dimanche 29 juin 2014

Exposition : Splendeurs de Volubilis.


                                        A peine rentrée de Paris où j'ai visité les expositions consacrées à Auguste (Grand Palais) et Cléopâtre (Pinacothèque), me voici déjà repartie pour un nouveau musée. Cette fois, direction Marseille en compagnie de l'association Carpefeuch, pour y découvrir l'exposition "Splendeurs de Volubilis" qui se tient au MUCEM jusqu'au 25 Août prochain.

                                        Centrée sur les bronzes mis au jour sur le site de l'antique Volubilis, au Maroc actuel, cette exposition présente la production artistique du bassin méditerranéen à l'apogée de l'Empire romain, soit entre le Ier siècle avant J.C. et le IIème siècle de notre ère. Bien que découverts sur le territoire du royaume de Maurétanie, ces bronzes n'ont sans doute pas été produits sur place : mis en parallèle avec d'autres œuvres issues de différentes zones géographiques du pourtour méditerranéen, ils illustrent la romanisation de la région, mais aussi la manière dont se diffusent alors les modèles artistiques et l'évolution de la statuaire entre la République romaine et l'Empire. Remarquable par la quantité et la qualité des œuvres exposées, la manifestation se présente selon trois axes : une mise en contexte archéologique et géopolitique, la diffusion du goût et des modèles artistiques à travers le monde méditerranéen, et enfin les techniques du bronze à proprement parler.


De la Numidie à la Maurétanie Tingitane.


                                        Située en Afrique du Nord, la Maurétanie s'étendait des rivages de la Méditerranée et de l'océan Atlantique jusqu'à est de l'Algérie actuelle. Impliqué dans les guerres puniques, le royaume est entré dans la sphère d'influence de Rome dès le IIème siècle avant J.C.  Allié de Pompée, le Roi numide Juba Ier se suicide en 46 avant J.C. lorsqu'il est vaincu par César. Son fils, alors âgé de 5 ou 6 ans, est emmené à Rome en tant qu'otage : recueilli par la sœur du futur Empereur Auguste, il est éduqué comme un Romain, au cœur de la famille impériale. Ainsi "romanisé", marié à Cléopâtre Séléné (fille de Cléopâtre et de Marc Antoine), il est habilement placé par Auguste sur le trône laissé vacant par son père, sous le nom de Juba II : son ascendance fait de lui un souverain légitime aux yeux des siens, mais la formation reçue à Rome garantit sa fidélité à l'Empire.

                                        Juba II est connu à son époque comme un roi érudit et philosophe. Auteur de traités sur l'Histoire, le théâtre, la peinture, la médecine, etc., il est épris de culture gréco-latine et importe de nombreuses œuvres d'art, reproduisant les goûts artistiques en vogue à Rome. Les riches notables ne tardent pas l'imiter, favorisant la diffusion de la sensibilité artistique romaine en Maurétanie.

Buste de Juba II. (Musée archéo. de Rabat - © Ministère de la culture, Royaume du Maroc - Photo MuCEM/Y. Inchierman.)

                                        La pièce-phare de cette exposition, qui accueille le visiteur dès l'entrée, c'est justement un buste de Juba II. Ce portrait idéalisé reprend tous les éléments de la sculpture de tradition hellénistique (période s'étendant du IVème au IIème siècle avant J.C.) : le jeune homme au visage imberbe et à la chevelure aux boucles désordonnées, ceinte d'un bandeau royal, affiche une expression pensive. Il s'oppose à celui de son père, Juba Ier, exposé dans la même salle et qui montre un homme aux traits pleins et volontaires, portant la barbe.

                                        En 40, Ptolémée, le fils de Juba II, est assassiné par Caligula. La Maurétanie est alors divisée en deux provinces romaines : la Maurétanie césarienne à l'est avec pour capitale Lol (ou Césarée - actuelle Cherchell en Algérie), et la Maurétanie Tingitane à l'ouest (Capitale Tingis, actuelle Tanger.) Territoire riche où l'on cultive l'huile et les céréales, la Maurétanie Tingitane devient une région prospère, et elle le restera jusqu'au déclin de la présence romaine en Afrique, au IIIe siècle.

                                        Et Volubilis, dans tout ça ? Située au nord de Meknès, au cœur d'un centre de production oléicole, la cité se développe lorsqu'elle devient une des résidences de Juba II. Devenue romaine à la mort de Ptolémée, elle poursuit son essor et atteint à son apogée la superficie de 42 hectares. Sous l'Empire, on y bâtit de nombreux monuments publics témoignant de la romanisation du site (forum, temples, thermes), tandis que les élites locales copient le mode de vie des patriciens en construisant de vastes demeures, ornées de mosaïques et statues reproduisant le goût romain.  La cité est progressivement abandonnée lorsque l'administration romaine la quitte en 285. Il faudra attendre le début du XXème siècle pour que le site soit identifié et qu'une campagne de fouilles archéologiques soit lancée. Seul 10% des vestiges ont été étudiés pour l'instant... Ce qui laisse espérer d'autres belles trouvailles, au vue des œuvres montrées par le MUCEM !


La circulation des goûts et des modèles.


                                        J'avais choisi d'aborder l'exposition "Moi Auguste, Empereur de Rome" en adoptant comme axe principal l'évolution de la statuaire et la diffusion des portraits impériaux dans l'Empire romain. Or, c'est précisément l'une des thématiques retenue par le MUCEM pour accompagner la présentation des œuvres exposées. La première moitié de cette deuxième salle montre ainsi plusieurs bustes ou portraits de membres de la famille impériale (un prince Julio-Claudien ou Agrippine par exemple) et d'Empereurs (Auguste, Tibère, Néron ou Marc Aurèle). Portraits standardisés, ils sont diffusés à l'identique sur tout le territoire romain, de sorte que les différents personnages sont facilement identifiables. La tête d'Auguste présente ainsi des caractéristiques communes avec l'Auguste de la Prima Porta, visible au Grand Palais - jusque dans la disposition des mèches de cheveux, retombant sur le front.


Marc-Aurèle. (Musée du Louvre -© RMN-Grand Palais-Musée du Louvre / Stéphane Maréchalle.)

                                        Parmi cette galerie de portraits, celui de Caton (époque flavienne) retient particulièrement l'attention. Homme politique de la fin de la république, connu pour ses positions conservatrices, Caton a rallié le camp de Pompée contre Jules César, et il se suicide après la déroute des troupes pompéiennes. Contrairement au portrait de Juba II, qui illustrait un idéal de beauté dans le style hellénistique, ce buste de Caton est beaucoup plus réaliste. Toutefois, l'expression hautaine, le visage fermé, les rides marquées et les traits sévères traduisent cette image d'austérité et de droiture morale attachée au personnage.

