dimanche 20 septembre 2015

Top 10 : Les gladiateurs les plus célèbres.

                                        Vous avez récemment fait connaissance avec Dioclès (ici), l'un des auriges les plus célèbres de la Rome Antique. Toutefois, n'en déplaise à notre nouvel ami, les conducteurs de chars avaient beau être extrêmement populaires, leur célébrité n'était rien comparée à celle des gladiateurs, vrais stars du monde sportif dans l'Antiquité. Ils continuent du reste de fasciner, et on ne compte plus les films, livres, documentaires qui leur sont consacrés.

Mosaïque de la Villa Dar Buc Ammera. (Libye)


                                        Quand on parle de gladiature, il y a au moins un nom qui vous vient forcément à l'esprit - l'inévitable n°1 de cette liste, comme vous le découvrirez bientôt. Car c'est bien une liste que je vous propose aujourd'hui (vous aurez remarqué que j'aime bien ça, les listes), celle des gladiateurs les plus célèbres du monde romain. Sans doute d'autres combattants ont-ils faits vibrer les spectateurs au gré de leurs exploits dans l'arène, mais leurs noms ne nous sont pas parvenus, ou alors simplement par quelques graffitis. Je pense par exemple à un thrace surnommé Suspirium Puellarum ("Soupir des jeunes filles") pour son succès auprès du public féminin, d'après un graffiti pompéien. Mais en dehors de sa popularité auprès de ces dames, nous ne savons rien de lui. Qui sait si ses atouts esthétiques ne primaient pas sur ses compétences sportives ?! Je me suis donc fiée aux monuments, objets du quotidien, et textes littéraires pour dresser le palmarès des 10 gladiateurs les plus connus. Petite précision : cet article emprunte notamment à l'excellent article d'Andrew Fitzgerald, à retrouver ici en version originale.

10) TETRAITES.


                                        De nombreux objets de la vie quotidienne, ornés de représentations de combats de gladiateurs, illustrent la popularité de ce sport dans l'Empire romain. Des lampes à huile, des médaillons, mais aussi des pièces de vaisselle - dont une série de coupes de verre découvertes dans le Nord-Ouest de l'Empire (Allemagne, Angleterre et France). L'une d'elle, retrouvée en Savoie, est conservée au Metropolitan Museum de New York. Elle montre plusieurs gladiateurs, combattant deux par deux, clairement nommés par les inscriptions figurant près de leurs têtes : Gamus, Merops, Calamus, Hermès, Tetraites, Prudes, Spiculus et Colombus. Le vainqueur de chacun des combats est facilement identifiable. Tetraites, qui nous intéresse ici, fait face à Prudes ; celui-ci a lâché son bouclier et se détourne de son adversaire. En dépit de l'éloignement géographique, ces scènes célèbrent des combattants connus dans tout l'Empire : si j'ai choisi de mettre en avant Tetraites, c'est parce que son nom apparaît également sur un graffiti découvert en 1817 à Pompéi. Preuve qu'il était célèbre d'un bout à l'autre de l’Empire.

 
Coupe dite des gladiateurs. (©Metropolitan Museum Of Art.)

 

9) MARCUS ATTILIUS.


                                        On s'imagine généralement que les gladiateurs sont tous des esclaves ou des condamnés, que l'on force à descendre dans l'arène. Mais il arrive que des citoyens renoncent volontairement à leurs droits et à leur liberté, pour s'engager dans la carrière en intégrant un ludus. C'est la cas de ce Marcus Attilius, couvert de dettes et qui décide d'entrer dans une école de gladiateurs, espérant ainsi gagner suffisamment d'argent pour rembourser ses créanciers.  Il est victorieux dès son premier combat, au cours duquel il met fin à la série de 13 victoires successives remportées par Hilarus, un gladiateur appartenant à Néron. Attilius met ensuite un terme à la série de 12 victoires de Raecius Felix. Ses exploits sont illustrés par des mosaïques et plusieurs graffitis.

Graffiti montrant M. Attilius affrontant Raecius Felix. (Découvert à Pompéi.)

8) CARPOPHORES.


