jeudi 30 janvier 2014

Carnet : Disparition De Philippe Delaby.


                                        Quelques lignes pour vous signaler la disparition de Philippe Delaby, dont le décès a été annoncé hier. Âgé de 53 ans, le dessinateur belge était surtout connu des passionnés d'Antiquité pour son travail sur la série des "Murena", dont j'avais eu l'occasion de chroniquer le dernier tome ici.




Philippe Delaby. (Photo extraite du blog http://www.delaby-bd.be/)


                                        Claude Aziza a rendu hommage à son ami dans un joli texte, que vous pouvez retrouver sur le site de Carpefeuch - ici. Pour ma part, je partage la tristesse de ses fans et j'adresse mes pensées à sa famille et à ses proches.

mercredi 29 janvier 2014

O Tempora, O Mores !


                                        Cicéron me fait penser à David Bowie. Dit comme ça, ça peut surprendre, mais il y a une raison - tordue, certes, mais une raison tout de même. J'ai découvert David Bowie à l'adolescence, en écoutant une compilation de ses plus grands succès. Je pensais ne pas connaître Bowie : j'avais tort. A chaque chanson, j'avais envie de m'exclamer : "Ah, mais c'est lui, ça ?!" Tous ces titres, je les connaissais ; j'ignorais simplement qu'ils appartenaient à son répertoire. Et bien avec Cicéron, c'est un peu la même chose, et en lisant pour la première fois ses textes et ses discours, il m'est arrivé à maintes reprises de retrouver une locution ou une expression que je connaissais parfaitement, mais sans en connaître l'auteur.

                                        Tel est le cas de la phrase "O Tempora, O Mores !", que l'on traduit généralement par "Ô temps ! Ô mœurs !" - bien qu'elle demeure en général employée sous la forme latine.

                                        Cette phrase se trouve à deux reprises dans l’œuvre de Cicéron : dans le quatrième livre de son discours contre Verrès ("Seconde Action Contre Verrès", IV - 25.) et dans le premier discours contre Catilina. ("Les Catilinaires", I -1.) Bis repetita placent, comme dirait l'autre... La deuxième occurrence est d'ailleurs celle que l'on cite le plus fréquemment.

Buste de Cicéron.  (Musées du Capitole - ©Mary Harrsch via Flickr.)


                                        Pour résumer brièvement l'affaire, Catilina est un sénateur romain à la réputation sulfureuse : plus chef de bande qu'homme politique, il n'hésite pas à faire le coup de poing pour imposer ses idées. En 63 avant J.C., après avoir échoué à trois reprises à l'élection du consulat, Catilina renonce à emprunter la voie légale et opte pour la manière forte : il prend la tête d'une conjuration dont le but est d'éliminer une partie des hommes politiques (Cicéron inclus), de renverser le Sénat et de prendre le pouvoir. Cicéron, alors consul, apprend l'existence de ce complot et dénonce Catilina au Sénat - ce sont les "Catilinaires" en question. Catilina s'enfuit en Étrurie auprès de ses partisans, mais il est tué en 62 avant J.C. Les autres conjurés, restés à Rome, sont exécutés sur les ordres de Cicéron. Acclamé par le peuple, il sera pourtant condamné à l'exil quelques années plus tard, pour avoir fait assassiner sans procès des citoyens romains...   

                                        C'est donc en ouverture de ces "Catilinaires" qu'apparait la fameuse locution. En introduction de son réquisitoire contre Catilina, Cicéron critique la brutalité de son époque et la corruption qui règne à Rome et exprime son indignation : malgré toutes les preuves accumulées contre lui et le vote par le Sénat d'un senatus-consulte ultimum, Catilina n'a pas encore été exécuté. Et Cicéron fustige la déliquescence morale d'une société qui permet d'oser les actions les plus indignes : 
"O temps ! ô mœurs ! tous ces complots, le Sénat les connaît, le consul les voit, et Catilina vit encore ! Il vit; que dis-je ? il vient au sénat ; il est admis aux conseils de la république ; il choisit parmi nous et marque de l’œil ceux qu'il veut immoler. Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons faire assez pour la patrie, si nous évitons sa fureur et ses poignards ! Depuis longtemps, Catilina, le consul aurait dû t'envoyer à la mort, et faire tomber ta tête sous le glaive dont tu veux tous nous frapper. (...)  Aujourd'hui un sénatus-consulte nous arme contre toi, Catilina, d'un pouvoir terrible. Ni la sagesse des conseils, ni l'autorité de cet ordre ne manque à la république. Nous seuls, je le dis ouvertement, nous seuls, consuls sans vertu, nous manquons à nos devoirs." (Cicéron, "Les Catilinaires", I - 1.)

"Cicéron dénonçant Catilina." (CC Perkins / ©Bridgeman Art Library.)

                                        L'orateur poursuit en évoquant plusieurs épisodes de l'Histoire romaine au cours desquels, sur la base de preuves beaucoup moins flagrantes, les consuls ont fait exécuter des conspirateurs supposés - notamment Caius Gracchus (l'un des frères Gracques), le consul Lucius Opimius s'étant contenté du "soupçon de quelques projets séditieux".

                                        Aujourd'hui, la locution est utilisée - souvent de façon ironique - pour critiquer les attitudes et comportements contemporains, par opposition à ceux du temps passé, vécus comme plus convenables et surtout plus moraux. Il s'agit donc d'une critique des mœurs du moment, forcément dépravées, dont la détérioration est directement liée au passage du temps et à l'évolution de la société : les modes de vie et les valeurs évoluent, pas dans le bon sens à en croire Cicéron puisqu'elles conduisent à la déliquescence de l'ordre civil.

                                        Reste que cette exclamation, dans le discours de Cicéron, traduit son attachement au mos majorum - une notion que l'on pourrait traduire par "mœurs des Anciens", et que j'aurais l'occasion de développer. Pour le célèbre orateur, les Romains ne respectent plus les anciennes coutumes, ce qui provoque la décadence de la société. Un air bien connu, et ce n'est sans doute pas un hasard si la formule est passée à la postérité : certaines choses, finalement, ne changent pas... Et j'imagine combien de parents, devant l'allure excentrique de ce David Bowie adulé par leurs enfants, ce sont exclamés en levant les yeux au ciel : "O tempora ! O mores !"

Dans "Astérix En Corse". (©Goscinny / Uderzo.)



dimanche 26 janvier 2014

Oh Fkliiuh Gh Fhvdu. (Le Chiffre De César, si vous préférez...)


                                        Quel enfant n'a jamais joué à l'espion ? Qui ne s'est jamais pris, l'espace de quelques instants, pour James Bond ou Mata Hari ? Et c'est vrai qu'a priori, c'est un des jobs les plus cools du monde, ne serait-ce que pour les stylos explosifs, les montres lasers, les chaussures-poignards et autres gadgets improbables piqués à Q. Fatalement, tout agent secret doit, à un moment ou à un autre, se confronter à un message codé : pour ma part, j'avais mis au point un chiffre assez astucieux, qui me permettait d'échanger des messages avec mes amies lors des études surveillées, sans craindre les éventuelles interceptions par notre Dr No de surveillant - chat inclus, mais c'est une autre histoire...