Buste de Caton. (Musée archéo de Rabat - © Ministère de la culture, Royaume du Maroc. Photo MuCEM/Y.Inchierman.)


                                        Cette section montre aussi, par la confrontation d’œuvres de la même époque, l'évolution de la statuaire antique et les différents courants artistiques. Référence incontournable en la matière,  la sculpture grecque du Vème au IVème siècle avant J.C. inspire les artistes du bassin méditerranéen. Dans un mouvement cyclique, les artistes de l'Empire romain la copient, s'en inspirent ou s'en éloignent, au gré des goûts et des modes. Le commerce et la circulation des individus qui permet la diffusion des œuvres génèrent dans l'Empire une production uniforme, présentant néanmoins de subtiles variations.


Éphèbe couronné de lierre. (Musée de Rabat - ©Ministère de la culture, Royaume du Maroc. Photo MuCEM/Y. Inchierman.)

                                        Parmi les copies d’œuvres grecques, "L'éphèbe couronné de lierre" reprend ainsi tous les codes de la sculpture hellénistique : nu et musclé, il suit le canon développé par Polyclète, selon lequel les proportions des différentes parties du corps répondent à des rapports numériques précis. Il illustre également une autre technique développée par le maître grec, à savoir le contrapposto - déhanchement qui atténue la raideur de la posture, et qui sera repris en leur temps par les sculpteurs de la Renaissance, et notamment Michel-Ange (Et Rodin bien plus tard. Comme quoi, la sculpture, c'est comme la mode selon Karl Lagerfeld : un éternel recommencement !) La "Tête de Bénévent", qui date du Ier siècle avant J.C., s’inspire également du style de Polyclète et de cet Idéal de beauté : expression paisible, lèvres charnues, nez droit. Une autre statue, celle de l'"éphèbe verseur", est cette fois inspirée de Praxitèle : si elle respecte les mêmes codes de beauté idéalisée, le corps est plus féminin, les courbes plus douces.

Tête dite "de Bénévent". (Musée du Louvre - © RMN-Grand Palais / musée du Louvre.)


                                        Deux autres bronzes se distinguent toutefois nettement : le Cavalier et le Cheval. Datant du règne d'Hadrien, ils se détachent cette fois de la période classique pour reprendre les codes d'une période plus ancienne, l'époque archaïque (VIème - Vème s. avant J.C.) La simplicité des lignes, la raideur de la posture, la chevelure symétrique coiffée en calotte plate sont typiques de ce style plus sobre et plus sévère, répondant sans doute au goût de l'Empereur pour la culture grecque.


Éphèbe verseur, cheval et cavalier. (De g. à d.)


                                        Si les sculptures romaines s'inspirent largement de la statuaire grecque, les artistes ne se contentent pas de copier ou imiter leurs œuvres. A l'imitatio des canons classiques répond l'emulatio, tentative de dépasser le modèle dans le respect des codes et de l'idéalisation du personnage. Mais on découvre aussi, dans la sphère domestique, tout un répertoire plus réaliste qui représente par exemple des situations ou des personnages du quotidien. Par exemple, la statue du "vieux pêcheur" : le vieil homme aux traits burinés est vêtu d'un exomis - tunique courte portée par les ouvriers et les soldats ; la calvitie, les veines saillantes, les rides montrent bien le traitement très réaliste du sujet. On admire aussi un chien en position d'attaque, prêt à bondir. Il s'agit en fait d'une bouche de fontaine, accompagnant à l'origine la déesse Diane.


Statue du "vieux pêcheur."

Le savoir-faire du bronze.


                                        Malgré la quantité de statues découvertes à Volubilis, aucun atelier ne semble s'y être implanté.  On suppose donc que les bronzes qui ont été mis au jour n'ont pas été fabriqués sur place mais importés. Il est cependant difficile de localiser et identifier les ateliers des bronziers car ceux-ci étaient itinérants, et donc temporaires. La plupart des bronzes ont été réalisés en fonte en creux à la cire perdue sur positif (voir schéma ci-dessous). Cette technique supposant la destruction du moule après usages, les œuvres ainsi produites sont uniques. La dernière salle de l'exposition explique les étapes de la fabrication des bronzes à travers plusieurs dispositifs et schémas.


Technique de la fonte en creux à la cire perdue. (via le site www.college-plaisance.net )

                                        Le bronze est un alliage de cuivre et d'étain, auquel on ajoute parfois du plomb. Les statues de Volubilis telles qu'on peut les voir aujourd'hui ont perdu leur couleur d'origine - une teinte bronze (logique !!), plus ou moins dorée ou rosée selon la composition de l'alliage. Les artisans antiques tentaient de produire des bronzes polychromes, en jouant sur les proportions du mélange ou en ajoutant de l'argent - par exemple pour colorer les yeux, les vêtements, etc. Ils appliquaient également sur les statues des effets de patine, et altéraient la couleur du bronze sur certaines zones en appliquant des produits oxydants.

                                        Superbe exemple de ces diverses techniques, le dernier objet exposé est un fragment de statue représentant un manteau impérial (paludamentum). Il date du début du IIIe siècle et la grande variété de patines donnent aux pans des teintes noires, violacées, vertes, dorées... Très décoré, le manteau est orné de trophées, de deux captifs barbares (respectivement parthe et breton.) Les historiens pensent qu'il appartenait à une statue de Caracalla.

Retombée de paludamentum. (Musée de Rabat - ©Ministère de la culture, Royaume du Maroc. Photo MuCEM/Y. Inchierman.)


                                        "Splendeurs de Volubilis" s'inscrit à merveille dans une institution dédiée aux cultures méditerranéennes, dans leurs spécificités comme dans ce qui les unit. Très bien construite, elle montre bien la diffusion d'un modèle de statuaire dans la Méditerranée antique, ainsi que ses évolutions. Une petite exposition, dans une ambiance intimiste, mais présentant de véritables chefs d’œuvre de l'art antique. Une jolie découverte !





Splendeurs de Volubilis - jusqu'au 25 Août 2014.

MUCEM - www.mucem.org
7 promenade Robert Laffont (esplanade du J4)
13002 Marseille


Tous les jours sauf le mardi, de 9H à 20H.
Tarifs : 8€ / 5€ (tarif réduit)

Réservations et renseignements : 04 84 35 13 13.






jeudi 26 juin 2014

"Rome Et Ses Césars" : Entretien avec Laurent Palet.

