dimanche 30 mars 2014

Agenda : Forum Du Livre Peplum 2014.

                                        C'est reparti ! Pour la quatrième année consécutive, l'association Carpefeuch organise son Forum du livre péplum, le 12 Avril prochain. Placée sous l'égide de l'Empereur Auguste à l'occasion du bimillénaire de sa disparition, cette manifestation proposera conférences, dédicaces, ateliers et séances de cinéma, ainsi qu'un espace librairie entièrement dédié à l'Antiquité dans la littérature et la BD.

                                        Dès le Vendredi 11 Avril, le Forum Kinépolis du centre ville de Nîmes diffusera deux péplums, présentés par Claude Aziza : "La Légende d'Hercule" et "300 : Naissance d'un Empire". Le lendemain, nous vous attendrons à partir de 9H30, vêtus de nos plus belles toges et stolae, dans l'enceinte du collège Feuchères. Après l'ouverture des portes, en présence de l'Empereur Auguste lui-même, vous aurez tout le loisir de découvrir les romans, biographies et bandes dessinées disponibles à la vente, et notamment les ouvrages d'Eric Teyssier, Claude Aziza, Luc Mary et Jean d'Aillon, présents pour des dédicaces. Vous pourrez aussi tenter votre chance à notre tombola dotée de nombreux lots, participer à des ateliers mosaïque et jeux antiques animés par Véronique Pinguet-Michel du Petit Atelier de l'Emporte-Pièce (Lien ici), ou encore assister à de nombreuses animations et démonstrations.  



                                        Tout au long de la journée, nos spécialistes se succèderont pour plusieurs conférences et tables rondes consacrées à Auguste : Béatrice Bakhouche abordera la signification du nom d'Auguste (10H), Eric Teyssier étudiera l'empreinte qu'il a laissée sur le ville de Nîmes (11H), Luc Mary vous racontera la bataille de Teutobourg (13H30), Jean d'Aillon présentera le détective romain héros de ses romans (14H30), Claude Aziza traitera du thème d'Auguste dans la fiction (15H30), avant de retrouver Valérie Mangin (scénariste de la BD "Alix Senator") pour parler de ce personnage (16H30). Enfin, le forum se clôturera par la projection d'un dessin animé. Et pour terminer en beauté, le Forum Kinépolis accueillera à nouveau les spectateurs pour l'avant-première du film "Noé", où Russell Crow est dans un bateau...  

                                        Passionnés d'antiquité ou simples curieux, petits ou grands seront les bienvenus pour découvrir, échanger et partager autour de la figure du premier Empereur romain. Pour tout renseignement, vous pouvez me contacter par courriel ou consulter le site internet de l'association Carpefeuch : ici. Parlez-en autour de vous et venez nombreux !


FORUM DU LIVRE PÉPLUM : 12 AVRIL 2014.
De 9H30 à 18H30.
Collège Feuchères - 3 avenue Feuchères - 30000 Nîmes.

Pour les séances de cinéma :  FORUM KINEPOLIS.

3 rue Poise - 30000 Nîmes - Tél : 04 66 67 29 94 - Lien ici.

Vendredi 11 Avril 2014 : La Légende d'Hercule à 19H30. (90 min.)
                                           300 : Naissance d'un Empire à 21H30. (102 min.)
Samedi 12 Avril 2014 :   Noé à 19H30. (139 min.)


En partenariat avec les librairies Siloë, Teissier, le Bédéphile et avec le concours de Metropolitan Filmexport, les éditions Faton, McDonald's France et Ferrero France. 

mercredi 26 mars 2014

François-André Vincent, un artiste entre Fragonard et David.

                                        Ce Dimanche 23 Mars, j'ai eu l'occasion de visiter avec l'association Carpefeuch l'exposition que le musée Fabre de Montpellier consacre en ce moment à François-André Vincent. Intitulée "François-André Vincent, un artiste entre Fragonard et David", cette rétrospective met à l'honneur un peintre méconnu, pourtant l'un des chefs de file du néoclassicisme et considéré à l'époque comme l'égal d'un David, justement. C'est plus précisément la prédilection du peintre pour les sujets antiques qui nous a conduits au musée Fabre, et en compagnie de notre guide Fiorana, nous avons découvert son œuvre au travers d'un parcours chronologique présentant tableaux, dessins et esquisses préparatoires qui mettent en exergue le talent d'un artiste capable d'assimiler diverses influences, au service d'une peinture ancrée dans le néoclassicisme mais qui annonce pourtant le courant romantique.

François-André Vincent, peint par son épouse Adélaïde Labille-Guiard en 1795. (Via wikipedia.)


Les débuts en France et en Italie.


                                        Né à Paris en 1746, François-André Vincent reçoit ses premières leçons d'un père miniaturiste, dont il garde sans doute le goût du détail et de la précision, caractéristique de son œuvre. Il se forme ensuite auprès de Joseph-Marie Vien, peintre montpelliérain qui lui transmet sa passion pour les sujets antiques. C'est d'ailleurs avec un tableau intitulé "Germanicus apaisant la sédition" que Vincent obtient le Grand Prix de Rome en 1771 : les légions commandées par Germanicus, fils adoptif de l'Empereur Tibère, le pressèrent de destituer l'Empereur, mais il refusa et mata la rébellion. On le voit ici, intervenant auprès de ses soldats qui lui demandent de leur pardonner.  


"Germanicus apaisant la sédition." (©VladoubidoOo via wikipedia.)

                                        Ce tableau lui ouvre les portes de l’Académie de France à Rome. Il y séjourne jusqu'en 1775 et s'y lie d'amitié avec Fragonard et rencontre Bergeret de Grancourt, riche mécène qui lui commandera plusieurs tableaux. Issu d’une famille protestante, sa religion lui permet en outre de se lier avec des artistes du nord de l’Europe, dont le rapport à la lumière affecte son travail. Lors d'un séjour à Naples, il visite également Herculanum et Pompéi, qui viennent alors juste d'être découvertes, et ces voyages lui serviront de base de travail lorsqu'il réalisera des tableaux à thème antique.

                                        Les œuvres de jeunesse laissent déjà entrevoir plusieurs éléments caractéristiques du style de Vincent : la grande précision accordée aux détails contraste avec des coups de pinceau plus rapides et nerveux dans le style de Fragonard ; les couleurs sont fortes et les blancs lumineux;  l'artiste appose de grands empâtements de peinture; il privilégie souvent une composition centrée sur un personnage statique dans une pose particulière, autour duquel les autres protagonistes en mouvement engendrent la dynamique du tableau. Les œuvres présentées dans cette salle illustrent aussi son talent de portraitiste. Qu'il s'agisse de Bergeret de Grancourt ou de sa chienne (!), de l'auto-portrait de l'artiste dans le plus pur style de Fragonard, ou du magnifique triple portrait où Vincent se représente en compagnie de l'architecte Rousseau et du peintre Van Wyck, chacun de ces tableaux étonne par le sens de la composition, originale et pertinente, et par l'étonnante expressivité des visages.



"Triple portrait de l'artiste..." (RMN - Grand Palais - ©Daniel Arnaudet - Service presse / MBA Tours.)