                                        Le seul bestiaire de ce palmarès. Alors que les autres gladiateurs cités se battent contre leurs semblables, Carpophores combat uniquement contre des animaux sauvages. Sa carrière est très brève, mais il connait son heure de gloire en se produisant en ouverture des jeux donnés lors de l’inauguration du théâtre flavien (le Colisée). Ce jour-là, il triomphe dans plusieurs combats successifs : il vainc un ours, un lion et un léopard au cours d'une seule bataille, et dans la suivante, il tue un rhinocéros avec une lance. Au total, il serait venu à bout d'une vingtaine d'animaux sauvages, ce qui lui vaut le surnom d' "Hercule".

Mosaïque montrant un bestiaire affrontant un tigre. (Rhodes, ©PeterQ via flickr.)

7) SPICULUS.


                                        Spiculus est un gladiateur du Ier siècle. Il figure notamment sur la coupe de verre déjà mentionnée plus haut : bouclier à la main et épée brandie, il se tient au-dessus de son adversaire Columbus qui est allongé au sol. Il est aussi cité par Suétone dans sa "Vie de Néron". En effet, le dernier des Julio-Claudiens apprécie particulièrement ce combattant, à qui il verse de fortes sommes et de nombreux présents. Ses victoires lui valent palais, esclaves, monnaie sonnante et trébuchante. Lorsqu'il est renversé en 68 et contraint au suicide, Néron envoie même chercher Spiculus, afin de mourir de la main de son gladiateur favori. Hélas, Spiculus reste introuvable, et Néron est finalement poignardé par un de ses esclaves...

"Néron Au Cirque" (de W. Peters)

6) FLAMMA.


                                        Flamma est un esclave syrien, mort à l'âge de trente ans. Sur les 34 combats disputés lors de sa brève carrière, il en remporte 21, 9 se soldent par un "match nul", et il n'est vaincu que 4 fois. Mais si Flamma est demeuré célèbre, c'est surtout pour avoir refusé par quatre fois la rudis, épée de bois décernée aux gladiateurs les plus illustres. Cette épée leur offre tout simplement la liberté, et leur permet d'abandonner la gladiature. Mais Flamma, lui, préfère rester dans l'arène. Sa pierre tombale, érigée en Sicile aux frais de son compagnon d'armes Delicatus, raconte ainsi :
"Flamma, secutor, a vécu 30 ans. Il a combattu 34 fois, il a remporté 21 fois la victoire, il a été renvoyé debout 9 fois, gracié 4 fois. Il était syrien d'origine. Delicatus a fait élever cette stèle pour ce compagnon d'armes qui l'avait bien mérité."

Rétiaire (à gauche) contre secutor (à droite.) - Détail de la mosaïque de la villa Dar Buc Ammera.

5) et 4) PRISCUS ET VERUS.


                                        Deux gladiateurs indissociables en milieu de classement : Priscus et Verus, deux rivaux dont on connaît peu de choses, à l'exception notable de leur ultime combat. Cet affrontement constitue le munus (combat principal et clou du spectacle) de la journée d'ouverture des jeux inaugurant le théâtre Flavien (toujours le Colisée !) sous le règne de Titus, en 80. Cette lutte nous est racontée par Martial :
"Quand Priscus et Verus, prolongeant le combat, laissaient depuis longtemps entre eux la victoire incertaine, les spectateurs, à diverses reprises, demandèrent à grands cris quartier pour ces gladiateurs; mais César obéit lui-même à la loi qu'il avait faite. Cette loi voulait que le combat durât jusqu'à ce qu'un des deux combattants eût levé le doigt. Plusieurs fois il leur fit donner, ce qui était permis, des vivres et des présents. Ce combat sans issue eut cependant un terme. Les deux champions luttaient avec un succès égal, et la victoire était balancée entre eux. César envoya à l'un et à l'autre la baguette de congé et la palme de la victoire. C'était la juste récompense de leur adresse et de leur valeur. Jamais, excepté sous ton règne, César, on n'avait vu deux combattants être tous deux vainqueurs. " (Martial, "Petit Livre Des Spectacles", VIII-29.).
Priscus et Verus, dans le documentaire "Gladiateurs" (©BBC)