                                        Il y a quelques semaines, je vous ai présenté ici un petit livre, "Rome Et Ses Césars", remarquable ouvrage retraçant avec concision et pertinence les grandes lignes de l'Histoire de la dynastie julio-claudienne. Son auteur, Laurent Palet, a gentiment accepté de m'accorder de son temps pour répondre à quelques questions.  L'échange, qui m'a paru trop court bien qu'ayant duré une bonne heure (!), m'a permis de découvrir un homme disponible et sympathique, que j'imagine à l'image de son parcours. A la fois universitaire, auteur, éditeur, correcteur, traducteur,... Sa trajectoire professionnelle, pourtant cohérente et dictée par la passion, dénote une variété et une richesse que l'on retrouve dans ses propos.  


Laurent Palet, pouvez-vous vous présenter brièvement ? Le site de votre éditeur mentionne une bibliographie éclectique, mais peu de renseignements sur votre parcours.

Mon parcours professionnel est divers et éclectique, justement. Je suis auteur et éditeur, je fais de la  traduction, je fais de la correction... A peu près tout ce qu'on peut faire dans l'édition. J'ai fait des études de philo, d'histoire, et surtout d'histoire de l'art. J'ai été chargé de cours en histoire de l'art à l'université et j'ai enseigné l'histoire en lycée. Ensuite, j'ai commencé à travailler dans l'édition : d'abord en parallèle comme auteur de livres d'histoire de l'art, puis comme éditeur. Depuis quelques années maintenant, je mène tout ça de front.

C'est une carrière intéressante et je suis admirative des gens qui arrivent à mener plusieurs activités dans plusieurs domaines. Mais tous en rapport les uns avec les autres...

Oui, je ne fais pas de l'édition et de la plomberie ! Je fais un peu tous les métiers de l'édition mais, pour moi, c'est la même chose : auteur et traducteur, par exemple c'est presque pareil. Éditeur, correcteur... : c'est très complémentaire. Quand j'écris, je suis très rigoureux notamment parce que  je suis aussi correcteur et éditeur, et je me mets à la place du correcteur ou de l'éditeur qui passeront derrière moi. J'essaye de leur faciliter le travail en faisant de mon mieux, même si un regard extérieur reste indispensable.

Vous avez écrit sur des sujets très variés : sur l'architecture des grands palais, la sérié télévisée "Un Village français", sur les attributs iconographiques des Saints... Qu'est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à la Rome antique, et en particulier aux Julio-Claudiens ?

L'éclectisme vient en fait des propositions. Tous les sujets que vous citez sont des commandes, mais ils sont toujours liés soit à l'Histoire, soit à l'Histoire de l'art. Par exemple "Un Village Français", c'est une commande des éditions Milan, et le but de ce livre était de rattacher la série à cette période de l'Histoire.


Le livre de Laurent Palet sur "Un Village français", publié aux éditions Milan.

En ce qui concerne la Rome antique, le fait est que le sujet m'intéresse depuis toujours. Même si je n'ai pas fait d'études d'archéologie ou que je ne suis pas spécialisé en histoire antique, je suis un passionné, un amoureux de Rome et des ruines : je m'extasie dès que je vois trois pierres l'une sur l'autre ! Je travaille depuis des années avec les éditions Milan, et on m'a proposé d'écrire pour cette collection en me donnant le choix entre trois ou quatre sujets. J'ai tout de suite choisi les Romains, et ça tombait très bien car les autres auteurs pressentis n'en voulaient pas. J'avais déjà écrit des petites choses sur la Rome antique mais jamais un livre.

Pour ce qui est des Julio-Claudiens, c'est vraiment un choix personnel. Au départ, l'éditeur m'a présenté la collection comme portant sur les familles et les dynasties, et l'idée était de faire quelque chose sur les Césars. Ma première réaction a été de dire qu'écrire un livre de 120 pages sur LES Césars, c'est impossible : d'abord à cause de la structure de la collection, et ensuite parce les Césars, ce n'est pas une famille.  J'avais deux possibilités : soit sortir du contexte des familles et des dynasties et prendre les plus célèbres parmi les Césars au sens très large avec Marc Aurèle, Hadrien, etc. - ce qui n'était pas très intéressant car ça n'aurait été qu'une suite de biographies sans lien entre elles ; soit choisir une famille, et les Julio-Claudiens se sont imposés d'eux-mêmes. D'abord parce que ce sont les premiers, et le terme de César venant de Jules César, il faut rendre à César... Et surtout parce que c'est l'une des familles les plus intéressantes : les personnages sont tous très célèbres, contrairement aux autres familles, et ils sont tous passionnants à divers titres. Donc, je ne voyais pas comment faire autre chose que les Julio-Claudiens. Il suffit de faire la liste des Empereurs : à part peut-être Claude et Tibère qui le sont un peu moins, ils sont tous très connus, et ce sont tous des personnages de film.


La collection impose un format très codifié, déterminé à l'avance. Quels sont les avantages et les inconvénients pour un auteur ?

Pour les avantages, il suffit de faire une liste des évènements, des personnages, des lieux, etc. : il n'y a pas véritablement de plan complexe à concevoir, ça simplifie pas mal les choses. Ça oblige aussi à être extrêmement concis et clair, et pour un livre comme celui-là, c'est un avantage. Vous savez comme moi combien les rapports familiaux et dynastiques sont complexes. J'aurais d'ailleurs souhaité inclure un arbre généalogique comme dans les autres livres de la collection, mais ça s'est avéré trop compliqué. Et il y a les inconvénients des avantages : le format est très cadré. A partir du moment où je parlais de l'incendie de Rome, je ne pouvais pas le développer dans la biographie de Néron. Même chose pour César : c'est un peu étrange de le dissocier de son assassinat ! Je n'ai pas eu le choix, mais ça permet finalement d'avoir des thèmes très clairs et bien distincts les uns des autres.



Affiche du fil "Quo Vadis", version de1912.

Vous parliez de la brièveté de certaines entrées. Comment êtes-vous parvenu à résumer de façon aussi concise les biographies d'Auguste ou César par exemple ? Je sais que si j'avais du faire une biographie de César en deux pages, je me serais arraché les cheveux...

Vous avez donné la réponse : je me suis arraché les cheveux ! C'est aussi simple que ça. Je sais qu'il y a des gens qui ont cette capacité de synthèse : moi, je ne l'ai pas. C'est beaucoup de sueur, beaucoup de lecture, beaucoup de travail. J'ai aussi procédé par élimination : mes textes de départ étaient trop longs et j'ai coupé, coupé... Même si ça m'a parfois obligé à les restructurer. L'idée, c'était vraiment de prendre chaque élément essentiel dans les biographies. C'était plus facile pour les évènements ou les lieux, mais les biographies étaient moins évidentes. Surtout avec les Romains ! Comme je le disais tout à l'heure, les liens généalogiques sont tellement complexes qu'il faut à chaque fois faire comprendre qui est qui, pour que le lecteur ne soit pas complètement perdu. C'est très compliqué : ils se marient 3 ou 4 fois chacun, les noms romains sont tous très longs et tous identiques... Je pense que c'est le cas de n'importe quel historien ou lecteur, mais j'ai eu du mal entre tous les Drusus ou toutes les Antonia. Mais l'idée, c'était quand même de faire un livre grand public et de simplifier au maximum.