                                        On retrouve ces mêmes qualités dans les nombreux dessins réalisés par Vincent, qui montrent bien qu'il ne s'agit pas uniquement pour lui d'un simple travail préparatoire : la variété des techniques employées, la finition et le soin apportés à chaque esquisse, la signature systématique dénotent l'importance que le dessin revêt aux yeux de l'artiste. En parallèle, il réalise toute une série de caricatures, prenant pour cibles ses amis, et qui évoquent fortement Daumier.


Les succès parisiens.


                                        A Paris, Vincent présente deux tableaux lors du Salon de 1777 : "Alcibiade recevant les leçons de Socrate" et "Bélisaire, réduit à la mendicité, secouru par un officier des troupes de Justinien". Deux toiles d'inspiration antique où l'on observe à nouveau le soin apporté aux détails, la vivacité des couleurs, mais aussi la subtilité des textures - cuirasses, barbes, étoffes, etc. Les compositions, similaires,  se présentent comme des plans rapprochés, au plus près des personnages. Les deux toiles montrent aussi la manière dont le peintre met en scène des sujets antiques, qu'il est l'un des premiers à représenter. Avec pour ambition de s'approcher au plus près de la vérité, il puise dans la statuaire antique - se basant par exemple pour son Socrate d'un buste vu à Rome, ou utilisant le contrapposto typique de la sculpture antique. 

"Alcibiade recevant les leçons..." (Musée Fabre de Montpellier  - © Frédéric Jaulmes - Service presse / MBA tours.)


                                        Par ailleurs, l'une de ses œuvres, "Saint Jérôme entendant la trompette du Jugement dernier", lui vaut d'être agréé à l'Académie. Étrangement, cette toile est beaucoup plus classique, empruntant presque au baroque. Ces succès permettent à Vincent de recevoir des commandes, et il réalise notamment des toiles inspirées de l'histoire nationale - comme "Le Président Molé saisi par les factieux du temps des guerres de la Fronde", qui lui vaut un vif succès au Salon de 1779. La posture du personnage représenté de dos est quasiment identique à celle du gladiateur Borghèse - attitude que reprendra Vincent dans une autre toile, "La leçon d'agriculture".

"Le président Molé et les factieux..." (Dépôt du musée du Louvre - C2RMF - ©Thomas Clot - Service presse / MBA Tours.)






Le gladiateur Borghèse.


 
                                        Il ne délaisse d'ailleurs pas pour autant l'Antiquité puisqu'il peint le "Combat des Romains contre les Sabins" en 1781 - soit bien avant que David n'en présente sa propre version, reprenant au centre de sa composition l'image de la Sabine séparant son frère et son mari. On peut encore citer "L'enlèvement d'Orythie" que Vincent présente en 1783 et qui lui permet d'être reçu à l'Académie royale, et le "Zeuxis et les filles de Crotone" dont le musée expose les dessins préparatoires - ouvrant une fenêtre sur la façon dont Vincent pense ses toiles et dont il en construit toute la structure.

"Le Combat des Romains contre les Sabins..." (©Musées d'Angers.)

La Révolution.


                                        Pendant la révolution, les commandes se faisant rares, la plupart des peintres répondent à celles de la bourgeoisie, qui se substituent à celles de l'aristocratie. Vincent est moins prolifique, mais il exécute plusieurs portraits, assez proches de la peinture de son grand rival David auquel il emprunte la clarté du fond, mais toujours avec plus de détails. Il peint également un "Guillaume Tell", ses origines suisses l'incitant à représenter ce héros de l'indépendance helvète, exaltation de la liberté et du patriotisme parfaitement en phase avec l'époque.

                                        Il peint aussi "La leçon d'agriculture", à la fois allégorie et tableau naturaliste dans l'esprit de la philosophie rousseauiste. On retrouve une fois de plus certaines références italiennes -  le bras de l’agriculteur imitant celui du Dieu de la chapelle Sixtine, ou la posture du gladiateur Borghèse déjà cité plus haut.

"La leçon d'agriculture." (© Musée des Beaux-Arts, Bordeaux - © Lysiane Gauthier - Service presse / MBA Tours.)


Le Consulat et l’Empire.


                                        Affaibli par la maladie et frappé par des deuils successifs, François-André Vincent produit moins de toiles lors des dernières années de sa vie. L'entourage de Napoléon lui confie toutefois plusieurs commandes officielles, à commencer par une immense "Bataille des Pyramides" de 9m sur 4, qu'il n'achèvera pas (le tableau sera repris par un élève de David) mais dont il nous reste des esquisses préparatoires dynamiques et furieuses, dans un style déjà pré-romantique qui ouvre la voix à un Delacroix. Sa dernière œuvre, commande de Jérôme Bonaparte, surprend encore - cette "Allégorie sur la libération des esclaves d'Alger" mêlant peinture historique et symboles dans une toile de facture classique.

                                        Au cours des dernières années de sa vie, Vincent expose notamment deux tableaux qui, par la réalisation et le thème abordé, annoncent déjà la sensibilité romantique. Ainsi le portait d'Antoine-Vincent Arnault, poète représenté sur fond de paysage, le regard perdu vers l'horizon et les cheveux aux vents, et posant dans une attitude caractéristique des toiles romantiques. L'autre toile, "Mélancolie", est un chef-d’œuvre de sensibilité : le culte de la mort, si cher aux Romantiques, dénote en outre l'état d'esprit d'un homme malade et en deuil. Ce tableau sera sa dernière œuvre exposée : François-André Vincent meurt à Paris en 1816.  


                                        A sa mort, ses toiles sont vendues et dispersées, par exemple dans des collections privées. Ajouté au fait que la signature sur les tableaux a souvent été grattée, ceci explique en partie pourquoi l’œuvre de Vincent est si méconnue. Mais surtout, ces peintures ont longtemps été attribuées à d'autres artistes majeurs, et non des moindres : Fragonard, David, Boucher, voire Géricault. La "faute" en incombe en grande partie à Vincent lui-même, artiste protéiforme qui empruntait à plusieurs styles et ne cessait de se renouveler et de varier les sources d'inspiration, adaptant sa peinture au sujet traité. Incohérent en apparence, son parcours suit néanmoins une trajectoire qui le conduit d'une peinture très classique et traditionnelle, proche d'un Fragonard ou des peintres du Grand Siècle, à un art plus fougueux et sentimental, précurseur du Romantisme. Avant d'annoncer ce courant artistique, Vincent fut aussi l'un des premiers à traiter de sujets empruntés à l’Antiquité ou à l’Histoire de France, et il fait figure d'initiateur du mouvement néoclassique.



"Bélisaire réduit à la mendicité..." (Musée Fabre de Montpellier Agglo.- ©Frédéric Jaulmes - Service presse / MBA Tours.)

                                        Paradoxalement, cette grande variété et cette non-appartenance exclusive à un courant ou à un style expliquent sans doute que Vincent ait été négligé: insaisissable, ce caméléon échappe aux classifications et sa versatilité rend son œuvre difficile à appréhender dans son ensemble. Il faut ajouter que Vincent était en rivalité permanente avec David - serait-il son Salieri ? - et que les Delacroix ou les Géricault qui lui succèderont seront considérés comme d'authentiques génies. C'est peut-être finalement la conclusion que l'on peut tirer de cette exposition: comme le résumait l'une de mes camarades de Carpefeuch, "Vincent avait du talent, mais pas de génie". Encore que, après réflexion, je me permettrai de relativiser ce jugement. Si le génie de Vincent ne réside pas dans la technique et dans l'exécution, peut-être faut-il le chercher ailleurs, c'est-à-dire dans la manière dont il anticipe les évolutions artistiques, tout en restant dans un cadre institutionnel et traditionnel, conciliant ainsi classicisme et avant-garde. Ce qui n'est pas un moindre mérite.




