, il n'en reste pas moins que, des costumes aux faits historiques eux-mêmes, mieux vaut garder une certaine réserve, et prendre le film antique pour ce qu'il est : un film, précisément ! C'est-à-dire avant tout une œuvre de pur divertissement, un spectacle, une manière de s'évader pendant une heure et demie (ou 5 heures, parfois !) direction l'Antiquité. Le débat de la crédibilité historique du film antique est pourtant intéressant, mais il faudrait des heures pour épuiser le sujet : je vous encourage à vous reporter au livre que je citais plus haut si vous désirez approfondir cette question. Quant à moi, mon opinion est claire : peu importe, finalement, les erreurs que l'on peut relever dans les films antiques ! L'essentiel est qu'ils représentent souvent un accès, une porte d'entrée vers l'Antiquité, en incitant le spectateur à se pencher sur les épisodes qu'ils relatent, à s'intéresser à la réalité historique. Ne suis-je pas, moi-même, venue à la Rome Antique grâce à l'excellente série "Rome" ?! Donc, regardez des péplums, prenez-y du plaisir, et le reste viendra (peut-être) tout seul !

                                        Une dernière petite chose : je suis loin d'être une spécialiste. Aussi, je vous encourage vivement à me laisser des commentaires si vous avez des précisions à apporter à cet article. Et pour ceux qui souhaiteraient en savoir davantage, vous pouvez vous rendre sur : www.peplums.info : un excellent site, très complet.

P.S. : Blague à part, je crois pouvoir survivre sans "Maciste contre Zorro". Par contre, il y a un film que je recherche désespérément et, bien que ce ne soit pas un péplum, je profite de ce billet pour lancer un S.O.S. : si vous savez où je peux dénicher "L'Affaire Mattéi." ("Il Caso Mattéi") de Francesco Rosi (1972), je vous supplie de me contacter ! Même si le film est en v.o. non sous-titrée, je suis preneuse ! 

dimanche 1 avril 2012

Visite de Vaison-La-Romaine.

                                        Ce n'est un secret pour personne : la France regorge de vestiges gallo-romains. De Paris à Nice en passant par Vienne, Lyon ou Reims, quiconque souhaite s'offrir un petit voyage dans la Rome antique n'a que l'embarras du choix. Parmi ces lieux, une ville -elle n'est pas la seule - a choisi de mettre en exergue ce pan de son histoire dans son nom même : Vaison-La-Romaine. J'ai eu l'opportunité de m'y rendre récemment : l'occasion de vous proposer quelques lignes et quelques photos.

                                        Certes, il n'y a pas que des vestiges gallo-romains à Vaison : on y trouve aussi le château féodal des Comtes de Toulouse, une cathédrale du XIIème siècle, une cité médiévale... Mais vous aurez remarqué que ce blog se concentrait sur l'Antiquité romaine : nous allons donc écarter ces sites, pourtant dignes d'intérêt mais qui ne nous concernent pas !

                                        Dans la région, on connaît bien sûr les monuments de Nîmes, Arles, Orange, etc. Le point commun entre tous ces édifices, c'est que se sont des bâtiments publics : la maison carrée, les arènes, le pont du Gard, l'arc de triomphe... Vaison présente la particularité d'offrir au visiteur une plongée dans la vie privée, dans le quotidien de ses anciens occupants. Si l'on peut y visiter les ruines des thermes ou le théâtre antique, on est surtout frappés par les maisons particulières, les boutiques, le quartier des artisans. C'est en cela sans doute que Vaison est un site remarquable, particulièrement émouvant pour ceux qui, comme moi, sont passionnés par cette époque. Déambuler au milieu des ruines, se figurer l'atrium ou les cuisines, imaginer au détour d'une pièce le va-et-vient des esclaves ou les dîners dans le triclinium, mettre ses pas dans ceux du maître de la domus à plusieurs siècles d'intervalle... Sans doute suis-je particulièrement sensible (et d'une imagination plutôt fertile !), mais j'avoue que cela me touche.