Au moment de choisir les lieux, les évènements ou les autres protagonistes dont vous alliez parler, aviez-vous déjà une idée précise des thèmes que vous alliez aborder ? Comment les avez-vous choisis ? 

Non, je n'avais pas d'idée de départ mais quand j'ai établi la liste des personnages principaux, le reste du plan est apparu assez facilement. Les personnages et les évènements devaient être en rapport avec les empereurs et respecter un équilibre. Je ne pouvais pas tout centrer sur César et je devais aussi inclure des textes en relation avec les autres personnages de la dynastie. Si je ressors mon plan initial, je pense qu'il n'y a pas grande différence avec le résultat final. Parce qu'il y a vraiment des figures qui se dégagent: on peut difficilement traiter de Jules César sans parler de Pompée, par exemple. On ne peut pas faire l'impasse sur Vercingétorix, c'est impossible ! Cicéron aussi était important. Et puis, ça permet de glisser des éléments, simplifiés à l'extrême, mais qui expliquent l'Histoire romaine et le fonctionnement de la République. C'est difficile de parler de tous les sujets, mais intégrer ses personnages permettait d'éclairer des points obscurs. Même chose pour les autres protagonistes : je pense qu'un lecteur qui connaît un tant soit peu cette période n'aurait pas compris qu'il n'y ait rien sur Messaline, Agrippine ou Marc Antoine. Julie était peut-être moins évidente, et je l'ai d'ailleurs un peu découverte, mais elle est passionnante. Je la connaissais, évidemment, mais je ne m'étais jamais vraiment intéressé à sa vie.


Julie, la fille d'Auguste. (Altes Museum de Berlin.)

J'ai procédé de la même manière pour les autres parties. Pour les évènements, entre l'assassinat de César et l'incendie de Rome, on couvre à peu près toute la période : la bataille de Teutobourg sous Auguste, Claude et la conquête de la Bretagne...

Sur quelles sources vous êtes-vous appuyé ? Vous êtes-vous basé sur des textes antiques ou des ouvrages plus récents ?

Je n'avais pas le temps de consulter les textes antiques. Il y a une mini bibliographie à la fin du livre, mais j'ai utilisé beaucoup d'autres sources : j'ai lu plusieurs biographies de chacun des personnages, des livres d'histoire, des livres sur la politique, la république romaine, l'empire... Mais pas de textes antiques, sauf Suétone, ou alors par l'intermédiaire de livres modernes. L'idée, c'était vraiment de faire quelque chose de très concis, pour le grand public. C'est un livre de vulgarisation, et ce que je dis n'est qu'un condensé de ce qu'on peut trouver un peu partout. Il n'y a pas de scoop !

Parmi tous les personnages que vous évoquez dans le livre, y en a-t-il un pour lequel vous avez un intérêt ou une affection particulière ? En vous lisant, j'ai par exemple eu l'impression (peut-être erronée) que vous aviez une certaine admiration pour Germanicus...

Non, pas forcément. Germanicus semble avoir été adoré des Romains, mais il y a beaucoup de propagande dans les textes anciens. Moi, j'aime bien les perdants : ceux qui m'ont le plus intéressé, ce sont Julie, Claude et Tibère. Je me suis pris d'affection pour... J'hésite entre Claude et Tibère qui, en dépit de tout le mal qu'en disent les textes anciens, ont été de grands Empereurs. Peut-être Tibère ! Ça m'a beaucoup plu d'écrire sur Tibère, et j'ai découvert pas mal de choses. Ce côté obscur, le fait qu'il soit beaucoup moins connu qu'Auguste et surtout que César, ou alors pour des horreurs et des assassinats, sans doute en partie imaginaires. Ses rapports avec Auguste sont très intéressants : Auguste a bien compris que Tibère était très intelligent, que c'était un grand général et un très grand politique. Mais on ne sait pas trop pourquoi, il le prend en grippe dès le départ !

Tibère (Musées du Vatican - ©Robert B. Ulrich.)


Le côté incompris de Claude me passionne également. Ses rapports avec Auguste aussi, sont passionnants : on est déjà dans une espèce de politique-spectacle, et Auguste ne peut pas le mettre en avant parce qu'il présente mal, alors qu'il a perçu son intelligence. Tibère et Claude étaient deux hommes brillants, mais sans charisme, qui se retrouvent propulsés empereurs avec des fortunes diverses. Tibère le voulait ; Claude c'est moins sûr. Ils ne sont pas forcément faits pour ça, parce qu'ils n'ont pas une bonne image. Comme quoi, les choses n'ont pas vraiment changé par rapport à aujourd'hui ! Mais tous les personnages sont intéressants : Séjan est un personnage shakespearien. Et il est d'ailleurs le héros d'une pièce d'un contemporain de Shakespeare. Tout ça, ça n'a même pas l'air vrai ! C'est tellement incroyable, ça semble sorti d'un roman ou d'un film.

Après avoir écrit sur les Julio-Claudiens, pourriez-vous envisager d'enchaîner sur les autres dynasties? Voire de publier un ouvrage exhaustif sur Rome et tous les Césars ? Ou un livre sur un point précis, qui vous a particulièrement intéressé en écrivant celui-ci ? 

Ah, j'aimerais bien... J'aimerais bien continuer, en écrivant des livres sur les autres dynasties, ou sur des groupes de dynasties. Ou pourquoi pas un gros livre, qui reprendrait tous les Césars, en suivant le même modèle. Ce serait très intéressant. Mais un livre sur un sujet en particulier, je ne sais pas trop... Ça demanderait beaucoup de travail, beaucoup de recherches, d'autant que je ne suis pas un spécialiste de l'Histoire antique ! Mais poursuivre avec les Flaviens ou les Antonins, ça me plairait beaucoup.







                                        L'appel est donc lancé aux éditions Milan ! Qui seraient déjà assurées de vendre au moins un exemplaire de chaque tome à Nîmes... (Et davantage, j'espère !) Je l'ai déjà fait lorsque j'ai chroniqué "Rome Et Ses Césars", mais je persiste et signe : que vous soyez des passionnés d'Histoire romaine, ou de simples curieux désireux d'en savoir davantage, lisez ce petit livre. Sous une forme attrayante et ludique, ce vade mecum reprend l'essentiel à savoir sur César, Auguste, Tibère, Caligula, Claude et Néron.