Ainsi, après un violent combat de plusieurs heures, les deux adversaires déclarent finalement forfait simultanément en abaissant leurs armes. La suite des évènements est simplement exceptionnelle : en général, un combat ne prend fin qu'avec l'abandon d'un des adversaires, ou lorsqu'on décide d'un match nul. Un gladiateur déclarant forfait est évidemment méprisé et hué... Ici, non seulement le foule acclame les deux hommes, mais ils sont en plus déclarés vainqueurs tous les deux ! Sous les acclamations du public, l'Empereur Titus leur accorde une victoire conjointe et leur décerne la rudis, leur octroyant la liberté. En 2003, ce combat légendaire a servi de base à un documentaire de la BBC, paru en France en DVD sous le titre "Gladiateurs". (Distribué en France par Warner Home Vidéo pour France Télévisions.)




3) CRIXUS.


                                        Celui-là, certains d'entre vous le connaissent déjà... Crixus est un Gaulois, dont le nom signifie "celui qui a les cheveux bouclés". Il est fait prisonnier et réduit en esclavage après avoir combattu pour les Allobroges contre les Romains. Vendu au laniste Lentulus Batiatus de Capoue, il devient gladiateur, aux côtés d'un certain Spartacus... S'il a connu un certain succès dans l'arène, Crixus a surtout laissé son nom dans l'Histoire pour avoir pris part à la révolte menée par ce même Spartacus, entre 73 et 71 avant J.C. (Troisième guerre servile - voir plus bas).

                                        C'est donc en 73 avant J.C. que les gladiateurs se rebellent, s'échappent de leur ludus et prennent la tête d'une horde d'esclaves, ravageant la Campanie. Crixus, l'un des chefs de la rébellion, s'avère un combattant hors pair et au cours des premières batailles, il contribue à mettre en déroute les armées envoyées par le sénat romain. Mais vers la fin de l'année, le troupe séditieuse se sépare. On a émis plusieurs hypothèses : soit les dissensions entre les meneurs de la révolte ont provoqué la scission du groupe (Crixus voulant continuer à piller le Sud de l'Italie, tandis que Spartacus souhaitait passer en Gaule cisalpine et, de là, disperser les esclaves afin qu'ils regagnent leurs pays d'origine), soit il s'agissait d'une stratégie militaire (Spartacus attaquant le Nord tandis que Crixus, se dirigeant vers le Sud, détournait l'attention de l'armée romaine, permettant au Thrace de gagner du temps). Quelle qu'en soit la raison, Crixus et 30 000 hommes se dirigent donc vers le Sud, mais ils sont attaqués par les légions envoyées par le Sénat sous le commandement de Lucius Gellius Publicola. Crixus et ses partisans trouvent la mort au cours du combat.
"Rome, de son côté, fit marcher les consuls avec deux légions. L'un d'eux battit Crixus qui commandait trente mille hommes dans le voisinage du mont Garganus. Ce chef des gladiateurs périt dans cette action avec les deux tiers de son armée. Cependant Spartacus filait le long des Apennins, vers les Alpes et la Gaule, lorsqu'un des consuls arriva pour lui. barrer le chemin, tandis que l'autre le pressait sur ses arrières. Spartacus les attaqua tour à tour, les vainquit l'un après l'autre, et, après cela, ils furent obligés tous les deux de faire leur retraite en désordre. Spartacus immola aux mânes de Crixus trois cents prisonniers romains." (Appien, Guerres Civiles", I - 117.)
Ainsi mourut Crixus, en 72 avant J.C.

Crixus dans la série "Spartacus", alias Manu Bennett. (©Starz)

2) COMMODE.


                                        Commode, c'est l'Empereur joué par Joaquin Phoenix dans "Gladiator". Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ni le film, ni surtout les écrits de l'Antiquité ne donnent une image positive de ce jeune homme, fils et successeur du grand Marc Aurèle ! Aussi épris de gladiature que son père l'était de philosophie... Son père "putatif" du moins, puisque les mauvaises langues prétendent que Commode était en fait issu des amours adultérins de sa mère, Faustine, et d'un gladiateur - ceci expliquant cela.

