dimanche 6 octobre 2013

Film : "Vie Et Mort a Pompéi Et Herculanum."

                                        Plusieurs cinémas ont projeté le mois passé un film intitulé "Vie Et Mort A Pompéi Et Herculanum", présentant l'exposition du même nom qui s'est tenue au British Museum de Londres du 28 Mars au 29 Septembre dernier. La diffusion s'est déroulée simultanément dans plusieurs villes, trois jours avant la clôture de l'exposition, et les spectateurs nîmois du Kinépolis ont pu profiter d'une brève intervention de Claude Aziza avant le film.




                                        Agrégé de lettres classiques, maître de conférence à la Sorbonne et éminent connaisseur de l'Antiquité, notre homme est un familier des sites antiques de Pompéi et Herculanum. En guise d'introduction, ils nous a donc exposé les dernières découvertes archéologiques et a brièvement retracé la chronologie des tragiques évènements de l'an 79. Sans doute aborderai-je un jour le déroulement de l'éruption du Vésuve, mais je retranscris ici l'intéressante présentation de Claude Aziza.

                                        Pour commencer, celui-ci apporte quelques éclaircissements quant à la date du sinistre : alors qu'on retenait jusqu'à récemment la date du 24 Août 79, citée par Pline le Jeune dans une lettre apparemment mal interprétée, les spécialistes penchent désormais pour le 24 Octobre (le plus probable) ou le 24 Novembre de la même année. En cause, la découverte de plusieurs éléments incompatibles avec une date estivale - comme par exemple des restes de fruits d'hiver comme des noix ou des grenades, ou les corps de deux marins portant bonnets et gilets de fourrure ou de laine. Plus probant encore, la Maison du Bracelet d'Or à Pompéi révèle un denier célébrant la 15ème ovation de l'Empereur Titus, ayant eu lieu le 8 Septembre 79.


Les évènements de 79 : éruption du Vésuve.


                                        Nous voici donc à Pompéi, le 23 Octobre 79. La journée est quelque peu perturbée par des grondements sourds qui, pourtant, ne troublent guère la tranquillité des pompéiens : habitués aux séismes (le dernier, 17 ans auparavant, ayant pratiquement détruit la ville), il en faudrait davantage pour les inquiéter. D'autant que la plupart ignore que le Vésuve est un volcan, et les autres le croient éteint depuis longtemps... Chacun vaque donc à ses occupations.

                                        Pline le Jeune, alors à Misène, observe au cours de la journée la formation d'un nuage, au sommet du Vésuve. La nuée ne cesse de grandir : elle atteindra 30 km de hauteur. Ce que Pline le Jeune décrit dans ses lettres, c'est un panache de gaz à haute pression et de lave qui ont fait céder le bouchon de lave refroidie : le Vésuve est entré en éruption.

                                        Le 24 Octobre au matin, les poussières et les cendres générées par l'éruption sont poussées par le vent vers Pompéi. La ville est plongée dans l'obscurité, même en plein jour, et les habitants se réfugient dans des caves ou des abris de fortune en attendant une accalmie. Mais la lave refroidie et solidifiée forme des pierres ponces, qui s'alourdissent au fil des heures et s'abattent sur la ville : les toits s'effondrent et plusieurs victimes meurent écrasées sous les décombres. Certains survivants prennent la fuite, d'autres se préparent à faire de même. Ils n'en auront pas le temps. Pendant ce temps, un torrent de lave en fusion et de nuées ardentes s'est abattu sur Herculanum, détruite en une fraction de seconde dans l'après-midi.

"Éruption du Vésuve" (Toile de William Turner.)


                                        Dans la nuit du 24 au 25 Octobre, un nuage de gaz et de particules brûlantes, atteignant près de 400°C, déferle sur Pompéi à 200 km/h : les habitants meurent brûlés et asphyxiés. Quant à ceux qui tentent de fuir par bateau, ils se heurtent à une mer en ébullition et, piégés, succombent à leur tour aux nuées ardentes. Après une brève accalmie le 26, une dernière coulée achève le lendemain d'ensevelir la cité sous plusieurs mètres de pierres ponces. En extrapolant à partir des corps retrouvés sur les zones fouillées à Pompéi (soit les 2/3 de la cité), on estime que l'éruption du Vésuve y aurait fait près de 2000 morts - sur 12 000 habitants. A comparer à l'éruption similaire du Mont Pelé en 1902, qui tua 25000 personnes.

