dimanche 10 novembre 2013

Le Mariage Dans La Rome Antique - 1ère Partie.

                                        Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises : je traite sur ce blog de sujets divers et variés, tous en lien avec l'Antiquité romaine, mais au gré de mes inspirations et de mes envies, et sans aucun souci de cohérence. Mais quand plusieurs personnes me réclament, à quelques jours d'intervalle,  un article sur le mariage dans la Rome antique, je dois bien me résoudre à me pencher sur le sujet. Disons-le tout de suite : traiter de ce thème de manière exhaustive est une gageure ! D'abord, l'Histoire de Rome couvre plusieurs siècles, au cours desquels les institutions ont largement évolué. Ensuite, la question est tellement vaste qu'on pourrait sans doute y consacrer un volume entier. Et enfin, il n'est pas facile de rendre accessible l'imbroglio des textes juridiques romains, pas plus que les sources antiques qui demeurent souvent mystérieuses... Je vais cependant tenter de répondre dans les grandes lignes, autant sur le plan juridique que sur celui, plus pragmatique, de la cérémonie en elle-même.

"Mariage Romain". (Toile d'Emilio Vasarri.)

LE MARIAGE ROMAIN : GÉNÉRALITÉS.


                                        Signalons en préambule que le mariage à Rome est rarement un mariage d'amour : on s'unit par intérêt financier, pour asseoir sa position sociale, par devoir civique, pour s'assurer une descendance qui perpétuera la lignée et le culte des ancêtres. L’un des buts principaux du mariage, c'est de donner au citoyen romain une épouse légitime, qui donnera naissance à des enfants qui deviendront à leur tour des citoyens et hériteront du nom et de la fortune de leur père. L’État y trouve donc son compte et la loi romaine frappe de lourdes taxes les célibataires, afin de les inciter au mariage. Le lien matrimonial est aussi un lien social qui permet d'établir des alliances selon le prestige politique ou la fortune des familles. L'union entre Pompée et Julia, la fille de César, scelle par exemple l'entente entre les deux imperatores.

                                        Pourtant, les romains n'accordent pas au mariage la même importance que nous : une large part de la population choisit le concubinage et ne se marie pas, l'union étant finalement contractée per usum (voir ci-dessous). Certaines études estiment ainsi que seul un couple sur trois convole en justes noces.
"Un petit jeune homme demandait conseil à Socrate pour savoir s'il devait prendre femme ou renoncer au mariage. Celui-ci lui répondit qu'il se repentirait quel que fût son choix. 'Dans le second cas', dit-il, 'il s'ensuivra pour toi la solitude, la privation d'enfants, l'extinction de ta race, un héritier étranger à ta famille; dans le premier cas, des soucis perpétuels, une succession de plaintes, une dot qu'on te reproche, la morgue pénible à supporter des parents de ta femme, le babillage de ta belle-mère, le séducteur des femmes d'autrui, l'arrivée d'enfants qu'on craint n'être pas les siens!' " (Valère Maxime, "Actions et Paroles Mémorables", VII - II -1.) 

                                        A Rome, le mariage est un acte privé, dans lequel l’État n'intervient pas directement. Il comporte toutefois des conséquences juridiques importantes, notamment en ce qui concerne les éventuels futurs enfants du ménage qui, nés d'une union officielle, hériteront du nom et de la fortune du père.


VIVE LES MARIES ! OUI, MAIS LESQUELS ?


                                        Tout le monde ne peut pas prétendre au mariage : les esclaves, les étrangers, les soldats (jusque sous Septime Sévère) en sont exclus. Tout comme, pendant longtemps, les plébéiens - ils n'obtiennent le droit de se marier qu'en 450 avant J.C. Pour qu'un mariage soit valide, il reste encore un certain nombre de conditions, indispensables pour qu'un citoyen romain se laisse passer la corde au cou :