                                        Si les premiers signes d'occupations de la région remontent au paléolithique supérieur (10000 avant J.C.), c'est aux alentours de 20 avant J.C. qu'est attesté le développement de Vaison, qui s'organise progressivement en ville gallo-romaine. Baptisée Vasio vocontiorum, elle est l'une des capitales des Voconces lorsque l'administration romaine la transforme en ville fédérée. Elle devient rapidement une riche cité de la Gaule Narbonnaise : en témoigne le nombre de ses édifices publics et des propriétés privées. Aujourd'hui, les vestiges Gallo-romains sont concentrés en centre ville, sur une superficie relativement peu étendue, permettant une visite dans la journée. Ils sont répartis en deux sites : celui de Puymin, et celui de la Villasse.

SITE DE PUYMIN.
                                        C'est dans ce secteur que se situe la plupart des vestiges. C'est également la première étape obligée, puisque c'est à cette entrée que s'achète le billet combiné (8 euros) qui vous permettra d'accéder à l'ensemble des ruines. Outre le musée archéologique, on y trouve la maison à l'Apollon lauré, le sanctuaire à portiques, le théâtre et la maison à la tonnelle.

Maison à l'Apollon lauré.

Tête d'Apollon lauré.

La maison à l'Apollon lauré s'étendrait sur près de 2000 m², bien que la proximité de constructions plus récentes empêche de la dégager totalement. La structure de la domus est remarquablement conservée : le couloir conduisant à l'atrium, la chambre, le tablinium (bureau), le péristyle, les latrines, la cuisine... En se promenant au milieu des ruines, il n'est pas difficile de se figurer ce que devait être la vie de ses occupants - d'autant plus qu'on peut y observer des détails tels que l'évier, des restes de marqueterie au sol ou encore le système de chauffage (hypocauste). L'ensemble doit son nom à la statue d'Apollon qui ornait la salle d'apparat située au centre, derrière le tablinium. La domus ouvre au nord sur une rue marchande, où l'emplacement des boutiques est encore visible, de même qu'un large dolium (sorte de jarre géante).



Vous vous demandez sûrement qui est ce type à côté de moi...
De là, on accède au sanctuaire à portiques : ce grand jardin - qui était  probablement ouvert au public - est constitué d'un bassin, entouré de galeries couvertes. L'une d'elle comporte trois niches, à l'intérieur desquelles ont été placées des répliques des statues que l'on peut admirer au musée : un Diadumène (athlète portant le bandeau de la victoire), l'Empereur Hadrien et son épouse Sabine. A l'autre extrémité, la galerie s'ouvre sur une volée de marches par lesquelles on accède à un quartier d'habitations à vocation artisanale.


En partant du château d'eau situé plus loin,  une galerie creusée dans la roche permet de monter la colline de Puymin pour atteindre le théâtre antique. Construit vraisemblablement au Ier siècle, il aurait été restauré lors du règne d'Hadrien. Abandonné au cours du IVème siècle, il a ensuite servi de carrière - ce qui explique l'absence du mur de scène. Entièrement enseveli, il a été mis au jour en 1907 et restauré vers 1930. Bien que de dimensions plus modestes que celui, voisin, d'Orange (96m de diamètre quand même !), il n'en reste pas moins spectaculaire.


En redescendant vers le musée, on peut admirer la maison à la tonnelle, encore plus vaste que celle à l'Apollon lauré. Elle se démarque notamment par la présence d'une boulangerie avec four à pain, d'une réserve de grains et d'un bassin. Les fouilles y sont actuellement toujours en cours.

Au centre de ce site qui, ainsi que vous l'imaginez maintenant, regorge de richesses pour n'importe quel fana d'Histoire romaine, se trouve le musée archéologique Théo Desplans dans lequel sont réunis de nombreux objets retrouvés lors des fouilles. Outre les statues représentées dans le sanctuaire aux portiques, vous pourrez admirer celles de Claude ou de Domitien, et de nombreux objets de la vie quotidienne : bijoux, miroirs, outils agricoles, lampes à huile, jeux, osselets, pièces de monnaie... Un laraire ou des pierres tombales assez étonnantes (ainsi, celles représentant des masques de théâtre) voisinent avec une splendide mosaïque figurant, entre autres, des perroquets, des canards et des perdrix, et un superbe paon en son centre. Une agréable manière d'approfondir la visite extérieure - et un passage obligé, de toute façon, si vous désirez emprunter un audioguide. Et je vous y encourage : les commentaires sont intéressants et suffisamment brefs pour vous permettre de boucler la visite avant la nuit... (Ce n'est malheureusement pas toujours le cas : je parle d'expérience !)