                                        La cryptographie représente en effet un atout majeur et, dans l'Histoire, les Hommes ont très vite compris tout l'intérêt de pouvoir échanger des messages qui resteraient abscons aux yeux des ennemis. Car enfin, pourquoi se casser la tête à élaborer une stratégie impeccable, si vous ne pouvez la communiquer à vos alliés sans risquer de la dévoiler au camp d'en face ? A ce petit jeu, les Romains ne sont pas les derniers.

Vignette extraite de l'album "Le Devin". (©Goscinny & Uderzo.)

                                        L'un des codes les plus anciens, et sans doute l'un des plus célèbres, porte le nom de "chiffre de César". S'il existait déjà d'autres méthodes de cryptage plus perfectionnées et si César n'a sans doute pas inventé le chiffre auquel il a laissé son nom, c'est pourtant grâce à lui que cette technique particulière est passée à la postérité. Selon Suétone, il l'utilisait dans sa correspondance secrète, en particulier militaire :
"On a conservé en outre ses lettres à Cicéron, et celles qu'il adressait à ses familiers sur ses affaires domestiques : quand il avait à leur faire quelque communication secrète, il usait d'un chiffre, c'est-à-dire qu'il brouillait les lettres de telle façon qu'on ne pût reconstituer aucun mot : si l'on veut en découvrir le sens et les déchiffrer, il faut substituer à chaque lettre la troisième qui la suit dans l'alphabet, c'est-à-dire le D à l'A, et ainsi de suite. " (Suétone, "Vie De César", LVI.)

"Jules César Écrivant Et Dictant A Ses Scribes" (Toile de Jacques de Gheyn II - Ham House.)
 
                                        Le chiffre de César nous apparaît aujourd'hui d'une simplicité enfantine, mais mettez-vous à la place des premiers types qui sont tombés sur un de ces messages apparemment sans queue ni tête : en admettant qu'ils sachent lire (ce qui n'était pas forcément le cas), ils ont dû être sacrément déstabilisés ! Voire supposer qu'il s'agissait d'une quelconque langue étrangère...

                                        Il s'agit donc d'une substitution mono-alphabétique, par décalage de lettres : le texte codé s'obtient en remplaçant chaque lettre du texte original par une lettre à distance fixe, toujours du même côté, dans l'ordre de l'alphabet. Arrivé au terme des 26 lettres, on reprend depuis le début.

Prenons l'exemple d'un décalage de 3 lettres vers la droite, tel que César l'utilisait dans sa correspondance. On obtient le code suivant :

Alphabet d'origine : ABCDEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZ
Alphabet encodé : DEFGHIJKLMNOPQRSTUVWXYZABC

                                        Le nombre de lettres d'écart correspond à la clé du code, qu'il suffit de transmettre au destinataire afin que celui-ci soit en mesure de déchiffrer le message. A l'origine, cette clé était implicite, puisque le chiffre de César correspondait à un décalage de 3 lettres vers le droite. Ce n'est que plus tard que le terme "chiffre de César" en est venu à désigner tout système de substitution similaire. Dans certains jeux, on s'amuse parfois à désigner le code choisi par un jeu de mots : le code avocat (A vaut K) correspond à un décalage de 10, le code Hélène (L - N) à un décalage de 2.    

                                        Admettons que je veuille transmettre le message suivant : "ATTENTION, JULES ! BRUTUS EST DERRIÈRE TOI!" Avec mon code, j'obtiens le texte : "DWWHQWLRQ, MXOHV ! EUXWXV HVW GHUULHUH WRL!" Ce qui n'avancera guère César : même en connaissant la clé de cryptage, il y a fort à parier que Brutus l'aura poignardé avant qu'il ait fini de décoder ma mise en garde... Mais l'idée générale est là.


                                        L'inconvénient majeur de ces codes par décalage tient au fait que, puisque l'alphabet latin ne comporte que 26 lettres, il n'existe que 26 manières de crypter un message. Et encore ceci inclut-il la clé nulle, c'est-à-dire celle qui ne modifie pas le texte. C'est donc un code peu sûr. Dès lors que l'on sait que l'on est en présence de ce type de cryptage, il suffit au pire de tester toutes les possibilités (ce qu'on appelle l'attaque par force brute), ou d'employer une méthode plus subtile, efficace surtout en cas de textes plus longs : le décryptage séquentiel. Elle consiste à analyser la fréquence d'apparition des lettres, puisqu'on sait que, dans une langue donnée, certaines lettres se rencontrent plus fréquemment que d'autres. Il suffit donc de repérer dans le texte codé des lettres qui, apparaissant fréquemment, ont de bonnes chances de correspondre aux lettres les plus souvent utilisées dans la langue du message d'origine. La méthode est plus délicate à mettre en œuvre avec un message court, pour lequel plusieurs possibilités de décodage apparaîtront.

Edgar Allan Poe.
 
Elle est notamment détaillée par Edgar Allan Poe, dans sa nouvelle "Le Scarabée d'Or." :
"Or, la lettre qui se rencontre le plus fréquemment en anglais est e. Les autres lettres se succèdent dans cet ordre : a o i d h n r s t u y c f g l m w b k p q x z. E prédomine si singulièrement, qu'il est très rare de trouver une phrase d'une certaine longueur dont il ne soit pas le caractère principal. (...) Pour vérifier cette supposition, voyons si le 8 se rencontre souvent double ; car l'e se redouble très fréquemment en anglais, comme par exemple dans les mots meet, fleet, speed, seen, been, agree, etc. Or, dans le cas présent, nous voyons qu'il n'est pas redoublé moins de cinq fois, bien que le cryptogramme soit très court. Donc, 8 représentera e. Maintenant, de tous les mots de la langue, the est le plus utilisé ; conséquemment, il nous faut voir si nous ne trouvons pas répétée plusieurs fois la même combinaison de trois caractères, ce 8 étant le dernier des trois. Si nous trouvons des répétitions de ce genre, elle représenteront très probablement le mot the." (Edgar Poe, "Le Scarabée d'Or".)

                                        On ignore quelle était l'efficacité du chiffre de César dans l'antiquité, mais l'absence de traces écrites relatives à des techniques susceptibles de casser ce code, aussi basique soit-il, peut laisser penser qu'il présentait plus de sécurité que de nos jours. Les traces les plus anciennes de décryptage séquentiel qui nous sont parvenues remontent seulement au IXème siècle, et sont l’œuvre du philosophe et mathématicien arabe Al-Kindi.

Disque permettant de décrypter le chiffre de César. (©mr.santak via wikipedia)

                                        Mais en dépit ou peut-être à cause de sa simplicité, le chiffre de César fut longtemps utilisé. On le retrouve par exemple sur la Mezuzah juive, où les noms de Dieu apparaissent ainsi cryptés. Les militaires y ont aussi eu recours, y compris plus récemment - comme par exemple les sudistes pendant la guerre de Sécession, ou encore l'armée russe en 1915.

                                        Étrangement, le chiffre de César a également été employé sur internet, et plus particulièrement sur les forums, sous la forme du ROT-13. Le ROT-13 désigne simplement une substitution (ou rotation) par 13 lettres d'écart dans l'alphabet. Il ne s'agit pas ici de diffuser une quelconque message codé, mais de faire en sorte que le message en question ne puisse pas être lu de façon involontaire - lorsqu'il dévoile l'intrigue d'un film ou d'un livre, ou qu'il apporte la réponse à une énigme. Le système est cependant tombé en désuétude avec les progrès technologiques, qui permettent désormais de dissimuler le texte dans un cadre blanc, et de le dévoiler d'un simple clic. César y aurait perdu son Latin !