  • L'âge :  Dès les temps archaïques, l'âge légal du mariage coïncide avec la puberté - soit la capacité d'engendrer des descendants. (Ce qui exclue les eunuques et autres personnes atteintes de certains dysfonctionnements physiques.) C'est bien joli, mais à quel âge est-on pubère ? En pratique, on retient l'âge de 12 ans pour les filles et 14 ans pour les garçons. Encore que l'idée de la puberté masculine ait varié au fil des siècles : on la rattache à la prise de la toge virile (17 ans à l'origine, puis plus tôt - entre 14 et 16 ans sous l'Empire.) Toutefois en pratique, on se marie plus tardivement : les hommes en particulier attendent d'être établis socialement.
  • Le connubium : Ce terme exotique désigne selon le juriste Ulpien la "capacité légale pour un homme de faire d’une femme son épouse." Définition qui ne fait pas avancer le schmilblick... Pour résumer, le connubium regroupe l'ensemble des situations dans lesquelles un mariage est légal. Il ne concerne que les citoyens romains : sont exclus les étrangers, les esclaves, les acteurs, les prostitués... Certains liens de parenté (consanguinité ou lien civil) empêchent aussi l'union : le mariage est par exemple interdit entre un homme et sa nièce. Du moins, en théorie car des dérogations sont toujours possibles - surtout quand on est Empereur. : Claude épouse ainsi légalement sa propre nièce, Agrippine. A noter qu'à l'origine, le connubium n'existe pas entre patriciens et plébéiens, mais la Lex Canuleia de  445 avant J.C. autorise les unions entre membres des deux classes. 


Aureus d'Agrippine et Claude. (©Claudius via wikipedia.)

  • Le consentement : Pour qu'un mariage soit valide, les fiancés doivent y consentir, de même que leurs tuteurs respectifs. Ulpien explique ainsi que "c'est le consentement et non la copulation qui fait le mariage", et il s'agit du consentement "de ceux qui s’unissent et de ceux qui détiennent l’autorité." Normalement, la jeune fille doit donc être d'accord, mais les "pressions paternelles" sont largement tolérées... Le Digeste de Justinien (XXIII - 1.12) rapporte par exemple : "La jeune fille qui ne s'oppose pas à la volonté de son père est considérée comme donnant son consentement. Et l'on ne permet à une jeune fille d'être d'un avis différent de celui de son père que si celui-ci lui propose pour fiancé un homme indigne ou taré. "
  • La monogamie : On ne peut être engagé que dans un seul mariage à la fois. Ainsi, un homme marié ne peut contracter une nouvelle union qu'une fois le divorce officiellement prononcé.

PRÊTE-MOI TA MAIN : MARIAGES CUM MANU ET SINE MANU.



                                        A Rome, le mariage peut revêtir deux formes juridiques distinctes, très différentes dans leurs conséquences légales :
  • Le mariage cum manu : l'épouse n'est plus placée sous la tutelle de son père. En intégrant sa nouvelle famille, elle rompt le lien agnatique avec sa propre famille et devient aux yeux de la loi soumise au pater familias de son nouveau foyer. Il peut s'agir de son mari, de son beau-père... Bref, du détenteur de l'autorité familiale. Elle deviendra mater familias, mais garde toutefois le nom de sa gens d'origine.

                                        Étrangement, le mariage cum manu créé une relation à la fois maritale et filiale entre l'épouse et son mari : concrètement, son statut juridique est le même que si elle était la fille de son mari. Ceci explique qu'elle ne puisse demander le divorce. Autre conséquence, la communauté de biens n'est pas un sujet abordé par la législation sur le mariage puisque, toutes les unions étant à l'origine cum manu, tous les biens de l'épouse passent à son mari.

Cérémonie de mariage, la mariée étant couronnée par Vénus. (©Ann Raia.)


  • Le mariage sine manu : la relation de l'épouse à sa propre famille demeure la même, et elle est toujours soumise à son père, ou reste indépendante si elle était libérée de la tutelle paternelle. Dans ce cas, sa propriété est distincte de celle de son mari. Les lois concernant les contrats de mariage concernent donc surtout ce type d'unions. Une épouse sine manu ne sera jamais considérée comme la mater familias : elle ne fait pas partie de la famille de son mari et ne peut donc  y prétendre. Elle est simplement uxor.

                                       Théoriquement, les termes uxor et matrona désignent l'épouse sine manu, et mater familias est réservé aux épouses cum manu ; en pratique, les termes ne sont pas toujours employés dans cette acception originelle. 

                                        A partir de 445 avant J.C., soit lorsque les plébéiens obtiennent le droit d'épouser des filles de patriciens, les mariages sine manu se généralisent. Ils permettent en effet au père de la mariée de garder l'autorité sur sa fille même après le mariage, ou à celle-ci de demeurer indépendante - et donc de ne pas déchoir en passant du statut de patricienne à celui de plébéienne.