François-André Vincent (1746-1816), un artiste entre Fragonard et David.
Jusqu'au 11 mai 2014.

Musée Fabre
39 Boulevard Bonne Nouvelle
34000 Montpellier.
Tél : 04 67 14 83 00
Lien ici.

Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 10h à 18h.

Tarif : 8€ (tarif réduit : 6€).
L’achat d’un billet pour l'exposition temporaire donne également accès aux collections permanentes et à l’Hôtel de Cabrières-Sabatier d’Espeyran.

dimanche 16 mars 2014

Les Argées, Un Mystérieux Rituel.



                                        Dans un précédent article, je soulignais la place de la superstition et l'importance des traditions dans la religion romaine antique. En fait, les Romains étaient parfois tellement attachés à ces pratiques rituelles qu'il leur arrivait de célébrer certaines cérémonies tout en ignorant leur signification exacte. Le rituel dont je vais vous parler aujourd'hui fait précisément partie de ces actes religieux dont le sens, perdu depuis les temps archaïques, échappait totalement aux Romains. Pourtant, ils n'en respectaient pas moins fidèlement le déroulement.

                                        Il s'agit des Argées (Argei), sans doute l'un des rituels les plus anciens de l'Antiquité romaine, et aussi l'un des plus obscurs. Les Romains eux-mêmes, bien qu'ils aient suivi le rituel à la lettre, ne savaient pas vraiment ce qu'ils faisaient. Du coup, vous vous doutez bien qu'on en sait encore moins aujourd'hui !

                                        Ce rituel se déroulait en deux étapes distinctes. Dans les deux cas, une procession parcourait la ville, rejoignant des sanctuaires et stations. Au nombre de 24 selon Varron, ces chapelles étaient réparties dans les différents quartiers de Rome, chacun en accueillant 6. 


Vestales en procession, précédées du Grand Pontife. (©B. McManus via vroma.org)

                                        La première cérémonie avait lieu le lendemain et le surlendemain des Ides de Mars (16 et 17 Mars), en présence de la Flaminica Dialis, épouse du flamine de Jupiter, qui apparaissait les cheveux épars, en signe de deuil. On déposait des mannequins (30 ou 24 selon les sources) de jonc, roseau ou paille dans les différents sanctuaires. Soixante jours plus tard, soit lors des Ides de Mai (14 Mai), une nouvelle procession parcourait la ville, et on retirait les mannequins déposés deux mois plus tôt. On se regroupait près du pont Sublicius, sur lequel se tenaient les pontifes et les magistrats. Après le sacrifice d'usage, les Vestales jetaient les mannequins dans le Tibre.
"C’était les simulacres en joncs de vingt-quatre Argiens, que les prêtres jetaient publiquement tous les ans du pont Sublicius dans le Tibre." (Varron, "De La Langue Latine", VII-44.)

Monnaie de Trajan, montrant peut-être le pont Sublicius. (©B. McManus via vroma.org)


                                        Tout ce petit manège soulève au moins deux questions : d'où venait cette tradition, et quel en était le but ? Le problème, c'est justement qu'on en a aucune idée ! Même les Romains y perdaient leur Latin, et ça ne s'est pas arrangé depuis...

                                        L'origine et la finalité du rituel demeurent un mystère. A qui était destiné ce sacrifice ? A Dis Pater, à Saturne ? Était-ce un rituel d'expiation, de purification, en lien avec la Terre ? Certains pensent que les mannequins étaient sensés débarrasser la ville des souillures et pollutions morales ; selon une autre théorie, les effigies ainsi noyées commémoraient un sacrifice de masse, perpétré lors de la construction du pont afin d'attirer la bienveillance des Dieux. En résumé, personne n'en savait rien.

                                        Tite-Live prétend que les sanctuaires des Argées (Argeorum sacraria) avaient été bâtis par Numa Pompilius, le successeur de Romulus. C'est d'ailleurs un bon truc à retenir : dès qu'apparaît une institution religieuse, dites qu'on l'attribue à Numa ! Il y aura au moins un auteur antique pour vous donner raison... D'autres légendes lient la cérémonie au demi-Dieu Hercule, qui était arrivé en Italie avec les Argiens pour fonder la ville de Saturnia au pied du Capitole : les Argiens auraient ordonné que, une fois morts, leurs cadavres soient jetés dans le Tibre afin que les flots les ramènent jusqu'à leur Argolide natale.


Statuette d'Hercule. (Bronze du Ier/ IIème s. - Musée du Louvre.)

                                        Denys d'Halicarnasse rapporte un autre fait intéressant lorsqu'il explique que les mannequins précipités dans le Tibre n'ont pas toujours été des mannequins... A l'origine, il s'agissait d'un sacrifice humain, des hommes âgés de plus de 60 ans se portant volontaires (en d'autres termes, des types qui, selon les critères de l'époque, avaient déjà un pied dans la tombe et voulaient sans doute partir avec les honneurs.) ou étant choisis parmi les plus faibles, selon Ovide. En tous cas, les deux auteurs s'accorde sur le fait qu'Hercule, décidant d'abolir les sacrifices humains, aurait remplacé les malheureux ou courageux anciens par des mannequins, ersatz d'offrandes dédiées à Saturne.
"Ce jour-là aussi, la coutume veut que les Vestales jettent des mannequins de jonc, figurant des hommes des premiers âges, du haut du pont de chêne. Avoir cru qu'on envoyait à la mort des vieux de soixante ans, c'est accuser nos ancêtres d'un crime infâme. Jusqu'à l'arrivée en cette contrée de l'homme de Tirynthe, ce triste rituel à la manière de Leucade s'est accompli chaque année ; on dit qu'Hercule a jeté dans l'eau des citoyens de paille, et qu'à son exemple, on jette des semblants de corps. Certains pensent que, pour laisser aux seuls hommes jeunes le droit de vote, on précipitait du pont les vieillards affaiblis." (Ovide, "Fastes", V - 621.)

                                        Plutarque donne quant à lui une interprétation radicalement différente :
"Pourquoi, au mois de mai, jettent-ils du haut du pont de bois dans le Tibre des figures d'hommes qu'ils appellent Argiens ? Cela vient-il de ce que les Barbares qui habitaient anciennement le pays faisaient périr de cette manière les Grecs qui tombaient entre leurs mains? Mais Hercule, dont ils admiraient la valeur, abolit cette coutume meurtrière et leur conseilla de jeter dans le fleuve ces sortes de figures, afin de satisfaire leur superstition. Or, dans les premiers temps,on donnait également à tous les Grecs le nom d'Argiens. Faut-il attribuer cet usage au roi Évandre, qui s'enfuit de la Grèce et vint s'établir en Italie ? Et les Arcadiens de sa suite, qui regardaient les Grecs comme leurs ennemis, à cause du voisinage, voulurent, par cet usage, perpétuer le souvenir de leur haine contre ces peuples." (Plutarque, "Questions Romaines", 32.)

Sacrifice humain accompli par Achille. (Tombeau étrusque.)