                                        A titre personnel, j'ajoute que j'ai trouvé la discussion stimulante et très intéressante, avec un interlocuteur disponible, sympathique et aussi passionné que moi. Je remercie sincèrement Laurent Palet pour sa gentillesse, ainsi que les éditions Milan qui nous ont mis en contact. En attendant déjà avec impatience de (re)découvrir les successeurs des Julio-Claudiens, sous une forme ou sous une autre... (Mais cher Laurent, je ne vous mets pas la pression !)

Pour rappel : 

 "DYNASTIES DE LÉGENDE : ROME ET SES CÉSARS" de Laurent PALET.
Éditions MILAN - 7€90.
Lien ici.







 

lundi 23 juin 2014

"Le Mythe Cléopâtre" à la Pinacothèque de Paris.


                                        Tandis que le Grand Palais célèbre l'Empereur Auguste, la Pinacothèque de Paris a choisi de consacrer une exposition à son ennemie Cléopâtre, maîtresse de Jules César et Marc Antoine, et surtout dernière reine d’Égypte. S'il est un personnage dont la légende a phagocyté l'histoire, c'est bien Cléopâtre. Femme de pouvoir à la destinée exceptionnelle, sa vie romanesque, ses amours sulfureuses, son destin tragique et les multiples mystères qui l'entourent font d'elle le réceptacle de tous les fantasmes, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Mais qui était-elle vraiment, et comment le mythe a-t-il été repris par les artistes ? Tel est le double fil conducteur de l'exposition de la Pinacothèque, présentée en deux parties : l'archéologie vient répondre à la première question, tandis que la seconde est illustrée par différents tableaux, extraits d'opéra et costumes de films.

                                        Approcher au plus près de la "vraie" Cléopâtre, en replaçant son règne dans son contexte historique : voilà l'ambition de la première partie de l'exposition. A travers des œuvres archéologiques prêtées par les plus grands musées, le visiteur découvre à la fois le personnage historique (ou du moins, le peu qu'on en connaît...) et la situation de l’Égypte sous son règne, avant qu'elle ne devienne une province romaine. Héritière de la sanglante dynastie grecque des Lagides qui s'entretuent et règnent sur l’Égypte depuis la mort d’Alexandre le Grand, Cléopâtre VII Philopator devient reine à l'âge de 18 ans. En guerre contre son frère-époux Ptolémée XIII, elle parvient à conserver son trône en s'alliant à Jules César dont elle devient la maîtresse, lui donnant même un fils appelé Césarion. Épouse de Marc Antoine après la mort de César, Cléopâtre est de fait au centre de la guerre qui oppose son amant à Octave pour la domination de Rome. Le couple, vaincu en 31 avant J.C. à Actium, se suicide un an plus tard. Octave annexe l’Égypte, fait assassiner Césarion, instaure le Principat à Rome et devient Auguste : la suite est à voir au Grand Palais...

Portrait de Cléopâtre VII, Milieu du Ier siècle av. J.-C. (Musée des antiquités, Turin - ©DR)


Cléopâtre : de l'Histoire...


                                        Les témoignages archéologiques sur Cléopâtre sont rares, au point qu'il n'existe qu'un seul portrait complet et non détérioré. Outre cette "Tête de Turin", l'exposition présente également un buste réalisé lors du séjour de Cléopâtre à Rome, avant l'assassinat de César. Si on peut aussi voir un buste du Dictateur, un de Pompée ou un d'Auguste, ce premier volet s'attache surtout à décrire l’Égypte ptolémaïque de la fin du Ier siècle avant J.C., principalement à travers les arts et les pratiques funéraires. Très développée, cette section de l'exposition renseigne sur les rituels funéraires égyptiens, en présentant le déroulement et les aspects généraux. Les papyrii du Livre des Morts de Pa-iry côtoient ainsi les statues-sarcophages humaines ou animales et les masques funéraires. Ceux-ci illustrent aussi l'assimilation des pratiques romaines, ceux réalisés en perles de faïence polychromes et les masques cartonnés étant remplacés après la conquête par des masques de stuc, appliqués sur le visage des momies et recréant les traits des défunts (comme l'illustrent les célèbres portraits de Fayoum.)

Masque funéraire époque Ptolémaique (Musée égyptien, Florence - via http://graffitistudioloparisblog.wordpress.com).


                                        Intéressante aussi, la partie consacrée à la religion évoque l'empreinte de l'origine grecque des Ptolémées sur les cultes égyptiens et le syncrétisme des divinités locales : aux côtés des dieux et déesses traditionnels locaux, Ptolémée Ier avait introduit la figure de Sérapis, unissant les peuples grec et égyptien dans le culte de ce Dieu ressemblant à Zeus mais assimilé à Osiris et Apis.

Paysage nilotique avec pygmées - chasseurs. (Maison du médecin, Pompéi.)


                                        Enfin, la première partie de l'exposition montre comment les Romains du Ier siècle avant J.C., fascinés par Cléopâtre lors de son séjour à Rome, succombèrent à l'égyptomanie. Un vent oriental souffle sur la domus, et bijoux, argenterie, mobilier, fresques, mosaïques, etc. s'ornent des symboles représentatifs de l’Égypte comme les serpents, les crocodiles, les sphinx ou les pygmées. Sur le plan religieux, le culte de plusieurs divinités égyptiennes s'étend au monde romain, qui adopte Sérapis, Isis ou Harpocrate. Seul petit bémol, on ne fait qu'effleurer l'hostilité que Cléopâtre suscita en parallèle, notamment auprès des élites - "Je hais la Reine", écrit par exemple Cicéron, qui la traite également de prostituée...

 

... A la légende.


                                        Dans un second temps, la Pinacothèque choisit de se pencher sur la manière dont s'est substituée à la Cléopâtre historique une figure mythique qui a largement inspiré la peinture, le théâtre, les arts décoratifs, l'opéra, le cinéma... Une belle galerie de tableaux ouvre cette section. Pour la plupart œuvres de peintres italiens, ils illustrent le plus souvent le fameux suicide de la Reine, piquée par un aspic comme le veut la légende.

"Le Suicide de Cléopâtre" de Giovan Francesco Guerrieri (XVIe siècle - © Fondation Casa di Risparmio, Fano.)



Des Cléopâtre "à l'antique", des femmes presque contemporaines des artistes du XVIIIème siècle, des reines lascives alanguies dans un décor oriental, des héroïnes tragiques au regard désespéré... ces peintures montrent comment le personnage historique se départit de sa dimension réaliste pour laisser la place à un personnage de légende, chargé de symbolique. Cette image a d'ailleurs constamment évolué, de la prostituée tentatrice dominant et envoûtant les hommes à l'amoureuse victime d'une fatalité qui la dépasse, en passant par l'héroïne qui choisit la mort plutôt qu'humiliation de la soumission à son vainqueur.