                                        En tous cas, Commode n'hésite pas à s'entourer de gladiateurs, et même à descendre dans l'arène. S'entraînant constamment, il ne doute pas de sa force physique, au point de se comparer à Hercule lui-même. Il va même jusqu'à revêtir une peau de bête comme celle portée par le célèbre héros de la mythologie et à se faire appeler "Hercule, fils de Jupiter". Mais selon certaines sources, c'est une autre histoire dans l'arène : point de Lion de Némée ou d'hydre de Lerne, Commode préfère lutter contre des gladiateurs armés de simples épées de bois et se confronter à des fauves blessés et / ou attachés ! Courageux le gars, mais pas téméraire...
"Voilà ce qui eut lieu le premier jour ; les suivants, étant descendu du haut de sa place sur le sol même de l'amphithéâtre, il tua d'abord toutes les bêtes qui s'approchèrent de lui, bêtes dont les unes lui étaient amenées et les autres présentées dans des cages, puis il égorgea un tigre, un hippopotame et un éléphant. Cela fait, il s'en alla et, ensuite, au sortir de son dîner, il combattit comme gladiateur. Il se livrait aux exercices de cette profession et se servait de l'armure de ceux qu'on appelle secutores, le bouclier au bras droit et l'épée de bois à la main gauche ; car il était fier d'être gaucher." (Dion Cassius, "Histoire Romaine", LXXII - 19.)

"L'Empereur Commode Tire Une Flèche Pour Maitriser Un Léopard..." (Œuvre de Jan Vander Straet.)


Commode en Hercule.  (Musées du Capitole.) 
 Le peuple afflue en masse pour assister à l'étonnant spectacle, mais on devine que Commode n'est pas très populaire : ses pitreries dans l'arène indignent les patriciens, et ses victoires prévisibles, une fois l'attrait de la nouveauté passé, n'amusent plus personne. Pour couronner le tout, Commode exige un million de sesterces pour se produire aux Jeux, jugeant que sa performance vaut bien cette somme ! Vous me direz qu'après avoir vu Néron jouer les histrions, on n'en est plus à ça près... Sauf que Commode, en plus d'être narcissique et mégalomane, devient de plus en plus vindicatif envers les Sénateurs. Ainsi, lorsqu'il brandit devant eux la tête d'une autruche décapitée (!!) dans une main et son épée ensanglantée dans l'autre, nombreux sont ceux qui interprètent le geste comme une menace à peine voilée... Commode est finalement assassiné en l'an 192 - par Narcisse, l'esclave qui lui servait justement d’entraîneur.



1) SPARTACUS.


Spartacus. (Ill. du XIXème s. - ©Photos.com/Jupiter Images)
 Vous aviez déjà deviné qui était numéro 1 sur cette liste. Spartacus est un soldat thrace, capturé et vendu comme esclave. Lentulus Batiatus, laniste à Capoue, pense peut-être faire la meilleure affaire de sa vie lorsqu'il l'achète, dans le but de le former à la gladiature... Ce jour-là, il aurait mieux fait de se casser les deux jambes. Certes, Spartacus remporte plusieurs combats dans l'arène, mais il n'en demeure pas moins un guerrier farouche, qui ne peut se résigner à sa nouvelle condition. En 73 avant J.-C., il incite 70 de ses camarades - dont Crixus - à la rébellion. Ensemble, ils dévastent le ludus, tuent Batiatus au passage, et s'enfuient dans la campagne environnante, entraînant dans leur sillage une foule d'esclaves (au final, ils ne seront pas moins de 70 000 combattants !). De raids en pillages, la petite armée rebelle trouve finalement refuge sur les pentes du Vésuve.


                                         A Rome, on ne prend pas immédiatement la mesure de la gravité de la situation, et les rebelles sont davantage perçus comme une bande criminelle plutôt que comme une véritable faction armée. Et que peuvent ces traîne-savates contre des militaires romains surentraînés ?! C'est compter sans l'expérience et l'ingéniosité des gladiateurs et la combattivité de leurs nouvelles recrues, aux méthodes peu conventionnelles... Lorsque le prêteur Gaius Claudius Glaber, à la tête de 3000 hommes, les assiège en bloquant la seule route permettant d'accéder au Vésuve,  les gladiateurs et leurs alliés utilisent les vignes et les arbres pour fabriquer des cordes et des échelles, descendent le versant opposé de la montagne et prennent l'armée romaine à revers, avant de l'anéantir. Une deuxième expédition, dirigée par le prêteur Publius Varinus, marche alors contre Spartacus et ses hommes : rebelote, ils sont écrasés par les esclaves. Forts de ces succès, les gladiateurs mettent à profit l'hiver pour armer et entraîner leurs hommes, et multiplier les pillages. Mais lorsque le groupe se divise (voir plus haut) et que la faction emmenée par Spartacus se dirige vers le Nord de l'Italie - et donc vers Rome - en 72 avant J.C., l'inquiétude gagne le Sénat.