                                        Bref, il existe beaucoup d'opinions divergentes quant à la nature exacte des Argées. Ce qui est rassurant, c'est que les Romains eux-mêmes n'y comprenaient rien, mais que ça ne les empêchait pas de perpétuer la tradition. Bien sûr, on pourrait se demander quel était l'intérêt de célébrer un rituel tellement ancien et obscur qu'on en ignorait absolument tout. Mais qui sait quel Dieu on aurait bien pu offenser en faisant l'impasse sur ce petit manège archaïque ? Et puis, soyez francs : connaissez-vous vraiment la signification exacte de toutes les fêtes de notre calendrier?

mercredi 12 mars 2014

César Dans Les Séries TV : 5 Références Inattendues.


                                        Vendredi prochain, nous serons le 14 Mars. Cette date ne vous évoque peut-être rien mais moi, obsédée comme je le suis, je songe immédiatement aux fameuses Ides de Mars. Et oui, c'est bien le 14 Mars 44 avant J.C. que Jules César a été poignardé par Brutus, Cassius et toute la clique, et je ne peux pas m'empêcher d'y penser...  Alors, pour commémorer cet évènement, j'ai cherché une idée originale et si possible amusante. Parce que d'accord, c'est très triste (surtout pour César), mais on ne va quand même pas se couvrir la tête de cendres ou pleurer des larmes de sang. Au lieu d'une biographie de César ou d'un exposé sur les motivations de Brutus, j'ai décidé de concilier deux de mes marottes : les séries TV et l'Antiquité romaine.

                                        Pour se faire, je vous propose un petit top 5 des références à Jules César sur le petit écran. Et cette fois, on ne parlera pas de "Rome" ! Si cette série met effectivement en scène notre Imperator, retranscrivant même assez fidèlement sa mort telle que la rapporte Suétone, je pars du principe que vous n'avez pas besoin de moi pour vous y reporter. En revanche, les allusions ou représentations que j'ai choisies sont plus saugrenues et donc assez inattendues...

5.) BUFFY CONTRE LES VAMPIRES.


                                        Ma grand-mère disait toujours qu'un moment de honte était vite passé. J'espère qu'elle avait raison puisque, je le confesse, j'ai été une grande fan de "Buffy Contre Les Vampires". A quoi pense-t-on quand on a 15 ans ?!! En tous cas, cette série mémorable m'est immédiatement venue en tête en préparant cet article, puisque contre toute attente, Jules César y est évoqué à deux reprises. Tout d'abord dans l'épisode "Le Démon d'Halloween" (Saison 4 Épisode 4) : Willow,  passionnée de sorcellerie, ne se sent pas soutenue par Oz, son petit ami, qui lui fait part de ses inquiétudes : un sort, ça peut toujours mal tourner. "C'est ça, Brutus.", rétorque-t-elle avec ironie. Devant l'air interrogatif de ses amis qui n'ont visiblement pas saisi l'allusion, elle tente de se faire comprendre, tout en mimant un coup de poignard avec une banane : "Brutus… euh… César ? La trahison… l'ami fidèle ? Mais qui poignarde ?"


L'équipe de "Buffy Contre Les Vampires". (Ou le Scooby-gang, pour les fans...)



                                        Deuxième référence - ma préférée - dans l'épisode 8 de cette même saison 4, "L'Esprit Vengeur." Buffy tente d'organiser le repas de Thanksgiving, mais son projet est quelque peu contrarié par l'esprit d'un Indien revenu d'entre les morts pour venger son peuple et massacrer les descendants des Colons. Inévitablement, cette vendetta paranormale provoque un vif débat entre les personnages : doit-on tuer la créature maléfique, puisque sa colère paraît finalement légitime ? Le vampire Spike donne son opinion, en se référant aux paroles prononcées par César après sa victoire sur Pharnace (voir ici) :
"Vous avez gagné, d'accord ? Vous êtes venus, vous avez tué ces hommes et volé leurs terres. C'est ce que font toutes les nations conquérantes. C'est ce que César a fait, et il n'a pas dit : 'Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu et je me sens très coupable.' L'histoire n'est pas faite de peuples qui fraternisent. Vous aviez les meilleures armes, vous les avez massacrés et ils ont perdu. Terminé.”
Un point de vue que n'auraient pas renié les Romains...


4.) JOHNNY BRAVO.


                                        On élève le débat avec un dessin animé, de la série des "Johnny Bravo". Pour ceux qui l'ignorerait, ce personnage de la franchise Cartoon Network est un playboy bodybuildé, quelque part entre James Dean, Fonzie et Elvis Presley. Sempiternellement coiffé de sa banane blonde de rocker des années 50, il est aussi naïf que vaniteux et il passe son temps à courir après les filles - évidemment sans succès, sinon ça ne serait pas drôle. Les demoiselles ne sont pas intéressées, ou le rendez-vous foire lamentablement (toujours pour des raisons délirantes).


A vous de trouver qui est César, et qui est Johnny Bravo...

                                        Dans l'épisode intitulé "Quo Dofuus ?", Johnny Bravo emprunte accidentellement une porte spatio-temporelle (si, ça peut arriver) et se retrouve projeté dans la Rome de l'Antiquité, qu'il prend pour l'Amérique précolombienne. Sauvant involontairement la vie de l'Empereur (sic) Jules César que Brutus menaçait avec une sorte de râpe à fromage (!!), il est convié à un banquet, où il ne trouve rien de mieux à faire que de draguer lourdement la jeune et jolie épouse de son hôte. Furieux, celui-ci le condamne à affronter un lion dans l'arène - mais le Vésuve entre en éruption, et Johnny parvient à retraverser l'espace-temps pour regagner son époque. On ignore comment il a fait, lui aussi du reste, mais on n'est plus à ça près : entre Jules César Empereur, le pollice verso dans l'arène, Spartacus qui passait par-là et le Vésuve qui détruit Rome un siècle avant Pompéi, on avait bien compris que l'exactitude et la vraisemblance ne faisaient pas partie du cahier des charges des scénaristes !


3.) THE COSBY SHOW.


                                        Une série qui a bercé mon enfance, et qui relate la vie quotidienne de la famille afro-américaine des Huxtable. Cet épisode s'appelle "Shakespeare", et vous aurez deviné qu'il renvoie directement à la pièce que le dramaturge anglais a consacrée à Jules César. Justement, le fils Théo et son camarade Cockroach doivent la lire pour leur cours de littérature, et ils sont loin d'être enthousiastes : le texte leur tombe des mains. Mais tout change lorsque leur père et deux de ses amis se lancent dans une interprétation improvisée de la pièce.


Cockroach et Théo interprétant Shakespeare.

                                        Les deux garçons commencent à comprendre de quoi parle ce bon vieux Shakespeare, et trouvent même que ce n'est pas si mal... Mais le style est quand même un peu poussiéreux. Qu'à cela ne tienne : les jeunes étudiants décident de réécrire le discours que tient Marc Antoine sur le forum lors des funérailles de César... en version rap ! En soi, ça ne paraît pas extraordinaire, si ce n'est que le texte vaut le détour car il reste fidèle à l'esprit de la tirade de Shakespeare, y compris dans sa construction : le "Brutus est cool", rejeté en fin de vers comme le "Brutus est un homme honorable" auquel il se substitue, provoque la même mise en exergue de la loyauté, a priori paradoxale, de Brutus. Astucieux, complètement inattendu et plutôt drôle. A voir sur Youtube (en tapant "Cosby Show" "Rap" "Shakespeare").


2.) SPARTACUS : LA GUERRE DES DAMNÉS.