 "La mort de Cléopâtre" de Achille Glisenti. (1878 - Museo della Città - Santa Giulia - ©DR.)


                                        Après une vitrine exposant une collection d’éventails du XVIIIème siècle ornés de représentations de la Reine, place à la scène ! Extraits d'opéra (Haendel, Massenet, Berlioz se sont emparés du mythe), portraits des plus fameuses interprètes (dont l'inénarrable Sarah Bernhard et la sublime Montserrat Caballé), et enfin costumes de théâtre et de cinéma viennent conclure la visite. Ah, la robe noire rebrodée de perles portée par Monica Bellucci dans "Astérix : Mission Cléopâtre", ou les tenues de Liz Taylor ! Un rêve absolu pour fashionista passionnée d'antiquité ! Ne manque finalement qu'un aspect pour que le thème soit traité de façon exhaustive : la récupération de Cléopâtre par le marketing, par exemple par une célèbre marque de savon ou par la colle de notre enfance.

Robe du film "Mission Cléopâtre" - Créée par Philippe Guillotel. (Ciné Costum' - Romain Leray - Didier Jovenet - ©DR.)


                                        Que reste-t-il aujourd'hui de la véritable Cléopâtre ? Si peu de choses en vérité : quelques portraits et pièces de monnaie, et une image floue qui échappe constamment à qui veut s'en saisir. Depuis plus de 20 siècles, la figure de Cléopâtre ne cesse d'être réinventée et réinterprétée, toujours avec passion et démesure. Elle est la garce manipulatrice, l'amoureuse enfiévrée, la Reine stratège toujours maîtresse d'elle-même... Mais comment expliquer que cette femme, dont on sait si peu de choses, ait exercé de tout temps - y compris de son vivant - une fascination si profonde ? L'exposition de la Pinacothèque ne répond pas à cette question, pourtant fichtrement intéressante. Elle permet malgré tout de (re)découvrir Cléopâtre - réelle ou fantasmée - à travers les témoignages archéologiques de son temps et le reflet qu'en renvoient les artistes de différentes époques. Une jolie exposition, qui parvient à rester simple tout en apportant beaucoup d'informations, en s'appuyant sur des pièces superbes et souvent très originales. A découvrir jusqu'au 7 Septembre.

                                        Et peut-être même gratuitement car je vous propose de gagner votre place pour l'exposition "Le Mythe Cléopâtre" à la Pinacothèque de Paris. Pour cela, répondez à cette question en m'envoyant un courriel (en indiquant "Concours Cléopâtre" en objet) : quelle actrice choisiriez-vous pour incarner Cléopâtre, si vous réalisiez un film sur sa vie ? Il n'y a évidemment aucune bonne ou mauvaise réponse, et le gagnant sera désigné par tirage au sort. Clôture des inscriptions le 4 Juillet, résultat publié sur cette même page le 6. Bonne chance à tous !


© Photo: Ernani Orcorte - Turin © Conception et création graphique: Gilles Guinamard



Renseignements pratiques :

 

"Le Mythe Cléopâtre" - Jusqu'au 7 Septembre 2014.

Pinacothèque de Paris.
8, rue Vignon 75009 (Partie 1) et 28, place de la Madeleine 75008 (Partie 2).
www.pinacotheque.com

Ouvert tous les jours de 10H30 à 18H30.
Nocturne les Mercredis et Vendredis jusqu'à 21H.
Entrée 12€50 - tarif réduit 10€50 - gratuit le 1er Mercredi du mois en nocturne à partir de 18H30.


Résultat du tirage au sort : J'avoue que j'ai été (agréablement) surprise, et légèrement dépassée par le nombre de réponses reçues ! En même temps, je ne vais pas m'en plaindre... Comme promis, le tirage au sort a été effectué : bravo à Sisterhavana, qui recevra sa place d'ici peu. Et merci à tous ceux qui ont joué le jeu !




 

vendredi 20 juin 2014

"Moi Auguste, Empereur de Rome" : un regard sur l'exposition du Grand Palais.


                                        L'année 2014 marquant les 2000 ans de la mort de l'Empereur Auguste, l'anniversaire aura été dignement célébré par plusieurs publications dont je me suis fait l'écho sur ce blog, pour la plupart centrées sur l'exposition organisée au Grand Palais. Après tout ce que j'avais pu lire, voir et entendre, j'en attendais beaucoup... et je n'ai pas été déçue ! Belle réussite, cette exposition tient ses promesses et présente un nombre impressionnant de pièces remarquables, mises en scène de façon judicieuse et élégante.

                                        Divisé en 7 étapes, le parcours muséographique mêle habilement la chronologie aux différentes thématiques retenues : Octave et la guerre civile, le régime augustéen, la Rome d’Auguste, la diffusion d’un nouveau langage artistique de tradition grecque, le cadre privé, Auguste et les provinces, et enfin mort et apothéose. Pertinente, cette présentation affiche l'ambition de faire revivre le siècle d'Auguste et la vie quotidienne au travers des œuvres présentées, mais aussi d'approcher au plus près le personnage autant public que privé. Mais très franchement, ce n'est pourtant pas l'aspect qui m'a le plus frappée.



Auguste de la Prima Porta, époque tibérienne. (Vatican, Musei Vaticani, Braccio nuovo  - ©Musées du Vatican / Cité du Vatican.)

                                        Dès la première salle, le visiteur est accueilli par l'immense statue de la Prima Porta, montrant Auguste en cuirasse. Derrière lui s'affichent des extraits de la Res Gestae, le testament politique dans lequel il détaille ses actions et ses réalisations. On retrouve donc ici l'idée directrice d'une exposition attachée à présenter la vie et l’œuvre du fondateur du principat, et la vie quotidienne de la Rome augustéenne. Deux thèmes étroitement liés, illustrés par les œuvres des artistes et artisans de l'époque, par le biais des statues, bustes, frises, monnaies, bijoux, mobilier domestique, vases, objets funéraires, etc... qui se succèdent dans les différentes salles.

                                        Mais le choix d'ouvrir l'exposition par cette statue en particulier met en lumière un autre point important. En effet, on remarque que l'Empereur est représenté pieds nus, et si la question fait encore débat parmi les historiens, la plupart supposent qu'il s'agit d'une caractéristique propre aux représentations des divinités. Il ne s'agit donc pas d'un simple portrait d'Auguste, mais de celui d'Auguste divinisé. A ce titre, elle illustre un autre aspect de sa politique, présente en filigrane tout au long de l'exposition: la place de l'art dans la propagande (bien que le terme soit anachronique) augustéenne. Dès son apparition sur le devant de la scène politique, à la mort de son grand-oncle et père adoptif Jules César, Octave (qui ne deviendra Auguste qu'en 27 avant J.C., lorsque le Sénat lui accordera ce nom honorifique - voir ici.) a bien compris la puissance des symboles et la force des images, et le rôle qu'ils pouvaient jouer dans sa conquête du pouvoir.