Spartacus. (Œuvre de D. Foyatier - Louvre - ©RMN)
                                         Affolés par cet révolte apparemment impossible à réprimer, les sénateurs décident d'envoyer deux légions consulaires. Elles viennent à bout de Crixus et de ses partisans, mais sont, à leur tour, massacrées par Spartacus. Cette fois, c'est la panique générale. Rome sort l’artillerie lourde : Marcus Licinius Crassus, à la tête de huit légions (soit environ 50 000 soldats), est chargé de liquider la rébellion. Il peut également compter sur les armées de Pompée et sur les renforts confiés par le Sénat au commandement de  Marcus Terentius Varro Lucullus, qui prennent les gladiateurs en tenaille. L'approche du rouleau compresseur romain provoque la fuite d'une partie des esclaves et la dislocation du groupe. Spartacus décide finalement d'affronter les légions dans un ultime sursaut, mais ce qui reste de son armée est vaincu dans le Sud de l'Italie : les fugitifs sont rattrapés et tués, 6000 des partisans de Spartacus sont capturés et crucifiés. Quant à Spartacus, on suppose que lui-même a trouvé la mort sur le champ de bataille - même si son corps n'est pas retrouvé...


                                       Ces 10 gladiateurs sont donc sans doute les plus célèbres du monde romain, et leurs noms étaient connus de tout l'Empire. Il faut bien admettre qu'aujourd'hui, seuls 3 d'entre eux jouissent encore d'une certaine notoriété auprès du grand public - et il est significatif de noter que c'est surtout aux fictions cinématographiques ou télévisuelles qu'ils doivent leur renommée actuelle. Commode, un peu à part dans ce classement puisque Empereur avant d'être gladiateur, a été popularisé par le film "Gladiator" et l'interprétation magistrale de Joaquin Phoenix. Crixus a surtout gagné en notoriété ces dernières années grâce à la série "Spartacus" produite par la chaîne Starz. Spartacus, enfin, a été immortalisé à de nombreuses reprises : en littérature (Howard Fast, Arthur Koestler ou... Max Gallo !), en musique (Aram Katchatourian) et bien sûr au cinéma (par Riccardo Freda et Stanley Kubrik.)


Affiche du film de Stanley Kubrick.

                                        Toutefois, il est le seul dont la célébrité dépasse à la fois le cadre de la gladiature et celui de la fiction : son destin exceptionnel a inspiré plusieurs courants politiques, qui voyaient en lui un combattant de la liberté, luttant pour la dignité humaine et contre l'asservissement de l'homme par l'homme (bien que ses motivations réelles demeurent à jamais inconnues). Récupéré notamment par les marxistes allemands (les fameux Spartakistes), mis en scène par Koestler dans son ouvrage éponyme et enfin, immortalisé par le film de Stanley Kubrick et plus récemment par la série suscitée, il est sans le moindre doute un personnage historique marquant, un symbole dans l'inconscient collectif. A l'origine, il n'était pourtant qu'un simple gladiateur comme tant de ces anonymes qui ont combattu dans l'arène. De quoi se demander où réside, finalement, la différence entre un Flamma ou un Spiculus et un Spartacus...

dimanche 6 septembre 2015

"Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent."


                                        De tous les Empereurs romains, Caligula est sans doute l'un des plus célèbres - avec Néron. Dans les deux cas, les raisons de cette notoriété sont à chercher du côté d'une réputation sulfureuse mêlant folie, inceste et meurtres en tous genres. Néron, présenté comme une sorte d'antéchrist matricide et incendiaire me paraît avoir l'avantage mais tout de même, Caligula marque les esprits : outre  son cheval sénateur, ses déviances sexuelles et son sadisme assumé (du moins d'après Suétone - voir ici), on retient souvent de lui la phrase suivante : "Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent." ("Oderint dum metuant").
"Il avait fréquemment à la bouche ce mot d'une tragédie: 'Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent.'" (Suétone, "Vie de Caligula", XXX.)
Comme le souligne l'historiographe, Caligula n'est pas l'auteur de la citation : son origine est ailleurs...