                                        Allez, on redevient sérieux cinq minutes, le temps d'évoquer l'ultime saison de la série "Spartacus", produite par la chaîne Starz - et si possible sans trop en dévoiler, au cas où vous ne l'auriez pas encore vue. Comme le titre l'indique, la série suit le célèbre Spartacus, gladiateur à Capoue, qui prend la tête d'une révolte de... gladiateurs. Après avoir massacré tout ce que leur ludus comptait de romain, les combattants parcourent l'Italie qu'ils mettent à feu et à sang, formant petit à petit une armée d'esclaves bien décidés à briser leurs chaînes et à se venger de Rome. Cette troisième saison est centrée sur l'affrontement qui oppose les rebelles à l'armée romaine, emmenée par Crassus. Mais on retrouve aux côtés de celui-ci un jeune soldat prometteur, qui n'est autre que Jules César...

                                        Réglons tout de suite la question historique : César a-t-il été impliqué dans cette guerre servile ? En fait, personne n'en sait rien. Disons que c'est improbable (puisqu'il n'en est jamais fait mention) mais pas impossible; rien ne permet de l'affirmer, mais rien ne permet de l'infirmer non plus puisque les historiographes ne sont guère précis quant aux premières années de la vie de César. Du coup, on peut tout imaginer, et les scénaristes de "Spartacus" se sont engouffrés dans la brèche et ont joué sur les zones d'ombre de la biographie de notre héros.



Jules César, version "Spartacus".
Ici, Jules César (interprété par Todd Lasance) est un jeune homme qui ressemble plus à Kurt Cobain qu'à un Romain. Revenu victorieux de plusieurs campagnes, il rallie Crassus, chargé d'écraser la révolte des gladiateurs. D'abord infiltré au sein des rebelles, César rejoint ensuite l'armée proprement dite mais il est sous les ordres du fils de Crassus, Tiberius, ce qui exacerbe la rivalité entre les deux hommes qui se détestent ouvertement. Je suppose que vous ne serez pas surpris d'apprendre que Spartacus et ses hommes sont vaincus à la fin - mais très franchement, l'issue de la guerre telle qu'elle est montrée n'est pas ce qui m'a le plus passionnée.

 
Ce qui est intéressant en revanche, c'est qu'on nous présente un César d'une vingtaine d'années, chose rare dans les fictions où l'on préfère souvent se concentrer sur la période suivant immédiatement la Guerre des Gaules pour montrer son accession au pouvoir et son assassinat. Le César de "Spartacus" est sans conteste l'un des personnages les plus complexes de la série, et l'un des plus aboutis sur le plan psychologique. Chien fou au sang chaud, violent et arrogant, il se révèle progressivement fin stratège et beaucoup plus calculateur que ses premières apparitions le laissaient présager. Il a de l'esprit et du charisme, et on découvre vite que son goût immodéré pour le vin et les femmes n'a d'égal que son ambition sans borne. Pourtant, il est aussi moins caricatural que les autres Romains dans le sens où il fait parfois preuve d'empathie et apparaît comme un ennemi loyal face à Spartacus et ses acolytes. Le portrait est en tous cas crédible, même si la série ne se dépare pas de sa marque de fabrique : l'outrance et la provocation facile sont toujours omniprésentes et, à mon avis, nuisent à la cohérence de l'ensemble. Je pense en particulier à une certaine scène qui voit Tiberius violer César, ce qui n'apporte rien à l'histoire, hormis une séquence racoleuse de plus.  C'est le problème de cette série, qui ne parvient pas à exploiter un sujet en or et se contente souvent de jouer sur le sexe et la violence.

                                        Cela dit, l'hostilité qui règne entre César et Tiberius pourrait être mieux exploitée, car elle évoque presque une rivalité fraternelle en ce qu'elle s'inscrit dans le cadre de la relation unissant les deux hommes à Crassus. Entre César et Crassus, le respect et l'admiration mutuelles font penser à des rapports père-fils. La série spécule d'ailleurs sur les liens précoces qui unissent les deux hommes, et surtout sur leur développement ultérieur puisque l'ultime épisode se conclue sur les prémices d'une alliance contre un Pompée qui s'attribue le mérite de la victoire finale contre les gladiateurs. C'est très intelligent et pertinent, et cela permet en outre à la série d'aborder l'aspect politique qui a sous-tendu cette guerre. Dommage que cela arrive si tardivement ! Jetez quand même un œil à cette dernière saison très musclée qui, sans être un chef d’œuvre, conclut habilement une série assez inégale. Et tâchez d'oublier le côté "surfeur californien" de notre jeune César !



1.) MA SORCIÈRE BIEN-AIMÉE.


                                        Et on termine avec du grand, du très grand n'importe-quoi ! Vous connaissez forcément "Ma Sorcière Bien-Aimée" : Samantha la gentille sorcière, qui frétille délicatement du nez pour lancer des sorts ; son benêt de mari Jean-Pierre ; Pandora la belle-mère imbuvable ; la petite Tabatha... Et César, donc, qui apparaît dans un épisode (Saison 6 Épisode 3) intitulé "La Salade César". Le titre donne une bonne idée du pitch : Samantha demande à Esmeralda, la bonne-qui-est-aussi-une-sorcière, de préparer une salade César pour le dîner. Aussitôt dit, aussitôt fait : la domestique s'exécute en ayant recours à la magie... et au lieu d'une salade, elle invoque Jules César himself, qui débarque dans la cuisine en toge, sandales et couronne de laurier sur la tête ! Le problème, c'est que Jean-Pierre doit justement recevoir ce soir-là son patron, accompagné d'une cliente venue discuter d'une campagne publicitaire destinée à lancer une marque de produits de beauté. Et César, qui se plaît beaucoup au XXème siècle - même s'il est un peu choqué de découvrir que les livres d'Histoire le qualifie de "dictateur" -, ne semble pas pressé de repartir.



Samantha, Jules et Cléo...

                                        Pour l'en convaincre, Samantha fait alors apparaître Cléopâtre (plus on est de fous...), qui arrive sur une litière portée par six esclaves nubiens. Le remue-ménage qui s'ensuit attire dans la cuisine la fameuse cliente, qui s'enthousiasme pour l'idée de Jean-Pierre : les grandes romances de l'Histoire, voilà qui illustrera à la perfection les publicités ! César, tout guilleret, repart pour Rome avec Cléo.    

                                        Je vous l'avais bien dit, cet épisode est d'une excentricité totale ! Venant de "Ma Sorcière Bien-Aimée", vous deviez quand même vous en douter... Encore une fois, l'exactitude historique n'était pas le souci premier des scénaristes, qui accumulent les clichés et les erreurs grossières. Mais l'ensemble reste amusant, comme lorsque César découvre l'existence des taxis ("des sortes de chars, mais sans chevaux...") ou qu'il s'écrit, parcourant un manuel d'Histoire et découvrant son assassinat par Brutus et Cassius : "Quoi ?! Toi aussi, Cassius ?!". J'ai gardé pour la fin le détail qui tue : l'accent italien de César, ambiance Luigi le pizzaiolo !!! J'ai failli m'en étouffer de rire - mais je suis bon public...