Bernardo Provenzano.
Deux exemples relativement récents méritent encore être cités pour illustrer cet article. D'abord celui de Bernardo Provenano, le parrain de Cosa Nostra arrêté en Sicile en Avril 2006 après une cavale de plusieurs décennies : il communiquait avec ses hommes par des messages cryptés selon le chiffre de César et remplaçait ensuite les lettres par des chiffres. Le A devenait un 4, le B un 5, etc. Deuxième exemple, le cas de Rajib Karim, condamné en 2011 en Grande-Bretagne pour terrorisme après avoir utilisé le chiffre de César pour communiquer avec des islamistes Bangladeshi et préparer, entre autres réjouissances, des attentats contre la British Airways.

                                        Dans un registre plus pacifique, le site wikipedia rapporte que le chiffre de César a parfois été utilisé au XIXème siècle, dans les pages d'annonces personnelles de journaux tels que le Times, par des couples d'amants qui échangeaient ainsi de manière confidentielle.

                                        Plus proche de César, son sucesseur Auguste utilisait le même type de code, avec un décalage de 1 et sans boucle alphabétique :
"Lorsqu'il se sert d'un chiffre, il remplace A par B, B par C et ainsi de suite pour les autres lettres; quant à l'X, il le remplace par deux A." (Suétone, "Vie d'Auguste", LXXXVIII.)

Jules César.


Pour en revenir à Jules César, plusieurs auteurs antiques évoquent également un ouvrage traitant des différents chiffres qu'il aurait employés, ce qui tendrait à prouver qu'il utilisait d'autres codes ou d'autres clés, sans doute plus complexes. Du reste, le chiffre de César a donné lieu à de nombreuses variantes et améliorations, visant à le complexifier de sorte qu'il soit moins facile à casser.

                                        Le chiffre de Vigenère (nommé après son inventeur, Blaise de Vigenère), par exemple, se base sur le chiffre de César. Pour résumer, la valeur du décalage est définie selon un mot convenu à l'avance et change selon la position de la lettre codée dans l'alphabet. (voir ici pour plus de détails) Ce type de code peut se révéler complètement incassable, mais les conditions à réunir sont telles que, dans les faits, ce n'est guère faisable : il faut un mot-clé aussi long que le texte, utilisé une seule fois, choisi au hasard, et connu seulement de l'auteur du message et de son destinataire. L'utilisation d'un mot-clé plus court que le message à décoder, en revanche, induit la présence d'un décalage cyclique, que la technique permet aujourd'hui de détecter plus facilement.

                                        Pour conclure, il me faut citer Hérodote, qui rapporte un autre procédé beaucoup plus original, permettant de communiquer de façon secrète :
" Sur ces entrefaites, il arriva de Suses un courrier qui lui enjoignait de prendre les armes. Cet ordre était empreint sur la tête du courrier. Histiée, voulant mander à Aristagoras de se soulever, ne trouva pas d'autre moyen pour le faire avec sûreté, parce que les chemins étaient soigneusement gardés. Il fit raser la tête au plus fidèle de ses esclaves, y imprima des caractères, et attendit que ses cheveux fussent revenus. Lorsqu'ils le furent, il l'envoya aussitôt à Milet, avec ordre seulement de dire, à son arrivée, à Aristagoras de lui raser la tête, et de l'examiner ensuite." (Hérodote, "Histoires", V - 35.)
Ingénieux, et certainement très efficace. A moins, on en conviendra, qu'il s'agisse d'un message urgent...


Si le cœur vous en dit, je vous signale une petite fiche sur le sujet, ici.

dimanche 19 janvier 2014

Lire Et Ecrire Dans La Rome Antique.

                                        Tertullien, Ovide, Martial, Horace, Juvénal... Et je pourrais continuer comme ça longtemps. La littérature latine est sans doute l'une des plus riches du monde antique, et elle est d'ailleurs encore publiée et lue de nos jours, et pas seulement par les latinistes et / ou les déglingués dans mon genre. Et c'est très bien, mais qu'en était-il à l'époque ? Qui lisait Virgile ou Tibulle à Rome, et de quelle manière les œuvres des plus grands auteurs (et des autres) parvenaient-elles au public ? Pouvait-on vivre de sa plume - ou de son calame ? Et, plus largement, comment lisait-on à Rome ? Des interrogations qui ont suscité la curiosité de la bibliovore impénitente que je suis.

Jeune fille lisant. (Bronze du Ier s. - Photo Marie-Lan Nguyen.)

                                        A priori, nous avons tendance à croire que, dans une activité aussi anodine que la lecture, il n'existe que peu de points communs entre l'Antiquité romaine et notre époque. C'est une idée à la fois exacte et erronée. La lecture elle-même diffère en effet, ne serait-ce que de par les moyens techniques dont nous disposons, et qui étaient inconnus des Romains. En revanche, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la diffusion des écrits posait déjà à l'époque des problèmes que nous connaissons encore aujourd'hui et qui, de façon étrangement ironique, reviennent dans l'actualité précisément en raison de ces mêmes avancées technologiques... Car internet, en passe de transformer de manière radicale la façon dont nous achetons et consommons (quel vilain mot !) la littérature et l'écriture en général, soulève de sérieuses interrogations quant aux droits d'auteur, aux droits de copie et de diffusion d'un texte, au rôle des maisons d'édition et des libraires, etc. Toutes ces questions, les Romains se les posaient déjà il y a plusieurs siècles !

LIRE DANS LA ROME ANTIQUE : LE LECTEUR, LE LIVRE, LA LITTÉRATURE.


                                        Mais commençons par le commencement. Car, outre que les Romains vivaient sans internet (!!), ils ne connaissaient pas non plus l'imprimerie, invention géniale grâce à laquelle les écrits ont pu se diffuser plus largement à partir du XVème siècle, et qui permet aujourd'hui à chaque rentrée littéraire de multiplier les parutions, en battant à chaque fois le record de l'année précédente. Imaginez-vous bien qu'à l'époque, sans l'invention de Gutenberg, les ouvrages devaient être recopiés à la main, et l'équivalent antique de l'imprimerie n'était rien de moins qu'un bataillon d'esclaves, chargé de retranscrire laborieusement les œuvres d'un Virgile, d'un Horace ou d'un Ovide, ensuite écoulées sur le marché romain.



École romaine. (Stèle du IIème s., retrouvée à Trier, Allemagne.)

                                        C'est à dessein que j'emploie le mot de "marché" : même en retenant une estimation basse du taux d'alphabétisation, et en considérant que la Rome impériale comptait grosso modo une population d'un million d'habitants, on arrive au chiffre d'environ 100.000 lecteurs potentiels. Rome possède une véritable culture de l'écrit, et les gens capables de lire et écrire ne se trouvent pas uniquement dans l'élite de la population, mais dans toutes les couches sociales, comme le démontrent les graffiti de Pompéi. Outre les bibliothèques privées, les grandes cités possèdent toutes des bibliothèques publiques, souvent aménagées à l'intérieur des thermes. La première bibliothèque publique, construite par Asinius Pollion, date du début du Ier siècle et, à la fin de l'Empire, on en dénombre environ une trentaine rien qu'à Rome. 

Ruines de la bibliothèque de Celsus, Turquie.