Caligula. (© B. McManus via vroma.org.)

                                        Elle provient en fait d'une tragédie latine du IIème siècle avant J.C., écrite par Lucius Accius. Fils d'un esclave affranchi, il s'inspire des mythes grecs pour composer ses pièces, et l'une d'elles met en scène l'histoire d'Atrée.

                                        Roi de Mycènes et fondateur de la lignée éponyme des Atrides, Atrée pourrait en apprendre à Caligula. Véritable tyran, il règne par la terreur et ne rechigne ni à la torture, ni au meurtre, ni à la trahison pour conserver le pouvoir et assouvir sa vengeance. Au point que, dit-on, le soleil horrifié se détournait même de sa route. Pour vous donner un aperçu, son frère Thyestes ayant séduit son épouse, Atrée tue ses propres neveux, les démembre, les fait cuire et les lui sert à dîner lors d'un prétendu festin de réconciliation... Découvrant la vérité, Thyestes maudit la descendance de son frère. De manière générale, le mythe explore la haine et la vengeance fraternelles au sein de la famille des Atrides, générations après générations. Et c'est donc dans la bouche d'Atrée qu'Accius place la réplique "Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent" - qui définit pratiquement la tyrannie.


"Atrée Montrant A Son Frère Thyestes La Tête De Ses Enfants." (Dessin de François Boucher.)



                                        Un siècle après l'écriture de la pièce, la citation était déjà quasiment devenue proverbiale. Elle est par exemple reprise plusieurs fois par Cicéron, notamment dans ses "Philippiques" où il s'adresse ainsi à Marc Antoine :
"Ce que je redoute le plus, c'est que, ne connaissant pas la vraie gloire, vous ne la voyiez dans la tyrannie, et que vous ne préfériez la haine de vos concitoyens à leur amour. Si vous pensez ainsi, vous ne connaissez pas la gloire. Être cher à ses concitoyens, bien mériter de la république, être loué, honoré, aimé, voilà la gloire; mais être craint, être haï, voilà ce qui est odieux, fragile, périssable. Nous voyons, par le théâtre, quel a été le sort de ceux qui ont dit 'Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent'." (Cicéron, "Philippiques", I-34.)
                                        Sénèque disserte lui aussi à plusieurs reprises sur cette phrase, et en particulier dans "De La Colère" où il évoque ensuite notre Caligula, symbole même du tyran.
"Eh ! n'est-il donc pas également des propos tenus dans la colère, qu'on trouve magnanimes quand on ignore la vraie grandeur, tel que ce mot infernal, exécrable : 'Qu'on me haïsse pourvu qu'on me craigne' ; mot qui respire le siècle de Sylla. Je ne sais ce qu'il y a de pis dans ce double vœu : la haine ou la terreur publique. Qu'on me haïsse ! Tu vois dans l'avenir les malédictions, les embûches, l'assassinat ; que veux-tu de plus ? Que les dieux te punissent d'avoir trouvé un remède aussi affreux que le mal ! Qu'on te haïsse ! Et quoi ensuite ? Pourvu qu'on t'obéisse ? non. Pourvu qu'on t'estime ? non. Pourvu que l'on tremble. Je ne voudrais pas de l'amour à ce prix." (Sénèque, "De La Colère", I - 20 - 4.)


Tibère. (Musées Du Vatican.)

Entre temps, l'Empereur Tibère avait adopté la devise royale mycénienne. Le prédécesseur de Caligula, homme cultivé et fin lettré, aimait paraît-il répéter la formule, en l'édulcorant cependant : "Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils m'approuvent" (Oderint dum probent). La nuance est de taille : là où Tibère avait atténué la violence de la citation, Caligula en reprend la forme originale, rappelant volontairement le règne d'Atrée et assumant son image de tyran sanguinaire et de provocateur. Et c'est du reste grâce à lui et à ses excès que l'expression est demeurée célèbre.