 
                                        La figure de César étant immédiatement identifiable par le grand public, bien d'autres séries TV l'ont utilisée. Certaines ont fait de César un personnage récurrent ("Xena La Guerrière", par exemple) quand d'autres ont multiplié les allusions ("A La Maison Blanche", "The Big Bang Theory", "NCIS", etc.) En règle générale, le personnage de César est un concentré de clichés erronés - un Empereur italien régnant en dictateur au sens moderne du terme, assassiné par son fils Brutus. De quoi provoquer une douzaine de crises cardiaques chez les ayatollahs de l'exactitude historique ! Mais dès lors que vous êtes conscients des libertés prises par les auteurs, quelle importance ? Je dirai même que ça n'en est que plus cocasse, d'autant qu'après tout, Jules César acceptait volontiers de rire de lui-même. Quoi que, en l’occurrence, je suppose qu'il aurait préféré un hommage un petit peu plus solennel...

dimanche 9 mars 2014

Locuste, Meurtière En Série A L'Antique.

                                        S'il est un personnage qui fait les beaux jours de la fiction, c'est bien le tueur en série : on ne compte plus les livres, films et séries TV relatant leurs "exploits". Cette surreprésentation des serial killers dans la fiction dénote la fascination qu'ils exercent sur le public. La plupart du temps, fort heureusement, il s'agit d’antihéros (ou de héros, parfois...) créés de toute pièce.  Mais pour un sympathique Dexter, serial killer de serial killers, nombre de ces œuvres s'inspirent directement de véritables assassins. Au hasard : "Henry : Portrait Of A Serial Killer", "Psychose", "Le Silence Des Agneaux"... Un peu flippant quand même !

Dexter, le plus sympathique des tueurs en série. (© Showtime)

                                        Pour commencer, une petite précision s'impose : qu'est-ce qu'un tueur en série ? Le "Manuel de Classification Des Crimes" du FBI retient cette définition : "Meurtre en série : deux évènements distincts minimum, dans deux lieux différents minimum, avec une période de répit émotionnel entre les homicides." Définition encore trop vague puisque, dans ce cas, les soldats appartiendraient à cette catégorie... Il faudrait donc se pencher sur les motivations des tueurs en série - ce qui n'est pas l'objet de cet article.

Jack L’Éventreur, jamais arrêté.

L'objet de ce billet, justement : quelle mouche me pique donc, pour que j'aborde le thème des tueurs en série sur un blog consacré à l'Antiquité romaine ? Tout simplement, je voudrais vous présenter celle que l'on considère souvent comme la première tueuse en série référencée dans l'Histoire, à savoir Locuste. Posez la question autour de vous, et vous verrez que le commun des mortels (sans mauvais jeu de mots) considère souvent que le premier tueur en série s'appelle Jack l’Éventreur. Ce célèbre tueur de prostituées, qui sévissait à l'époque victorienne et n'a jamais été identifié, a fait l'objet d'un nombre incalculable de livres et de films. Pourtant, il est loin d'être le premier...




Portrait probable de la Comtesse Bathory (XVIème Siècle.)
Au cours de l'Histoire, on a surtout retenu le nom et les crimes des serial killers issus des couches sociales les plus élevées, sans doute parce que leur pouvoir et leur statut leur donnaient la possibilité de laisser libre court à leurs pulsions meurtrières à grande échelle, sur des laps de temps relativement étendus, sans avoir à rendre compte de leurs actes. C'est le cas du compagnon de Jeanne d'Arc, Gilles de Rais, de Vlad l'Empaleur qui a inspiré le personnage de Dracula ou encore d'Erzebeth Bathory, comtesse hongroise tristement célèbre. Plusieurs siècles avant eux, le premier tueur en série de l'Histoire serait un chinois, Liu Pengli (environ 144 avant J.C.), issu de la famille royale des Han. Tueur psychopathe, Pengli écumait son royaume à la tête de bandes armées pour massacrer ses sujets, faisant des centaines de victimes simplement pour son plaisir. Dénoncé à son cousin l'Empereur, il sera finalement déchu de ses titres et contraint à l'exil. Mais celle qui nous intéresse aujourd'hui, c'est donc cette Locuste, empoisonneuse agissant sous les ordres de l'Impératrice Agrippine, puis de son fils Néron


                                        Locuste est née au cours du Ier siècle, en Gaule. On ne sait pratiquement rien des premières années de son existence mais, issue d'une famille de paysans, elle a vraisemblablement appris très tôt les propriétés des plantes et les usages que l'on pouvait en faire... On prétend que, à l'instar du roi Mithridate, elle ingurgitait chaque jour de petites quantités de poison, afin de s'immuniser contre leurs effets. L'usage du poison dans l'Antiquité  était assez fréquent, même à Rome où la Loi Julia punissait sévèrement les assassinats et les empoisonneurs. Des plantes comme la pruche et la belladone étaient par exemple connues pour leurs effets meurtriers.

                                        Lorsque Locuste s'installe à Rome, elle ouvre sur le Palatin une officine vendant poisons et élixirs de toutes sortes. Elle ne met pas longtemps à comprendre que la capitale impériale n'est rien d'autre qu'un nid de vipères, où l'ambition le dispute à la rancœur. Si on la consulte aussi pour se procurer des médicaments ou des aphrodisiaques, nombreux sont ceux qui souhaitent hâter le trépas d'un riche parent, éliminer un rival en affaires, ou se débarrasser d'un conjoint encombrant. Et Locuste sait comment exaucer leur souhait, qui plus est de telle sorte que le décès passe pour être de cause naturelle. Grâce à ses connaissances en pharmacologie, elle devient une empoisonneuse professionnelle. Souvent arrêtée pour ses activités, elle n'est cependant pas inquiétée, en dépit de nombreuses accusations passibles de la peine de mort : certains de ses clients sont suffisamment puissants et influents pour la protéger et la faire libérer. Lorsqu'elle est finalement condamnée à mort, elle est sauvée par l'Impératrice Agrippine, en échange de ses services... C'est du moins ce que prétend Tacite.

Néron et Agrippine. (Aphrodisias Museum. © Leon Mauldin.)

                                        Vers l'an 54 donc, Locuste est convoquée dans le plus grand secret auprès d'Agrippine. Agrippine, ce n'est pas n'importe qui : quatrième épouse de son oncle, l'Empereur Claude, les mauvaises langues murmurent qu'elle a empoisonné son précédent époux. Elle ne fait pas mystère de ses ambitions : porter son fils Néron, issu d'une union précédente, au pouvoir. Elle a déjà convaincu Claude de l'adopter, et de lui donner la préséance sur son propre descendant, son fils Britannicus. Mais depuis quelques temps, elle sent bien qu'elle perd de son influence et que Claude commence à envisager de rétablir son fils légitime dans ses droits. Aussi s'en remet-elle à Locuste, dont elle a eu vent des activités. Pour dire les choses clairement, Claude doit mourir, et vite.

                                        Par chance, l'homme de confiance de Claude et l'implacable ennemi d'Agrippine, l'affranchi Narcisse, tombe malade et doit s'éloigner de la cour : l'occasion est trop belle.
"Agrippine, dont le crime, résolu depuis longtemps, avait des ministres tout prêts, saisit avidement l'occasion. Le choix du poison l'embarrassait un peu: trop soudain et trop prompt, il trahirait une main criminelle; si elle en choisissait un qui consumât la vie dans une langueur prolongée, Claude, en approchant de son heure suprême, pouvait deviner le complot et revenir à l'amour de son fils. Il fallait un venin d'une espèce nouvelle, qui troublât la raison, sans trop hâter la mort. On jeta les yeux sur une femme habile en cet art détestable, nommée Locuste, condamnée depuis peu pour empoisonnement, et qui fut longtemps, pour les maîtres de l'empire, un instrument de pouvoir." (Tacite, "Annales", XII - 66.)
Denier à l'effigie de Claude et Agrippine.