                                        Très vite, l'Empereur Titus diligente une enquête, mais il apparait que les cités détruites ne peuvent pas être reconstruites. On choisit donc de les abandonner : les survivants récupèrent (et les voleurs pillent !) ce qu'ils peuvent, laissent d'ultimes traces (par exemple des graffitis, l'un comparant notamment Pompéi à Sodome) avant de quitter définitivement les deux villes. Il faudra des siècles pour que les cités enfouies revoient la lumière du jour : peu à peu, on découvre par hasard les sites d'Herculanum (1738), de Pompéi (1748), de Stabies (1749) ou d'Oplontis (1964).

                                        Hélas, on sait bien aujourd'hui à quel point les vestiges sont menacés : si les bombardements de la seconde guerre mondiale et les glissements de terrain survenus à 2010 ont causé bien des dommages, ce sont surtout le tourisme de masse et le détournement des financements par la Camorra qui ont progressivement conduit à la périclitation des sites. Une conclusion peu réjouissante, mais qui n'en rend que plus précieux le travail accompli par le British Museum, présenté dans le film projeté ce soir-là.

Fresque de Pompéi montrant Bacchus, au pied du Vésuve. (Via http://inayatscorner.wordpress.com)


Le film "Vie Et Mort A Pompéi Et Herculanum."


                                        Le film, donc. Disons-le tout de suite, la bande-annonce laissait croire à un énième docu-fiction, retraçant l'éruption du Vésuve et la destruction de Pompéi et d'Herculanum. Ce n'est absolument pas le cas - et heureusement, car c'est beaucoup mieux ! Ce que propose "Vie et Mort A Pompéi Et Herculanum", c'est de faire découvrir aux spectateurs l'exposition éponyme qui vient de fermer ses portes au British Museum de Londres. Files d'attente et bousculades non comprises, mais avec pour guides les meilleurs spécialistes et les responsables de l'évènement.

                                        Dans un musée vidé de ses visiteurs habituels, on arpente virtuellement les différents espaces de l'exposition, organisée selon le plan d'une domus. De l'atrium aux cuisines, en passant par la chambre à coucher ou le jardin, on passe de pièce en pièce et l'on découvre à travers des objets d'art ou de la vie quotidienne divers domaines propres à la société romaine. Évidemment, l'exposition est centrée sur les habitants de Pompéi et d'Herculanum - classes privilégiées ou gens ordinaires - mais elle aborde les principales thématiques de ce qui faisait la vie des hommes et des femmes de l'Empire : qui étaient-ils ? Que faisaient-ils de leurs journées ? Quels étaient leurs loisirs ? Que mangeaient-ils ? Comment était organisée leur maison ? Quelle étaient les conditions de vie des femmes ? Des esclaves ? Autant d'énigmes sur lesquelles la muséographie tente de lever le voile. C'est ce qu'explique en introduction Neil Mac Gregor, directeur du British Museum, qui revient sur la mise en place de cette extraordinaire exposition,  et surtout sur la manière dont elle pénètre au cœur de l'intimité des habitants de Pompéi et Herculanum, représentatifs des habitants de l'Empire.


Exposition du British Museum.


                                        Le documentaire entraîne le spectateur de pièce en pièce, en compagnie de spécialistes qui, à chaque fois, détaillent des objets filmés en plan rapproché : bijoux, sculptures, mosaïques, pièces de mobilier, ustensiles de cuisine, nourriture, fresques, etc. J'aurais certes souhaité admirer davantage de pièces, mais le choix m'a paru cohérent et pertinent.  Parmi les pièces les plus étonnantes, on peut citer un coffre de rangement, carbonisé par les hautes températures du nuage toxique ayant déferlé sur Pompéi, ou un berceau d'enfant - sans doute l'un des objets les plus émouvants de toute l'exposition.



Berceau d'enfant. (© Peter Macdiarmid/Getty Images.)


                                        Quelques moments ont particulièrement retenu mon attention. Tout d'abord, l'intervention de Mary Beard, professeur à l'Université de Cambridge. Avec elle, nous visitons la chambre à coucher (cubiculum), prétexte à sonder les pensées les plus intimes et les fantasmes de ses occupants. Bien sûr, le sujet prête à la galéjade, mais Mary Beard le traite avec une érudition qui n'exclut ni l'entrain ni l'humour. Qu'il s'agisse d'une fresque érotique, d'une statue représentant le Dieu Pan s'accouplant avec une chèvre ou d'un tintinnabulum en forme de phallus ailé, elle adopte un angle original et un ton léger. Elle est particulièrement en verve lorsqu'il s'agit d'aborder l'omniprésence du symbole phallique, ou de présenter une fresque en trois parties, sorte de bande dessinée montrant deux hommes en train de jouer aux dés et s’invectivant avec des termes sexuels très crus. Dans la foulée, on découvre en compagnie de Paul Roberts (curateur de l'exposition) des bijoux, des produits de beauté ou des fresques qui soulignent  le soin que les femmes accordaient à leur apparence.