ATTENTION, FAUX-AMI ! LE CONCUBINATUS. (A ne pas confondre avec le concubinage.)


                                        Un petit mot sur le concubinatus, en marge des mariages reconnus par le droit romain : il s'agit d'une sort de sous-mariage, pratiqué lorsque le mariage n’est pas possible - étrangère et citoyen, patron et affranchie, militaires... On ne connaît aucun exemple de concubinatus se substituant au mariage lorsque celui-ci est légalement possible. C'est donc un union "au rabais", qui respecte les différences sociales. Au contraire du mariage, les enfants nés de cette union sont des enfants naturels, sans père officiel. Le concubinatus établit une relation durable et exclusive (pas d'autre concubinatus ni de mariage), qui repose sur le consentement mutuel et la fidélité.

Une affranchie et son patron, dans une pose rituelle du mariage. (©B. McManus.)


4 MARIAGES ET PAS D'ENTERREMENT : FORMES JURIDIQUES DU MARIAGE.


                                         Sous la République, il existe trois grandes formes d'unions, qui varient surtout par leurs rituels : la confarreatio, la coemptio et le mariage per usum.

Confarreatio.


                                        La confarreatio est la forme d'union la plus ancienne et la plus solennelle de la Rome antique. Il s'agit d'un mariage cum manu, qui apparaît sous la Royauté et tombe en désuétude sous l'Empire. C'est la seule cérémonie de mariage qui revêt un caractère religieux puisque sont présents les prêtres - en l’occurrence les Flamines (qui représentent Jupiter) et le Grand Pontife. Elle se célèbre devant l'autel familial, en présence de 10 témoins. On sacrifie d'abord un mouton, dont la peau est étalée sur deux chaises destinées aux mariés. Ceux-ci se présentent ensemble, la tête couverte, et offrent un sacrifice à Jupiter. Ils partagent ensuite un gâteau d'épeautre (panis farreus - qui donne son nom à la confarreatio, soit "partage du gâteau de froment") et le mangent devant le prêtre.

                                        Dès le début de l'Empire, cette forme d'union n'est plus guère pratiquée que par quelques familles patriciennes et par les Flamines. Tacite raconte ainsi :
"Vers le même temps mourut le flamine de Jupiter, Servius Maluginensis. Tibère, en consultant le sénat sur le choix de son successeur, proposa de changer la loi qui réglait cette élection. Il dit que l'ancien usage de nommer d'abord trois patriciens nés de parents unis par confarreatio, et d'élire parmi eux le flamine, était devenu d'une pratique difficile, En effet, la confarreatio était abolie, ou ne se conservait que dans un petit nombre de familles." (Tacite, "Annales", IV - 16.)

Scène de mariage, avec le sacrifice d'un taureau. (©Ann Raia.)


Coemptio.


                                        La coemptio (du verbe emo, "j'achète") est en quelque sorte une représentation symbolique au cours de laquelle le mari achète son épouse. Cette cérémonie est plutôt observée par les plébéiens et elle se diffuse sous la République. Devant cinq témoins, le fiancé paye le père de la mariée, en lui donnant une pièce d'argent et une pièce de bronze. Le père prononce alors les paroles rituelles scellant la vente : "Quirites, par l'airain et la balance, je transfère la propriété". Le jeune marié prend ensuite un javelot et, avec la pointe, sépare en deux parties la chevelure de son épouse. Selon Plutarque, ce rituel renvoie à l'enlèvement des Sabines, et symbolise les premiers mariages des Romains qui furent faits par la violence et à la pointe de l’épée.

                                       A noter que la coemptio n'est pas forcément une cérémonie matrimoniale : il existe une coemptio dite  fiduciae causa, contractée pour permettre à un individu de se libérer d'une tutelle pesante en la transférant à un autre tuteur.

Per Usum.


                                        Le mariage per usum ("de fait") légitime une année de vie commune, au terme de laquelle un couple est considéré comme marié. L'épouse passe alors in manu, en vertu de cette cohabitation conjugale. La loi des douze Tables stipule toutefois que si une femme ne souhaite pas tomber dans la manus de son compagnon, elle doit s’absenter du domicile durant trois nuits consécutives. On considère alors qu'il y a abandon du foyer, et le mariage est annulé : madame recouvre son autonomie - mais doit tout de même renoncer à sa dot ! On remarquera néanmoins que ce type de mariage peut être rompu par chacun des deux conjoints - contrairement aux unions par confarreatio et coemptio, où seul le mari a le droit de divorcer. Le consentement des parents reste obligatoire pour que ce type d'union soit valide. Il se développe sous la République et disparait progressivement.