                                        Mais il y a un hic : l'Empereur est particulièrement méfiant, sans doute précisément à cause de la fréquence des empoisonnements et du nombre de meurtres perpétrés au sein de sa propre famille.
"Nul ne fut plus peureux et plus méfiant que lui. Dans les premiers jours de son règne, quoiqu'il affectât, comme nous l'avons dit, beaucoup de popularité, il n'osa jamais s'aventurer dans un repas sans être entouré de gardes armés de lances, et sans avoir des soldats pour le servir. Il ne visitait point un malade sans qu'on eût auparavant exploré la chambre, examiné les matelas et secoué les couvertures.  Dans la suite il eut toujours auprès de lui des esclaves chargés de fouiller avec une extrême rigueur tous ceux qui l'approchaient." (Suétone, "Vie de Claude", XXXV.)
                                        Le plan n'est donc pas facile à mettre à exécution. Sauf qu'il en faut plus pour décourager Agrippine et Locuste, qui finissent par trouver la parade. Les deux femmes empoisonnent une bonne portion de cèpes, champignons dont ce goinfre impénitent de Claude raffole. Les sources divergent quant au déroulement du meurtre :
"On convient qu'il périt par le poison. Mais quand et par qui fut-il présenté? C'est un point sur lequel on diffère. Quelques-uns disent que ce fut au Capitole, par l'eunuque Halotus, son dégustateur, dans un festin avec les pontifes. D'autres prétendent que ce fut dans un repas de famille, et de la main d'Agrippine elle-même qui l'aurait empoisonné avec des champignons, mets dont il était très friand." (Suétone, "Vie de Claude", XLIV)

Claude. (Musei di Maremma, ©X. de Jauréguiberry)
 
                                        Agrippine a-t-elle soudoyé le goûteur, a-t-elle servi elle-même à son mari le plat empoisonné ? Mystère. On ignore aussi quels furent les effets du poison. Selon certaines hypothèses, une amanite phalloïde - l'un des champignons les plus vénéneux - aurait été mélangée aux cèpes. D'autres symptômes font davantage penser aux effets d'une dose massive d'arsenic. Voici en tous cas ce que rapporte Suétone :
"On ne s'accorde pas non plus sur les suites de l'empoisonnement. Beaucoup de personnes soutiennent qu'immédiatement après avoir avalé le poison, il perdit la voix, fut en proie à des douleurs atroces pendant toute la nuit, et mourut au point du jour. Selon d'autres, il s'assoupit d'abord, et dégagea son estomac trop chargé; puis on lui donna une seconde dose de poison. Mais on ne sait pas bien si ce fut dans un potage, sous prétexte de lui faire reprendre des forces, ou dans un lavement qu'on lui administra comme pour lui procurer une évacuation." (Suétone, "Vie de Claude", XLIV.)
                                        Tacite rapporte la seconde version : souffrant de crampes d'estomac, Claude est pris de vomissements et rend son dîner. Agrippine panique : si cet abruti de Claude survit et comprend qu'elle a tenté de le tuer, c'en est fini d'elle, pour ne rien dire des ambitions qu'elle nourrit pour son fils. Maintenant qu'on a commencé, il faut aller jusqu'au bout ! Heureusement, Locuste a tout prévu, et lui a diligemment fourni une plume imprégnée d'un deuxième poison. Avec le calme qui la caractérise, Agrippine joue donc les épouses empressée : son tendre époux aurait-il mangé quelque chose qui le rendrait malade ? Vite, elle fait venir le médecin personnel de l'Empereur et le soudoie : sous prétexte de faire à nouveau vomir le malade pour le soulager, celui-ci lui enfonce dans la gorge la plume empoisonnée et achève le travail. Le 13 Octobre 54, Claude expire et Néron devient Empereur à l'âge de 16 ans. Agrippine peut exulter. Quant à Locuste, elle est arrêtée, jetée en prison et (encore) condamnée à mort... Belle récompense en vérité !


Pièce de bronze à l'effigie de Claude et Britannicus.


                                        Toutefois, elle n'y reste pas longtemps. En 55, la position de Néron a la tête de l'Empire est encore fragile. Il se sent menacé par le fils de Claude, Britannicus, qui compte de nombreux partisans au sein de l'état et est en âge de revendiquer le pouvoir. Pire : Néron est maintenant en conflit avec sa mère, qui laisse entendre à demi-mots qu'elle pourrait soutenir Britannicus et renverser à son profit son propre fils. Bon sang ne saurait mentir : ayant appris l'existence de Locuste, Néron fait appel à elle afin d'empoisonner son frère adoptif.

                                        La première tentative échoue. Le poison utilisé est trop faible, et il agit trop lentement : Britannicus est simplement prit de diarrhée. Néron, furieux, menace d'exécuter Locuste pour son incompétence et la somme de préparer un second poison sous ses yeux. Elle sait que cette fois, elle n'a pas le droit à l'erreur...
"Il la força de préparer, dans sa chambre et en sa présence, le poison le plus rapide et le plus efficace. Ensuite, on l'expérimenta sur un chevreau qui ne mourut qu'au bout de cinq heures. On le fit cuire et recuire, et on le donna à un porcelet qui périt sur le champ." (Suétone, "Vie de Néron", XXXIII.)
                                        Le 11 février 55 au soir, au cours d'un dîner, alors que le vin a été servi aux convives et diligemment éprouvé par les goûteurs, Britannicus en prend une gorgée et se plaint que la boisson est trop chaude. Un esclave ajoute donc un peu d'eau froide dans le verre du jeune homme - et c'est précisément dans l'eau que Locuste a versé, avec une intelligence et une perversité qui forcent l'admiration, son poison. Parce que, franchement : à la place de Britannicus, auriez-vous pensé à faire goûter l'eau ?!!

"L'empoisonnement de Britannicus." (François Chauveau)

                                        Immédiatement, le malheureux jeune homme est prit de convulsions. Néron, loin d'envoyer chercher du secours, rappelle calmement aux autres invités que son frère adoptif est souvent sujet aux crises d'épilepsie, et qu'il n' y pas lieu de s'affoler. Mais personne n'est dupe et les commensaux, terrifiés, n'osent pas intervenir tandis que Britannicus meurt sous leurs yeux. Agrippine, surtout, a parfaitement pris la mesure de la situation. Elle sait bien à quel jeu joue son fils - c'est elle qui en a inventé les règles - et surtout quelles sont les raisons qui l'ont poussé à se débarrasser de son rival. Elle sait aussi qu'elle a toutes les chances d'être la prochaine victime de Néron. Mais, toujours maîtresse d'elle-même, elle garde pourtant son sang-froid et termine tranquillement son repas, comme si de rien n'était, sans laisser apparaître le moindre signe de peur.