                                        Encore plus surprenante, l'incursion dans la cuisine se fait aux côtés du chef italien Giorgio Locatelli. On y découvre divers ustensiles de cuisine - dont une sorte de, euh, "cage à loirs", destinée à conserver et engraisser les précieux animaux - un mets de choix pour les Romains. Mais on y trouve même de la... nourriture, comme cette miche de pain carbonisée, retrouvée intacte et portant encore l'estampille du boulanger qui l'a confectionnée.

                                        Le professeur Andrew Wallace-Hadrill a quant à lui fouillé les canalisations d'Herculanum : on y a retrouvé toutes sortes d'objets, des plus triviaux aux plus précieux. Passe encore pour un vase brisé ou un miroir dépoli, mais pourquoi avoir jeté toute une série de riches poteries ? Et que dire des bijoux tombés dans les égouts, et dont la propriétaire a sans doute retourné la maison, à la recherche de la boucle d'oreille mystérieusement égarée...  Plus sérieusement, notre expert a également abordé la question de la poursuite de l'excavation, défendant l'idée selon laquelle la conservation des vestiges mis au jour devait primer sur l'avancée sur des fouilles.


Jardin de la Maison Du Bracelet d'Or. (©Soprintendenza Speciale per i Beni Archeologici di Napoli e Pompei.)

                                        Autre thème intéressant, les fresques ornant le jardin sont détaillées par la jardinière Rachel de Thame. Elle souligne la précision des détails, qui laissent même identifier l'espèce de plante ou la race de l'oiseau représenté. Enfin, le film se conclut - un peu abruptement peut-être - par deux ou trois questions posées aux intervenants.

                                        Ce documentaire de 90 minutes offre donc un aperçu de l'exposition du British Museum, éclairée par l'analyse d'experts sympathiques et enthousiastes. Elle donne surtout la possibilité au spectateur de porter un regard unique sur l'exposition, en lui permettant d'admirer au plus près et dans des conditions uniques les pièces présentées par le musée.

Moulage des corps d'une famille de Pompéi. (. (Via http://inayatscorner.wordpress.com))
 
                                         D'une certaine manière, on pourrait dire que l’éruption volcanique, qui a anéanti les cités de Pompéi et Herculanum, les a en même temps rendues éternelles, en fossilisant la vie quotidienne de ses habitants. C'est grâce au Vésuve que l'on peut savoir très exactement ce qu'étaient leurs existences, et même ce que fut leur mort : vaines tentatives de fuite avec une lanterne à la main, ou gestes dérisoires d'une mère qui serre son enfant contre elle. C'est ce que montrent les moulages poignants des corps d’une même famille, réunie dans la mort. Comme quoi, les responsables de l'exposition ont bien choisi son nom : elle offre, comme le film, un panorama de le vie quotidienne et de la mort de la population. Et une jolie consolation pour ceux qui n'ont pas eu l'occasion de se rendre au British Museum. Un aller-retour pour Londres au prix d'une place de cinéma, qui dit mieux ?! 


Pour plus d'informations.
Vous trouverez tous les renseignements, des bonus, vidéos, photos, etc. sur le site du British Museum, ici.

A noter : certains cinémas proposent une nouvelle séance le Dimanche 13 Octobre à 10H45.  C'est le cas des Kinépolis - www.kinepolis.fr

4 commentaires:

Sylviane a dit…

Etant à paris j'avais raté la première projection...mais à la place j'ai vu l'exposition sur les Etrusques au Musée Maillol...à voir.... une merveille! ton article Fanny me dit de ne pas rater la seconde date du Kinépolis ; en effet vive le cinéma , une façon de voyager à moindre frais et presque avec plus d'acuité visuelle! même si rien n'égale d'aller sur place.

FL a dit…

J'espère que tu ne seras pas déçue : il faudra que tu me dises ce que tu en as pensé ! Les spectateurs avec qui j'ai parlé (nîmois ou internautes) étaient conquis - même ceux qui avaient visité l'expo et n'avaient pas forcément pu s'attarder sur les détails. D'accord, ça ne remplace pas, mais c'est un palliatif bien agréable...

Je prends aussi bonne note des Étrusques au Musée Maillol : si j'ai l'occasion, je suivrai ton conseil.

Anonyme a dit…

Bonjour, le film existe-t-il sur un support ou est-il visionnable quelque part ?
Cordialement

FL a dit…

A priori, je ne l'ai trouvé nulle part - pas même en DVD sur le site de la boutique du British Museum. Et entre nous, je vous déconseille fortement de le chercher sur certains sites de streaming ou en téléchargement illégal... (Je dis ça comme ça ;-) )