                                         On peut ajouter que pour les Romains, grands pragmatiques, la littérature doit avant tout être utile, plutôt que de viser le beau ou l'expression artistique. Echion, personnage (certes caricatural) du "Satiricon" de Pétrone, déclare ainsi :
"Je viens d'acheter à mon gamin des bouquins rouges [des livres de droit] : je veux qu'il goûte un peu du droit ; ça peut servir à la maison et c'est une science qui nourrit son homme : il n'est déjà que trop entiché de littérature. " (Pétrone, "Satiricon", XLVI.)
D'où un nombre considérable de traités et de manuels en tout genre (sur l'agriculture, les produits de beauté, la comptabilité...), accessibles au tout venant. Cette obsession de l'utilitas se rencontre même dans un genre en apparence aussi peu utilitaire que la poésie, Horace expliquant par exemple :
"Les vieillards ne veulent pas d'un poème sans enseignement moral; les chevaliers dédaigneux ne vont pas voir un drame trop austère; mais il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps;  son livre enrichit Sosie le libraire, va même au delà des mers, et donne au poète une notoriété durable." (Horace, "Art Poétique", 343.)
La poésie doit donc être dulce et utile - et nourrir son homme, mais nous en reparlerons plus loin...

                                        Voilà donc pour les lecteurs. Passons maintenant aux "livres" - terme que j'emploie dans un souci de simplification. Car les "livres" antiques ne ressemblent pas aux nôtres : au moins jusqu'au IIème siècle (avec l’invention du codex), il s'agissait de rouleaux (volumen), constitués de longues bandes de papyrus enroulées sur deux tiges de bois à chaque extrémité. Pour lire un volumen, on le tenait de la main droite et on déroulait le papier de la main gauche. Les feuillets ne portaient le texte que sur une seule face. Ces ouvrages étaient conservés dans des coffrets cylindriques, les capsae.

Volumen antique.

                                        Le système n'allait pas sans inconvénients. D'abord, on imagine combien ces rouleaux étaient encombrants. Ensuite, on devine qu'il n'était pas évident de retrouver ou de revenir sur un point précis du texte - par exemple pour relire un passage ou se remémorer un nom ou une phrase. A contrario, lire demandait une certaine concentration et un effort de mémoire, justement pour éviter d'avoir à rechercher un passage déjà lu. L'exercice était encore compliqué par le fait qu'on écrivait le plus souvent le texte d'une traite, en accolant toutes les lettres sans séparer les différents mots. A côté, la lecture de "La Veillée des Finnegan" de James Joyce devient simple comme Ave ! Et pour finir, il convenait d'enrouler à nouveau le volumen une fois l'ouvrage achevé, afin que le lecteur suivant ne soit pas obligé de revenir au début afin de trouver le titre de l'ouvrage en question. Cette règle élémentaire de savoir-vivre n'était sans doute pas toujours respectée, au point que certains scribes ont cru bon de répéter le titre de l’œuvre à la fin, pour résoudre le problème !

                                        Évidemment, l'influence de Rome dans le domaine de la lecture va plus loin, et ne se limite pas à l'usage des rouleaux. L'impérialisme romain a ainsi largement contribué à la diffusion de l'alphabétisation dans le monde antique, et le système d'éducation latin, axé sur la grammaire et la rhétorique, est un des piliers qui servira de base à toute une partie de la culture de l'Europe médiévale - sans même mentionner les apports de la civilisation romaine dans le domaine du droit ou de la littérature à proprement parler.




                                        Justement, revenons-en à la littérature. Avant même la naissance d'une littérature "nationale", les Romains étaient obsédés par la littérature grecque, et de nombreux auteurs ont traduit et adapté des pièces de théâtres ou des poèmes grecs, adaptations soigneusement recopiées par des scribes consciencieux, et diffusées auprès des lecteurs. Petit à petit, Rome a créé sa propre littérature, ses propres "best-sellers" originaux, et notamment au cours d'un âge d'or que l'on peut situer entre le Ier siècle avant et le Ier siècle après J.C. César et Cicéron, par exemple, font partie des grands auteurs en prose de la fin de la République. Puis, sous le règne des Julio-Claudiens, apparaissent des noms aussi célèbres que Virgile, Horace ou Ovide, auteurs d'une grande partie de la meilleure poésie occidentale.

"Le Jeune Cicéron Lisant" (Œuvre de Vincenzo Foppa.)

                                        En quoi cette littérature latine diffère-t-elle des œuvres d'origine grecque ? Personnellement, il me semble que la plupart de ces œuvres latines sont écrites pour être lues, plutôt que pour être récitées. D'où la nécessité d'une adaptation, plutôt qu'une simple traduction. Prenons l'exemple de "L'Odyssée" de Homère et comparons-là à "L'Enéide" de Virgile - les deux pouvant grossièrement se résumer à deux récits de voyage. Les épopées d'Homère me paraissent écrites avec plus d'ampleur, une dramaturgie plus grandiose mais parfois un peu caricaturale et grandiloquente - et sont donc davantage adaptées à la déclamation, à la mise en scène, qu'à une lecture sur papier. En revanche, les effets de style, les longues expositions et descriptions virgiliennes laissent à penser que "L'Enéide" est d'abord un texte écrit, avant d'être un texte récité. De là à imaginer que Virgile, et avec lui les grands poètes de cet âge d'or, accordaient plus d'importance à l'écrit qu'à la transmission orale, il n' y a qu'un pas, que la célèbre maxime latine "vox audita perit, littera scripta manet" - la parole se perd, les écrits restent - pourrait bien permettre de franchir.

                                        Reste qu'il faut toujours garder à l'esprit, lorsqu'on se penche sur la littérature antique, que nous n'avons pas le même regard ni la même conception que nos ancêtres. Tout d'abord, cette obsession de l'utilitas évoquée plus haut permet de comprendre que les Romains ne faisaient pas nécessairement la distinction, comme nous le faisons, entre la poésie et la fiction d'une part, et les écrits théoriques et la non-fiction de l'autre - toute œuvre devant remplir cet impératif d'utilité pour être jugée "bonne". De plus, j'ai déjà souligné l'importance des écrits théoriques, des traités et manuels pratiques, au détriment desquels on a parfois tendance à surestimer la production poétique ou littéraire. La rhétorique et le droit constituaient sans doute les principaux sujets des livres de l'époque, puisqu'ils étaient à la base de la formation du citoyen, dont la réputation se construisait à coups de grands discours, d'interventions publiques, d'oraisons ou de plaidoyers - au cours desquels on ne se privait pas des effets faciles, de la dramatisation ou de la subjectivité la plus totale, puisqu'il s'agissait de convaincre et de persuader l'auditoire. C'est bien sûr le cas des hommes politiques et des avocats, et il est symptomatique de constater que les deux hommes les plus connus de la fin de la République, Jules César et Cicéron, étaient reconnus pour leurs talents oratoires et littéraires, et que leur Latin passe encore aujourd'hui pour l'un des plus purs.

Buste de Cicéron.

ÉCRIRE DANS LA ROME ANTIQUE : ÉDITEURS, LIBRAIRES ET ÉCRIVAINS.


                                        Dans la Rome antique, les manuscrits étaient donc recopiés à la main, afin d'être plus largement diffusés. Lorsqu'on en vient justement à la publication et la distribution des œuvres littéraires, les choses n'ont apparemment guère évolué depuis 2000 ans : de gros éditeurs exploitant de malheureux auteurs, des écrivains qui tentent de court-circuiter les libraires, des best-sellers qui lancent une carrière, et des prix littéraires permettant à un jeune poète de se faire connaître...