                                        La nuit même, Britannicus est inhumé à la va-vite, afin de couper court aux rumeurs. Bien sûr, la précipitation avec laquelle on incinère le pauvre garçon a exactement l'effet inverse, et les commérages font vite le tour de Rome. Peu importe, puisque personne n'est assez courageux ou assez fou pour s'opposer à Néron. En l’occurrence, de nombreux médecins modernes mettent en doute l'existence, au premier siècle, d'un poison capable de provoquer une mort instantanée. Certaines hypothèses rejoignent même l'assertion de Néron et envisagent très sérieusement que Britannicus ait bien été victime d'une crise d'épilepsie. D'autres en revanche voient dans ses symptômes les effets d'une plante sarde, aujourd'hui connue sous le nom de... Sardonia Locusta !  (D'où le nom.)

La Mort de Britannicus. (Œuvre de JadeAbuse via DeviantArt.)

                                        Les historiographes, eux, ne se posent guère la question et rapportent que Néron, satisfait de la prestation de Locuste, la récompense en lui offrant des terres, de l'argent et, évidemment, l'amnistie pour tous ses crimes. Il lui aurait même envoyé des "clients", et lui aurait suggéré de créer sa propre école afin de transmettre son savoir sur les herbes et les toxines, et former ainsi des disciples - empoisonneurs ! Forte de ses privilèges et protégée par l'Empereur, jouissant d'une réputation toujours grandissante, Locuste ne cesse, dans les années qui suivent, d'exercer son art et de s'enrichir. On lui impute ainsi près de 10.000 meurtres (!), nombre certainement très exagéré.

"Locuste, en présence de Néron, teste un poison sur un esclave." (J.N. Sylvestre.)

                                        Par ailleurs, l'historien Robert Ambelain soulève une hypothèse curieuse mais non dénuée d’intérêt : il suggère dans son livre "La Vie secrète de saint Paul", qu'Agrippine aurait ordonné à Locuste de préparer à l'intention de Néron un poison sensé le rendre fou et donc inapte à gouverner, afin de pouvoir le destituer. Néron n'aurait absorbé qu'une petite dose de la toxine, et en aurait gardé des séquelles expliquant son comportement et ses déséquilibres mentaux. Belle théorie, mais que rien ne vient étayer et à laquelle, personnellement, je ne crois pas. Cela dit, avec des énergumènes comme ces trois-là, on peut tout imaginer !


"La Mort de Claudius Caesar Nero" (Konstantin Jegorowitsch Makowski.)
 
                                        Lorsque vous êtes connue pour être l'empoisonneuse attitrée d'un Empereur qui s'est mis à dos toute l'armée et tout le Sénat romain, il ne sert à rien de réactualiser votre c.v. : votre espérance de vie est considérablement réduite si votre patron vient à être déposé. C'est exactement ce qui arrive à Locuste. En 68, les sénateurs sont exaspérés par la cruauté et les extravagances de Néron, les révoltes se multiplient aux frontières de l'Empire et même les prétoriens font défection. Isolé, sans aucun soutien, il est lâché par ses derniers amis : il est déclaré "ennemi public" par le Sénat, et condamné à être mis à mort selon l'ancienne coutume, c'est-à-dire exhibé nu dans les rues de Rome, la tête prise dans une fourche, puis flagellé à mort. En fuite, désespérément seul, Néron se résout à se donner la mort pour échapper à cette fin ignominieuse. Locuste lui aurait alors préparé un poison pour faciliter son suicide mais Néron, craignant de souffrir, n'aurait pas eu le courage de l'utiliser. Incapable de se tuer, il se poignarde à la gorge sans parvenir à finir le travail, et demande finalement à son secrétaire, l’affranchi  Épaphrodite de l'achever. Le 9 Juin 68, il meurt, à l'âge d'à peine 30 ans.

                                        Et Locuste, vous demandez-vous ?! Et bien, elle tente de profiter de l'anarchie générale qui suit la mort de son ancien protecteur et de la guerre civile opposant les prétendants à sa succession pour se faire oublier. Avec une réputation telle que la sienne, c'est peine perdue : sept mois après le suicide de Néron, Locuste est arrêtée. Torturée, elle confesse tous ses crimes et l'Empereur Galba la condamne à mort. Traînée à travers Rome couverte de chaînes, elle est étranglée lors des Agonalia dédiés à Janus, en Janvier 69, et son cadavre est livré aux flammes.

Buste de Galba. (Musée des antiquités Gustav III, Stockholm © Wolfgang Sauber.)

                                        Avec une réputation aussi sulfureuse, il n'est pas étonnant que Locuste ait inspiré de nombreux artistes au fil des siècles et soit souvent citée, à défaut d'avoir été l'héroïne spécifique d'une œuvre. La rareté des sources n'y est sans doute pas étrangère. On la croise toutefois chez des écrivains tels que Racine, M. John Harrison et surtout Alexandre Dumas, qui ne s'est pas privé de la mettre en scène dans son roman "Acté", ou  de la citer dans "Le Comte de Monte-Cristo", avec même un chapitre éponyme. Il la compare à Madame de Villefort et fait dire à l'un  de ses personnages :

"Eh bien, monsieur, vous avez chez vous, dans le sein de votre maison, dans votre famille peut-être, un de ces affreux phénomènes comme chaque siècle en produit quelqu'un. Locuste et Agrippine vivant en même temps, sont une exception qui prouve la fureur de la Providence à perdre l'empire romain, souillé par tant de crimes." (Alexandre Dumas, "Le Comte de Monte-Cristo", LXXX.)
Georges Méliès l'a également choisie comme personnage d'un des premiers péplums de l'Histoire, "Néron et Locuste : un esclave empoisonné.", et de nombreux peintres l'ont représentée en pleine action.

"Néron et Locuste essayant un poison sur un esclave." (Jules Vignon.)

                                        Souvent comparée à la Voisin, célèbre empoisonneuse ayant exercé ses talents sous le règne de Louis XIV, Locuste serait donc l'une des premières tueuses en série de l'Histoire. Et force est de constater qu'elle remplit en effet toutes les conditions décrites plus haut par le FBI. On pourrait opposer la question de ses motivations : après tout, Locuste tirait un avantage financier de ces meurtres, et travaillait apparemment surtout sous les ordres d'Agrippine, puis de Néron. Or, d'après certains historiographes, elle empoisonnait d'abord par pur plaisir : on rapporte ainsi que, lorsqu'un client venait la consulter pour se débarrasser d'un indésirable, elle démontrait l'efficacité de ses produits en empoisonnant sous ses yeux l'un de ses esclaves, qu'elle gardait dans ce but précis...  Je n'ai pas retrouvé le texte, le propos étant tiré de l'essai "Le Scepticisme Moral Pragmatique Du Serial Killer", écrit  par Amanda Howard. De quoi relativiser, finalement, les assassinats d'un Jack L’Éventreur !

                                        Loin d'être le produit de notre époque, les tueurs en série séviraient donc depuis l'Antiquité. On pourrait même se demander si Caligula, par exemple, ne figurerait pas en bonne place dans cette sinistre galerie. Mais pas de quoi paniquer : les serial killers sont beaucoup plus nombreux dans la fiction que dans la réalité. On estime en effet que, sur tous les meurtres commis aux Etats-Unis chaque année, 1% seulement serait le fait de tueurs en série et, statistiquement, vous courrez environ 150 fois plus de risques de mourir de complications liées à la grippe qu'entre les mains d'un meurtrier en série. Voilà qui devrait vous rassurer, et vous permettre de savourer tranquillement votre fricassée de champignons. Avec ou sans verre de Chianti...


Référence, évidemment, au "Silence Des Agneaux"...