                                        Alors que les portraits de la République romaine se distinguaient par un réalisme étonnant, accentuant les rides, la dureté des traits et les imperfections physiques - à l'image du buste de Crassus, visible au Grand Palais - les statues d'Auguste et de ses proches montrent a contrario des personnages idéalisés, calqués sur un idéal de beauté emprunté à la Grèce. Les bustes les plus anciens datent d'environ 40 avant J.C. : âgé de 23 ans, Octave partage alors le pouvoir avec Lépide et Marc Antoine, dominant la partie occidentale du territoire romain tandis que ses acolytes dirigent respectivement l'Asie et l'Afrique. Ces portraits sont déjà idéalisés, magnifiant la force et la jeunesse d'Octave. Étrangement uniformes, les représentations d'Octave / Auguste ne varient pratiquement pas au fil du temps, et l'image fixée dans le marbre demeure celle d'un éternel jeune homme vigoureux - comme le montre l'ensemble des œuvres exposées, y compris les statues réalisées plusieurs décennies plus tard, alors que l'Empereur est pourtant septuagénaire.

                                        Provenant des quatre coins de l'Empire, ces portraits génériques illustrent aussi la manière dont Auguste assoit son pouvoir par la diffusion de l'image. Le culte impérial s'appuie sur ces représentations artistiques pour s'imposer dans les provinces et unifier les territoires autour d'un même culte, de même que les pièces de monnaie, dont l'iconographie permet de transmettre les idées fortes prônées par le régime.



 
Relief d'Actium : procession. (Séville, Maison de Pilate, ©Fundacion casa ducal de Medinaceli, Séville Espagne.)

                                        Après avoir vaincu Marc Antoine et Cléopâtre à la bataille d'Actium en 31 avant J.C., Octave devient le seul maître de Rome. Maintenant les apparences de l'ancien régime républicain, il fonde le principat et, sans en avoir l'air, s'arroge la majorité des pouvoirs. Or, dès le début de son règne, l'une des grandes préoccupations d'Auguste est de trouver un successeur qui garantira la pérennité du principat après sa mort. C'est cette problématique que met en lumière la galerie de portraits par laquelle se poursuit l'exposition, et qui montre la succession des prétendants : son neveu Marcellus, son beau-fils Drusus, ses petits-fils Caius et Lucius - tous disparus avant lui - et enfin Agrippa Postumus, dernier petit-fils de l'Empereur, assassiné après sa mort. Ne reste alors que Tibère, fils issu du premier mariage de Livie, qui deviendra le deuxième Empereur de Rome. Mais là encore, la représentation de l'ensemble de la famille impériale - alors inédite dans le monde romain - et sa diffusion sur tout le territoire répondent précisément à cette volonté d'asseoir une dynastie : ces portraits, en véhiculant l'image des proches d'Auguste, font d'eux des personnages publics.

Portraits de la famille impériale, avec Tibère au premier plan. J. De Fontenay/JDD/SIP.)



                                        Autre grand axe de la politique d'Auguste, la refondation de Rome accompagne celle des institutions. Période d'intense activité d'aménagements urbains, son règne transforme la ville grâce aux grands travaux publics et à l'encouragement des initiatives privées. Réorganisation des forums, construction d'édifices publics comme le théâtre de Marcellus ou les thermes, rénovation et édification de temples, nouvelle division administrative... Si l'architecture reste classique et met en avant le respect de la tradition, l'art qui s'exprime dans les décors illustre en revanche l'idée selon laquelle le règne d'Auguste marque le début d'une nouvelle ère de paix et de prospérité. La période est donc particulièrement favorable à l'épanouissement artistique : la création littéraire soutenue par Mécène voit ainsi émerger des poètes majeurs comme Virgile et Horace, encouragés à chanter les louanges de l'Empereur ; et les sculpteurs délaissent l'imitatio des modèles grecs pour tenter de les dépasser en les interprétant ou en les transposant selon le goût latin, créant ainsi une sculpture néo-attique.

                                        Dans la sphère privée, le développement économique consécutif à la pacification se ressent également dans le décor, qui se pare de motifs évoquant l'abondance et la fertilité (à l'instar des célèbres fresques de la Villa de Livie, avec ses jardins luxuriants),  et le mobilier et les objets du quotidien, réalisés avec une grande finesse et une vraie maîtrise technique, dans des matériaux aussi divers que le verre, l'argent, le bronze, les pierres précieuses ou l'or.


Trésor de Boscoréale : skyphos à poucier. (Paris, Musée du Louvre, départ. des antiquités grecques, étrusques et romaines - ©RMN-Grand Palais - Musée du Louvre / Hervé Lewandowski.)

                                        A ce titre, les objets d'art commandés par Auguste et ses proches, d'un luxe et d'une somptuosité fascinantes, sont en contradiction avec l'autre message véhiculé par la famille impériale : ayant tiré les leçons du sort réservé à son père adoptif, Jules César, assassiné car soupçonné de vouloir accéder à la royauté, Auguste ne revendique aucunement une nature divine, et il met en exergue une vie simple et frugale, à l'image de la modeste demeure qu'il occupe avec sa famille. Mais les objets d'art et d'artisanat réalisés pour la famille impériale donnent une toute autre image en privé. Par exemple, les sublimes camées montrent souvent Auguste sous les traits de Jupiter ou Apollon - comme le camée Blacas, délicatement sculpté dans un onyx brillant, ou encore une superbe agate, où il apparaît en Mercure.


Auguste, Camée "Blacas". (Vers 14-20 ap. J.C., Londres, British Museum ©The British Museum, Londres dist. RMN- Grand Palais  / The Trustees of The British Museum.)

                                        J'aurais certes pu suivre le parcours proposé par le Grand Palais en reprenant les textes de l'exposition et en revenant sur quelques-uns des objets exposés. La partie présentant lampes à huile, tables, chaises, lits, vases, etc. illustre à merveille la vie quotidienne au début de l'Empire et la manière dont l'art et l'artisanat ont mis à profit la période de paix et de prospérité qu'a représenté le principat d'Auguste, ainsi que l'état d'esprit d'une société enfin délivrée de décennies de guerres civiles. Mais tout ayant déjà été écrit sur cette exposition, il m'a semblé plus enrichissant d'adopter un autre angle et une autre vision. Pour un compte-rendu exhaustif, je me contenterai de vous renvoyer à l'album publié par la RMN. (Voir en fin d'article).