Rue marchande.
SITE DE LA VILLASSE.

Ce second site, situé au Sud-Est de celui de Puymin, permet notamment de découvrir les vestiges des thermes, de la maison du buste d'argent et de la maison au dauphin. Mais en pénétrant dans ce second secteur, on débouche tout d'abord à l’extrémité d'une longue voie dallée, qui était alors une rue bordée de boutiques. Sont encore visibles les bases des colonnes qui soutenaient la galerie permettant d'accéder aux étals. On peut d'ailleurs y remarquer une représentation d'Hermès, Dieu présidant au commerce. Sur la voie elle-même, les dalles inégales permettaient aux charriots de circuler. Au bout de cette allée, une immense arche se détache sur la gauche : elle appartenait aux thermes, dont la plus grande partie se trouve enterrée sous les bâtiments actuels.



Palestre.
De l'autre côté de l'allée marchande se trouve la maison de buste d'argent, la plus vaste dégagée à Vaison : sa superficie s'étend sur environ 5000 m². Un porche flanqué de deux couloirs ouvre sur un vestibule, donnant lui-même sur l'atrium. La cuisine et le tablinum sont aisément reconnaissables de part et d'autre. Deux autres cours ouvertes et une immense salle à manger au nord permettent de se faire une idée de ce qu'était la demeure au temps de sa splendeur : lumineuse et aérée, constituée d'une enfilade de pièces et de jardins, elle est tout à fait typique de l'architecture du haut empire. A l'Ouest derrière la maison, on découvre un vaste espace qui en faisait partie intégrante : il s'agissait d'un jardin d'agrément, entouré d'un portique - en réalité, la palestre attenante à un ensemble thermal privé dont on peut encore voir la piscine et les salles principales.


Maquette de la maison au dauphin.
Autre vestige majeur de ce second site : la maison au dauphin, située à l’extrémité Est. Elle tire son nom d'un petit marbre sculpté représentant un cupidon chevauchant un dauphin, découvert sur place lors des fouilles. Exploitation agricole à l'origine (30 avant J.C.), la ferme a été remaniée à plusieurs reprises. Elle s'organise autour d'un atrium, d'un péristyle et d'un jardin à portiques et intègre, après sa transformation, les thermes attenants. Les maquettes présentées au musée permettent de se représenter l'évolution du bâtiment,de ferme du Ier siècle à maison urbaine au IIème. Enfin, deux autres habitations ont été partiellement dégagées, à proximité de la maison au buste en argent : la maison à atrium et celle aux animaux sauvages. L'intérêt de cette dernière réside dans la présence d'une mosaïque polychrome et d'enduits peints muraux, laissant entrevoir ce que devaient être les décors des riches maisons
de l'époque.

LE PONT ROMAIN.


Enfin, cette brève présentation du patrimoine de Vaison-La-Romaine ne serait pas complète sans quelques mots sur le Pont romain qui enjambe l'Ouvèze. Formé d'une arche unique reposant sur les falaises et s'élevant à 10 mètres de hauteur, il est le plus large des ponts antiques subsistant en France (9,50 m). La partie inférieure est assemblée à joints croisés, et les pierres étaient scellées par des agrafes en métal.





J'espère que ces quelques lignes vous auront incité à venir vous-même à Vaison : je ne peux que vous y encourager. Que vous soyez passionnés comme moi ou simplement curieux, vous appréhenderez cette période sous un nouvel angle, en découvrant la vie quotidienne et privée des anciens habitants et vous apprendrez forcément quelque chose. Et si vous n'avez strictement rien à fiche de l'antiquité romaine : 1) que faites-vous sur ce blog ? et 2) ça ne fait rien ! Vous passerez quand même un bon moment : les ruines sont superbes, et la région aussi !

Un dernier mot, pour finir : je profite de mon blog pour saluer les personnes qui m'ont accompagnée à Vaison, et plus particulièrement Elisabeth, qui subit au quotidien mon obsession latine. Je voudrais bien lui promettre que je ne la traînerais plus dans d'interminables visites antiques, mais... je me contenterai de l'embrasser et de la remercier du fond du cœur pour sa patience !


(Toutes les photos sont personnelles.)