                                        Le problème majeur des écrivains à Rome, ce sont apparemment les droits d'auteur. Ou plutôt l'absence de droits d'auteur, ainsi que le raconte le poète Martial (Ier siècle) :
"Ce n'est pas seulement aux oisifs de la ville et aux oreilles inoccupées que s'adressent mes écrits ; ils sont lus aussi par l'austère centurion qui combat au milieu des glaces de la Gétie. Les Bretons eux-mêmes chantent, dit-on, mes vers. Mais à quoi bon ? ma bourse ne s'en ressent pas." (Martial, "Épigrammes", XI-3.)

Portrait de Martial.

                                        La plupart des écrivains romains sont dans le même cas que Martial, et les bénéfices qu'ils auraient pu titrer de la vente de leurs œuvres finissent dans les poches des libraires, qui associent généralement le commerce de livres à une entreprise de copie, et font donc office d'éditeurs autant que de distributeurs. Dans le meilleur des cas, l'auteur reçoit un montant forfaitaire de la part du libraire, couvrant les droits de copie de son travail. Encore faut-il nuancer : une fois le livre sorti, il n'existe aucun moyen d'empêcher les copies "pirates". Horace, glorificateur du règne de l'empereur Auguste, a dressé une comparaison évidente: les libraires sont de riches proxénètes, et les livres sont leurs prostituées.
" Il me semble, mon livre, que tu regardes souvent du côté de Vertumne et de Janus. Est-ce que tu voudrais être exposé en vente dans la boutique des Sosies [Les libraires], poli et relié par leurs mains ? Tu t'indignes, je le vois, de rester sous la clef : l'obscurité, si chère à la modestie, n'est pas ton fait. Honteux d'avoir un petit nombre de lecteurs, il te faut le grand jour de la publicité. Sont-ce là les sentiments dans lesquels je t'avais élevé ? Eh bien, va donc où tu brûles d'aller ! mais souviens-toi que, une fois dehors, il n'y aura plus à revenir. Malheureux, diras-tu à la première boutade que tu essuieras, qu'ai-je fait ? quels vœux ai-je formés ? Tu sais aussi combien le lecteur se gênera peu pour te remettre dans tes plis, quand l'ennui le prendra. Voici donc, si le dépit que tu me causes ne m'aveugle pas, voici de point en point ce qui t'adviendra. Fêté à Rome, tant que tu conserveras l'attrait de la jeunesse, une fois que tu auras passé dans toutes les mains, et qu'on aura sali tes pages, tu deviendras, dans un coin, la pâture des vers, ou bien tu passeras à Utique, si mieux on n’aime t'expédier pour Lérida, servant d'enveloppe à des marchandises. " (Horace, "Épitres", I-20.)
Mais Horace n'est pas le plus à plaindre : après tout, il est sous la protection du célèbre Mécène (voir ici), qui contribue largement à couvrir ses dépenses, et lui a même offert une maison.



"Horace, Virgile et Varius chez Mécène." (Toile de F.J. Jalabert.)

                                        De leurs côtés, les libraires à Rome sont regroupés dans certaines rues, comme le Vicus Sandalarius (Le "quartier des cordonniers"), non loin du Colisée. Devant les boutiques s'étalent des publicités mentionnant les principaux titres disponibles, et souvent quelques citations tirées des meilleures ventes du moment. Martial raconte par exemple :
"Au marché de César se trouve un magasin / Dont la façade, en très gros caractères, / Offre, affiché, le nom de mes confrères / Et sans doute le mien ; tu n'iras pas plus loin." (Martial, "Satires", I - 118.)
                                         Mais ceux qui se décident à entrer trouveront dans la boutique un endroit où s'asseoir pour lire et découvrir les ouvrages les plus récents, ainsi que des esclaves qui leur apporteront des rafraîchissements - un peu comme dans un café littéraire, en somme. Les collectionneurs peuvent parfois dégotter de belles affaires. Un lettré romain raconte ainsi avoir déniché un vieil exemplaire de "L'Enéide" de Virgile - mais pas n'importe quel exemplaire, puisque le libraire lui a certifié qu'il avait appartenu à Virgile lui-même ! Histoire invraisemblable, peut-être, mais qui a tout de même convaincu notre homme de débourser une belle somme pour l'acquérir (à peu près deux fois la solde annuelle d'un soldat, en fait...) Le fameux "Édit du Maximum" - soit une liste de prix émise par Dioclétien en 301 -  nous indique que la somme nécessaire pour acquérir une copie de bonne qualité comptant 500 lignes suffisait à nourrir une famille de quatre personnes pendant toute une année !

                                         On peut certes trouver des ouvrages à des prix nettement plus raisonnables, mais les livres à bas prix sont parfois de mauvaise qualité, et risquent fort de tomber rapidement en lambeaux. Pire encore : la demande est telle, et surtout tellement pressante, que les libraires essayent de produire des copies le plus rapidement possible, et en conséquence elles sont parfois remplies d'erreurs, et prennent même quelques libertés avec le texte original.


                                         On pourrait également dire un mot des plagiaires, mais Martial encore l'a fait de telle manière qu'il ne semble pas nécessaire d'ajouter grand-chose :
"Plagiaire impudent, voleur de mes écrits, / Qui crois que pour être poète / Il suffit d'acheter un volume à vil prix, / Reviens de ton erreur ; ce beau nom que l'on fête, / Par or, ni par argent, ne fut jamais acquis. / Crois-moi, va déterrer au fond d'un secrétaire / Quelque rouleau chargé de bons ou mauvais vers, / Vierge encore et connu seulement de son père ; / Qui, sans avoir passé sous les yeux du vulgaire / Ne fut encore visité que des vers. / Un livre publié ne change plus de maître. / Mais si tu cherches bien, peut-être / Tu trouveras sur ton chemin / Un volume nouveau, dont les soins d'un libraire / N'ont encore poncé ni rougi le vélin. / Qu'on te le cède, mais sous le sceau du mystère, / Puis, chez toi, de ton nom va couvrir ton larcin. / Voilà tout le secret : celui dont l'impuissance / Veut s'illustrer par l'ouvrage d'autrui, / Traitant avec l'auteur, doit acheter de lui / Son livre et surtout son silence." (Martial, "Satires", I - 66.)
"Virgile Lisant L'Enéide à Auguste, Octavie et Livie." (Oeuvre de J.B. Wicar.)
 