                                        Redécouvrir la figure du premier Empereur de Rome et ressentir l'impact de sa politique sur la vie quotidienne à travers un art, un artisanat et une architecture qui fleurissent lors de ce qu'on a coutume d'appeler le "Siècle d'Auguste" ? Soit, le pari est réussi. Mais ce que montre le  Grand Palais, c'est peut-être surtout la stratégie d'Auguste, la manière dont il parvient à utiliser tous ces leviers pour transformer une république prétendument "restituée" en une monarchie héréditaire qui ne dit pas son nom. Du domaine public - avec la statuaire et l'implantation du culte impérial jusque dans les Provinces les plus éloignées - à la sphère privée, c'est en effet l'ensemble de la société romaine qu'Auguste a radicalement transformée, sur le plan politique, matériel et culturel. Son règne est effectivement marqué par un âge d'or artistique qui fait émerger des figures majeures de la littérature et les plus belles fresques et objets d'art de l'Antiquité romaine - mais cet épanouissement des arts a surtout accompagné la naissance d'un régime qui demeurera quasiment inchangé pendant près de 4 siècles, et qu'Auguste a su imposer en à peine quelques décennies.

                                        Deux grands axes de lecture pour une exposition passionnante, d'une grande richesse, qui permet au visiteur d'admirer des pièces majeures venues des plus grands musées. Dépêchez-vous : il ne vous reste plus qu'un mois pour courir au Grand Palais...







Lecture recommandée : 



"Auguste, l'album de l'exposition"
Éditions RMN - 10 €.
Lien ici.








Pour rappel : 

"Moi, Auguste, Empereur de Rome"  - Jusqu'au 13 juillet.


Grand Palais - 3, avenue du Général Eisenhower - 75008 Paris.
Tous les jours de 10H à 20H, sauf le Mardi.
Tarif : 13€. (Tarif réduit : 9€).
Lien ici.










dimanche 1 juin 2014

Lien Internet : Radio Alliance Plus, les émissions de Sylviane.

                                        En ce mois de Juin, La Toge Et Le Glaive s'accorde quelques jours de vacances. Mais studieuses, les vacances, puisque je vais écumer les expos parisiennes - dont le fameux "Moi Auguste, Empereur de Rome" qui se tient au Grand Palais, et dont je vous rebats les oreilles depuis un certain temps. Compte-rendu à venir dans les prochaines semaines...

                                        En attendant, et avant cette courte absence, j'ai eu envie de revenir sur une série d'émissions radio, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises  : je vous ai souvent proposé de consulter le site internet de Radio Alliance +, pour (ré)écouter les émissions préparées et présentées par Sylviane Wichegrod-Maniette.

                                        Radio Alliance + est une radio associative nîmoise, de culture protestante. Si elle consacre une part de son antenne à des sujets religieux, elle n'agit pas par prosélytisme et s'oriente plutôt vers une spiritualité sans dogmatisme, ouverte aux débats d'idées. Elle est surtout très ancrée dans la vie locale, et on y trouve en particulier de nombreuses émissions en lien avec les manifestations culturelles régionales. Des chroniques littéraires, des reportages, des interviews, une programmation musicale variée...



                                        Mais ce qui m'intéresse le plus, ce sont évidemment les émissions qui parlent de l'Antiquité romaine et, puisque nous sommes à Nîmes, vous vous doutez bien que ce ne sont pas les occasions qui manquent ! Dans les émissions qu'elle anime, Sylviane Wichegrod-Maniette fait souvent la part belle aux Romains, et ce n'est pas un hasard si elle fait partie de l'association Carpefeuch, justement centrée sur la romanité. Comme j'en suis moi-même membre, je connais Sylviane, femme dynamique et sympathique, dont la culture n'a d'égale que la curiosité intellectuelle. Je sais : vous pensez que c'est ma copine, et que je ne suis pas totalement objective... Mais vous n'avez qu'à juger par vous-mêmes : avec trois émissions à l'antenne, Sylviane a su trouver une voie originale pour aborder des sujets très différents, avec simplicité mais professionnalisme.

                                        Il y a d'abord Itinérances, qui invite l'auditeur à découvrir un pays, une ville, un monument... Endroit réel ou imaginaire, qu'arpente Sylviane, seule ou avec un interlocuteur en compagnie duquel on emprunte des chemins de traverse. Pour apprendre à connaître un paysage ou un lieu, au hasard des rencontres et des échanges, elle adopte un regard parfois décalé et toujours original : la Franche-Comté se dessine à travers sa gastronomie, l'Iran se vit par sa musique, Londres par son architecture... Mais on plonge aussi dans l'Atlantide, la peinture hollandaise, les contes de fées, ou encore dans les cuisines de la Rome antique ! Toujours surprenant, toujours intrigant, et toujours intéressant. C'est par ici : Itinérances.



Sylviane (à g.) en compagnie d'Annie et Martine de Carpefeuch. (Via http://association.carpefeuch.over-blog.com )


                                        Seconde émission, L'Air de Rien plonge dans la vie culturelle nîmoise et régionale. Musique du monde, expositions du Musée du Carré d'Art, BD et Antiquité, flamenco, cinéma britannique, théâtre, danse... De l'éclectisme pour cette chronique riche et malicieuse où, au fil de l'actualité ou en suivant ses coups de cœur, Sylviane s'entretient avec des écrivains, artistes, historiens, directeurs de musées ou de théâtre, spécialistes, etc. En une demi-heure, l'émission offre une première approche qui, très souvent, donne envie d'en savoir davantage et attise l'intérêt de l'auditeur. Une fois encore, l'Antiquité romaine est souvent mise en exergue dans ces chroniques nîmoises. A découvrir ici : L'air de rien.

                                        Enfin, et même s'il n'y pas toujours de lien direct avec l'Antiquité, Sylviane anime une troisième émission, Osons La Philosophie. En dialoguant avec Françoise Gernot, agrégée de philosophie, elle présente les grands thèmes et les textes philosophiques majeurs, les rendant accessibles au plus grand nombre. Une émission qu j'ai découverte plus récemment, mais dont je suis déjà fan - excellente présentation du "Prince" de Machiavel. Cette fois, c'est par là : Osons la philosophie.

                                        Voilà : vous avez là de quoi patienter jusqu'à mon retour. Farfouillez sur le site de la radio, picorez les différentes émissions. J'espère que vous apprécierez autant que moi la légèreté et la fraîcheur des émissions de Sylviane, à la fois divertissantes et riches d'enseignements.


Radio Alliance + - 103.1 à Nîmes.
A écouter en direct ou en podcast sur le site : www.radioallianceplus.fr