Nuptiae.


                                        Au fil du temps, ces trois formes de mariages deviennent plus rares et sont progressivement  remplacées par une quatrième forme d'union, apparue sous l'Empire : la nuptiae. Le mot vient du latin nubere, "mettre le voile". Ce type de mariage apparaît au Ier siècle et repose sur le consentement mutuel des deux époux. Il est toujours précédé par les fiançailles (sponsalia - voir ci-dessous) et consiste en une cérémonie religieuse, qui se tient au domicile de la fiancée ou dans un temple. Les époux accomplissent un sacrifice, par lequel ils confirment leur volonté d'engagement dans le mariage. L'évolution est importante car l'assentiment de la future mariée est ici indispensable, et elle obtient même le droit de divorcer.

AVANT D'EN ARRIVER LA : LES FIANÇAILLES.


                                        La sponsalia, équivalent de nos fiançailles, n'est pas une cérémonie obligatoire avant le mariage ; elle est cependant souvent respectée. Il s'agit en fait d'un contrat, un accord entre les deux parties qui se promettent le mariage et leur donne le droit de porter l'affaire en justice en cas de non-respect de l'engagement et, éventuellement, d'obtenir un dédommagement en vertu de la Jus Sponsalia. Naturellement, le contrat peut être rompu d'un commun accord.

Bague, peut-être de fiançailles, représentant un couple au cours de la cérémonie. (©Ann Raia.)

                                        Au cours de la cérémonie, les deux familles sont réunies et le fiancé offre à sa promise des cadeaux, qui servent à l'origine de garantie (arrha sponsalia). Plus tard, cette assurance est remplacée par un anneau de fer (ou un anneau d'or) que la future épouse passe à son annulaire gauche - que l'on croit directement relié au cœur. On signe ensuite le contrat nuptial, qui fixe le montant de la dot : longtemps modeste, cette somme s'accroît à partir du Ier siècle avant J.C., et peut atteindre plusieurs million de sesterces sous l'Empire. A la suite de ces formalités, on organise en général un banquet.

                                        Normalement, en vertu des lois promulguées par Auguste, le mariage doit être célébré dans les deux ans suivant les fiançailles, et il est interdit aux hommes de se fiancer avec des fillettes de moins de 10 ans. En réalité, ce règlement n'est pas toujours respecté, et de jeunes enfants sont souvent promis en mariage, avant même l'âge de 7 ans.

9 commentaires:

Marine Lafontaine a dit…

Dès que j'ai vu que tu avais mis un article sur le mariage en ligne, je suis venu voir ! Que d'informations ! Et dire que ce n'est que la première partie… Il va falloir que je prenne des notes, moi, si je veux tout retenir !
Un article super, comme d'habitude !

FL a dit…

La suite arrive normalement Mercredi, et je prépare aussi un billet sur le divorce : après tout, si 100% des gagnants du loto ont tenté leur chance, 100% des divorcés ont été mariés...
Merci pour ton commentaire, comme d'habitude :-)

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour cette article super :) !
Bisous♥

FL a dit…

De rien :-) Et comme d'habitude, merci de prendre le temps de laisser un commentaire : ça fait tellement plaisir !

JEAN DE DIEU a dit…

c'est très riche!!moi je suis un cours sur le mariage et ça m'aide beaucoup.Merci.

FL a dit…

Merci à vous pour le commentaire. Un cours sur le mariage ? Je suis curieuse, mais puis-je vous demander dans quel contexte ? (Si vous repassez par cette page, évidemment...)

Anna a dit…

J'effectue un exposé sur le mariage romain et je vous remercie infiniment de la qualité de votre post qui m'a bien éclairé. Bonne soirée

Anonyme a dit…

Bonjour,,

Cet article m'a beaucoup aidé je vous remercie !
Je le consulterai de temps en temps le site !

Bonne journée !

FL a dit…

N'hésitez pas ! J'espère que vous y trouverez encore votre bonheur :-)