                                         Nous avons vu que les écrivains antiques ne touchaient qu'une faible somme pour la vente de leurs textes, et strictement aucun droit d'auteur. Mais ça ne les empêchait pas de vouloir promouvoir leurs œuvres, et de faire savoir à tout Rome que leur nouveau volumen était disponible en librairie. Pour se faire, on organisait des lectures, publiques dans les basiliques, les odéons, les salles de spectacle, etc. ou plus privées, sur invitation,  généralement dans la demeure d'un riche mécène (le nom commun, cette fois !). On imagine que, tout comme pour les romanciers actuels, ce genre de réceptions pouvait parfois tourner au désastre - seulement quelques spectateurs, venus boire un verre de vin à l’œil, qui échangent poliment quelques mots avec l'auteur, avant de battre en retraite... sans avoir acheté un seul exemplaire ! Pline se plaint ainsi :
"Cette année, nous avons des poètes à foison. Il n'y a pas un seul jour du mois d'avril qui n'ait eu son poème, et son poète pour le déclamer. Je suis charmé que l'on cultive les sciences, et qu'elles excitent cette noble émulation, malgré le peu d'empressement qu'ont nos Romains d'aller entendre les pièces nouvelles. La plupart, assis dans les places publiques, s'amusent à écouter des sornettes, et se font informer de temps en temps si l'auteur est entré, si la préface est expédiée, s'il est bien avancé dans la lecture de sa pièce. Alors vous les voyez venir gravement, et d'un pas qui visiblement se ressent de la violence qu'ils se font. Encore n'attendent-ils pas la fin pour s'en aller : l'un se dérobe adroitement ; l'autre, moins honteux, sort sans façon et la tête levée. " (Pline le Jeune, "Lettres", XIII - 1.13)

                                         Pour se faire connaître, le moyen le plus sûr était encore de décrocher un prix littéraire. La nature humaine est ainsi faite que les rivalités semblent exister depuis l'aube de l'humanité, dans tous les domaines, y compris dans la littérature. On raconte par exemple que, bien avant Rome, Homère et Hésiode s'étaient affrontés lors d'un concours - le second l'emportant sur le premier au motif que ses "Les Travaux Et Les Jours", long poème sur l'agriculture, était plus "utile" que "L'Iliade". De nombreuses œuvres grecques, d'ailleurs, étaient écrites en vue de compétitions similaires. Plus tard, les empereurs romains ont souvent lancé des concours littéraires, versant au vainqueur des sommes non négligeables. Un prix Goncourt antique, en quelque sorte... Des auteurs déjà établis et publiés y prenaient part, et si certains ont été couronnés de succès, ils couraient surtout le risque d'être éclipsés voire humiliés par des amateurs. Une pierre tombale romaine commémore par exemple un prodige de 11 ans du nom de Sulpicius Maximus, mort peu de temps après avoir participé en 94, "avec honneur", à un prestigieux prix de poésie à Naples. Il avait impressionné les juges avec sa composition sur un thème mythologique bien connu : un discours de Jupiter, sermonnant le dieu du soleil qui avait prêté son char au jeune et insouciant Phaéton.



Tombe de Quintus Sulpicius Maximus. (Photo Barbara McManus)

                                         On pourrait être tenté de verser des larmes amères sur le sort de ces malheureux auteurs antiques, spoliés dans leurs droits, et dont les œuvres étaient exploitées sans qu'ils n'en vissent le premier sesterce. Mais on peut aussi considérer que la postérité les a finalement vengés : les textes d'un Virgile, d'un Tite-Live, d'un Martial ou d'un Cicéron sont maintenant des classiques de la littérature, toujours achetés et lus de nos jours. Un destin à faire pâlir d'envie tous nos écrivains contemporains, voire même un Balzac ou un Proust. Je n'ose imaginer la somme qu'atteindraient les droits d'auteur d' Horace aujourd'hui - quoi que ses œuvres soient, malheureusement pour lui, tombées dans le domaine public...





Marc Aurèle rédigeant ses "Pensées". (Via University Of Texas.)

                                         Il y a encore une chose que nous devons à Rome, en matière de lecture et d'écriture : la police de caractère "Times New Roman" ! Sans doute l'une de plus utilisées, elle nous vient paraît-il des inscriptions et épigraphies romaines, et plus particulièrement des lettres gravées sur la colonne Trajane, érigée à Rome aux alentours de 114 pour commémorer les victoires militaires de l'empereur. Décidément, voyez jusqu'où va se loger l'héritage antique !!!


(Illustration : Healingweeks.com)

mercredi 15 janvier 2014

De Quoi Auguste Est-Il Le Nom ?

                                                  Grande passionnée d'Histoire en général, je rencontre tout de même une difficulté récurrente : la généalogie des dynasties et des grandes familles. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais les méandres familiaux des Empereurs romains m'ont longtemps laissée pantoise, d'autant que s'ajoute le problème de la transmission du nom que ce soit à la naissance (par exemple, Tibère reçoit le même nom que son père, Tiberius Claudius Nero) ou lors des adoptions. Et je ne parle même pas des mariages consanguins ! Bon, je maîtrise bien le sujet maintenant mais l'arbre généalogique des Julio-Claudiens m'a valu quelques migraines mémorables... Même en dehors de l'adoption, il arrive que ces fichus Empereurs décident de changer de nom ! Décidément, les gars ne nous facilitent pas la tâche. Prenons le cas d'Octave, héritier de Jules César et vainqueur de Marc Antoine et Cléopâtre lors de la bataille d'Actium : on le connaît mieux sous le nom d'Auguste, titre qui devient son nom officiel en 27 avant J.C. Voilà qui demande quelques explications...

D'OCTAVE A AUGUSTE.


                                                  De retour à Rome après sa victoire sur Marc Antoine et Cléopâtre, Octave se garde bien de commettre les mêmes erreurs que son père adoptif, Jules César, assassiné pour ses aspirations à la royauté honnie par les Romains. Bien que revendiquant la prestigieuse filiation, Octave évite soigneusement toute association avec les ambitions de César. A la place, il entreprend de remodeler les institutions, de façon à asseoir son pouvoir personnel sans avoir l'air d'y toucher. En apparence, les formes de la république sont respectées et le Sénat reprend le contrôle de l’État. La réalité est toute autre : Octave diminue progressivement le pouvoir des Sénateurs, en se faisant décerner l'une après l'autre les plus hautes fonctions. Imperator depuis 38 avant J.C., il est déjà le commandant des armées ; il reçoit également le titre de Princeps Senatus (Premier des sénateurs - d'où le nom de Principat et notre mot de Prince), le pouvoir proconsulaire (en théorie pour 10 ans, mais en fait renouvelé jusqu'à sa mort), la puissance tribunitienne à vie (qui lui offre un droit de véto et lui garantit l'inviolabilité), et il est aussi préteur, censeur, et Grand pontife. N'en jetez plus ! Cette concentration des pouvoirs militaires, judiciaires, administratifs et religieux entre les mains d'un seul homme montre bien que la République n'est plus qu'une coquille vide, et Octave est désormais le détenteur unique d'un pouvoir absolu.



Aureus représentant Auguste relevant la République romaine. (via southwestern.edu)


                                                  C'est le 16 Janvier 27 avant J.C. qu'Octave est "rebaptisé" (si l'on peut dire...) Auguste par le Sénat - après que le nom de Romulus a été envisagé parce qu'il faisait de lui le refondateur de Rome, puis finalement rejeté. En réalité, Augustus est un titre honorifique, accordé comme un cognonem ou surnom - comme Africanus est octroyé au général Scipion. Terme religieux, augustus est un adjectif habituellement réservé aux divinités. Il se traduirait par "sacré" ou "vénérable". De fait, Auguste est dès lors considéré comme sanctus, et on lui attache désormais de son vivant un culte (plus précisément à son genius, mais ne rentrons pas dans les détails ici) qui s'accompagnera logiquement de la divinisation par apothéose après sa mort.

                                                  Pourquoi le choix d'Augustus ? L'étymologie apporte quelques éclaircissements et permet de comprendre en quoi ce mot attache d'une part à la personne d'Octave un caractère sacré qui renforce son inviolabilité et, d'autre part, fonde la légitimité de son auctoritas.


Auguste en magistrat. (©Saperaud via wikipedia.)

AUCTORITAS, AUGUSTE, AUGURES : RÉUNION DE FAMILLE.


                                                  L'auctoritas, qu'est-ce que c'est ? On serait tenté de traduire le mot par "autorité", mais ce serait trop facile ! La notion est plus complexe. Pour les Romains, l'auctoritas correspond en gros à l'influence publique que confère le prestige, une sorte d'autorité morale alliée à une bonne dose de charisme, qui permet de rallier les autres par la noblesse de ses actions.

                                                  Or, les mots augustus et auctoritas proviennent tous les deux de la même racine : aug- - le verbe augere signifiant "accroître, renforcer, développer". Le titre d'Augustus élève donc Octave, lui confère une auctoritas renforcée qui lui permet d'asseoir un pouvoir qui ne saurait être discuté. Ce sont ses actions et ses vertus qui légitiment cette autorité.


Auguste honoré par les Dieux. (Coupe de Boscoréale - Musée du Louvre.)


                                                  Mais l'explication étymologique va plus loin. En Indo-iranien, la racine aug- désigne la force, notamment divine. C'est de là que vient le sens premier du terme en Latin archaïque : augere ne désigne alors pas l'action d'accroître, mais celle de créer, de produire en dehors de soi, d'augmenter la réalité en y ajoutant quelque chose ex-nihilo. Il s'agit d'un acte démiurgique, spécifiquement lié aux Dieux. Le terme d'augure est un bon exemple de la signification de cette racine aug- : étymologiquement, l'augure est la "promotion" que les Dieux accordent à une action ou une intention, et qu'ils manifestent par un présage. De la même manière, Augustus désigne celui qui est pourvu de cet accroissement divin.
"C'est avec Jupiter que César partage son nom ; nos pères disaient augustes les choses saintes ; augustes sont les temples religieusement consacrés par la main des prêtres. De ce mot est dérivé celui d'augure et toute augmentation ou création due à la puissance de Jupiter" (Ovide, "Fastes", I-608.)
Ce titre est donc plus qu'honorifique, en ce qu'il consacre la mission divine d'Octave : par le nom d'Auguste, il devient élevé par les Dieux, détenteur d'une autorité morale supérieure à celle de ces concitoyens.



Camée montrant les Julio-Claudiens (centre) et l'apothéose d'Auguste (haut). (©Janmad via wikipedia.)


                                                  Le mot d'auctoritas lui-même peut dès lors s'expliquer ainsi : l'auctoritas d'un homme est ce qui lui permet de changer l'ordre des choses, d'ajouter à la réalité pré-existante une action, un mouvement, une loi, etc. à laquelle il donne corps.

UN AUGUSTE PEUT EN CACHER UN AUTRE.

 

Plautille, épouse de Caracalla. (©Ann Raia.)
Octave devenu Auguste gouverne Rome sous ce nom jusqu'à sa mort en 14. Après lui, tous les Empereurs prennent le nom d'Auguste, qui est inclus dans leur titulature officielle. Probus choisit même de s'appeler "perpetuus Augustus", et Claude le Gothique en rajoute une couche avec "semper Augustus" - titre que conserveront ses successeurs jusqu'à la fin de l'Empire. Les impératrices (ainsi que d'autres femmes de la famille régnante) adoptent le titre d'Augusta et le terme en vient à désigner l'ensemble de la famille impériale (Gens Augusta) et, à partir des règnes de Marc Aurèle et de Lucius Verus, le titre d'Auguste n'est plus uniquement réservé à l'Empereur mais peut être accordé à d'autres mâles, comme les fils ou fils adoptifs.



Monnaie de Dioclétien. (©E. Coli (!!) via wikipedia.)
En 293, lorsque l'Empire romain est divisé en deux parties (Empire d'Orient et Empire d'Occident), Dioclétien met en place le système de la tétrarchie : chaque partie de l'Empire est gouvernée par un Empereur principal appelé Auguste, assisté d'une sorte d'adjoint subalterne, désigné comme César. Dans la partie orientale de l'Empire, les titres Imperator, Caesar, et Augustus sont traduits en Grec, et deviennent respectivement Autokrator, Kaisar et Augoustos ou Sebastos. Ces désignations grecques perdureront jusqu'à la chute de l'Empire byzantin en 1453 ; entre temps, autokrator aura supplanté sebastos, et sera devenu le titre exclusif de l'empereur régnant.


                                                 Aujourd'hui, ce changement d'identité nous a laissé un prénom (Auguste comme Auguste Renoir), longtemps choisi en particulier par les familles de la noblesse,  et le nom d'un mois (Août) justement dédié à Octave / Auguste par le Sénat romain. Le mot "Augustus" se retrouve aussi dans l'adjectif "auguste". Plus anecdotique et donc plus amusant sans doute, ce petit mot de aug- a également essaimé dans la langue française, d'une façon plus inattendue : c'est de cette racine que provient le mot "auteur" ! L'auteur, c'est en effet celui qui créé une œuvre, qui ajoute quelque chose au monde par les paroles qu'il écrit. Ce qui explique aussi, du coup, que le terme soit fréquemment employé comme synonyme d'instigateur ou d'inventeur. On dira par exemple : Auguste fut l'auteur d'un coup d'état institutionnel...

dimanche 12 janvier 2014

Revue De Presse : "L'Histoire" - Janvier 2014.

                                        Chaque année comporte son lot de commémorations : les 50 ans de ceci, le bicentenaire de cela... Cette année 2014 ne fait pas exception à la règle, mais un évènement nous concerne directement, nous autres passionnés d'Antiquité romaine : les 2000 ans de la mort de l'Empereur Auguste. Grande admiratrice de l’œuvre du fondateur de ce que l'on a coutume d'appeler l'Empire romain, je suis ravie de voir que l'évènement suscite déjà quelques publications, et surtout une exposition, à venir au Grand Palais du 19 Mars au 13 Juillet. Auguste sera également mis à l'honneur dans le cadre des Jeux Romains de Nîmes, qui se tiendront le week-end du 17 Mai. Mais pour ouvrir cette année commémorant la mort d'Auguste, on pourra commencer par se plonger dans le numéro de la revue "L'Histoire" paru en fin d'année dernière, et qui lui accorde une large place.

                                        Sous le titre "Auguste, fondateur d'Empire", le magazine consacre à notre homme une cinquantaine de pages, soit un dossier consistant qui aborde plusieurs thématiques. De nombreux contributeurs - parmi lesquels Maurice Sartre, Paul Veyne ou Frédéric Hurlet - se penchent sur divers aspects du règne d'Auguste : les réformes institutionnelles et la transformation de la République en principat, sa politique vis-à-vis de l'Orient et la manière dont il parvint à unifier les deux moitiés de l'Empire, la mise en place d'une poste impériale, l'apogée territoriale de Rome, etc. Malgré la variété des angles choisis, l'ensemble ne manque pas de cohérence et deux problématiques apparaissent en filigrane : la nature du nouveau régime d'une part, et la propagande augustéenne d'autre part.

                                        La première question sous-tend l'ensemble du dossier : succédant à une République oligarchique déchirée par les guerres opposant entre eux les généraux romains, le principat concentre en réalité la majeure partie des pouvoirs entre les mains d'un seul homme. Pourtant, Auguste se présente comme le restaurateur de l'ancien régime et prétend gouverner avec le Sénat, en tant que princeps - soit le premier des citoyens romains. On présente souvent ce paradoxe en disant qu'Auguste est parvenu à instaurer une monarchie, tout en maintenant l'illusion de la République. Un point de vue que nuance Catherine Virdoulet, en soulignant par exemple la restauration et le respect des institutions républicaines, ainsi que la manière dont Auguste s'appuie sur le personnel politique issu de la République. Elle reconnaît toutefois que le principat est bien l'aboutissement d'une nouvelle forme de gouvernement, une construction originale qu succède à un régime dont la succession de guerres civiles a prouvé l'inadaptation. Dans le même ordre d'idée, la confrontation des thèses de Theodor Mommsen et de Ronald Syme contribue à éclairer le débat : là où le premier voit dans le principat une dyarchie entre le Prince et le Sénat, le second pense qu'Auguste a bien instauré par la ruse une monarchie de fait. Sans apporter de conclusion définitive, le magazine rapproche finalement les différentes interprétations, en atténuant chacun des points de vue.






                                        Tout aussi intéressant, le thème de la propagande est largement abordé tout au long des différents articles : qu'il s'agisse de la religion (avec l’apothéose et la divinisation), de la famille impériale et de la transmission du pouvoir par laquelle Auguste créé une dynastie, de l'architecture, de la littérature et de l'humour, de la statuaire, du concept de pax romana : chaque article semble souligner comment Auguste est parvenu à imposer de lui et de son règne cette image de gloire et de puissance qui a subsisté jusqu'à nos jours. A posteriori, le magazine analyse également l'idée proverbiale de la "clémence d'Auguste", et comment Montaigne ou Corneille ont tenté de tirer du règne des leçons de gouvernance politique, à l'inverse d'un Montesquieu ou d'un Voltaire, beaucoup plus critiques. De même, la récupération de la figure d'Auguste par Mussolini dans les années 30, justifiant à la fois l'impérialisme italien et les prétentions totalitaristes du Duce, fait l'objet d'un article pertinent, qui permet également de comprendre pourquoi l'anniversaire que nous célébrons cette année ne fait l'objet que de modestes manifestations chez nos voisins transalpins...

                                        Outre les articles de fond, on lira également au fil des pages quelques entrefilets sur la signification du nom Auguste (mais j'aborde le sujet dans mon prochain billet...), le regard que les premiers Chrétiens portèrent sur son règne, l’œuvre de Virgile et son exaltation de la Rome augustéenne, ou encore sur les représentations géographiques de l'époque. Le tout, magnifiquement illustré et ponctué de schémas, tableaux, d'un lexique et d'un arbre généalogique, rendant très accessible la lecture de ce dossier.

                                        Comme toujours, "L'Histoire" offre donc des articles de qualité, qui reprennent les grands thèmes du règne d'Auguste tout en soulevant quelques questions pertinentes. Un apéritif idéal en attendant la suite des publications qui ne manqueront pas de saluer le fondateur de l'Empire romain, 2000 ans après sa mort.

"L'Histoire" n°395 - Janvier 2014.
Lien : http://www.histoire.presse.fr/mensuel/395
6€40.

  

    

mercredi 8 janvier 2014

Bonnes Résolutions Dans La Rome Antique.

                                        Début d'année oblige, on reprend doucement, avec un petit clin d’œil à l'une des pratiques les plus habituelles du mois de Janvier... Car cette année, c'est promis : vous arrêtez de fumer, vous vous mettez au régime, vous allez faire du sport. Bref, comme tous les ans à la même date, vous prenez de bonnes résolutions que vous tiendrez trois jours, une semaine, six mois - ou pour toujours. En attendant, vous serez peut-être surpris d'apprendre que les Romains prenaient déjà de bonnes résolutions à la veille de la nouvelle année et que, d'une certaine manière, c'est à eux que nous devons cette tradition.

                                        Pour être honnête, on pourrait même remonter près de 4000 ans avant J.C., et rendre une petite visite au Babyloniens : à Babylone, la nouvelle année se célèbre à la nouvelle lune suivant le solstice de printemps - ce qui est somme toute assez logique. Après l'hiver vient le printemps, saison de la renaissance : on sème en prévision des futures récoltes, les plantes refleurissent, la nature semble revenir à la vie. Les célébrations babyloniennes s'étendent sur 11 jours consécutifs, au cours desquels on rend un culte aux Dieux locaux - dont Mardouk, qui veille entre autres sur les récoltes. A cette occasion, on leur fait des promesses, en échange de leur protection pour l'année à venir. Il ne s'agit pas à proprement parler de résolutions mais, apparemment, l'une des promesses les plus fréquentes, c'est de... rendre l'équipement agricole emprunté ! (Équivalent babylonien de la perceuse que vous avez prêtée au voisin, et qui ne vous l'a toujours pas rendue...)



Bas-relief représentant Mardouk.

                                        Plus tard, les Romains fêtent aussi l'arrivée de la nouvelle année en Mars : là encore, elle coïncide avec la fin de l'hiver et le début du printemps. Mais le calendrier romain n'est pas fiable, le temps astronomique ne correspond plus au temps légal ce qui entraîne d'importants décalages (le solstice d'été finit par tomber à la date de l'équinoxe d'automne !) et les Romains eux-mêmes en perdent leur Latin. Ainsi, en 46 avant J.C., Jules César réforme le calendrier (ce sera le calendrier julien - voir ici), synchronisé avec le soleil et comportant des années bissextiles.

                                        Les Romains connaissent en fait plusieurs calendriers : année religieuse, année civile, année des magistratures, etc. - tout comme nous avons le calendrier scolaire ou le calendrier parlementaire. Si depuis 153 avant J.C., l'année civile débute bien le 1er Janvier, Jules César entérine cette date. Les célébrations du mois de Mars se perpétuent, mais le 1er Janvier devient bien le début officiel de l'année.




Buste de Janus.

                                        Le mois de Janvier - Ianuarius - tire son nom de Janus, Dieu biface qui regarde à la fois vers le passé et vers l'avenir. Il symbolise la transition, le passage - physique ou métaphorique. Il est ainsi le Dieu des portes, des ponts, mais aussi des commencements. La légende veut qu'au passage à la nouvelle année, Janus soit à la fois le témoin de l'année finissante et du millésime débutant. Les Romains lui font donc des promesses et des offrandes, croyant que le Dieu, constatant leur sincérité, les aidera à accomplir leur vœu.

                                        Cette tradition s'affaiblit après la dislocation de l'Empire romain, notamment au Moyen-Âge où l’Église chrétienne tente d'éradiquer toute pratique héritée des païens. De plus, la date du nouvel an est fixée au 25 Décembre, pour coïncider avec la naissance du Christ. Au fil du temps, chaque pays choisit de célébrer la nouvelle année à un moment différent : certains à Noël, d'autres au printemps, d'autres à Pâques. Puis au VIème siècle, le Pape Grégoire XIII révise à nouveau le calendrier et, suivant ici le calendrier julien, fixe à nouveau le nouvel an à la date du 1er Janvier. La tradition des bonnes résolutions refait alors surface - mais nous avons perdu Janus en route.


Janus regardant le passé et le futur. (Waltham Abbey - © Steve Day via Flickr)

                                        Passionnés d'Antiquité romaine, pensez à Janus la prochaine fois que vous aurez envie de sauter votre cours de gym ou de vous jeter sur un éclair au chocolat ou une cigarette : qui sait, il vous aidera peut-être à tenir bon...